Le Corset de toilette/Historique

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Mme  & M. 
Librairie Médicale et Scientifique. (p. 14-30).

HISTORIQUE



Sans procéder ici à un trop long historique et sans viser le moins du monde à l’érudition, qu’il nous suffise de rappeler que le goût de la parure, fort développé chez les femmes de l’antiquité, avait poussé ces dernières à inventer des ceintures de corps, faites de lin ou parfois de tissus plus précieux. Déjà les dames d’Athènes et les patriciennes de Rome se serraient fort dans les circulaires de leurs bandes mammères[1]. Deux siècles avant l’ère chrétienne, Térence, le poète satirique, exerce sa verve contre le travers des jeunes filles de son temps, qui se sanglaient la taille dans les circulaires de leurs bandes de corps. Galien, l’un des précurseurs de la Médecine, traite à son tour des dangers que recèle l’abus des bandelettes dont les femmes étranglaient leur taille. À l’époque Mérovingienne et sous Charlemagne, le « corps de baleine » absolument inconnu, était suppléé chez les femmes de condition par une sorte de corsage juste au corps (cotte hardie), collant jusqu’à l’indiscrétion. L’auteur d’une thèse intéressante[2], qui n’est qu’une violente diatribe contre le corset, nous affirme que les propres filles de Charlemagne ne craignaient point de se montrer ainsi sanglées à la poitrine, à la taille et au ventre, jusqu’à reproduire les plus petits détails de leur plastique.

Pendant toute la durée du moyen âge, la châtelaine est vêtue de sa « cotte hardie », recouverte de son « bliaud » drapé en plis lourds et retombants. Cette « cotte hardie » se moulait étroitement sur la poitrine et les hanches, à la façon des jerseys modernes. Elle faisait office de corsage, mais en trahissant trop visiblement une plastique que la maternité rendait souvent défectueuse au gré de la coquetterie féminine. Elle fut longtemps le vêtement des femmes françaises et devint même plus tard commune aux deux sexes.


Châtelaine féodale vêtue de sa « Cotte-hardie »

Sous Charles le Chauve, quelques dames y ajoutèrent une ceinture qui ceignait le ventre et les hanches en faisant saillir ces dernières.

Sous le règne de saint Louis, « qui rendait la justice vêtu d’une cotte de camelot et d’un surcot de tirelaine »[3], les robes à corsage sont généralement adoptées ; les femmes portent par dessus une « soubreveste » serrée, descendant un peu au-dessous des hanches.

Au XIVe siècle, sous Charles V, la cotte ou robe de dessous, qui ne se montrait auparavant que par des ouvertures maladroitement ménagées, accuse maintenant, grâce aux larges dégagements du
(1) Bliaud formant corsage fermé sur la « cotte-hardie » par une ceinture
(2) XIe siècle. Bque de l’Arsenal à Paris
pardessus, les formes harmonieuses du buste et des flancs. Le « surcot », retenu sur les épaules par deux bandes étroites, est devenu une sorte d’ample jupe traînante qui drape majestueusement la partie inférieure du corps[4].

Certains documents permettent de croire que les corsages
XIe siècle. La cotte de dessous accuse les formes gracieuses du buste, grâce au « surcot » largement ouvert sur les côtés.
soutenus, précurseurs du « corps de baleine » sous sa forme primitive, apparaissent à ce moment par une création nouvelle. C’est le corset extérieur, espèce de mantille qui retombe devant et derrière, sans masquer aucune des belles lignes du corsage. Cette nouvelle pièce du vêtement était retenue sur le milieu de la poitrine par un busc d’acier enfermé dans une riche passementerie. Ce vêtement, mi-corsage, mi-corset, était ordinairement fait de fourrure en hiver et d’étoffe de soie en été)[5]. Au XVe siècle certaines femmes portaient le « Bandier ». C’était une sorte de forte et large ceinture formant corsage et qui tenait lieu de corset.
Fin du XIVe siècle
Corset extérieur, soutenu et lacé devant
À l’époque de Jeanne d’Arc, la sublime pastoure lorraine, qui échangea son corsage de bure pour l’héroïque corselet d’acier, les femmes de qualité portaient une sorte de corsage cuirasse fait d’hermine ou de vair, très probablement issu de celui qui était en usage sous Charles V. Elles l’appelaient un « corps », un « corselet ». Il collait au buste et était entaillé sous les bras d’ouvertures que les moralistes farouches de l’époque, nous dit un auteur, qualifiaient « de bouches d’enfer » ! À la fin du xve siècle apparaît la basquine, sorte de corset fait de toile grossière munie d’un busc en bois ou en fer. Ces basquines étaient parfois soutenues par du fil de laiton. On les confectionnait même avec du cuir.

