Le Déséquilibre du monde/Livre IV. Le déséquilibre économique du monde

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Livre III. Le déséquilibre financier et les sources de la richesse Le déséquilibre du monde Livre V. Les nouveaux pouvoirs collectifs


Chapitre I. Les forces nouvelles qui mènent le monde[modifier]

Les raisons premières étant inaccessibles, la nature intime des forces physiques demeure inconnue. Pour les définir, on en est réduit à dire qu’elles sont « des causes de mouvement ».

La nature intime des mobiles qui font agir les hommes restant aussi ignorée que celle des forces physiques, il faut imiter la réserve des savants et donner simplement le nom de forces aux causes diverses de nos actions.

Ces forces peuvent être internes, c’est-à-dire issues de nous-mêmes : telles les forces biologiques, affectives, mystiques et intellectuelles. Elles peuvent aussi être indépendantes de nous : tels le milieu et les influences économiques.

Pendant toute la durée de la préhistoire, les forces biologiques, la faim surtout, dominèrent presque exclusivement l’existence. L’humanité n’avait d’autre idéal possible que se nourrir et se reproduire.

Après des entassements d’âges, la vie devint un peu plus facile et des ébauches de sociétés naquirent. À la tribu nomade succédèrent des villages, des cités et enfin des empires.

C’est alors seulement que purent s’édifier les grandes civilisations. Elles furent de types différents, suivant les forces qui les orientèrent.

Les besoins biologiques et certains éléments affectifs, tels que l’ambition, engendrèrent des civilisations de type militaire analogues à celles de Rome et des grandes monarchies asiatiques.

Lorsque les forces intellectuelles devinrent prépondérantes, ce fut la civilisation hellénique avec ses merveilles de la pensée et de l’art. Quand les forces mystiques l’emportèrent, ce fut le Moyen âge avec ses cathédrales et sa vie religieuse intense.


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Les grandes civilisations qui se développèrent à la surface du globe eurent donc des mobiles variés. Mais on retrouve chez toutes ce caractère commun d’être influencées par des divinités diverses douées d’un souverain pouvoir.

Bien qu’étant la simple synthèse des sentiments et des besoins des hommes, de leurs rêves, de leurs craintes et de leurs espérances, les Dieux furent considérés pendant longtemps comme seuls capables de diriger le monde et de fournir des explications aux « pourquoi » sans fin que se posaient des êtres entourés de choses redoutables qu’ils ne comprenaient pas.

À cette domination des forces mystiques, aucune collectivité, grande ou petite, ne put jamais se soustraire. Leur rôle fut tel que les plus importantes civilisations, celles dites bouddhique, chrétienne et musulmane, notamment, sont désignées par les noms de leurs Dieux.

Le besoin mystique de croyances semble un élément si irréductible de la nature humaine qu’aucune raison ne saurait l’ébranler. Quand les dieux personnels s’évanouissent, ils sont aussitôt remplacés par des divinités impersonnelles : dogmes et formules auxquels leurs adeptes attribuent les mêmes pouvoirs qu’aux anciens dieux. L’esprit religieux est, en réalité, aussi intense aujourd’hui qu’aux plus crédules périodes, c’est à peine s’il a changé de forme.

Les croyances nouvelles : socialisme, spiritisme, communisme, etc., ont les mêmes fondements psychologiques que l’ancienne foi. Ils possèdent leurs apôtres et aussi leurs martyrs. J’ai trop insisté dans divers ouvrages sur le rôle capital du mysticisme dans l’histoire pour qu’il soit utile d’y revenir encore.


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Aux forces biologiques, affectives et mystiques qui conduisirent presque exclusivement les peuples pendant une partie de leur évolution s’ajoutèrent plus tard les forces intellectuelles dont le rôle est devenu considérable. Elles ont transformé toutes les conditions d’existence de l’homme. Leur action sur les sentiments, les passions et les croyances reste malheureusement faible. Loin de restreindre les haines qui séparent les nations et les classes de chaque nation, l’intelligence s’est mise à leur service et ne fait que rendre plus meurtriers les conflits qui divisèrent toujours les hommes.

Toutes les forces précédemment énumérées possèdent ce caractère commun de se trouver en nous-mêmes et d’être plus ou moins modifiables par les volontés issues de nos besoins et de nos croyances.

Mais, ainsi que je l’ai montré dès le début de cet ouvrage, les temps modernes ont vu naître des puissances nouvelles : les forces économiques, sur lesquelles volontés et croyances restent sans action.

Et c’est ainsi qu’après avoir été gouvernée par un panthéon d’illusions au cours de son histoire : illusions religieuses, politiques et sociales, l’humanité est arrivée à une phase nouvelle où les forces économiques dominent toutes les chimères.

Jadis peu actives, quand les peuples étaient séparés par d’infranchissables distances, ces forces sont devenues si prépondérantes qu’elles régissent impérieusement la destinée des nations. Elles les ont forcées à renoncer à leur isolement et créé entre elles une interdépendance accentuée chaque jour et qui finira par dominer les haines.

