Le Démon de l’absurde/Le Piège à revenant

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Mercvre de France (p. 125-145).

À Karl Rosenval.

LE PIÈGE À REVENANT

On arriva devant cette maison par un jour très orageux. Le cheval qui nous y menait s’arrêtait à chaque instant, et mettait sa tête entre ses jambes pour secouer des mouches en ayant l’air de nous dire : « Non ! Non ! Réfléchissez. N’avançons pas davantage… » Notre bonne, les mains croisées sur un gros panier plein, roulait des yeux inquiets. Ma mère questionnait le conducteur de la carriole d’une voix tremblante, et ce paysan répondait par des demi-mots durs. Mon père, tenant le paquet des cannes, des parapluies, ne disait rien, selon son habitude, mais il semblait fort préoccupé.

Quand on descendit, je courus vers la grille avec enthousiasme pour tirer la corde d’une cloche que je voyais serpenter le long de la muraille, et prendre ainsi possession de ce que j’appelais déjà la maison des vacances. Je savais qu’il n’y avait personne, puisque le vieux jardinier, son propriétaire, habitait la ville ; seulement, à douze ans, l’envie de tirer une corde est toujours irrésistible, n’est-ce pas ? et je sonnai furieusement. Alors sortit de derrière cette muraille, ornée de feuillage épais, un son grêle de clochette d’église, comme le rire aigu de quelqu’un tapi dans un arbre pour nous épouvanter. C’était à la fois si mesquin et si désagréable que j’en demeurai tout bête, les doigts crispés sur la baguette de mon cerceau, laquelle baguette j’avais la guerrière coutume de passer, en dague, à travers ma ceinture.

« Qui donc s’est mis à rire ? » demanda ma mère.

« Qui donc a remué des chaînes ? » s’écria la bonne.

Le paysan déchargea brutalement nos quatre malles, pêle-mêle, dans le chemin, puis il tourna bride sans vouloir nous écouter.

« Voilà une belle façon de nous introduire ici ! » grommela mon père en examinant des clés rouillées.

Il essaya d’ouvrir, mais la grille ne céda pas tout de suite. Il fallut pousser ferme. Papa se fit aider d’abord par moi, et je me fis aider par notre bonne. Maman pâlissait sous sa voilette, moi je n’osais plus rire. Je sentais bien, maintenant, qu’il y avait quelque chose dans l’air. Brusquement, la grille se détendit comme un ressort, et nous fûmes tous trois jetés à terre en entrant. Ma mère eut une peur nerveuse, elle déclara qu’il valait mieux ne pas aller plus loin. La bonne regardait autour d’elle avec des mines ahuries ; elle se frottait les genoux et répétait :

« Ça sent la mort ici, Madame, je vous jure que ça sent la mort ! »

« Vous êtes des folles ! » dit mon père agacé, en traînant des malles.

« Non, Marie a raison, reprit ma mère, ce jardin ressemble à un cimetière. »

« Enfin, c’est toi qui as voulu venir ! dit mon père un peu rouge. Tâchons de ne pas être ridicules. Ce qui est fait est fait. »

Du reste, la maison avait un aspect bien ordinaire de maison mal entretenue. Elle présentait six grandes fenêtres à volets branlants et une porte à perron dont la marquise en zinc s’affaissait sur un côté, et ne possédait qu’un rez-de-chaussée. Au-dessus, le toit avançait comme les bords d’un chapeau sombre. Son jardin s’enguirlandait de liserons blancs qui festonnaient tous les arbustes et sautaient d’une allée à l’autre. Tant que le soleil brillait, cela ne manquait pas de charme.

Moi, je ne découvrais là qu’un espace en désordre très commode pour jouer. Je n’abîmerais ni les corbeilles ni les plantes rares, puisqu’il n’y avait que de l’herbe et des fleurs sauvages. Si cela ressemblait à un cimetière, c’était toujours un cimetière gai. Mais le soleil se voila d’un nuage couleur de cuivre, la verdure prit une vilaine teinte, et au bout de deux ou trois courses dans les liserons je fus de mauvaise humeur.