Pendant la Renaissance, les femmes portaient un vêtement appelé « corsetus », sorte de camisole ajustée à la taille, mais non encore pourvue de baleines. C’est vers ce temps que les Vénitiennes, par un caprice bizarre, imaginèrent le « busto » au moyen duquel elles s’ingéniaient à paraître plus majestueuses. Fait de coutil soutenu de baleines, ce « busto » n’avait pas encore pour but d’amincir la taille, mais de l’allonger démesurément jusqu’aux hanches, de telle sorte que les jambes, encore surexhaussées par des chaussures à hauts patins de bois, élevassent la taille en augmentant la stature.

D’Italie la mode passa en France. Le « busto » raidi et façonné, devient la « vasquine ». On raconte que pour l’entrevue du camp du Drap d’Or, les grandes dames serrèrent à tel point leur taille et se chargèrent d’une telle quantité de parures que plusieurs ne purent le soir se relever de leur siège et qu’on dut les dévêtir en hâte pour les faire revenir à elles.

Au XVIe siècle, Catherine de Médicis importe en France la mode des collerettes en dentelles de Venise, aussi encombrantes que d’un merveilleux

Renaissance. Modes de la Cour. Corsages et cornets « busto » soutenus de lamelles de bois et de baleines.
travail, et introduit à la cour l’usage définitif du corset à busc.

Ce dernier comprimait horriblement le ventre, la taille et la poitrine. On le garnissait de bois, d’ivoire, de plaques de fer. Mais comme la mode exagère tout, jusqu’à l’odieux, jusqu’au ridicule, apparaissent à ce moment les fameux corsets de fer dont nous avons retrouvé quelques types bien curieux au Musée Carnavalet, au Musée de Cluny, et dans les collections archéologiques de M. le Socq d’Estournelles et du Docteur Hamonic. Ces corsets, sortes de cuirasses métalliques, qui avaient la prétention de tourner le corps aux formes stupidement assignées par les fantaisies des couturiers d’alors, constituaient de véritables engins de torture. C’est en vain
Corset de fer du XVIe siècle.
qu’Ambroise Paré se répand en vives objurgations pour en interdire l’usage « aux misérables jeunes dames espoitrinées. » « Par trop serrer et comprimer les vertèbres du dos, disait l’illustre protagoniste de la chirurgie française dans le naïf idiome de l’époque, « on les jette hors de leur place, qui fait que les filles sont bossues et grandement émaciées par faute d’aliments, ce que l’on voit souvent. »

Pour exemple il nous cite le cas d’une jeune femme qui mourut le soir de ses noces pour s’être imposée un corset de cette espèce pendant tout le cours de la cérémonie.

Imagine-t-on en effet, rien de plus absurde que ce moule rigide qui enferme étroitement les côtes,
Corset de fer du XVIe siècle
de la taille aux aisselles, dans une sorte de gangue métallique. « Des bandes de métal sont adaptées sur les côtes vivantes pour les tourner à la forme et les seins comprimés sous deux sphères rigides. » Deux charnières latérales et une fermeture à cliquet opposé servent à ouvrir et à refermer latéralement ces deux valves de fer qui enferment, compriment et étouffent ces malheureuses victimes de la coquetterie. « Pour faire un corps bien espagnolé, » dit Montaigne, faisant allusion à ces corsets compliqués du vertugadin, dont nous parlerons dans un instant, « Quelle géhenne ne souffrent-elles point, guindées et sanglées avec de grosses coches sur les côtes jusqu’à la chair vive ! Oui, quelquefois à en mourir ! »

Au moins la malheureuse pourra-t-elle se mouvoir librement ? Non pas ! ajoute plaisamment un auteur : « La fraise gaudronnée, la collerette soutenue de fil d’archal la tiennent engonsée. Par surcroît, le vertugadin bardé d’acier l’empêchera de marcher librement. Ce dernier, en effet, enferme ses

XVIe siècle. Costume de cour. Corset de fer et « Busto »
jambes dans une sorte de cage à poulets, produisant des hanches postiches, carrées, énormes, sur lesquelles il lui reste la liberté de reposer ses bras raidis dans ses manches à crevés. Elle a l’air de sortir d’un tambour ou, si vous préférez, avec sa tête émergeant d’une collerette aussi vaste qu’évasée, elle offre assez bien l’aspect d’un oranger en caisse. » Nous n’aurons point la cruauté d’insister sur cette peinture. C’est sous Marie de Médicis que les robes étroites de la ceinture, appliquées sur les corsets de fer, commencèrent à bouffer autour des hanches par de gros bourrelets qui s’augmentèrent encore sous le nom de « vertugadins », corruption du mot vertu-gardien, nous dit P. Lacroix[6].

