Le Coureur des bois (Gabriel Ferry)/II/XV

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Librairie Hachette et Cie (2p. 185-196).

CHAPITRE XV

SOUVENIRS ET REGRETS.


Il en est de ces incidents, parfois frivoles en apparence et qui semblent entraver la marche rapide des faits, comme des nuages des tropiques sous certaines latitudes. Ces nuages flottent dans l’air, au-dessus de l’Océan, blancs et légers comme une plume détachée de l’aile d’une mouette ; l’œil du passager dédaigne de s’en occuper, mais celui du marin les suit attentivement, car souvent le nuage dédaigné grossit, s’étend, couvre l’azur du ciel d’un voile sombre ; ces orages terribles qui bouleversent la mer, arrachent aux navires leurs mâts et leurs voiles, ne jaillissent que des flancs de ces vapeurs d’abord imperceptibles.

C’est aussi l’histoire de la vie. Combien de circonstances futiles qui sont grosses d’événements, et dont l’homme ne daigne pas se préoccuper, ou ne se préoccupe qu’un instant pour les oublier tout aussitôt, comme les trois chasseurs avaient fait du canot d’écorce, qui avait été pour eux le nuage orageux des tropiques !

Au moment de transporter sur un théâtre plus éloigné les scènes qui vont marquer le dénoûment de ce récit, il est quelques incidents que nous prions le lecteur de se rappeler, parce qu’ils lient étroitement le passé à l’avenir.

On n’aura pas oublié peut-être que, dans l’entretien du métis avec l’Oiseau-Noir, le pirate avait murmuré quelques mots à l’oreille du chef indien, et qu’à ces mots des éclairs de colère avaient jailli des yeux du guerrier apache. Le métis avait terminé en faisant espérer à l’Oiseau-Noir qu’il livrerait entre ses mains un Indien au cœur fort et au jarret d’acier, en remplacement de Baraja, son prisonnier ; qu’il remplacerait ses chevaux tués dans le combat, et enfin il lui avait assigné un rendez-vous, pour le troisième jour, à l’embranchement de la Rivière-Rouge, près du Lac-aux-Bisons.

Cela dit, nous ferons un court retour sur les événements qui s’étaient passés à l’hacienda del Venado. Ce retour est indispensable à l’intelligence des faits dont le récit va suivre ; il est nécessaire ensuite à l’harmonie de notre ensemble ; peut-être aussi bien nous sommes-nous trop longtemps complu au milieu des scènes sauvages de la vie des déserts, qui a été parfois la nôtre.

Un paysage n’est complet, selon nous, que quand il présente certains contrastes. L’imagination ne tarde pas à se lasser des sites qui n’offrent que des rocs déchirés, des montagnes abruptes et des bois sombres. L’œil, comme l’imagination, sent bientôt le besoin de s’égarer dans des horizons lointains, dans la brume des plaines fuyantes. Il aime aussi à se reposer sur une eau limpide jetée au milieu d’objets divers pour réfléchir soit la nappe azurée du ciel dans sa pureté, soit des groupes de nuages colorés par le soleil, tantôt immobiles et tantôt parcourant les plaines de l’air. L’homme a besoin qu’on lui rappelle le ciel.

La femme aussi est un de ces délicieux contrastes qu’on aime à rencontrer dans la peinture violente des mœurs du désert. Elle est à ces mœurs ce qu’est au paysage austère la vallée ombreuse où l’on se plaît à rêver, ce qu’est encore le ruisseau qui serpente gracieusement dans la prairie, ce qu’est enfin l’arc-en-ciel déployant toute la richesse de ses couleurs.

Après le brusque départ de don Estévan de Arechiza et de sa suite, après la fuite de Tiburcio Arellanos, l’hacienda del Venado, si bruyante la veille, était retombée dans sa tranquillité habituelle. Comme le jour où y étaient arrivés, au coucher du soleil, l’Espagnol et ses compagnons, qui dorment à présent du sommeil éternel près des Montagnes-Brumeuses, l’hacienda présentait au soleil levant, au moment où nous y revenons, un spectacle de prospérité tranquille. Les troupeaux bondissaient comme d’habitude dans la vaste plaine au milieu de laquelle s’élevait la maison de don Augustin. La campagne était couverte de riches moissons ; les oliviers, chargés de fleurs, promettaient une abondante récolte. Les travailleurs sortaient de leurs cabanes pour reprendre leur tâche de la veille ; mais, dans la cour de l’hacienda, des chevaux sellés et des mules chargées annonçaient les apprêts d’un voyage.