La ruine économique de l’Europe à la suite de la défaite allemande est un exemple frappant de cette interdépendance.

L’Angleterre, qui a vu ses exportations réduites de moitié depuis qu’elle a perdu la clientèle germanique, se demande comment sortir d’une situation acculant au chômage et à la misère plusieurs millions de ses ouvriers.

Si nous revenons si souvent au cours de cet ouvrage sur le rôle des forces économiques, c’est que leur influence grandit chaque jour. Elles se trouvent en lutte aujourd’hui contre celles qui menaient jadis le monde. Sans doute, des législateurs imprévoyants, des adeptes de chimères troubleront encore l’existence des peuples, mais leur action restera éphémère. Le monde prochain aura pour maître des forces économiques nouvelles dérivées elles-mêmes des forces matérielles, jadis insoupçonnées, qui ont transformé l’existence des peuples. Nous allons montrer leur rôle.


Chapitre II. Rôle social des forces nouvelles dérivées de la houille et du pétrole[modifier]

Ignoré jusqu’à une époque bien récente puisqu’elle ne remonte guère plus haut que Napoléon, le rôle des puissances motrices nouvelles est devenu si prépondérant que la civilisation n’est plus concevable sans elles.

La puissance des États modernes se mesure de plus en plus à leur richesse en houille ou en pétrole. Privés de ces générateurs de forces ils tomberaient fatalement sous la tutelle économique d’abord, politique ensuite de ceux qui en possèdent.

Le rôle des grandes puissances motrices modernes apparaît d’une saisissante façon quand on traduit en chiffres leur production mécanique et qu’on la compare à celle que pouvaient jadis développer l’homme et les animaux.

Des calculs qu’il serait trop long d’expliquer ici, m’ont permis de démontrer que les 190 millions de tonnes de charbon extraites annuellement par l’Allemagne de ses mines avant la guerre pouvaient accomplir un travail mécanique égal à celui qu’auraient fourni 950 millions d’ouvriers. L’ouvrier-houille possède en plus cette immense supériorité qu’il fabrique pour trois francs un travail pour lequel l’ouvrier humain demanderait au moins 1.500 francs.

Ajoutons encore que 5.000 mineurs, travaillant pendant un an, suffisent à extraire un million de tonnes de houille capables de produire le travail de cinq millions d’ouvriers.

Augmenter la richesse d’un pays en houille revient, en réalité, à multiplier énormément le nombre de ses habitants. Beaucoup de houille et peu d’habitants valent mieux que peu de houille avec beaucoup d’habitants.

Il faut remarquer, d’ailleurs, que la houille est aussi une véritable créatrice d’habitants. Le savant professeur de Launay a démontré que les grandes villes anglaises ont vu croître énormément leur population avec la production houillère de leur voisinage. Glasgow, par exemple, qui avait 80.000 habitants en 1801, en a 800.000 aujourd’hui. Sheffield, qui n’était qu’un bourg féodal à la même époque, compte maintenant 380.000 habitants. De 5.000 habitants en 1700, Liverpool est monté à 750.000. Ces populations nouvelles représentent de la houille transformée, et elles seraient condamnées à mourir de faim si un cataclysme géologique venait détruire le charbon dont elles sont nées et dont elles vivent.


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Le plus sommaire coup d’œil jeté autour de soi montre à quel point la civilisation moderne repose sur l’usage de la houille ou des produits similaires tels que le pétrole. Chacun voit bien que si ces produits disparaissaient, les chemins de fer s’arrêteraient ; mais il faut des statistiques pour montrer que ce ne sont pas nos locomotives qui absorbent le plus de charbon. Les chemins de fer dépensent 18 p. 100 seulement de la consommation totale de la houille, alors que l’industrie, y compris la métallurgie, exige 47 p. 100 ; les usages domestiques, 19 p. 100 ; les usines à gaz 7 p. 100.

Pendant la guerre, le rôle de la houille et du pétrole a été prépondérant. Sans eux, nous n’aurions eu ni canons, ni munitions, ni vivres, et les Américains n’auraient pu franchir l’océan pour venir prendre part à la lutte.

La houille est dans l’âge actuel si indispensable à tous les peuples que ceux qui n’en possèdent pas assez, comme l’Italie, semblent destinés à devenir vassaux des pays qui en possèdent beaucoup, comme l’Angleterre.

On sait quel formidable moyen de pression la possession du charbon donne à cette dernière sur les nations réduites à lui en acheter pour alimenter leur industrie.

C’est ainsi qu’au congrès de Spa, la Grande-Bretagne força la France, grâce à des droits d’exportation exorbitants, à lui payer 100 shillings la tonne de charbon livrée pour 40 shillings à ses nationaux. Seule la concurrence du charbon américain mit fin à cette exploitation qui montra notamment combien peu pèsent les alliances devant les intérêts économiques.

