Le Crime d’Orcival/Chapitre 17

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E. Dentu (p. 225-235).


XVII


Le lendemain, le temps était froid et humide. Il faisait un brouillard si épais qu’on ne distinguait pas les objets à dix pas devant soi. Cependant, à l’issue du déjeuner, Sauvresy prit son fusil et siffla ses chiens.

— Je vais faire un tour dans les bois de Mauprévoir, dit-il.

— Singulière idée ! remarqua Hector, une fois sous bois, tu ne verras seulement pas le bout du canon de ton fusil.

— Que m’importe, pourvu que j’aperçoive quelques faisans.

Ce n’était qu’un prétexte, car en sortant du Valfeuillu, Sauvresy prit à droite la route de Corbeil, et une demi-heure plus tard, fidèle à sa promesse, il entrait à l’hôtel de la Belle Image.

Miss Fancy l’attendait dans cette grande chambre à deux lits qu’on lui réservait toujours depuis qu’elle était une des bonnes clientes de l’hôtel.

Ses yeux étaient rouges de larmes récentes, elle était fort pâle et son teint marbré annonçait bien qu’elle ne s’était pas couchée.

Sur la table, près de la cheminée où brûlait un grand feu, se trouvait encore son déjeuner auquel elle n’avait pas touché.

Lorsque Sauvresy entra, elle se leva pour aller à sa rencontre, lui tendant amicalement la main :

— Merci, lui disait-elle, merci d’être venu. Ah ! vous êtes bon, vous.

Jenny n’était qu’une fille et Sauvresy détestait les filles ; pourtant sa douleur était si évidente et semblait si profonde, qu’il fut sincèrement ému.

— Vous souffrez, madame ? demanda-t-il.

— Oh ! oui, monsieur, oui, cruellement.

Les larmes l’étouffaient, elle cachait sa figure sous son mouchoir.

— J’avais deviné, pensait Sauvresy, Hector lui a signifié son congé. À moi, maintenant, de panser délicatement la blessure, tout en rendant un raccommodement impossible.

Et comme Fancy pleurait toujours, il lui prit les mains, et doucement, bien que malgré elle, il lui découvrit le visage.

— Du courage, lui disait-il, du courage.

Elle leva sur lui ses grands yeux noyés, auxquels la douleur donnait une ravissante expression.

— Vous savez donc ? interrogea-t-elle.

— Je ne sais rien, car sur votre prière je n’ai rien demandé à Trémorel, mais je devine.

— Il ne veut plus me revoir, fit douloureusement miss Fancy, il me chasse.

Sauvresy fit appel à toute son éloquence. Le moment était venu d’être à la fois persuasif et banal, paternel mais ferme.

Il traîna une chaise près de miss Fancy et s’assit.

— Voyons, mon enfant, poursuivit-il, soyez forte, sachez vous résigner. Hélas ! votre liaison a le tort de toutes les liaisons semblables, que le caprice noue, que la nécessité rompt. On n’est pas éternellement jeune. Une heure sonne, dans la vie, où bon gré malgré il faut écouter la voix impérieuse de la raison. Hector ne vous chasse pas, vous le savez bien, mais il comprend la nécessité d’assurer son avenir, d’asseoir son existence sur les bases plus solides de la famille, il sent le besoin d’un intérieur…

Miss Fancy ne pleurait plus. Le naturel reprenait le dessus, et ses larmes s’étaient séchées au feu de la colère qui lui revenait. Elle s’était levée, renversant sa chaise, et elle allait et venait par la chambre incapable de rester en place.

— Vous croyez cela, monsieur, disait-elle, vous croyez qu’Hector s’inquiète de l’avenir ? On voit bien que vous ne savez rien de son caractère. Lui, songer à un intérieur, à une famille ! Il n’a jamais pensé et ne pensera jamais qu’à lui. Est-ce que s’il avait eu du cœur, il serait allé se pendre à vos crocs comme il l’a fait. N’avait-il donc pas deux bras, pour gagner son pain et le mien. J’avais honte, moi qui vous parle, de lui demander de l’argent, sachant que ce qu’il me donnait venait de vous.

