Nouvelles poésies (Van Hasselt)/Le Dante partant pour l’exil

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Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 28-31).


Le Dante partant pour l’exil.





Tu proverai si come sa di sale
xxxxxLo pane altrui, è com’ è duro calle
xxxxxLo scendere e ’l salir per l’altrui scale.
Dante, Paradiso, XVII, 59.





Florence, qu’as-tu fait ? Qu’as-tu fait, ô Florence,
Du glorieux enfant que tes flancs ont porté ?
Le voilà qui s’en va de tes bras rejeté,
Et sur ton seuil maudit il laisse l’espérance.

Ta main dénaturée a brûlé son berceau,
Mère indigne, et pourtant ses larmes t’ont bénie.

Le voilà qui s’en va seul avec son génie,
De son nid écroulé comme part un oiseau.

Il n’a plus désormais pour abri que la terre,
Pour chevet que la pierre, et pour toit que le ciel.
L’exil lui versera son vin mêlé de fiel,
Et ses pleurs mouilleront sa route solitaire.

Mais tes pleurs, l’avenir, ô poëte sacré,
Les recueillera tous comme des perles saintes
Sa bouche de tes pas baisera les empreintes
Et chantera ton nom des siècles admiré.

Car ce nom, n’est-ce pas ? sera celui du Dante.
On accepte à ce prix le duel du destin.
On relève le gant du hasard incertain
Et l’on donne sa vie à cette lutte ardente.

La foudre aime à frapper les monts voisins des cieux,
L’ouragan à mugir dans les branches des chênes,
Et la foule à souffler la tempête des haines
Sur tout ce qui s’élève et grandit à ses yeux.

Ô poëte, va donc combattre ta bataille.

Va délier le sort et tout le monde humain.
Va déchirer tes pieds aux ronces du chemin,
Sans craindre d’y laisser place pour une entaille.

Plus le péril est grand, plus le triomphe est beau.
Marche à tes ennemis sans en compter le nombre.
Les pièges en plein jour, les embûches dans l’ombre,
Traverse tout, et va, fût-ce même au tombeau.

Va, lutte corps à corps avec la destinée.
Au risque d’y laisser la moitié de ton cœur,
Il faut de ce combat sortir mort ou vainqueur.
C’est une gloire encor qu’une mort couronnée.

Et si tu sens parfois, saignant de tous côtés,
Défaillir le courage en ton âme inquiète,
Regarde l’avenir, l’avenir, ô poëte,
Ou lève vers les cieux tes bras ensanglantés.

Car Béatrix est là, cette femme choisie.
Forme sainte sur qui ton esprit a jeté
Ce voile rayonnant de grâce et de beauté,
Le manteau d’or que lui tissa ta poésie.


Béatrix te regarde. Ô poëte, courage !
Va, parcours jusqu’au bout ton chemin de douleurs.
L’âme se purifie à la source des pleurs,
Et l’aube est plus sereine après la nuit d’orage.

Puis, qu’importe qu’un jour, ô chantre noble et fier,
Les mères, te suivant des yeux sur ton passage,
Pâles de la pâleur qui masque ton visage,
Disent à leurs enfants : « Cet homme a vu l’enfer ? »

Car l’enfer tu l’as vu, tu l’as vu sur la terre ;
L’homme en est le démon, le satan et le roi.
Mais ton ciel rayonnant tu le portes en toi,
Ce paradis dont seul tu connais le mystère.



Avril 1855.