Le rôle dominateur conféré à certains peuples par leur richesse houillère est également mis en évidence par l’histoire industrielle et commerciale de l’Allemagne. Son grand développement, commencé en 1880 seulement, résulta surtout d’une surproduction considérable de ses mines.

Produisant plus de houille, elle fabriqua davantage. Fabriquant davantage, elle dut accroître ses exportations et se créer, par conséquent, des débouchés nouveaux. En 1913, son exportation atteignait l’énorme chiffre de 13 milliards.

Fatalement, alors, elle se heurta partout à la concurrence anglaise. Dans l’espérance de l’abattre, l’Allemagne se constitua une puissante marine militaire et prépara la guerre qui finit par éclater. La richesse en houille de l’Allemagne fut donc une des causes indirectes du conflit qui devait bouleverser le monde.


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Pour pronostiquer avec vraisemblance l’avenir économique des peuples, il suffit de connaître leur production en charbon. Les États-Unis en extraient annuellement près de 600 millions de tonnes ; la Grande-Bretagne, 300 millions (chiffre auquel arrivait l’Allemagne avant la guerre) ; la France, 40 millions sur les 60 millions dont elle a besoin. L’Espagne, presque au bas de l’échelle industrielle du monde, en produit 4 millions et demi seulement.

Tous les faits que je viens de rappeler montrent que la richesse en charbon qui détermine la puissance industrielle des peuples déterminera aussi leur situation politique. Un pays obligé d’acheter au dehors et de transporter à grands frais la houille dont il a besoin ne peut fabriquer économiquement, et par conséquent exporter. Il doit donc concentrer ses efforts sur des produits n’exigeant pas beaucoup de force motrice : horlogerie, objets d’art, modes, etc., et s’attacher surtout à perfectionner l’agriculture, base nécessaire de son existence.

Les peuples latins dont les capacités industrielles sont médiocres, ont donc tout intérêt à porter leurs efforts sur l’agriculture et la fabrication d’objets de luxe. Ces nécessités sont les conséquences de ces lois économiques dont j’ai montré la force.


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De nouvelles découvertes scientifiques permettront sans doute un jour de remplacer la houille comme source de force motrice. Des recherches de laboratoire m’ayant demandé une dizaine d’années de travail me conduisirent à prouver qu’une matière quelconque, un minime fragment de cuivre par exemple, est un réservoir colossal d’une énergie jadis insoupçonnée, que j’ai appelée : l’énergie intra-atomique. Nous ne pouvons en extraire actuellement que d’infimes parcelles, mais si on réussit, dans l’avenir, à dissocier facilement la matière, la face du monde sera changée. Une source indéfinie de force motrice, et par conséquent de richesse, étant à la disposition de l’homme, les problèmes politiques et sociaux d’aujourd’hui ne se poseront plus.


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En attendant ces réalisations peut-être lointaines, il faut vivre avec l’heure présente, tâcher de mieux employer le peu de houille que nous possédons, et chercher le moyen de compléter notre production.

En ce qui concerne l’utilisation de la houille, il reste à effectuer bien des progrès, puisque 90 p. 100 de la chaleur produite par sa combustion est entièrement perdu.

Actuellement les moyens de remplacer la houille sont peu nombreux. On ne possède encore que le pétrole et les chutes d’eau comme équivalents.

Le pétrole remplace très avantageusement la houille puisqu’un kilogramme de pétrole fournit 11.600 calories, alors qu’un kilogramme de houille n’en produit guère que 10.000. Tous les nouveaux cuirassés anglais emploient exclusivement le pétrole comme combustible.

L’emploi du pétrole, si supérieur à la houille par sa facilité de transport et la commodité de son emploi, se répand de plus en plus. Pendant la guerre il fut capital. Plusieurs généraux ont affirmé que ce fut seulement grâce au pétrole que purent être rapidement transportées les munitions et les troupes qui sauvèrent Verdun.

Ce qui précède explique pourquoi le pétrole a joué dans la politique des Anglais un rôle si important. C’est pour s’emparer de sources pétrolifères nouvelles que furent entreprises leurs guerres en Orient.

Actuellement l’Angleterre possède la plupart des concessions de pétrole en Europe, en Asie, en Afrique et dans une partie du Mexique.

Mais les sources de pétrole s’usent vite et on prévoit pour un délai prochain leur complet épuisement. L’Amérique a calculé que le pétrole de son sol sera tari en 18 ans. Cherchant du pétrole partout et trouvant toujours l’Angleterre sur son chemin, elle en a conclu que l’Empire britannique voulait arrêter l’essor naval des États-Unis. C’est une menace de futurs conflits.


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Comme succédané du charbon et du pétrole, on peut citer la houille blanche, c’est-à-dire la puissance motrice que peut fournir l’eau des lacs, des torrents et des glaciers, tombant d’un niveau supérieur à un niveau inférieur, sous l’influence de la pesanteur.