On rangea nos caisses à l’intérieur du vestibule. Marie ouvrit toutes les fenêtres, épousseta les meubles des chambres, et maman retrouva le calme. Pendant qu’on procédait à notre définitive installation, j’eus l’idée de me glisser derrière la maison en faisant le tour par le jardin, car il n’y avait pas de porte donnant sur l’autre moitié du cimetière. À mon grand étonnement, je me trouvai dans une obscurité presque complète. L’orage menaçant avait mangé le soleil, et il ne restait plus qu’un petit rayon livide éclairant la vitre ronde d’une lucarne de grenier. Ce reflet de gros œil malade dans ce mur tout gris, tout lézarde’, me produisit un effet très singulier. Le jardin, la maison prenaient, de ce côté, une allure étrange et des couleurs de crapaud vert. Les liserons ne fleurissaient même plus sur les arbustes. L’herbe était d’une grandeur et d’une sauvagerie troublantes. Trois buis, taillés jadis en silhouettes de capucins, se dressaient de distance en distance, et le dernier, au fond, près de la haute muraille de clôture, avait un aspect d’homme sinistre planté le dos tourné. Puis cet œil de vitre, dardé sur ce coin de forêt vierge, pleurait on ne savait quelle désolation. Je me mis à courir, à crier férocement, lapant des pieds, pour essayer de réagir contre la secrète terreur qui m’envahissait, et tous les bruits expirèrent en échos plaintifs que les arbres se renvoyaient l’un à l’autre comme des mots d’ordre. Ma mère écarta un volet en m’entendant crier et m’adressa des signes impérieux.

Je revins, bondissant, très heureux de me savoir surveillé, me donnant des airs vainqueurs, brandissant la baguette de mon cerceau :

« Il ne faut pas crier ici ! » me dit ma mère, la figure très effarée.

« Pourquoi, maman ? Tu as promis de me laisser m’amuser à tous les jeux dans la maison des vacances ! »

Elle ajouta, sans me répondre directement et comme se parlant à elle-même :

« Tu sais que nous n’avons loué cette maison rien que pour toi, mon enfant, c’est un sacrifice dont tu devras nous tenir compte plus tard. Tu es trop jeune pour bien me comprendre ; mais si je t’entends crier, cela me portera sur les nerfs ! »

Un roulement de tonnerre gronda, et elle m’aida vite à escalader la fenêtre en murmurant :

« Hein ? Tu vois ! Il ne fallait pas crier ici ! » Pas crier, pas courir, pas sonner, pas ouvrir la grille… et jusqu’à l’imbécile de cheval qui ne voulait pas avancer sur la route. Non ! Elle commençait à être moins drôle, la maison des vacances !… Toute la nuit l’orage secoua la toiture, et ce fut un vrai miracle si la marquise de zinc n’acheva pas de s’écrouler.

Au bout de huit jours, on n’était pas encore habitué à cette sale maison. Marie, la bonne, qui était vieille et impressionnable, se lamentait parce qu’elle trouvait des rats dans le panier au pain. Elle me priait de l’accompagner à la cave et au grenier, en me fourrant une bougie entre les doigts, bougie qui coulait le long de ma blouse. Un jour que je refusais d’aller au grenier avec elle, maman l’y suivit, et, le vent claquant la porte derrière leur dos, elles restèrent une heure enfermées au milieu des ténèbres, appelant au secours. Il devenait évident qu’elles avaient peur de quelque chose qu’elles connaissaient et que je ne connaissais pas.

Les meubles de cette habitation tombaient en poussière, datant pour le moins de l’époque mérovingienne. Quand on les frottait, ils rendaient des sons lugubres, se disloquaient tout seuls ou partaient en éclats.