On n’a peut-être pas oublié la chasse aux chevaux sauvages dont le propriétaire de l’hacienda voulait offrir le divertissement à ses hôtes, et que ceux-ci, avons-nous dit, avaient acceptée avec empressement. Hélas ! le lendemain n’appartient pas à l’homme. Les événements si brusquement déroulés l’avaient assez prouvé. Mais don Augustin, plein de confiance dans la réussite des projets de don Estévan, et quoique affligé de son départ soudain, n’avait pas voulu renoncer, pour le sénateur, son gendre futur, ainsi que pour lui-même, aux plaisirs qu’il s’était promis. Tout était disposé, et il résolut que la chasse aurait lieu.

Les chevaux attendaient leurs cavaliers, celui de doña Rosarita comme les autres. Le sénateur, débarrassé de la présence d’un rival qu’il redoutait, et de celle de don Estévan, dont l’espèce de tutelle le gênait, était radieux ; il n’en était pas de même de la fille de l’hacendero.

Sa figure pâlie portait la trace de l’insomnie de la nuit. Elle affectait en vain une apparence de sérénité, que démentaient ses yeux encore humides et privés de l’éclat dont ils avaient brillé le jour précédent.

Au moment de monter à cheval, quand don Augustin donna le signal du départ, Rosarita se plaignit tout à coup d’une indisposition subite, dont sa pâleur ne justifiait que trop la réalité, et demanda à son père la permission de rester seule. Contrarié par ce nouvel obstacle, l’hacendero, tout en maugréant intérieurement et en pestant contre la santé délicate des femmes, n’en voulut pas moins partir pour la chasse en compagnie de Tragaduros, quand un incident vint redoubler sa mauvaise humeur.

Au moment où il allait monter à cheval, un vaquero arrivait à toute bride pour prévenir don Augustin que les batteurs ayant trouvé l’aguage (l’abreuvoir) à sec, il était nécessaire d’en chercher un autre, et que la chasse ne pourrait s’ouvrir que huit jours plus tard.

Don Augustin renvoya le vaquero avec ordre de le prévenir dès qu’on aurait trouvé quelque mare où les chevaux sauvages vinssent se désaltérer, et la partie fut remise.

Le sénateur ne ressentait aucune contrariété de cet incident, qui, tout simple qu’il était, devait cependant avoir des suites bien graves. Les exhortations de don Estévan à se signaler par quelque action d’éclat aux yeux de doña Rosario, avaient, il est vrai, réussi à lui donner un sommeil très-belliqueux. S’étant rendormi après le départ du seigneur espagnol, il avait effacé dans ses rêves toutes les prouesses des Centaures ; mais son réveil lui avait démontré les inconvénients de la réalité, et il s’était déterminé à s’en tenir au rôle d’Hercule filant aux pieds d’Omphale, comme moins compromettant et plus facile à remplir.

Quant à Rosarita, l’indisposition dont elle avait paru si subitement atteinte au moment du départ n’était qu’un besoin impérieux chez elle de s’abandonner à ses rêveries, et, en évitant de se joindre à la partie, de se procurer quelques jours de solitude dont elle était avide.

De rapides éclairs qui se succèdent dans un ciel d’azur, un volcan ignoré qui tout à coup vomit des flammes à travers une montagne de neige dont la blancheur n’avait été rougie que par le soleil couchant, causent moins de surprise que n’en éprouve la femme qui soudain voit éclater avec violence un amour qu’elle caressait sans en soupçonner la puissance. Aux tressaillements impétueux qui agitent son sein elle sent qu’elle a perdu ce calme qui naguère faisait toute sa force, et sa stupeur a quelque chose de celle qu’éprouverait un dieu en voyant tomber un à un les rayons de sa divinité. Le cœur de la vierge qui ignore ne brille-t-il pas de tout l’éclat d’un rayon divin, et n’a-t-il pas la pureté de l’azur du ciel et la blancheur de la neige des montagnes ?