Quelques statisticiens assurent que l’utilisation de toutes nos chutes d’eau produirait l’équivalent de 20 millions de tonnes de houille, chiffre à peu près correspondant à notre déficit annuel avant la guerre.

Nous n’en utilisons que 2 millions aujourd’hui et, pour capter les 18 millions restant, il faudrait de telles dépenses, que l’intérêt du capital engagé représenterait peut-être une somme supérieure à celle nécessitée par l’achat du charbon à l’étranger.

Remarquons, en passant, que la houille blanche joue déjà, dans certains départements, un rôle social important. N’étant pas transportable elle doit être employée sous forme d’électricité, dans un rayon peu éloigné de sa production. Conduite par de minuscules fils, cette électricité anime de petits moteurs beaucoup moins encombrants que les grosses machines entretenues par du charbon. Il en résulte que, dans les pays à houille blanche : Haute-Loire, Jura, Pyrénées, etc., le petit moteur électrique, si facile à employer chez soi, détermine un retour du travail à domicile et l’abandon de l’usine. C’est toute une évolution sociale qui s’ébauche ainsi.


Chapitre III. La situation économique de l’Allemagne[modifier]

À cet âge heureux de l’enfance où le merveilleux ne se distingue pas de la réalité, ni le possible de l’impossible, les hasards d’une lecture mirent sous mes yeux le récit des mésaventures d’un jeune ambitieux ayant vendu son ombre au diable en échange d’une série d’avantages dont la liste s’estompe dans la brume de mes souvenirs.

Réfléchissant plus tard à ce conte, il me parut renfermer un sens profond, ignoré peut-être de son auteur. N’est-il pas visible, en effet, que les événements, les personnages, les codes, les empires sont doublés d’ombres où réside leur vraie force ?

Ces ombres ont dominé l’Histoire. Ce ne furent pas les légionnaires, mais l’ombre redoutée de Rome qui gouverna le monde pendant des siècles. Elle le gouverna jusqu’au jour où cette ombre souveraine fut vaincue par d’autres ombres plus puissantes. Toutes les grandes civilisations furent également régies par des ombres.

De nos jours, les ombres se heurtent au mur d’airain des nécessités économiques. Cependant, leur force est restée très grande. On peut s’en rendre compte par un coup d’œil rapide, sur la situation économique de l’Allemagne.


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Parmi les plus imprévues conséquences de la guerre figure pour divers peuples européens, l’Allemagne notamment, la perte de leur monnaie.

Je n’ai jamais lu les énormes volumes consacrés à l’économie politique par de respectables professeurs. Cependant, je doute qu’on y parle de phénomènes monétaires comparables à ceux observés actuellement.

Dans le passé, les crises monétaires furent fréquentes, les faillites d’État nombreuses ; mais ces phénomènes restaient transitoires. Quand la monnaie dépréciée avait perdu tout pouvoir d’achat, comme les assignats à la fin de la Révolution française, elle était retirée de la circulation et remplacée par une autre. Sans doute, les rentiers étaient ruinés ; mais les plaintes des rentiers appauvris n’ayant jamais intéressé personne, leurs lamentations restaient sans échos. Des couches sociales nouvelles prenaient leur place et le monde continuait sa marche.


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Les choses sont bien autrement compliquées, aujourd’hui. Des peuples privés de leur monnaie habituelle comme les Allemands, continuent à vivre sans gêne et même à prospérer. D’autres pays, les États-Unis, par exemple, malgré un énorme excédent de monnaie métallique, se trouvent entravés dans leur commerce au point que des classes entières de citoyens y côtoient la misère.

Ces phénomènes, si singuliers en apparence, s’éclaircissent dès qu’on cesse de confondre la richesse réelle avec l’ombre de la richesse. On constate alors, comme je l’ai déjà répété plusieurs fois, que les monnaies d’or et d’argent sont des marchandises susceptibles d’être remplacées par d’autres marchandises.

L’or, l’argent, le fer, la laine, le coton, pouvant se substituer l’un à l’autre, comme nous l’avons vu en étudiant les sources réelles de la richesse, il importe peu qu’un pays ait perdu sa monnaie métallique, s’il peut lui substituer une autre monnaie d’échange : le blé ou la houille, par exemple.

La seule supériorité des monnaies d’or ou d’argent est d’être échangeables dans tous les pays, alors que les marchandises non métalliques sont acceptées seulement par les peuples qui en ont besoin.


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Des raisons diverses et trop connues pour qu’il soit nécessaire de les rappeler ici ont, depuis la guerre, conduit plusieurs nations à créer une monnaie artificielle constituée par des billets de banque qui, n’étant pas remboursables à volonté, représentent simplement des titres d’emprunt sans date de remboursement. Cette ombre de monnaie n’offre qu’une ombre de garantie : la confiance du créancier à l’égard de l’emprunteur. Une telle confiance se réduit naturellement avec les années et se rapproche progressivement de zéro, comme nous le voyons aujourd’hui pour l’Allemagne. Si le zéro ne s’y trouve pas encore atteint, c’est que la valeur du billet, si réduite qu’elle puisse être, représente encore une ombre d’espérance.