Cependant les dames s’ingénient à orner leur corset.

L’armature est recouverte de velours, de damas. Le buse, laissé apparent, est en fer damasquiné en ivoire, en écaille gravée. Les arabesques s’y enchevêtrent avec les devises gracieuses ou galantes[7].

Au martyrologe du corset de cette époque, il faut inscrire le nom de la duchesse de Mercœur, étouffée par son « corps de baleine ». Le procès-verbal de décès rédigé en vers, disait ceci :

« Les côtes du thorax au dedans retirées
« Retenaient les poumons un petit trop serrés ».

Ces corsets firent fureur cependant. Les hommes eux-mêmes les employèrent. Ces derniers y ajoutèrent en outre un plastron rebondi, « estoffé « comme un bât de mulet à coffre ». Il avait la forme d’une bosse allongée, semblable à celle du Polichinelle et portait le nom de « panseron ». Cette mode extravagante fut adoptée avec un tel entraînement, un tel snobisme, dirions-nous aujourd’hui, que l’usage dut en être réglementé, en Italie, par une loi somptuaire.

Sous les Valois-Médicis, les costumes de cour et des gens de qualité constituent les types saillants des modes et des corsets importés d’Italie. La taille en aiguille était alors la suprême élégance.

XVIe siècle. Costume de Cour, taille en aiguille. Corset de fer et « Panseron. »

Sous Henri IV, on ajouta des sangles pour augmenter le serrage de la taille. Cet ajustement fut si pernicieux que le roi dicta plusieurs arrêts pour en interdire l’usage. En 1619, le Parlement d’Aix voulut réagir aussi et promulgua un édit contre l’emploi du corset.

Sous Louis XIII et sous la Fronde, on tente de réagir. On rejette les « corps de baleines » et l’on abandonne les « basquines ». Pour leurs folles et hardies chevauchées, les nobles
Commencement du XVIIe siècle Dame noble. Corset de fer et « Vertugadin. »
dames de la Fronde avaient du moins besoin de respirer librement. Le corset fut alors suppléé par une simple paire de bretelles croisées sous la robe, « à la commodité », avec lesquelles nous apparaissent, un peu masculines peut-être, les turbulentes princesses de la première moitié du XVIIe siècle. C’est probablement le maintien majestueux, compassé, empesé jusqu’à la raideur, imposé
Époque Louis XIII et de la Fronde. Le corset est remplacé par des bretelles.
par la vie de cour, sous Louis XIV, qui ramène le supplice, bien qu’atténué comparativement à la période antérieure. Le corset prit alors le nom de juste-au-corps[8]. Dès lors, le corset sera propagé par les habitudes mondaines. Sous le règne des Bourbons, le corset ne se modifiera que lentement, sans progresser, et d’après les changements successifs survenus dans la forme des costumes créés par la haute mode. La Fontaine a raillé l’usage
Époque Louis XIV. Dame de la Cour. Corset coniforme réduisant et allongeant la taille. Le Vertugadin voit diminuer sa monstrueuse ampleur.
de cet ajustement en des vers qui attestent quel rôle prépondérant il tenait alors dans l’habillement et la parure des femmes. De la cour, le corset baleiné a pénétré chez les bourgeoises et jusque chez les villageoises :


« C’est la coquette
« Du village voisin
« Qui m’offre une conquête
« En corset de satin ».


nous dit plaisamment l’émule d’Ésope ; mais, plus sévère, il entend condamner cette prétention dans le quatrain suivant 

« Enfin ! la gourgandine est un riche corset
« Entr’ouvert par devant à l’aide d’un lacet,
« Et comme il rend la taille et moins belle et moins fine
« On a cru lui devoir le nom de gourgandine ».


Époque Louis XIV. Commencement du corset coniforme soutenu d’un très grand nombre de baleines.

C’est en vain que notre fabuliste a trempé son trait dans le ridicule. L’usage du corset s’étendra jusqu’aux femmes du peuple.