Rosarita interrogea son cœur dans le silence et la méditation ; des voix jusqu’alors inconnues lui firent entendre les chastes et douces mélodies de l’amour naissant ; puis elles se turent, et il se fit dans l’âme de la jeune fille un vide immense : car celui que nommaient ces voix n’était plus là. Où était-il ? Les jours s’écoulèrent sans qu’on pût le lui dire.

Cependant le sénateur avait investi avec assez d’adresse, il faut le reconnaître, la place qu’il cherchait à faire capituler. Grâce au large crédit que lui avait ouvert don Estévan sur la caisse de l’hacendero, et qu’il ne ménageait pas plus que s’il n’eût jamais dû s’épuiser, il avait réussi à procurer à Rosarita quelques distractions et à adoucir en quelque sorte le chagrin auquel elle était en proie.

Les cadeaux, les surprises pleines d’une galanterie empressée, témoignages d’un cœur bien épris, exercent toujours sur les femmes un certain charme qui chatouille leur amour-propre et finit souvent, sinon par ouvrir le chemin de leur cœur, du moins par les prévenir en faveur de celui qui leur rend des soins. Le sénateur avait en outre dans son mérite personnel une confiance imperturbable, et chantait sans cesse ses propres louanges, pendant que Rosarita, à force de les entendre, finirait par en croire quelque chose. En faisant son panégyrique, il avait soin d’attribuer à son amour pour doña Rosario les qualités éminentes qu’il se donnait si complaisamment.

Tels étaient les moyens que Tragaduros employait pour faire oublier son rival absent et prendre la place qu’il occupait dans le cœur de Rosarita.

L’absence a ses dangers, et il sont nombreux, mais elle a aussi quelques avantages : elle fait naître des regrets qui plaident pour l’objet qui les excite, elle laisse le souvenir de la séparation, souvenir toujours tendre, et elle prête à l’absent, comme l’azur lointain au paysage, un charme infini : mais quelquefois elle ne doit pas se prolonger, et celle du pauvre Fabian menaçait d’être bien longue. Disons cependant que son image, malgré toutes les séductions employées par un rival présent, restait encore gravée dans le cœur de Rosarita.

Tel était l’état des choses à l’hacienda del Venado environ une quinzaine de jours après le départ de don Estévan, c’est-à-dire un peu avant l’époque où nous avons retrouvé, asseyant son camp dans le désert, l’expédition que commandait le seigneur espagnol.

Don Augustin avait attribué à la solitude seule au milieu de laquelle vivait sa fille la mélancolie dont son visage portait l’empreinte. Il ressentait lui-même tout le poids d’une inaction incompatible avec son caractère ardent, et le retour de son vaquero, avec la nouvelle de la découverte d’un aguage auprès duquel on avait rencontré une nombreuse troupe de chevaux sauvages, fut une occasion qu’il saisit avec empressement pour distraire doña Rosarita et satisfaire sa propre passion de chasseur. L’occasion était d’autant plus propice que l’aguage se trouvait plus éloigné de l’hacienda. Ce n’était plus une course dans les environs, c’était un voyage de quatre jours.

Depuis plusieurs années on n’avait signalé dans le pays aucune trace d’Indiens ; ce n’étaient donc que quelques jours de fatigue amplement compensée par l’émouvant spectacle d’une chasse pleine d’intérêt, que les Mexicains de ces contrées lointaines recherchent avec autant d’avidité que celui d’une course de taureaux.

Nous sommes au moment du départ de l’hacienda.

Les chevaux sellés piaffaient dans la cour près du perron. Les mules chargées de matelas, de bagages et de cantines, ainsi que les chevaux de relais, avaient pris les devants. Deux domestiques, restés seuls pour le service personnel des maîtres, n’attendaient plus qu’eux pour partir.