Toutes ces dissertations sur la nature réelle de la monnaie ne peuvent influencer l’esprit qu’à la condition d’être appuyées sur des faits.

Or, ces faits sont catégoriques puisqu’ils montrent, comme on le rappelait plus haut, que des pays regorgeant d’or peuvent être très gênés, alors que d’autres n’en possédant plus du tout possèdent une situation prospère.

En ce qui concerne le premier cas, richesse d’or en réserve, l’exemple des États-Unis prouve bien que l’or n’est pas la vraie richesse ou du moins ne constitue une richesse que s’il peut circuler et devenir ainsi une marchandise. d’échanges.

Mais en raison de l’appauvrissement général, une foule de matières n’ont plus d’acheteurs. Il s’en trouve d’autant moins que l’élévation énorme des changes a triplé le prix des marchandises pour les acheteurs d’objets provenant de l’Angleterre et de l’Amérique, sans, d’ailleurs, que les vendeurs retirent aucun profit de cette majoration.

Sans doute les Américains pourraient consacrer tout leur or à l’achat extérieur de marchandises, mais alors leur provision de ce métal serait vite épuisée. N’étant pas renouvelée, puisqu’on leur achète de moins en moins, ils seraient bientôt eux aussi dépourvus de monnaie métallique.


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Par son inflation illimitée l’Allemagne s’est évidemment privée d’un précieux moyen d’échange, mais comme elle en possède d’autres, son état général est resté prospère. Jamais en effet elle n’a autant construit de navires et d’usines qu’aujourd’hui. Jamais ses usines, dont aucune ne fut atteinte par la guerre, ne se montrèrent plus florissantes. Leurs produits, fabriqués à bas prix, inondent le monde. La marine allemande se reconstitue rapidement et nous aura bientôt dépassés. En 1922, le trafic du port de Hambourg était supérieur à son trafic d’avant-guerre.

Cette indubitable prospérité est, en partie, la conséquence de théories financières contraires assurément aux vieux enseignements des économistes, mais dont voici les résultats : 1° enrichir l’industrie de l’Allemagne ; 2° lui permettre d’éviter le paiement de la majeure partie de ses dettes de guerre.

Tous les économistes savaient depuis longtemps que l’inflation du papier-monnaie entraîne vite sa dépréciation totale ; mais ce qu’ils n’avaient pas vu, et ce que perçurent les Allemands, c’est que, si cette inflation conduit à la ruine, elle peut, chez un peuple industriel et pendant un temps assez long, constituer une richesse assurément fictive, mais convertible en valeurs réelles nullement fictives.

C’est grâce, justement, à cette richesse fictive créée par l’impression illimitée de papier-monnaie, que l’Allemagne réussit, pendant quatre ans, à construire des chemins de fer, des usines, des vaisseaux, et acheter les matières premières nécessaires à son industrie. Toutes les marchandises qu’elle exportait – et dont la fabrication fut payée aux ouvriers avec du papier – étaient livrées à l’étranger contre des dollars américains ou des livres anglaises.

L’opération revenait donc, en réalité, à échanger contre de l’or ou de l’argent du papier n’ayant d’autre valeur réelle que le coût de son impression.

Des opérations aussi artificielles ne pouvaient naturellement se prolonger ; mais, pendant qu’elles durèrent, l’Allemagne put donner à sa navigation, à ses usines, à son commerce un essor considérable.

Il serait inutile d’insister ici sur une situation économique qui a donné lieu à tant de discussions. Je me bornerai à faire observer que les opinions formulées plus haut sont également celles de toutes les personnes ayant visité récemment l’Allemagne, notamment du professeur Blondel qui a fait une étude particulière de la question. Il fait voir comment a été reconstituée une Allemagne économique hors d’une Allemagne officielle ruinée.

Dans son travail l’auteur montre que les grands Cartels des industries chimiques, sucrières, électriques, etc., donnent des dividendes dépassant souvent 50 p. 100 et il ajoute :


« Comment s’y prennent donc les Allemands, avec leur change en apparence si mauvais, pour se procurer les matières premières qui leur font défaut ? Le prix de revient des objets manufacturés étant peu élevé, ils vendent ce qu’ils fabriquent dans des conditions qui leur permettent de faire une concurrence victorieuse aux pays où le change est élevé ; mais ils ont soin de ne pas ramener en Allemagne l’argent qu’ils ont gagné ; ils le laissent à l’étranger, investi dans des entreprises d’apparence étrangère qui, en réalité, sont allemandes – et de préférence dans celles de ces entreprises qui peuvent les aider à se procurer les matières premières dont ils ont besoin. Ce système leur permet au point de vue des impôts d’échapper aux lois nouvelles que l’Allemagne a votées. Les fortunes qu’il faudrait pouvoir frapper sont en grande partie à l’étranger. Il y a 14 millions d’Allemands aux États-Unis et avec leur aide les Allemands d’Allemagne ont placé une partie de leur fortune dans le Nouveau-Monde. Il y a des milliers d’Allemands qui sont dans de très bonnes situations sur tous les points importants du globe. Le gouvernement lui-même reconnaît qu’il lui est impossible de contrôler la fortune de ses nationaux ainsi mise en lieu sûr. L’une des principales fautes que nous avons commises en 1918 a été de ne pas comprendre qu’il fallait immédiatement prendre des gages, qu’il fallait organiser immédiatement un contrôle sur la fabrication des usines, sur l’importation et l’exportation. Les Allemands nous montrent aujourd’hui des caisses vides. Ils ont converti leurs marks en dollars, en livres sterlings, en florins hollandais ».