— Mais il est mon ami, ma chère enfant.

— Agiriez-vous comme lui ?

Sauvresy ne savait vraiment que répondre, embarrassé par la logique de cette fille du peuple, jugeant son amant comme on juge dans le peuple, brutalement, sans souci des conventions imaginées dans la bonne compagnie.

— Ah ! je le connais, moi, poursuivait Jenny, s’exaltant à mesure que se présentaient ses souvenirs, il ne m’a trompée qu’une fois, le matin où il est venu m’annoncer qu’il allait se détruire. J’ai été assez bête pour le croire mort et pleurer. Lui, se tuer ! Allons donc, il a bien trop peur de se faire mal, il est bien trop lâche. Oui, je l’aime, oui, c’est plus fort que moi, mais je ne l’estime pas. C’est notre sort, à nous autres, de ne pouvoir aimer que des hommes que nous méprisons.

On devait entendre Jenny de toutes les pièces voisines, car elle parlait à pleine voix, gesticulant, et parfois donnant sur la table un coup de poing qui secouait les bouteilles et les verres.

Et Sauvresy s’inquiétait un peu de ce que penseraient les gens de l’hôtel, qui le connaissaient, qui l’avaient vu entrer. Il commençait à regretter d’être venu, et faisait tous ses efforts pour calmer miss Fancy.

— Mais Hector ne vous abandonne pas, répétait-il, Hector vous assurera une petite position.

— Eh ! je me moque bien de sa position ! Est-ce que j’ai besoin de lui ? Tant que j’aurai dix doigts et de bons yeux, je ne serai pas à la merci d’un homme. Il m’a fait changer de nom, il a voulu m’habituer aux grandeurs ; la belle affaire ! Il n’y a plus aujourd’hui ni miss Fancy ni opulence, mais il y a encore Pélagie qui se charge de gagner ses cinquante sous par jour sans se gêner.

— Non, essayait Sauvresy, vous n’aurez plus besoin…

— De quoi ? De travailler. Mais cela me plaît, à moi, je ne suis pas une fainéante. Tiens ! je reprendrai mon existence d’autrefois. Pensez-vous que j’étais bien malheureuse ? Je déjeunais d’un sou de pain et d’un sou de frites et je n’en étais pas moins fraîche. Le dimanche, on me conduisait dîner au Turc, pour trente sous. C’est là, qu’on s’amuse ! J’y ai plus ri en une seule soirée que depuis des années que je connais Trémorel.

Elle ne pleurait plus, elle n’était plus en colère, elle riait. Elle pensait aux cornets de frites et aux dîners du Turc.

Sauvresy était stupéfait. Il n’avait pas idée de cette nature parisienne, détestable et excellente, mobile à l’excès, nerveuse, toute de transition, qui pleure et rit, caresse et frappe dans la même minute, qu’une fugitive idée qui passe entraîne à cent lieues des sensations présentes.

— Donc, conclut Jenny devenue plus calme, je me moque d’Hector, — elle venait de dire précisément le contraire et l’oubliait, — je me soucie de lui comme de l’an huit, mais je ne souffrirai pas qu’il m’abandonne ainsi. Non, il ne sera pas dit qu’il m’aura quittée pour une autre maîtresse, je ne le veux pas.

Miss Fancy était de ces femmes qui ne raisonnent pas, qui sentent, avec lesquelles discuter est folie, car toujours en dépit des plus victorieux arguments leur idée fixe se représente, comme un bouchon qui, enfoncé dans une bouteille, revient toujours, quoi qu’on fasse, aussitôt qu’on verse.

Tout en se demandant pourquoi elle l’avait fait venir, Sauvresy se disait que le rôle qu’il s’était proposé tout d’abord serait difficile à remplir. Mais il était patient.

— Je vois, ma chère enfant, recommença-t-il, que vous ne m’avez ni compris ni même écouté. Je vous l’ai dit, Hector a un mariage en vue.

— Lui ! répondit Fancy, avec un de ces gestes ironiques du boulevard, qui sont l’argot du geste, lui se marier !