Le soleil dardait à peine ses premiers rayons, quand l’hacendero, le sénateur et doña Rosario parurent sur le perron de la cour, en costume de cheval.

La jeune fille n’avait plus ces fraîches couleurs qui le disputaient naguère à l’éclat de la grenade entr’ouverte ; mais la pâleur de son visage, où se reflétait la mélancolie de son âme, donnait à tous ses traits un air de molle langueur qui ne déparait en rien sa beauté.

La cavalcade se mit en route. En passant près de la brèche du mur d’enceinte qu’avait escaladé, pour cesser d’être l’hôte de son père, celui que Rosarita nommait toujours Tiburcio Arellanos, elle ramena son voile sur sa figure pour cacher une larme que ses yeux laissaient échapper. Bien souvent la nuit l’avait surprise rêvant dans ce même endroit ; en quittant l’hacienda, il lui semblait qu’elle disait adieu pour jamais au plus cher comme au plus douloureux de ses souvenirs. N’était-ce pas là qu’un soir, sans qu’elle s’en doutât, elle avait senti tout à coup l’amour circuler dans ses veines ? N’était-ce pas de ce souvenir que datait, pour ainsi dire, sa vie ? Plus loin, rien ne devait lui rappeler Tiburcio.

Ce fut donc sans savoir le danger qu’avait couru dans ce bois, dans le Salto-de-Agua, celui qui faisait couler ses pleurs, qu’elle traversa l’épaisse forêt et le pont grossier du torrent.

Malgré les efforts du sénateur pour la distraire, la première journée du voyage fut triste et se termina de même.

Une lieue ou deux avant d’arriver à la couchée désignée pour la cavalcade, l’ombre s’était épaissie, et les voyageurs gardaient le silence, car l’approche de la nuit dans le désert est imposante et fais toujours rêver. Deux cavaliers se croisèrent alors avec eux.

Leur aspect était à la fois étrange et sinistre. L’un était un vieillard aux cheveux blancs, l’autre un jeune homme à la chevelure noire. Tous deux avaient leurs cheveux relevés en chignon derrière la tête et attachés avec des liens de cuir blanchâtre. Une espèce de calotte étroite de filet grossier, ornée d’une houppe de plumes, couvrait le sommet de leur tête et se maintenait par une mentonnière de cuir.

L’un et l’autre avaient les jambes nues ; mais le haut du corps était enveloppé d’une couverture de laine de l’apparence la plus commune.

C’était le costume des Indiens Papagos ; toutefois, au lieu d’être armés comme eux d’arcs et de flèches, les deux cavaliers portaient en travers de leur selle une longue et lourde carabine dont la crosse et le bois étaient constellés de clous de cuivre. La férocité empreinte en outre sur leur physionomie était loin de cet air de bonté débonnaire qui distingue cette tribu d’Indiens très-pacifiques, auxquels ils ne ressemblaient que par les vêtements.

Doña Rosario poussa son cheval contre celui de son père, tandis que le plus jeune des deux cavaliers arrêtait le sien pour jeter un regard de feu sur le visage de la jeune fille, dont la beauté parut vivement le frapper.

Les deux cavaliers échangèrent quelques mots dans une langue que les Mexicains ne comprirent pas, et passèrent outre, non sans que le plus jeune se retournât plusieurs fois pour suivre des yeux le voile flottant et la taille svelte de la fille de don Augustin. Puis tous deux disparurent dans l’ombre du soir.

« Je n’ai jamais vu, dit Rosarita avec un sentiment d’inquiétude, deux Papagos porteurs d’une semblable figure.

– Ni armés de cette manière, ajouta le sénateur ; on dirait deux loups revêtus de peaux de brebis.

– Bah ! répliqua don Augustin, il y a mauvaises de figures partout, même parmi les Papagos. Qu’importe, après tout, ce que peuvent être ces deux Indiens ? nous sommes ici en nombre et aussi bien armés qu’eux. »

Les voyageurs continuèrent leur route ; mais néanmoins ces deux inconnus semblaient avoir laissé dans l’air un souffle de funeste augure. Pendant le temps qui s’écoula jusqu’à la couchée, le pas cadencé des chevaux sur le terrain sec et sonore se mêla seul aux derniers bruissements des cigales que les ténèbres faisaient taire.