Puis, petites aventures vraiment inexplicables, et que maintenant encore je n’arrive point à m’expliquer, les menus objets, dans cette bizarre demeure, disparaissaient, escamotés tout d’un coup comme par enchantement. Ma mère s’absentait-elle une minute du salon pour aller donner un ordre à la cuisine ? quand elle revenait elle ne retrouvait plus son dé. J’avais beau m’accroupir dans tous les angles et chercher pendant l’après-midi avec une lumière : c’était une affaire finie, le dé était perdu. Ainsi des ciseaux à broder, ainsi des pelotons, de laine. Papa, espérant se délasser de ses grands travaux d’écriture, voulut jardiner, et, dès qu’il mania des bêches, des râteaux, des sécateurs, il les égara. Tantôt c’était une pioche qui se retrouvait, une heure après de patientes recherches, à une place où jamais personne ne l’avait mise, tantôt c’était une pelle qui se fondait dans les arbrisseaux et s’évaporait totalement. Mon père m’accusait de faire de mauvaises farces. Ma mère me défendait et répétait :

« Oh ! ici, rien ne m’étonne ! » d’une voix basse, irritée contre cette chose que j’ignorais.

Non, ces aventures ne s’expliquaient pas du tout.

Un matin, à déjeuner, au sujet de la salière qui venait de se répandre, maman eut une crise de nerfs ; Marie poussa des exclamations désolées.

« Voyons, dit papa impatienté, c’est bien simple : fichons le camp. D’ailleurs, moi, je ne voulais pas louer à cause de vos sacrés caractères. Vous n’êtes pas raisonnables ! »

Marie ramassa le sel silencieusement, devinant que cela se gâtait. Moi, je me mis à dessiner sur le beurre, avec une pointe de couteau.

« Une maison tout entière presque pour rien ! » murmura maman.

« Pour rien, c’est généralement cher », déclara papa d’un ton sec.

La fenêtre était grande ouverte, les trois buis taillés en capucins montaient la garde. Maman étendit le bras.

« C’est comme ces fantômes-là. Crois-tu qu’ils sont rassurants ? »

Papa essaya de la conciliation.

« Tiens ! Je vais les tailler aujourd’hui. Maurice m’aidera ! Nous leur donnerons la forme de trois polichinelles. Des fantômes de polichinelles, ce sera une véritable récréation pour l’œil. Pas, Maurice ?… »

Je m’écriai avec chaleur :

« Je crois bien, petit père ! »

Maman haussa les épaules.

« Allons donc ! Est-ce que ces arbres-là se laisseront tailler… Toi, un paperassier, tu voudrais tailler des arbres, et avec un enfant, encore ?… »

Il y eut une longue pause embarrassée.

Moi, je continuais à voir disparaître mes canifs, mes billes, mes ficelles, mes ficelles surtout. Dès que je fabriquais un fouet, le bâton que je tenais entre mes jambes pour l’attacher solidement finissait par s’évanouir à travers l’herbe drue, et la ficelle, si je tournais la tête, se sauvait n’importe où. Ça m’exaspérait. Je sentais que ce ne devait pas être un voleur qui volait… Et, à moins que nous ne fussions tous très étourdis… quelque chose nous harcelait dans cette maison des vacances, positivement. Une fois, Marie perdit du linge qu’elle avait mis à sécher sur une corde, et quand je lui en demandai la raison elle me répondit, la physionomie grave :

« Vous êtes trop jeune. Madame a défendu qu’on vous parle de l’histoire. »

Donc, il y avait une histoire. Oh ! oh ! je passai les journées à me creuser l’esprit et à égarer mes ficelles. Mon cerveau se frappait peu à peu. Je ne croyais pas beaucoup aux contes de nourrice, car j’allais au collège, où l’on apprend à ne plus craindre les coins noirs ; mais je voyais maman trembler dès que le crépuscule envahissait la chambre, papa était soucieux, Marie gémissait. Il fallait tirer tout cela au clair le plus tôt possible, et, s’il y avait un ennemi, en délivrer rapidement la famille. Je résolus de m’adresser à notre bonne pour obtenir une confession complète. Marie était naïve, moi j’étais rusé comme un Peau-Rouge ; nous verrions bien lequel de nous deux serait trop jeune !… Un soir, j’arrivai dans la cuisine en marchant sur la pointe du pied, ayant des allures très mystérieuses.

« Marie, dis-je, regardez par la fenêtre du côté du dernier buis ! »

La bonne lâcha une cafetière qu’elle remplissait d’eau et tourna les yeux vers la fenêtre sombre.