Au début du XVIIIe siècle, toutes les dames voulaient avoir des corsets et toutes tenaient à ce
Fin du XVIIe et commencement du XVIIIe siècle. Corset des villageoises.
qu’ils fussent garnis de vraies baleines. On en fit une telle dépense que les pêcheurs Norvégiens et Hollandais ne parvenaient plus à fournir le marché. Les grands cétacés, trop pourchassés, émigraient vers les zones arctiques.

« Paris faillit manquer de baleines ! Émouvant problème, nous dit spirituellement un auteur, que les États Généraux des Pays-Bas étudièrent gravement et qu’ils résolurent en juin 1722, en contractant un emprunt de 600.000 florins pour soutenir la Campagne formée dans l’Ost-Frise pour la pêche de la baleine[9]. Couturiers et tailleurs respirèrent. Le corset était sauvé ! Et l’on put disposer d’une telle quantité de baleines qu’on en introduisit jusqu’à 104 dans le même corset !

On conçoit ce que devait être la rigidité de telles carapaces.

Sous Louis XV et Louis XVI, nobles, bourgeoises et roturières porteront le corset et se serreront à l’envi pour obtenir une taille plus fine, plus allongée, que l’ampleur des paniers mettra plus en relief encore.

Pour avoir une idée exacte de ce que le corset était à cette époque, il faut examiner ce qu’il donne à la toilette et à la tournure dans les ravissantes peintures de Nattier représentant les filles de Louis XV, et surtout dans le magnifique portrait en pied de Marie-Antoinette.

Époque Louis XV. Corset coniforme soutenu par une multitude de baleines.
Le corset est devenu nettement coniforme. C’est un véritable cornet compressif, fort peu gracieux. Il sanglait la taille, immobilisait et déformait les côtes inférieures en relevant les seins jusqu’aux clavicules. Il s’enfonçait, rigide, dans les plissures des festons qui ornaient les paniers à tournures. Il ne fallait rien moins que la majesté d’allures, la beauté altière et délicate d’une reine pour idéaliser de tels atours. Mais si cette mode prospéra, ce ne fut pas au gré de l’empereur Joseph d’Autriche. Effrayé des atteintes que le corset portait à la santé publique, il s’efforça d’en dégoûter les femmes honnêtes en ordonnant que « les reprises de justice » en porteraient comme une marque d’infamie. Au grand étonnement de l’Empereur, cette prescription n’eût qu’un effet tout relatif. On comprend sa déception. Les femmes continuèrent à se serrer à tel point que des estampes du temps représentent soubrettes et valets suant et soufflant à lacer, à l’aide d’un treuil, s’il vous plaît ! le corset de leur maîtresse. Les vapeurs, si fréquentes et
Époque Louis XVI
Elégante de la fin du XVIIIe siècle.
si fameuses chez les femmes de l’ancienne société aristocratique, étaient tout simplement provoquées par l’abus de ces compressions circulaires.

La toute frêle et toute gracieuse princesse de Lamballe était sujette à des évanouissements mystérieux qui ne pouvaient être soulagés que lorsqu’on tranchait rapidement son lacet. Ne haussons pas trop les épaules : À notre époque, des femmes fixent encore le lacet de leur corset à un point résistant, et tirent comme la cavale sur le trait. Nous avons vu certaines jeunes femmes réduire leur taille de 20 cent. et passer de 70 cent. sur le nu à 50 cent. par-dessus le corset.

Moralistes, satiriques, auteurs comiques, raillent à qui mieux mieux cette sotte fureur, hélas ! bien inutilement.

Modes de la fin du XVIIe siècle
Corsets baleinés et paniers à tournures.

Mais, dirons-nous encore, pourquoi tant d’objurgations véhémentes, tant de traits acérés, resteront-ils sans effet ? Parce que, nous le répétons, le corset a toujours constitué le support indispensable à l’attachement des dessous et à la correction d’une toilette soignée ; parce qu’il répond encore, par surcroît, à certaines nécessités réparatrices de la maternité et de l’allaitement. Cela est si vrai, qu’un corsetier facétieux du XVIIIe siècle osa risquer à tous les yeux une enseigne audacieuse, ironique, dont nos pères, friands de brocards, s’amusèrent sans scrupule. Au-dessous d’une peinture élémentaire représentant un corset coniforme, « à la mode du jour », on pouvait lire cette annonce, reproduite par les Gazettes :

« Il contient les superbes
« Soutient les faibles
« Et ramène les égarés ».

Passons vite. Nous savons que le ridicule ne tue pas en matière de mode.