On peut ajouter à ce qui précède qu’une des causes de la situation économique actuelle de l’Allemagne résulte de la destruction systématique par ses armées de la presque totalité des établissements industriels du Nord de la France. Les usines métallurgiques, électriques, mécaniques, les mines, etc., ont été anéanties après que les Allemands se furent emparés de leurs installations. On peut apprécier la grandeur de ces ravages en considérant que la France a déjà dépensé 80 milliards pour reconstruire une partie de ce qui avait été détruit.

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L’illustre philosophe Boutroux, auteur d’un livre célèbre publié dans ma Bibliothèque de Philosophie Scientifique et auquel je reprochais ses hésitations à conclure, me répondit :

— La plupart des choses n’impliquent pas de conclusions.

Il voulait dire par là, sans doute, qu’une conclusion représente une fin et que le déroulement des faits ne s’arrêtant pas, conclure définitivement est le plus souvent impossible.

L’heure de donner une conclusion aux pages qui précèdent n’a pas sonné. Les peuples continuent à être conduits par des ombres. Ils s’en dégagent lentement sous l’influence de forces nouvelles devenues les grandes régulatrices du monde.


Chapitre IV. Les éléments psychologiques de la fiscalité[modifier]

Il y a peu d’années encore, la psychologie classique se composait de dissertations théoriques dépourvues d’intérêt pratique. Les hommes d’État prenaient pour guides des règles empiriques léguées par la tradition et dont l’insuffisance se manifestait fréquemment.

La guerre, et tous les événements qui l’ont suivie, mirent la psychologie au premier rang des sciences utiles. Comment gouverner un peuple, diriger des armées, ou même une modeste usine, si l’on ignore l’art de manier les sentiments et les passions des hommes ?

J’ai souvent rappelé que les Allemands perdirent la guerre pour avoir méconnu certaines règles fondamentales de psychologie. C’est parce qu’il les connaissait qu’un célèbre maréchal mit fin, en 1917, en France, à un mouvement révolutionnaire, étendu à plusieurs corps d’armée, et qui menaçait de conduire la guerre vers une issue désastreuse.

À peine entrés dans le conflit, les Américains reconnurent à la psychologie appliquée une telle utilité qu’ils firent rédiger, pour l’usage des officiers, un gros volume dans lequel sont examinés tous les cas pouvant se présenter dans le maniement des troupes : réprimer une émeute, stimuler l’énergie affaiblie des combattants, provoquer l’enthousiasme, etc.

Nos professeurs ne témoignent pas la même estime pour la psychologie. J’ai déjà rappelé qu’à l’École des Sciences Politiques, pas un des nombreux cours qu’on y professe ne lui est consacré.


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En raison de leur extrême rareté, les livres de psychologie appliquée ne manquent ni de traducteurs, ni d’acheteurs. Pour cette cause, sans doute, mon petit livre : Lois Psychologiques de l’Évolution des Peuples, publié il y a vingt-cinq ans, fut traduit en beaucoup de langues et compta parmi ses traducteurs des hommes d’État éminents.

Si je cite cet ouvrage, malgré son ancienneté, c’est qu’il contient la démonstration de certains principes psychologiques toujours applicables, non seulement au gouvernement des hommes et à l’interprétation de l’Histoire mais, comme nous allons le montrer bientôt, à des questions techniques journalières, l’établissement d’un impôt par exemple.

Ne pouvant reproduire tous les principes exposés dans ce livre je me bornerai à en rappeler ici quelques-uns.


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Les peuples ayant un long passé historique possèdent des caractères psychologiques presque aussi stables que leurs caractères anatomiques.

De ces caractères dérivent leurs institutions, leurs idées, leur littérature et leurs arts.

Les caractères psychologiques dont l’ensemble constitue l’âme d’un peuple différant beaucoup d’un pays à un autre, les divers peuples sentent, raisonnent, et réagissent de façons dissemblables dans des circonstances identiques.

Les institutions, les croyances, les langues et les arts ne peuvent, malgré tant d’apparences contraires, se transmettre d’un peuple à un autre sans subir des transformations profondes.