Elle réfléchit un moment et ajouta :

— Si c’était vrai, pourtant ?…

— Je vous l’affirme, prononça Sauvresy.

— Non, s’écria Jenny, non, mille fois non, ce n’est pas possible. Il a une maîtresse, je le sais, j’en suis sûre, j’ai des preuves.

Un sourire de Sauvresy triompha d’une hésitation qui l’avait arrêtée.

— Qu’est-ce donc alors, reprit-elle avec violence, que cette lettre que j’ai trouvée dans sa poche il y a plus de six mois ? Elle n’est pas signée, c’est vrai, mais elle ne peut venir que d’une femme.

— Une lettre ?

— Oui, et qui ne laisse pas de doutes. Vous vous demandez comment je ne lui en ai pas parlé ? Ah ! voilà, je n’ai pas osé. Je l’aime, j’ai été lâche. Je me suis dit : Si je parle, et que vraiment il aime l’autre, c’est fini, je le perds. Entre le partage et l’abandon, j’ai choisi un partage ignoble. Et je me suis tue, je me résignais à l’humiliation, je me cachais pour pleurer, je l’embrassais d’un air riant pendant que sur son front je cherchais la place des baisers de l’autre. Je me disais : il me reviendra. Pauvre folle ! Et je ne le disputerais pas à cette femme qui m’a tant fait souffrir.

— Eh ! mon enfant, que voulez-vous faire ?

— Moi ? Je n’en sais rien ; tout. Je n’ai rien dit de cette lettre, mais je l’ai gardée : c’est mon arme à moi. Je m’en servirai. Quand je le voudrai bien, je saurai de qui elle est, et alors…

— Vous forcerez Trémorel, si bien disposé pour vous, à user de moyens violents.

— Lui ! Que peut-il contre moi ? Je m’attacherai à lui, je le suivrai comme son ombre, j’irai partout crier le nom de l’autre. Il me fera jeter à Saint-Lazare ? On en sort. J’inventerai contre lui les plus horribles calomnies, on ne me croira pas sur le moment ; il en restera toujours quelque chose plus tard. Je n’ai rien à craindre, moi, je n’ai ni parents, ni amis, ni personne au monde qui se soucie de moi. Voilà ce que c’est que de prendre ses maîtresses dans la rue. Je suis tombée si bas que je le défie de me pousser plus bas encore. Ainsi, tenez, monsieur, vous êtes son ami, croyez-moi, conseillez-lui de me revenir.

Sauvresy ne laissait pas que d’être effrayé, il sentait vivement tout ce que les menaces de Jenny avaient de réel. Il est des persécutions contre lesquelles la loi est absolument désarmée. Et quand même ! À frapper dans la boue on s’éclabousse toujours plus ou moins.

Mais il dissimula la frayeur sous l’air le plus paternel qu’il put prendre.

— Écoutez, ma chère enfant, reprit-il, si je vous donne ma parole, vous m’entendez bien ? ma parole d’honneur de vous dire la vérité, me croirez-vous ?

Elle hésita une seconde, et dit :

— Oui ! vous avez de l’honneur, vous ; je vous croirai.

— Alors, je vous jure que Trémorel espère épouser une jeune fille, immensément riche, dont la dot assure son avenir.

— Il vous le dit, il vous le fait croire.

— Dans quel but ? Je vous affirme que depuis qu’il est au Valfeuillu. Il n’a eu, il ne peut avoir eu d’autre maîtresse que vous. Il vit dans ma maison, comme mon frère, entre ma femme et moi, et je pourrais dire l’emploi de toutes les heures de ses journées aussi bien que des miennes.

Miss Fancy ouvrait la bouche pour répondre, mais une de ces réflexions soudaines qui changent les déterminations les mieux arrêtées glaça la parole sur ses lèvres. Elle se tut et devint fort rouge, regardant Sauvresy avec une expression indéfinissable.

Lui, ne l’observait pas. Il était agité d’un de ces mouvements de curiosité puérile, sans but précis, qu’on ne s’explique pas et qui n’en sont pas moins pressants. Cette preuve dont parlait Jenny l’intriguait.

— Cependant, dit-il, si vous vouliez me montrer cette fameuse lettre…

Elle ressentit à ces mots comme une commotion électrique.