C’est peut-être à la philosophie déclamatoire et paradoxale de J. J. Rousseau, qui prêcha le retour à la nature et remit en honneur l’élevage maternel, qu’on doit en partie l’abandon momentané de ces appareils de mutilation. Préconisé à cette époque par le Docteur Tronchin, l’allaitement maternel devint une élégance. On ne portera plus ni corset ni baleines, et les corsages à « l’enfant » qu’on entr’ouvre aisément pour « tronchiner » vont se généraliser.

Sous la Révolution, le corset subit une éclipse, poursuivi par ceux qui l’accusent bêtement d’être « un insigne de richesse et de faste insolent »[10]. On s’habille à l’antique. Les robes à la Grecque, à la Romaine, s’imposent aux élégantes. On ne verra plus que péplums et tuniques. La « fasciæ mamillares », était seule appelée à soutenir « les appas grenadiers », alors à la mode. Mme Tallien se flattait de n’avoir pas même connu le contact de ce léger soutien. Une femme mettait alors dans son corsage son mouchoir, sa bourse, sa correspondance, tout ce qui lui était utile ou précieux. L’opulence de la poitrine en était augmentée.

Sous le Directoire et sous l’Empire, un simple corselet brassière qui place la taille sous les seins, au diamètre le plus grand du thorax, devient la loi régnante. La robe pend en une longue traîne aux plis rares et collants qui se plaquent sur le galbe, comme le fourreau sur le parapluie. On a une idée de cet habillement peu esthétique en revoyant les portraits de Mme de Staël, de l’Impératrice Joséphine et de la jolie Mme Récamier. Mais, à ce moment même, une réaction s’esquisse. La mode tend à revenir à l’ancien corset. Cela ne fut pas sans provoquer les protestations de Napoléon lui-même. En quelques phrases brèves, impérieuses, l’empereur donne issue à sa mauvaise humeur: « Ce vêtement, disait-il à Corvisart,
Révolution et Empire
Brassière soutenant les seins. Robe à l’antique avec ceinture mammaire.
est d’une coquetterie de mauvais goût. Il meurtrit les femmes et maltraite leur progéniture. Il n’annonce que des goûts frivoles et me fait pressentir une décadence prochaine ». Ce qui n’empêcha point l’impératrice Marie-Louise de dissimuler son embonpoint naissant sous la compression de l’un de ces corsets si militairement exécutés.

Cuvier traduisit aussi sa désapprobation. Se promenant un jour dans les serres du Muséum avec une jeune femme de sa parenté, il s’arrête soudain devant une fleur rare aux nuances délicates ; puis, sous les yeux de son interlocutrice étonnée, il pratique une ligature sur la tige. À quelque temps de là, l’illustre savant présente de nouveau la plante exotique, courbée, languissante, presque fanée à la jeune femme qu’il voulait instruire. « Voyez, reprit-il, cette fleur est votre image. Comme vous, elle s’étiole sous une cruelle étreinte ». Enfin, tranchant le lien constricteur, il eut un regard paternel pour la jeune femme, confuse et rougissante. Nous n’oserions affirmer cependant qu’elle desserra son corset.

Quoique pensassent les puissants du jour et les médecins de l’époque, le corset se généralisa de nouveau. Louis XVIII en pleine réorganisation politique et administrative, trouve encore le temps de manifester contre cet usage. Redevenu comte de Provence pour un moment, il dit galamment à Mme du Cayla : « Vous seriez certes la plus jolie femme de mon royaume si, méprisant une mode absurde, vous enleviez cet affreux corset qui enlaidit la nature ». Un peu précieusement peut-être,

Modes de la Restauration
« Taille en Pot de fleur »
Mondaine vêtue de son corset baleiné.
Charles X, à son tour fit à une dame de la cour la mercuriale suivante : « Autrefois, en France, Madame, il n’était pas rare de ren contrer des Diane, des Vénus et des Niobé ; aujourd’hui, on n’y rencontre plus que des guêpes ». D’ailleurs, qui l’eût cru ! Le roi des Ordonnances et Béranger se trouvèrent d’accord, pour une fois, sur ce sujet. Le chansonnier populaire rimait alors ces vers :
« Moi je crois que son corset
« Lui rend la taille moins fine ».
Sous Louis-Philippe, nouvelle modification aux formes du corset baleiné. Mais cette époque, qui
Mode de 1835 à 1845. À cette époque, le Corset baleiné raccourcit affreusement la taille.
fut au point de vue du style et de l’habillement la période la moins heureuse, n’avait su donner à cette pièce de toilette que la coupe la plus antiphysiologique, la forme et les proportions les plus ridicules. Seins projetés vers le cou, étranglement circulaire de la taille, constriction de la région épigastrique et des hypocondres, protubérance hypogastrique affreuse, exagération angulaire des saillies iliaques, tel est le tableau grotesque auquel nous n’osons ajouter, par surcroît, la reproduction de ces chapeaux immenses, dits « cabriolets » que nous retrouvons dans les gravures et portraits du temps. Pour faire paraître la taille plus mince encore, on avait usé d’un subterfuge. Il consistait à munir le corsage de manches « à gigot » et d’une berthe énorme, retombante, qui élargissait démesurément les épaules. Sous ce costume, le buste des élégantes avait un tel aspect qu’on le désignait ironiquement sous le nom de « taille en pot de fleur ».
2me Empire. — Corset à grand serrage et crinoline
Taille à prendre entre ses doigts.

