Le Crépuscule des Nymphes, suivi de Lectures antiques/Le Crépuscule des Nymphes/7

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Slatkine reprints (p. 107-114).





L’AMOUR ET LA MORT

D’HERMAPHRODITE

Fac-similé autographe du 3ème tome des œuvres complètes de Pierre Louÿs p.111



(FRAGMENTS)


Comme ils suivaient au hasard un sentier de la forêt, ils arrivèrent à un carrefour où le chemin se partageait ainsi qu’une patte de cygne, en trois rayons écartés. Dans un tel lieu Œdipe fit périr son père.

Au milieu du carrefour se dressait un hermaphrodite de marbre, ithyphallique et nu. Rhéa, qui ne passait jamais devant une image divine sans lui faire une offrande, suspendit au phallus sa couronne de lierre, et murmura l’invocation.

Un miroir et un caducée étaient sculptés sur le socle. Plus bas on lisait ces vers, gravés en grandes lettres creuses :

« Fils d’Hermès, protège les voyageurs solitaires.
« Fils d’Aphrodite, choisis leurs compagnes de couche. »

Et un passant avait écrit le matin même sur l’autre face du piédestal : « À Kleona, l’auberge est bonne et la fille est toujours contente. » Thrasès lut en secouant la tête :

« Ce passant, dit-il, semble croire que le dieu l’a exaucé en mettant dans son lit cette fille de taverne mais les dieux n’écoutent point qui leur donne de faux noms, et ce dieu-ci n’est pas le fils des parents qu’on lui a prêtés. On l’appelle Hermaphrodite parce que c’est un hermès d’Aphroditos, le dieufemme qu’on adore en Syrie. Quant à Hermès l’immortel, jamais il ne s’est uni à Celle qui aime les sourires.

— Comment ? fit Rhéa. On m’a toujours dit le contraire. Tu es seul de ton avis.

— C’est pourquoi j’ai raison », fit Thrasès.

*

Debout, le dos à un figuier couvert de figues, les bras repliés derrière la tête, et les cheveux mêlés dans les feuilles, c’était Hermaphrodite, fille de la déesse et d’un dieu.

Toute la nuit elle était restée immobile, comme une nymphe hamadryade attachée au tronc natal.

Sans plus bouger que les herbes étendues, que les branches verticales des peupliers, que les immuables étoiles.

Et toutes les rosées du matin ayant perlé sur elle, les premiers rayons mauves de l’aube éveillaient par milliers sur sa peau de petites améthystes brillantes. Ses cheveux jaunes comme du miel avaient couché sur ses épaules comme une courte chevelure d’éphèbe.

Ses longs yeux étaient alourdis et ternes comme les figues de l’arbre, et ne regardaient plus.

Son corps était celui d’un jeune homme très beau, car elle n’avait pas de seins bien qu’elle fût nubile, et ses hanches étaient très étroites et son ventre lisse et plat.

Un lys rouge avait poussé pendant la nuit entre ses jambes droites jusqu’à épanouir sa fleur sur le sexe interdit aux faunes.

Et du pied du lys jaillissait une source, qui était la nymphe Salmakis.


Salmakis parle.


« Tu pourrais me tuer, mon front ne serait pas plus pâle ; tu pourrais les couper avec tes dents, mes seins, ils ne seraient pas plus rouges ; tu pourrais user tes lèvres à baiser mes dix orteils, mes pieds ne seraient pas plus roses qu’ils ne sont. Je connais mieux que toi ma beauté.

a Souvent je me suis mise à genoux dans la mousse mouillée qui ourle ma source, et, les mains posées sur ces deux pierres polies où se brisent mes eaux, j’ai regardé mon beau corps se refléter lui-même. Mais les arbres sont si hauts que l’eau est tout à fait sombre. Peut-être, je suis plus belle encore. Ah ! que ne puis-je voir mon visage, que ne puis-je baiser mes lèvres, que ne puis-je enlacer mon corps à mon corps et m’étreindre languissamment !