Le Corset - Fernand Butin/Déformations

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Opinions Le Corset - Fernand Butin Respiratoire

Déformations produites par le Corset sur le système osseux et le système musculaire.[modifier]

Charpy (Revue d'Anthropologie 1884) dit : « Ce n'est pas chose facile de trouver des poitrines de femmes de 25 à 30 ans, qui ne soient pas déformées par le corset ou les vêtements. »

La déformation du thorax par le corset est en effet le plus constant des effets de cet instrument. Ambroise Paré a écrit que « De mille filles villageoises, on n'en trouve pas une de bossue, à raison qu'elles n'ont eu le corps astreint et trop serré. » Bonnaud (Dégradation de l'espèce humaine par les corps à haleine, 1770), a exprimé la même idée : « Les bossues, les bancroches, les rachitiques, toutes les personnes mal construites et mal bâties ne sont communes que dans les grandes villes où l'on a la coupable manie d'emmailloter les enfants et de les mettre ensuite à la presse dans des corps à baleine. »

Testut nous apprend que le thorax s'accroît surtout au moment de la puberté, c'est-à-dire à l'époque où la jeune fille commence à user et même à abuser du corset, ce qui a pour résultat naturel d'entraver ce développement qui se fait anormalement. Cet accroissement se fait chez la femme jusqu'à vingt-cinq ans ; comme on le voit, il coïncide avec la période de la vie de la femme, où celle-ci a le plus de tendance à vouloir se déformer la taille en serrant son corset.

Ces déformations ont été étudiées par Dechambre, Cruveilher, Charpy, Hayem, etc...

Un médecin anglais, F. Dickinson, a même fait à ce sujet, en 1887, une curieuse expérience qui consistait à mesurer la pression du corset sur le corps. Il se servait pour cela d'une poire en caoutchouc reliée, au moyen d'un tube, à un manomètre enregistreur. Dickinson a trouvé que cette pression, toujours notable, était, dans certains cas, considérable. Malheureusement, son système manquait un peu de précision, et les expériences portaient sur trop peu de cas pour que les résultats exacts fussent intéressants à connaître.

Un buste normal est constitué par deux cavités osseuses, le thorax en haut, le bassin en bas, reliées entre elles par la colonne vertébrale en arrière et les muscles droits en avant. Quand la femme est nue, le devant du buste est presque droit en avant, très légèrement incurvé en arrière et en dedans au niveau de la région lombaire. Latéralement les os iliaques font saillie et au dessus d'eux se trouve une dépression. L'ensemble de ce type normal à thorax non déformé est très difficile à rencontrer aujourd'hui. La Vénus de Milo, cette merveille de beauté physique, en donne la plus belle impression. La Vénus de Médicis (Fig. 14), cet autre spécimen
Fig. 14.
d'art plastique en fournit aussi un bel exemple, bien indiqué par notre dessin, (emprunté à la collection du
Fig. 15.
Magasin pittoresque 1833) ; à côté, le squelette laisse voir les os dans leur position naturelle. La figure n° 15 montre la disposition osseuse et l’apparence d’un thorax de jeune femme qui a longtemps porté un corset trop serré. Au niveau du maximum de constriction, la paroi antérieure est rapprochée de la paroi postérieure. Les cinq ou six dernières côtes sont repoussées en dedans et en haut. Les cartilages costaux sont refoulés en haut et rapprochés les uns des autres en même temps que de ceux de l’autre côté. L’angle fait par la série des cartilages gauches, avec la série des cartilages droits, diminue considérablement. Cet angle, qui mesure chez la femme une moyenne de 75°, finit même dans certains cas par disparaître complètement, comme Cruveilher l’a observé chez une femme âgée qui, depuis l’âge de la puberté, se serrait dans son corset.

Il existe chez les femmes qui placent leur corset très haut une déformation du thorax un peu différente. Dans ces cas, le maximum de constriction existant un peu au-dessus des dernières côtes, c’est à ce niveau que le thorax se trouve étranglé; alors ces dernières côtes se trouvent refoulées en bas où elles font saillie. Hourman et Dechambre (Archives de Médecine, 1835) qui ont bien étudié ce type de déformation, comparent ce thorax ainsi déformé « à ces vases antiques à pied élargi et séparé du reste du col plus ou moins rétréci. »

Mais ce n’est pas seulement le squelette qui est déformé ; les muscles aussi sont atteints, surtout dans leur action physiologique.

En effet, à l’état normal, les muscles droits sont les éléments élastiques de la paroi antérieure du thorax. Quand le corset est appliqué, toute la partie située au-dessous du maximum de striction se trouve presque complètement immobilisée. La contractilité de ces muscles se trouve donc réduite à leur portion située au-dessus de la ligne de constriction ; c’est-à-dire précisément à la portion qui, serrée par le corset, se trouve atrophiée par ce fait, ce qui fait qu’au total toute l’action physiologique de ces muscles est détruite.