« Quoi, monsieur Maurice, qu’y a-t-il encore, Seigneur Dieu ! »

« J’ai vu quelque chose au fond du jardin, Marie. »

« Ah ! vous avez vu… (Ses dents claquèrent). C’était tout blanc, n’est-ce pas ?… »

« Oui, Marie. Tout blanc ! »

« Et long ? Et ça traînait ? Et ça s’étendait ? (elle se rapprocha, très émue, colla son nez contre la vitre, me tenant par l’épaule, si bien que son frisson se communiquait à tout mon corps). Et ça se tordait en l’air comme un linge qui s’envole ? »

« Justement, Marie, c’était comme votre linge quand il s’est envolé. Oh ! ce que j’ai eu peur !… »

« Ça vous avait des jupes de grande femme, pour sûr ? »

« Oui, Marie, je crois que ça portait des jupes. »

« Eh bien ! monsieur Maurice, vous avez vu le revenant, car c’est tout son portrait que vous me faites là ! »

« Le revenant, Marie ?… »

J’étais un peu désappointé. J’aurais préféré une histoire de voleurs. J’avais, d’ailleurs, fait son portrait bien malgré moi !…

« Le revenant, monsieur Maurice, continua solennellement la bonne, c’est la dame qui est morte ici voilà une dizaine d’années. Elle vivait en compagnie d’un monsieur, sans le sacrement, et quand le monsieur l’a quittée, elle s’est pendue. Tout le pays connaît l’histoire, même que jamais encore on n’a osé relouer la maison avant votre mère. »

