Le Croyant/XVII

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Voyez-vous s’élancer un peuple audacieux !
Ses nombreuses clameurs s’élèvent jusqu’aux cieux ;
Au loin gronde la voix des bronzes en colère ;
On dirait que Paris, sous les coups du tonnerre
Et des vents déchaînés qui viennent l’ébranler,
Jusqu’en ses fondements soudain va s’écrouler !
Des fureurs de la guerre il présente l’image…
Que veut donc cette horde animée au carnage ?…
D’un peuple consterné faire couler les pleurs,
Et goûter le plaisir de compter ses douleurs !…
Pour elle plus de frein ; l’orgie et la licence,
Des fausses voluptés l’indigne jouissance,
Voilà, voilà son but. Des maîtres imprudents,
Pour un bonheur perfide ont enflammé ses sens.
Sectaires dangereux, ô séducteurs des âmes,
Voilà les heureux fruits des maximes infâmes

Dont vous avez nourri ces dociles esprits !
Hardis réformateurs, n’êtes-vous pas surpris
Des rapides progrès de nos guerres civiles ?
Vos disciples fervents ont désolé nos villes,
Ils ont chassé les rois et proscrit leurs enfants,
Et la France gémit sous ses nouveaux tyrans.
Leurs mains ont déchiré l’étendard tricolore ;
C’est un drapeau sanglant qui dans Paris s’arbore.
Cependant de la loi les braves défenseurs
Opposent leur poitrine aux coups des agresseurs ;
Le boulet meurtrier et les balles rapides
Ont décimé les rangs des gardes intrépides,
Qui, martyrs de l’honneur, victimes du devoir,
Contre ses ennemis défendent le pouvoir.
Deux illustres guerriers qu’épargna la mitraille
Qu’ils affrontaient jadis sur les champs de bataille,
Négrier et Bréa, dans ces jours malheureux,
Frappés d’un coup mortel, ont succombé tous deux.
Quatre fois l’orient a vu briller l’aurore,
Dans Lutèce en lambeaux l’émeute hurle encore.
Ah ! qui pourra dompter ce monstre rugissant ?
Protecteur des humains, ô Seigneur tout-puissant,
Prends pitié de la France, et pour tarir ses larmes,
Des mains de ses enfants, ah ! fais tomber les armes
Pour calmer leur fureur, qu’il descende des cieux,
Sans retard, à La voix, un ange radieux !
Mais que vois-je ! Un pasteur à son troupeau fidèle,
Un prêtre généreux, qu’électrise un saint zèle,
Précédé de la croix, l’olivier à la main,
Dans les rangs ennemis s’est ouvert un chemin !
D’un pas ferme il franchit les hautes barricades ;
Il affronte le feu des vives fusillades ;
À ces hommes cruels il vient offrir la paix ;
De l’amour fraternel il leur peint les bienfaits…
Tout-à-coup retentit un mousquet sanguinaire,
Et d’un lâche assassin la balle meurtrière
Frappe perfidement ce sublime orateur,
Quand l’émeute cédait à son discours vainqueur.
Devant les insurgés il tombe, son sang coule ;

On l’emporte baigné des larmes de la foule ;
Chacun pour le sauver voudrait donner son sang.
Inutiles regrets ! sacrifice impuissant !
L’art éploré prononce un arrêt lamentable ;
Le saint prélat expire… Ô spectacle admirable !
Pendant trois jours entiers le peuple vient, en deuil,
Exhaler ses sanglots autour de son cercueil.
Saint martyr de la foi, sur son pâle visage,
Du bonheur des élus se reflète l’image,
France, ne pleure pas ce héros généreux ;
En succombant pour toi, France, il est mort heureux
Ah ! faut-il s’étonner, pour arrêter le crime,
S’il a fait de ses jours l’offrande magnanime,
Au devant du danger si tu le vis courir ?…
Le Croyant sait aimer, il sait aussi mourir !


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