Voyage de Marco Polo/Livre 1/Chapitre 2

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II
Comment ils allèrent à la cour du grand roi des Tartares.

En ce temps-là un certain grand seigneur qui était envoyé de la part d’Allau vers le plus grand roi des Tartares, arriva à Bochara pour y passer la nuit ; et trouvant là nos deux Vénitiens qui savaient déjà parler le tartare, il en eut une extrême joie, et songea comment il pourrait engager ces Occidentaux, nés entre les Latins, à venir avec lui, sachant bien qu’il ferait un fort grand plaisir à l’empereur des Tartares. C’est pourquoi il leur fit de grands honneurs et de riches présents, surtout lorsqu’il eut reconnu dans leurs manières et dans leur conversation qu’ils en étaient dignes. Nos Vénitiens, d’un autre côté, faisant réflexion qu’il leur était impossible, sans un grand danger, de retourner en leur pays, résolurent d’aller avec l’ambassadeur trouver l’empereur des Tartares, menant encore avec eux quelques autres chrétiens qu’ils avaient amenés de Venise. Ils quittèrent donc Bochara ; et, après une marche de plusieurs mois, ils arrivèrent à la cour de Koubilaï[1], le plus grand roi des Tartares, autrement dit le Grand Khan, qui signifie roi des rois[2]. Or la raison pourquoi ils furent si longtemps en chemin, c’est que marchant dans des pays très froids qui sont vers le septentrion, les inondations et les neiges avaient tellement rompu les chemins que, le plus souvent, ils étaient obligés de s’arrêter.

  1. Koubilaï-Khan ou Chi-Tsou, empereur mongol, petit-fils du fameux Gengis-Khan, fondateur de la vingtième dynastie. Il réunit la Chine à son empire, qui comprit ainsi la Tartarie, le Bégu, le Tibet, le Tonkin, etc. (1214 à 1294)
  2. D’après Rubruquis (chap. XIX), la désignation khan aurait la signification de devin.