— À vous, fit-elle frissonnante, à vous, monsieur ! Jamais.

On dort. Le tonnerre gronde, l’orage éclate sans que le sommeil soit troublé ; puis, tout à coup, à un certain moment, l’imperceptible vibration de l’aile de l’insecte qui passe, éveille.

Le frisson de Fancy fut pour Sauvresy cette vibration à peine saisissable. L’éclair sinistre du doute illumina son âme. C’en était fait de sa sécurité, de son bonheur, de son repos, de sa vie.

Il se redressa, l’œil étincelant, les lèvres tremblantes.

— Donnez-moi cette lettre, dit-il d’un ton impérieux.

Jenny eut une telle frayeur qu’elle recula de trois pas. Elle dissimulait tant bien que mal ses impressions, même elle essayait de sourire, de tourner la chose en plaisanterie.

— Pas aujourd’hui, répondait-elle, une autre fois, vous êtes trop curieux.

Mais la colère de Sauvresy grandissait, terrible, effrayante, il était devenu pourpre comme s’il eût été sur le point d’être frappé d’un coup de sang, et il répétait d’une voix à peine distincte.

— Cette lettre, je veux cette lettre.

— Impossible, bégayait Fancy, impossible.

Et se raccrochant à une inspiration suprême, elle ajouta :

— D’ailleurs, je ne l’ai pas ici ?

— Où est-elle ?

— Chez moi, à Paris.

— Partons alors, venez.

Elle se sentait prise. Et elle ne trouvait, elle si fine, elle si rouée, comme elle se plaisait à le dire, ni une ruse, ni un expédient. Il lui était bien facile, cependant, de suivre Sauvresy, d’endormir ses soupçons à force de gaieté, puis, une fois dans les rues de Paris, de le perdre, de s’esquiver.

Non, elle ne songeait pas à cela, elle ne songeait qu’à fuir vite, sur-le-champ. Elle crut qu’elle aurait le temps de gagner la porte, de l’ouvrir, de se jeter dans les escaliers… elle se précipita.

D’un bond, Sauvresy fut sur elle, refermant la porte déjà entr’ouverte, d’un coup de pied qui ébranla les cloisons.

— Misérable femme ! disait-il, d’une voix rauque et sourde, misérable créature, tu veux donc que je t’écrase !

D’un mouvement terrible, la repoussant, il la lança dans un fauteuil. Puis donnant un double tour à la porte il mit la clé dans sa poche.

— Maintenant, reprit-il, revenant à Fancy, la lettre.

De sa vie, la pauvre fille n’avait éprouvé une terreur pareille. La colère de cet homme l’épouvantait, elle comprenait qu’il était hors de lui, qu’elle était entre ses mains, à sa merci, qu’elle pouvait être brisée, et cependant elle se débattait encore.

— Vous m’avez fait mal, murmurait-elle, essayant la puissance de ses larmes, bien mal, je ne vous ai cependant rien fait.

Il lui reprit les poignets, et se penchant sur elle jusqu’à effleurer son visage :

— Une dernière fois, dit-il, cette lettre, donne-la-moi ou je la prends de force.

Résister plus longtemps était folie. Par bonheur, elle n’eut pas l’idée de crier, on serait venu et peut-être en était-ce fait d’elle.

— Lâchez-moi, répondit-elle, vous allez l’avoir.

Il la lâcha, restant debout, devant elle, pendant qu’elle fouillait dans toutes ses poches.

Ses cheveux, dans la lutte, s’étaient dénoués, sa collerette était déchirée, elle était livide, ses dents claquaient, mais ses yeux brillaient d’une audace et d’une résolution viriles.

Tout en paraissant chercher, elle murmurait :

— Attendez… la, voilà… Non. C’est singulier, je suis pourtant sûre de l’avoir, je la tenais il n’y a qu’un instant…

Et tout à coup, d’un geste plus prompt que l’éclair, elle porta à sa bouche la lettre qu’elle avait roulée en boule, essayant de l’avaler.