C’est vers cette époque que Bouvier, le célèbre médecin orthopédiste, tente une réaction contre cette mode absurde et fulmine, en termes que nous citons plus loin, contre ce corset, carapace aussi destructive de la plastique que nuisible aux organes de celles qui le portent.

Sous le second Empire enfin, on corrige et on modifie encore la coupe du corset qui mutile la taille, affreusement serrée, déformée au niveau des dernières côtes. On est revenu au corset coniforme. Pour être plus léger et moins mal fait qu’au XVIIIe siècle, il ne sangle et ne déforme pas moins le thorax et la taille, dont toute la phénoménale et disproportionnelle beauté consiste, comme sous la Restauration, à être prise entre dix doigts. Musset, le charmant écrivain, l’élégant et neurasthénique poète d’Éros, a protesté à sa manière contre cet abus :

« Elle fait, sous son flanc qui ploie,
« Craquer son corset de satin ».

Cette nouvelle tentative constitue une rentrée dans le cercle vicieux de la mode irraisonnée, que « le corps de baleine », le corset de toilette n’a pu franchir jusque-là. Il inspire alors à Théophile Gauthier cette boutade bien topique : « Le corset est un instrument de torture inconnu en Orient ».

Rien de plus anti-physiologique que ce corset planté et enchâssé au milieu de ces vastes crinolines, réminiscence du vertugadin, dont les ballonnements et les ondulations grotesques ne se dégonflèrent que sous la pointe acérée du crayon des caricaturistes.

Quelques années étaient à peine passées sur les événements de l’année terrible que le corset cuirasse fait son apparition. Il ne valait pas mieux que ceux qui l’avaient précédé.

Pour le disqualifier, rappelons que la compression qu’il exerçait et la rigidité qu’il imposait au thorax donnèrent lieu, il y a quelques années, à un incident pénible qui mit en émoi toute l’assistance d’un mariage élégant.

Pâle sous sa blanche toilette, la mariée, à bout de forces, s’évanouit au pied de l’hôtel. Est-ce l’émotion ? interroge anxieusement le marié !.... A-t-on forcé son consentement ?.... Non, soupire la pauvrette, haletante et rassurante à la fois : « C’est mon corset qui m’étouffe !!.... »

  1. L’embonpoint était considéré alors comme une difformité. À telle enseigne qu’un médicastre du IIIe siècle, nommé Scrémus, avait fait une grosse fortune en vendant un topique qui avait la propriété de ramener la taille à des proportions aimables.
  2. Les méfaits du corset. Thèse par Mlle Tylicka.
  3. Mœurs et costumes de P. Lacroix.
  4. Mœurs et Costumes, de P. Lacroix.
  5. Ibidem.
  6. Ce monstrueux appareil de baleine et d’acier venait d’Espagne. Il se transforma plus tard en ces grands paniers à tournure, portés jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ; ils ont tenté de reparaître il y a cinquante ans sous le nom de crinoline. Pour se faire une idée de l’immensité de cette tournure, il faut voir au Louvre le portrait en pied de l’Infante Marie-Thérèse.
  7. On possède encore, dit-on, le buse d’Anne d’Autriche, qui porte ces mots gravés : « Je repose sur le cœur de ma maîtresse ».
  8. On attribue ce retour à Mme de Maintenon. Le goût inné de la correction chez cette célèbre pédagogue rend la chose très admissible.
  9. Ce problème ne tardera pas à se poser de nouveau. La baleine se raréfie. Elle vaut à l’heure présente de 90 à 100 fr/ le kilo.
  10. Il fut considéré même comme séditieux.