Le Cri de Toulouse, numéro 1/Notes d’une Sportswomen

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Notes d’une Sportswomen
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— Vraiment, vous êtes à ce point passionnée de foot-ball ?

— Certainement, et ce n’est pas d’aujourd’hui, ni même d’hier. Ah ! les belles séances à Bourrassol, où équipiers et spectateurs jouaient au water-polo ; et à la prairie des Filtres et aux Récollets, où les pieds dans l’herbe humide et glacée, sous la pluie et le vent, nous admirions les performances des Soulié, des Farkas, des Leclère, des Cuillié et tant d’autres ! Les pompiers présomptueux appellent cette époque, les temps héroïques. Je n’étais pas une héroïne, peut-être une sotte, tout simplement. Mais si j’aime tant les sports et en particulier le foot-ball, c’est parce que j’ai souffert un peu pour eux, que j’ai enduré des froids-aux-pieds terribles et que j’ai risqué « d’attraper la crève » comme dit ma mère de nourrice.

— Mais alors, vous devez être d’une compétence remarquable ?

— Les hommes seuls sont assez vaniteux pour se croire remarquablement compétents. Eux pérorent, apprécient et jugent ; nous, femmes faibles, nerveuses, sensitives, nous nous bornons à sentir. Nous n’analysons pas, parce que nous ne savons pas analyser, mais je crois que, tout compte fait, notre plaisir est plus grand.

— En somme, si je vous comprends bien, vous n’allez chercher, au spectacle d’un match, que des impressions.

— Parfaitement.

— Savez-vous que ce ne serait point banal de connaître les impressions d’une sportswomen sur nos équipiers, d’une véritable sportswomen, experte et clairvoyante ? Ne pourriez vous pas, Mademoiselle, m’en faire part pour les lecteurs du Cri de Toulouse ?

Ainsi me parlait le Rédacteur en chef de ce Journal. Il fit tant et si bien qu’il m’arracha la promesse de quelques brèves notules.

Ah ! combien j’avais raison de ne pas vouloir être déclarée « compétente » ! Combien je ressens en ce moment la difficulté d’exprimer mes « impressions » ! Par quel bout commencer ?

Tout d’abord laissez moi vous faire part de mon indignation au sujet de Mouniq (Je ne lui donne pas du Monsieur, n’est-ce-pas ? En matière de sport on va trop vite pour pouvoir s’arrêter aux inutiles politesses.) Imaginez-vous qu’il se fait raser la moustache ! Si c’est pour quelle pousse mieux, je l’excuse ; Si c’est pour satisfaire aux exigences d’une de mes congénères férue de mode anglo-saxonne, je l’excuse moins ; Si c’est pour faire l’« Anglais » dans son équipe je ne l’excuse plus du tout ! Ah ! non pas d’Anglais chez vous, je vous en prie ! Laissez les autres clubs recruter leurs étoiles dans le ciel britannique. Tarbes, Bordeaux, Pau, Cognac, Paris, êtes vous donc si « galettes » que vous soyez obligés de faire appel à ces vilains singes d’Outre-Manche ?

Pour vous messieurs les Stadistes, sachez rester vous-mêmes. Peut-être votre verre sera-t-il moins grand, mais vous boirez dans votre verre. Contentez-vous d’être de vrais français, vifs, braves et loyaux.

Porter fièrement votre petite moustache dont la pointe nous chatouille l’âme si agréablement. Jadis, les mousquetaires, qui comme vous luttaient, se battaient pour le seul plaisir de lutter et de se battre, arboraient sur la lèvre l’envol léger d’un double accroche cœur. Et quand ils avaient donné tout leur effort et qu’ils étaient contents d’eux-mêmes, ils avaient de la main un geste délicieux pour relever les poils soyeux de leur moustache, dont la pointe avait l’air de provoquer les étoiles.

Vous pensez bien qu’avec le temps qu’il faisait dimanche, je ne suis pas allée à Montauban. Non pas que la pluie me fit peur, mais je supposais que la partie serait horrible à voir.

Il paraît que je ne me suis pas trompée. Au bout de quinze minutes de jeu, c’étaient trente nègres qui barbottaient dans la cuvette de Sapiac. Ils étaient couverts de boue de la tête aux pieds. Deux fois, on dût arrêter la partie pour permettre à un équipier d’aller se laver le visage ; la couche de terre collée sur ses paupières étaient si adhérente et si épaisse qu’il ne pouvait pas ouvrir les yeux.

Mon frère, qui a horreur de l’exagération, m’a cité ce fait dont il a été témoin :

Après la partie, un équipier, Mariette, nu comme le discours d’un académicien, se fit indiquer la pompe. Cette pompe était au dehors, à quelques mètres du local. Mariette veut s’y rendre, il sort, mais il rentre aussitôt par pudeur, une centaine de personnes étaient encore là. Eh bien ! le croiriez-vous, ceux qui l’ont aperçu, ne se sont pas rendu compte de sa complète nudité. La boue lui faisait un voile pudique, que M. Bérenger lui-même eut trouvé suffisant. Mariette était nu comme un ver, mais comme un ver… de terre. Le vent, la pluie, la boue ! Que vouliez-vous qu’il fit contre trois… calamités semblables ? Il fit ce qu’il pût notre beau Stade. Il ne mourut pas, mais son jeu fut inesthétique. Où étaient les ruées fougueuses de nos Servat, Mounic, Mariette, Tavernier ? Où, les feintes capricieuses d’un Picart ou d’un Jauréguy ? Où, les envolées graciles d’un Bioussa et les élégants démarrages d’un Moulines ? Ils ne partaient pas, nos joueurs, en harmonieuses cavalcades, les genoux hauts, le torse en avant. Ils étaient embourbés, englués, enlisés, en… tout ce que vous voudrez, et mon cœur ne les aurait pas reconnus.

C’est que, ainsi que leur nom l’indique, il leur faut le Stade, évocateur des cieux latins, éclatant de lumière, le Stade où l’eurythmie des courses et des jeux se mariait à celle de la nature favorable.

Si jetais allée à Montauban, j’aurais durant toute la partie, murmuré de mes lèvres glacées, ce beau vers de Mallarmé, si facile à retenir :

L’azur ! L’azur ! L’azur ! L’azur !
L’azur ! L’azur !

Le résultat de dimanche dernier m’a quelque peu affligée. Que notre équipe n’ait marqué que deux essais, passe encore, étant donné les conditions anormales de la partie. Mais que les Montalbanais aient pu inscrire trois points à leur actif, voilà qui m’étonne et m’humilie. Pourquoi Dutour n’est-il plus là ? Croyez-vous qu’il aurait laissé piétiner sa ligne de but ? Ah ! Barrère, vous ne me faites pas oublier, hélas ! non ; votre prédécesseur ! Vous êtes jeune, il est vrai, vous avez le temps d’apprendre. Mais pourquoi, pour parfaire votre instruction sportive, vous a-t-on mis en première équipe ? Je tremble pour vous, voyez-vous et je crains que d’ici la fin de la saison, si l’adversité vient à s’abattre sur le Stade, on ne crie haro sur vous et que vous ne deveniez le baudet de qui vient tout le mal.

Mais je ne m’appelle pas la Pythie, pas même madame de Thèbes. Je me tromperai probablement car je ne suis qu’

Une Sportswomen distinguée.