Tous les individus d’une race inférieure présentent entre eux une similitude très grande. Dans les races supérieures, au contraire, ils se différencient de plus en plus avec les progrès de la civilisation. Ce n’est donc pas vers l’égalité que marchent les hommes civilisés mais vers une inégalité croissante. L’égalité, c’est le communisme des premiers âges, la différenciation, c’est le Progrès.

Le niveau d’un peuple sur l’échelle de la civilisation se révèle surtout par le nombre de cerveaux supérieurs qu’il possède.


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Ces lois fondamentales s’appliquent, je le répète, à tous les éléments de la vie politique et sociale. Pour en donner un exemple concret, examinons un cas bien déterminé : l’établissement d’un impôt acceptable sur le revenu.

Un impôt quelconque est toujours désagréable évidemment, mais il devient impraticable quand il heurte la mentalité du peuple auquel on prétend l’imposer.

Chez des peuples disciplinés et très respectueux des règlements : anglais et allemands, par exemple, on peut exiger de chaque citoyen une déclaration dont la vérification par les agents du fisc sera docilement admise.

Il en sera tout autrement chez des peuples individualistes ne voulant supporter aucune inquisition dans l’existence privée. L’impôt ne sera toléré par eux que s’il est établi sur des signes extérieurs (loyer, nombre de domestiques, etc.) n’impliquant aucune investigation dans la vie personnelle.

Ces principes fondamentaux sont, nous allons le voir, entièrement méconnus aujourd’hui.


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Les dettes de la France, qui étaient de 28 milliards en 1914, se sont élevées à 328 milliards en 1922, alors que les recettes annuelles de la totalité des impôts atteignent difficilement 23 milliards, somme qui sera bientôt à peine suffisante pour payer les intérêts de nos dettes. Comment sortir d’une telle situation ?

Tous nos ministres des Finances ont cherché à résoudre cet insoluble problème. Ne pouvant guère augmenter encore les impôts, ils tâchent d’augmenter leur rendement.

C’est dans ce but que notre Ministre des Finances, M. de Lusteyrie, proposa au parlement, sur le conseil de ses chefs de service, une série de mesures vexatoires qui eussent bientôt entraîné une évasion générale des capitaux.

Dans le but d’exposer verbalement à cet éminent ministre les objections d’ordre psychologique rendant périlleuses et inefficaces les mesures projetées, je l’invitai au déjeuner hebdomadaire que je fondai jadis avec le professeur Dastre et où des hommes les plus éminents de chaque profession viennent discuter leurs idées.

Le ministre eut l’amabilité de se rendre à cette invitation. Une indisposition m’ayant empêché d’assister au déjeuner, je lui exposai mes objections dans une lettre dont voici un passage :

« Vous désirez, naturellement, accroître le produit de l’impôt sur le revenu. Mais, pour un accroissement problématique très faible, vous proposez une inquisition fiscale si vexatoire et si compliquée qu’elle exaspérera forcément les contribuables et créera beaucoup d’ennemis au régime.

« Même plus élevé qu’aujourd’hui, un impôt sur le revenu, établi d’après des signes extérieurs, sera toujours beaucoup mieux accepté qu’un impôt basé sur des déclarations impliquant les vérifications des agents administratifs.

« Il est facile, au moins dans beaucoup de cas, de savoir quel coefficient devrait être appliqué aux signes extérieurs de la richesse : loyer, domestiques, etc., pour que l’impôt sur le revenu devienne, sans vexations, égal ou même supérieur à ce qu’il est actuellement.

« Je vous propose donc la recherche suivante :

« Prendre au hasard, dans diverses localités, les cotes de cent contribuables, constater ce qu’ils paient actuellement et rechercher de combien il aurait fallu les taxer, d’après leur loyer et autres signes extérieurs, pour arriver à un chiffre d’impôt exactement égal ou même supérieur à celui payé par eux maintenant.

« Ces éléments étant déterminés, rien ne serait plus facile que d’établir un impôt sur le revenu, dégagé d’inquisition fiscale, que tout le monde accepterait sans récriminations. »

Le ministre voulut bien me répondre qu’il « allait faire examiner avec la plus sérieuse attention mes suggestions », mais devant l’opposition des socialistes de la Chambre, il ne put finalement en adopter qu’une partie.


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Notre déjeuner étant surtout un lieu de discussion, j’y soumis à la critique les idées qui précèdent. Leur justesse psychologique ne fut pas contestée. Mais on montra aisément que mon projet n’avait aucune chance d’être entièrement adopté pour deux raisons, psychologiquement détestables, mais politiquement très fortes.

La première était l’intense hostilité qu’il rencontrerait chez les socialistes.

La seconde, plus forte, bien que moins bonne encore, était qu’un impôt établi automatiquement d’après des signes extérieurs indiscutables priverait les comités et les préfets qui, faisant les élections, gouvernent en réalité, la France, d’un moyen d’action extrêmement efficace. L’inquisition fiscale, telle que les socialistes voudraient l’exercer, est comparable à une vis de pression irrésistible. Pour les amis, la vis serait largement desserrée et vigoureusement resserrée pour les ennemis.

