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Le Crépuscule du matin (Fontainebleau)

La bibliothèque libre.
Hommage à C. F. Denecourt. Fontainebleau : paysages — légendes — souvenirs — fantaisies
Texte établi par (préface de Auguste Luchet), Librairie de L. Hachette et Cie (p. 76-77).
LE MATIN


La diane chantait dans les cours des casernes,
Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.

C’était l’heure où l’essaim des rêves malfaisants
Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents,
Où, comme un œil sanglant qui palpite et qui bouge,
La lampe sur le jour fait une tache rouge,
Où l’âme sous le poids du corps revêche et lourd
Imite les combats de la lampe et du jour ;
Comme un visage en pleurs que les brises essuient,
L’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient,
Et l’homme est las d’écrire et la femme d’aimer.

Les maisons, çà et là, commençaient à fumer.
Les femmes de plaisir, la paupière livide,
Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ;
Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids,
Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts.
C’était l’heure où parmi la faim et la lésine
S’aggravent les douleurs des femmes en gésine ;
Comme un sanglot coupé par un sang écumeux,
Le chant du coq au loin déchirait l’air brumeux ;
Un brouillard glacial baignait les édifices,
Et les agonisants dans le fond des hospices
Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux ;

Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.

L’Aurore grelottante en robe rose et verte
S’avançait lentement sur la Seine déserte,
Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,
Empoignait ses outils, — vieillard laborieux