Mme Gaches-Sarraute, dans la Tribune médicale 1895 et dans son intéressant travail, le corset, a bien étudié cette action du corset sur les muscles ; ce point spécial avait été omis par ses prédécesseurs dans cette voie. Mme Tylicka n’en fait pas mention dans sa thèse.

« Lorsque le corset est fixé, dit Mme Gaches-Sarraute, la portion des muscles droits située au-dessous de la taille devient passive et subit les fluctuations que lui impriment les viscères. On peut conclure de ce fait que l’action tout entière des muscles droits est annihilée. Si donc la femme corsetée veut se redresser, elle ne pourra le faire qu’à la condition que son buste tout entier suive le mouvement. Cette expérience est facile à réaliser. Examinez une femme ayant les bras en l’air, une femme qui se peigne avec ou sans corset. Lorsqu’elle n’a pas de corset, vous verrez que le bassin reste fixe et fournit un point d’appui au thorax qui se redresse sous l’action intégrale de la colonne vertébrale et des muscles dorso-lombaires. Avec le corset, au contraire pour obtenir le même redressement, il faut mobiliser le bassin lui-même, qui suit alors les mouvements du thorax. Le mouvement d’extension du buste, au lieu d’être dû au mouvement d’extension de la colonne vertébrale, située entre les fausses côtes et le sacrum, est effectué par l’extension de l’articulation coxo-femorale. La colonne vertébrale reste rigide, elle n’y participe pas. Donc, le seul fait de changer la paroi antérieure du corps a pour résultat apparent d’incurver le buste, d’en gêner le redressement, de l’immobiliser et de favoriser la propulsion en avant de la masse intestinale. »

À Mme Gaches-Sarraute revient également le mérite d’avoir démontré :

1° Que : « non seulement le corset atrophie les muscles situés en avant du thorax, mais encore que l’action en arrière du corset s’ajoute à l’action précédente. En diminuant l’action des muscles dorsaux, il gêne le redressement du buste. La partie postérieure du dos s’allonge donc en s’incurvant au détriment de la paroi antérieure qui se raccourcit ».

2° Que : « si à l’état normal, la cage thoracique se rapproche facilement de la hanche sous l’influence des mouvements de latéralité de la colonne vertébrale, avec le corset ce mouvement est impossible. Les deux cavités osseuses sont maintenues à une distance fixe l’une de l’autre par les armatures rigides et verticales qui composent le corset. Celui-ci prend un point d’appui sur les côtes et sur les crêtes iliaques, et s'étend de l’une à l'autre à la façon d'une attelle qui les fixerait des deux côtés ».

Les déformations produites par le corset ne sont pas toujours aussi considérables, mais le nombre des jeunes filles qui, par suite de l'habitude de serrer trop leur corset, en sont atteintes, est considérable. La vue seule permet de le constater facilement. Malheureusement, le plus grand nombre ne veulent pas se laisser examiner. Par l'habitude, elles perdent conscience de la pression exercée par leur corset, et M. Hayern croit qu'elles sont de bonne foi quand elles répondent au médecin : « Mais voyez donc, je ne suis pas serrée ; on y passerait les deux poings », sans se rendre compte que si elles passent les deux poings, c'est précisément parce que leur thorax a été déformé par des strictions antérieures.

Ces déformations sont faciles à diagnostiquer à la simple inspection du thorax, par la vue du sillon circulaire laissé par la ligne de striction maximum. Quand une jeune fille se vante d'avoir 58, 55, 50 et même 45 centimètres de tour de taille, comme certains mannequins de nos grands couturiers, il est bien facile de diagnostiquer le rétrécissement, si on se rappelle que la Vénus de Médicis a environ 80 centimètres de tour de taille.

Les déformations osseuses et musculaires produites par le corset sont les plus apparentes, mais ce ne sont pas les seules ni les plus graves. Sous l'influence de cette constriction, les poumons, le cœur, l'estomac, le foie, l'appareil génito-urinaire, en subissent la désastreuse influence. Nous étudierons ces inconvénients dans les chapitres suivants. De ce qui précède, nous pouvons dire que le corset trop serré produit :

Une déformation caractéristique du thorax présentant deux types : l’un, plus fréquent, caractérisé par le refoulement des cinq ou six dernières côtes, la disparition de l’angle formé par les cartilages costaux et le sternum ; l’autre, plus rare, par un étranglement siégeant au-dessus des dernières côtes qui sont refoulées en bas.

Quel que soit le type de déformation osseuse, il s’accompagne de déformations musculaires qui annihilent la contractibilité des muscles droits, incurvent la région lombaire de la colonne vertébrale. Cette incurvation en dedans est la conséquence de l’atrophie par compression des muscles du dos.

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