La valeur politique de ces arguments est incontestable. N’oublions pas, toutefois, que ce fut souvent par l’application de mesures trop contraires à la mentalité d’un peuple que des régimes politiques périrent. Cette mentalité fait partie des forces qui mènent le monde et que les institutions et les lois ne sauraient changer.


Chapitre V. Principes fondamentaux d’économie politique[modifier]

La destinée des peuples est déterminée par des influences psychologiques et des nécessités économiques. Les premières engendrent les pensées et les croyances d’où dérive là conduite. Les secondes fixent les conditions matérielles de l’existence.

Ces grandes lois économiques et psychologiques étant inflexibles, leur violation s’expie toujours.

L’économie politique embrasse une foule de questions : capital, travail, propriété, épargne, etc., dont l’exposé forme généralement de gros volumes.

Leurs auteurs sont d’ailleurs dominés par des théories sur lesquelles l’accord semble impossible. Libre-Échangistes, Protectionnistes, Interventionnistes, etc. se querellent depuis longtemps sans avoir jamais réussi à se convertir.

Dans l’état actuel de nos connaissances et en tenant compte des Enseignements de la guerre les principes fondamentaux de l’Économie politique peuvent, je crois, se résumer dans les propositions suivantes.


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l° La richesse d’un peuple dépend surtout de l’intensité de sa production et de la rapidité d’écoulement de cette production.

2° Un produit ne peut être exporté utilement que si son prix de vente ne dépasse pas celui des concurrents étrangers. Il en résulte que les méthodes de fabrication, la division du travail et l’abondance des capitaux d’exploitation jouent un rôle prépondérant en matière d’exportation.

3° L’activité dans la circulation terrestre et maritime peut devenir à elle seule une source de richesse. Des pays petits et sans production comme la Hollande se sont jadis enrichis, simplement par le transport de marchandises qu’ils ne fabriquaient pas.

4° Les marchandises ne pouvant se payer qu’avec d’autres marchandises, un pays important beaucoup plus qu’il n’exporte est obligé de recourir au crédit. Continuer à importer plus que l’on exporte engendre la ruine, à moins de posséder, comme la France avant la guerre, une grande réserve de valeurs mobilières placées depuis longtemps au dehors et portant intérêt.

5° La production étatiste, c’est-à-dire la socialisation et la monopolisation substituées aux initiatives privées, a pour résultat invariable une raréfaction de la production et l’accroissement énorme des prix de revient. La psychologie suffisait à prévoir ce phénomène surabondamment démontré par l’expérience.

6° En dehors de son rôle d’étalon, la monnaie métallique représente simplement une marchandise d’un poids déterminé, échangeable contre d’autres marchandises qui, au besoin, peuvent, elles aussi, servir de monnaie. Il en résulte qu’un peuple peut être dans une situation prospère sans posséder aucune monnaie métallique.

7° La monnaie fiduciaire constituée par des billets ne conserve sa valeur que si elle est échangeable dans un délai assez court contre de la monnaie métallique ou des marchandises. La prolongation du cours forcé du papier réduit rapidement son pouvoir d’achat.

8° Le prix de vente d’une marchandise étant automatiquement déterminé par le rapport entre l’offre et la demande, aucune loi ne saurait fixer sa valeur. Le seul résultat possible des taxations est, d’abord, de raréfier la marchandise taxée, puis de provoquer sa vente clandestine à des prix dépassant ceux qui motivèrent la taxation.

9° Protectionnisme et libre-échange correspondent à des phases différentes de la vitalité industrielle d’un pays. À une vitalité faible, le protectionnisme est utile, bien que coûteux et ralentissant le progrès des industries protégées contre la concurrence étrangère.

10° L’aisance d’un ouvrier ne dépend pas de l’élévation de son salaire, mais du pouvoir d’achat de ce salaire. Dans les pays où la production reste inférieure à la consommation, chaque élévation de salaire a pour conséquence l’élévation du prix des objets de consommation dans une proportion supérieure à l’accroissement des salaires. Chez les peuples à production insuffisante, l’aisance de l’ouvrier diminue à mesure que son salaire augmente.

11° Réduire le nombre des heures de travail dans un pays appauvri, où la production est inférieure aux besoins, c’est accroître la pauvreté de ce pays et rendre la vie plus chère.

12° Quand, sous l’influence de grandes catastrophes, les croyances politiques, religieuses et sociales qui formaient l’armature mentale d’un peuple s’affaiblissent, elles sont bientôt remplacées par des aspirations nouvelles dépassant toute possibilité de réalisation.

13° Les peuples méconnaissant le rôle des nécessités économiques, se laissent dominer par des illusions mystiques ou sentimentales étrangères aux réalités et génératrices de bouleversements profonds.

Ces brèves vérités n’instruiront probablement personne. Il n’était pas cependant inutile de les formuler. Les pensées sont comparables à ces graines qui entraînées par le vent arrivent à germer sur les plus durs rochers.