Elle ne le put, Sauvresy lui serrait la gorge à l’étrangler. Elle râla, puis poussa un cri étouffé :

— Ah !…

Enfin ! il était le maître de cette lettre.

Il fut plus d’une minute à l’ouvrir, tant ses mains tremblaient ; pourtant il l’ouvrit.

— Ah ! ses soupçons étaient justes, il ne s’était pas trompé.

C’était bien l’écriture de Berthe.

Il eut une sensation horrible, indescriptible, un vertige, puis une épouvantable commotion, la sensation d’un homme qui, d’une hauteur vertigineuse, serait précipité à terre, et se rendraient compte de la chute et du choc. Il n’y voyait plus clair ; il avait comme un nuage rouge devant les yeux ; ses jambes se dérobaient sous lui, il chancelait, et ses mains battaient l’air cherchant un point d’appui.

Un peu revenu à elle, Jenny l’épiait du coin de l’œil, elle pensa qu’il allait tomber et s’élança pour le soutenir. Mais le contact de cette femme lui fit horreur, il la repoussa.

Qu’était-il arrivé ? Il n’eût su le dire. Ah ! il voulait lire cette lettre et il ne pouvait pas. Alors, il s’approcha de la table, se versa et but coup sur coup deux grands verres d’eau. L’impression du froid le ranimait, le sang qui tout à coup avait afflué à la tête reprenait son cours, il y voyait.

C’était un billet de cinq lignes, il lut :

« N’allez pas demain à Petit-Bourg, ou plutôt revenez-en avant déjeuner. Il vient de me dire à l’instant qu’il lui faut aller à Melun et qu’il rentrera tard. Toute une journée ! »

Il… c’était lui. Cette autre maîtresse d’Hector, c’était sa femme, c’était Berthe.

Pour le moment, il ne voyait rien au-delà. Toute pensée en lui était anéantie. Ses tempes battaient follement, il entendait dans ses oreilles un bourdonnement insupportable, il lui semblait que l’univers s’abîmait avec lui.

Il s’était laissé tomber sur une chaise. De pourpre qu’il était, il était devenu livide ; le long de ses joues, de grosses larmes roulaient qui le brûlaient.

En voyant cette douleur immense, ce désespoir silencieux, en voyant cet homme de cœur foudroyé, Jenny comprit l’infamie de sa conduite. N’était-elle pas la cause de tout ? Le nom de la maîtresse d’Hector, elle l’avait deviné. En demandant une entrevue à Sauvresy, elle se proposait bien de lui tout dire, se vengeant ainsi à la fois et d’Hector et de l’autre. Puis, à la vue de cet homme d’honneur refusant de comprendre ses allusions, n’ayant pas l’ombre d’un soupçon, elle avait été saisie de pitié. Elle s’était dit que le plus cruellement puni, ce serait lui, et alors elle avait reculé, mais trop tard, mais maladroitement, et il lui avait arraché son secret.

Elle s’était approchée de Sauvresy et cherchait à lui prendre les mains, il la repoussa encore.

— Laissez-moi, disait-il.

— Monsieur, pardon, je suis une malheureuse, je me fais horreur.

Il se redressa tout d’une pièce, revenant peu à peu au sentiment de l’affreuse réalité.

— Que me voulez-vous ?

— Cette lettre, j’avais deviné…

Il eut un éclat de rire navrant, sinistre, l’éclat de rire d’un fou.

— Dieu me pardonne ! ma chère, fit-il, vous avez osé soupçonner ma femme !

Et pendant que Fancy balbutiait des excuses inintelligibles, il sortit son portefeuille et en retira tout ce qu’il contenait, sept ou huit billets de cent francs, qu’il posa sur la table.

— Prenez toujours ceci de la part d’Hector, dit-il, on ne vous laissera manquer de rien, mais, croyez-moi, laissez-le se marier.

Puis, toujours de ce même mouvement automatique qui terrifiait miss Fancy, il prit son fusil qu’il avait posé dans un coin, ouvrit la porte et sortit.

Ses chiens, restés dehors, se précipitèrent sur lui pour le caresser, il les repoussa à coups de pieds.

Où allait-il ? qu’allait-il faire ?