Bientôt la vue d’un feu allumé dans la campagne indiqua aux voyageurs l’endroit que les domestiques qui les précédaient avaient choisi pour faire halte jusqu’au lendemain.

Une petite tente de soie, que la galanterie de Tragaduros avait fait venir d’Arispe en vue de ce voyage, fut dressée sous un bouquet d’arbres pour doña Rosarita. Quand le repas du soir fut achevé, elle se retira sous sa tente, mais elle chercha vainement le sommeil sur les dentelles de son oreiller. La jeune fille se rappelait la nuit où Tiburcio dormait non loin d’elle, lorsqu’elle l’avait vu pour la première fois ; et, comme l’avait fait Tiburcio lui-même cette nuit-là, elle écouta tour à tour avec une larme et un sourire le murmure du ruisseau qui coulait tout près d’elle, le tintement de la clochette de la jument capitana, les glapissements lointains des chacals, le cri de l’oiseau de nuit, en un mot, toutes ces harmonies vagues du désert, qui éveillent tant d’échos dans un cœur de vingt ans.

Que n’eût pas donné Fabian pour voir le lendemain, quand au point du jour la fille de don Augustin sortit de son abri de soie pour remonter à cheval, la pâleur enchanteresse qu’avait laissée sur son visage l’insomnie dont il avait été l’auteur ?

La cavalcade reprit sa marche comme la veille ; mais Rosarita était plus rêveuse encore que le jour précédent. Les souvenirs qu’elle croyait avoir laissés à l’hacienda surgissaient partout autour d’elle ; car l’amour est ingénieux à établir à chaque instant des ressemblances frappantes sur les analogies les plus lointaines.

Quoi qu’en disent certains esprits chagrins, l’imagination est aussi habile à se créer de douces illusions qu’à se forger de désolantes chimères.

Dans tout le trajet de l’hacienda au Lac-aux-Bisons, car c’était à cet endroit que la cavalcade se rendait, la réalité semblait favoriser Fabian et ne laisser à l’imagination que bien peu à faire.

Après avoir marché plusieurs heures, le sénateur, resté quelques instants en arrière, rejoignit la cavalcade. Il apportait en triomphe à Rosarita un bouquet de fleurs de lianes qu’il s’était arrêté pour cueillir. Un petit cri de joyeuse surprise, arraché à la jeune fille par la vue de ces campanules aux brillantes couleurs, paya le sénateur de sa galante attention ; puis, au moment de le remercier, Rosarita sentit la voix lui manquer et se détourna soudain pour ne pas laisser lire sur son visage une émotion douloureuse, tandis que sa main laissait retomber, une à une, les fleurs offertes par le sénateur.

« Qu’avez-vous ? grand Dieu ! s’écria Tragaduros, surpris et peiné à la fois de ce mouvement inattendu.

– Rien, rien, » reprit la jeune fille en faisant un effort pour serrer dans sa main le bouquet si subitement dédaigné.

En disant ces mots, Rosarita donna de la houssine à son cheval, qui partit comme un trait. Elle avait besoin de confier au vent qui sifflait dans ses cheveux un soupir de douleur qui l’étouffait.

Rosarita venait de se rappeler que jadis aussi Tiburcio cueillait pour elle des fleurs sur sa route, et celles qu’elle tenait maintenant dans sa main lui semblaient odieuses ; elle les froissa convulsivement et les jeta loin d’elle.

« Il y avait donc quelque insecte venimeux dans ces fleurs ? lui demanda le sénateur quand il l’eut rejointe.

– Oui, » dit avec effort Rosarita, qui sentit ses joues se colorer de la pourpre des fleurs qu’elle venait de jeter.

Nous en savons assez maintenant des sentiments secrets de doña Rosarita, pour ne plus la suivre pas à pas dans ce voyage.

Nous laisserons donc arriver la cavalcade, le matin du quatrième jour, tout près du Lac-aux-Bisons, où nous devons la précéder.