Je restai abasourdi. La femme pendue revenant de l’autre monde pour me voler mes ficelles et dévorer des manches de pioche ! Certes, cela dépassait mon imagination ! Je savais ce que je voulais savoir, mais je n’étais guère avancé ! Dans mon lit, j’eus des cauchemars, et je me pelotonnais contre le mur, essayant de me rendormir en me bouchant les oreilles. Des grandes personnes comme ma mère et ma bonne ayant peur du revenant ! Que fallait-il conclure ? À l’aurore, mes idées prirent un autre cours, je ne voulais plus admettre qu’une ancienne pendue, très moisie, sortît de sa tombe pour taquiner une cuisinière en lui dérobant des torchons. Non ! Le revenant devait être un animal d’espèce particulière, hantant les lieux mal clos, surtout les maisons désordonnées, et j’en vins à croire qu’on me parlait d’une morte pour ne pas m’épouvanter trop au sujet d’un danger réel ! Elle avait tout avoué si facilement, cette vieille folle de Marie. Bientôt l’héroïque pensée de capturer la bête remplit ma cervelle, m’éblouit. J’étais fort, j’étais adroit, j’avais des données sur les mœurs des Indiens, et, une fois dans le sentier de la guerre, je ne reculerais pas. Quelle prouesse et quel honneur ! Ma mère pleurerait de joie comme le jour des prix, mon père m’appellerait : fier lapin ! et Marie pourrait se risquer à cueillir du persil au crépuscule. Décidément, je lutterais contre l’ennemi commun. Le plan était déjà tout tracé. Je creuserais une fosse que je recouvrirais de divers branchages, selon le système des trappeurs américains, et lorsque la bête rôderait, durant ses retours diurnes ou nocturnes, elle ne manquerait pas de se laisser choir en plein trou. Ensuite, nous verrions à lui faire vomir les dés d’argent, les râteaux, les canifs et autre nourriture indigeste dont elle avait la déplorable coutume de s’engraisser. Je creusai donc une fosse assez profonde, du côté du dernier buis ; je la couvris de mottes de gazon et de brindilles vertes. La terre enlevée fut dispersée aux quatre coins du jardin. À la nuit close, j’achevai mon ténébreux travail, en faisant semblant de guetter des oiseaux pour donner le change à mes parents, car je redoutais leurs plaisanteries ou leurs défenses. Tant que le soleil avait lui, j’avais chanté à tue-tête, très heureux de ma chevaleresque idée, formant les projets les plus téméraires, plein de mépris vis-à-vis du revenant, qui, après tout, n’était qu’une bête quelconque, ce qu’il fallait démontrer ; mais, au soir, ce sacré jardin s’assombrit effroyablement, les buis capucins se vêtirent de teintes crapaud, et l’œil malade, la lucarne du grenier, me regarda, du haut de cette maison triste, avec une horrible expression de désespoir. Je lâchai mes outils, pioche, pelle et râteau, je m’enfuis brusquement sans pouvoir m’arrêter, comme talonné par le dernier buis, qui, maintenant, semblait relever son capuchon vert. Devant la maison, je soufflai un moment, très honteux de ma terreur. Voyons ! Est-ce que j’allais perdre mon beau courage ? « Es-tu un capon ? » me demandait ma conscience. Si je laissais là-bas les outils de jardinage, on dirait encore que je m’amusais à faire des farces. Un piège si bien conçu et si bien exécuté ! Je me retournai pour m’orienter. La fosse était là-bas, quelque part, entre le second et le troisième capucin… Chose étrange ! Dans ce crépuscule, je perdais aussi la notion des distances… La fosse était-elle plus à gauche ou plus à droite ? Hein ? Qu’est-ce que cela signifiait ?… Moi, un garçon rusé, je ne m’y reconnaissais plus ! Les allées s’enfonçaient, toutes noires, les arbustes entortillés de liserons ondulaient comme des panaches de fumée, les grands arbres se mêlaient aux nuages, et la lune, se levant, prenait dans les feuilles des aspects d’œil jaune, tout à l’imitation de la lucarne du grenier. Soudainement, la pensée que là-bas, entre le second et le dernier buis, il se trouvait une fosse creusée, me fit dresser les cheveux sur le front. J’avais creusé une fosse, moi, une tombe, comme pour y enterrer un mort… Une tombe qui attendait la femme pendue, le revenant ! Est-ce qu’une bête a jamais eu la dimension d’une femme portant des jupes traînantes ! Et puisque Marie l’avait vue !… Mon sang se glaçait dans mes veines, mes jambes flageolaient. « Iras-tu ! N’iras-tu pas ! Capon ! » me criait toujours ma conscience. Enfin, saisi de je ne sais quel vertige furieux, je hurlai : « Allons-y ! » Et je m’élançai en droite ligne. Je crois même que je galopais, les paupières closes, sans chercher davantage mon chemin, persuadé que si j’ouvrais les yeux je verrais sûrement la pendue au détour d’un massif. Ah ! il ne s’agissait plus d’une bête voleuse, je sentais bien que j’étais en puissance d’un personnage mystérieux, d’un inconnu qui m’attirait, m’attirait, me humait, me dévorait du fond de ce jardin-cimetière ! Et mon cœur battait à crever. Machinalement, je murmurais : « Je me baisserai, je saisirai la pioche, la pelle, une de chaque main, je serai bien armé s’il arrivait quelque chose… Oui ! La pioche est à côté d’un pied de cassis, et la pelle est restée sur une motte de gazon. Pourvu, mon Dieu, que ces outils ne soient pas déjà partis chez elle ! Voyons, tâchons de ne pas nous tromper… Une… deux… trois… je vais ouvrir les yeux, tant pis, je dois être à l’endroit juste ! »

J’ouvris les yeux, et, avec un cri de détresse qui dut retentir cruellement dans la poitrine de ma mère, j’ouvris aussi les bras, mes jambes fléchirent, je m’écroulai au fond de la fosse. La violence de ma chute fut telle que je m’évanouis…

Et l’on me trouva là-dedans, étendu comme un mort, pris à mon propre piège !

J’eus la fièvre durant un mois. Ma mère, dès que je pus quitter mon lit, ordonna d’emballer promptement nos affaires. Elle en avait assez de la maison des vacances, où les tombes se creusaient toutes seules pour engloutir les petits enfants, et elle ne voulut jamais croire à l’histoire de mon piège, car je ne pus jamais bien lui prouver que j’avais voulu attraper un revenant comme on attrape une vulgaire belette !… D’ailleurs, en y réfléchissant un peu… n’est-ce pas le revenant qui aurait voulu m’attraper ?…