Voyage de Marco Polo/Livre 1/Chapitre 1
L’an de Jésus-Christ 1235, sous l’empire du prince Baudoin, empereur de Constantinople[1], deux gentilshommes de la très illustre famille des Pauls, à Venise, s’embarquèrent sur un vaisseau chargé de plusieurs sortes de marchandises pour le compte des Vénitiens ; et ayant traversé la mer Méditerranée et le détroit du Bosphore par un vent favorable et le secours de Dieu, ils arrivèrent à Constantinople. Il s’y reposèrent quelques jours ; après quoi ils continuèrent leur chemin par le Pont-Euxin, et arrivèrent au port d’une ville d’Arménie, appelée Soldadie[2] ; là ils mirent en état les bijoux précieux qu’ils avaient, et allèrent à la cour d’un certain grand roi des Tartares appelé Barka ; ils lui présentèrent ce qu’ils avaient de meilleur. Ce prince ne méprisa point leurs présents, mais au contraire les reçut de fort bonne grâce et leur en fit d’autres beaucoup plus considérables que ceux qu’il avait reçus. Ils demeurèrent pendant un an à la cour de ce roi, et ensuite ils se disposèrent à retourner à Venise. Pendant ce temps-là il s’éleva un grand différend entre le roi Barka et un certain autre roi tartare nommé Allau, en sorte qu’ils en vinrent aux mains ; la fortune favorisa Allau, et l’armée de Barka fut défaite. Dans ce tumulte nos deux Vénitiens furent fort embarrassés, ne sachant quel parti prendre ni par quel chemin ils pourraient s’en retourner en sûreté dans leur pays ; ils prirent enfin la résolution de se sauver par plusieurs détours du royaume de Barka ; ils arrivèrent d’abord à une certaine ville nommée Guthacam[3], et un peu au delà ils traversèrent le grand fleuve ; après quoi ils entrèrent dans un grand désert, où ils ne trouvèrent ni hommes ni villages, et arrivèrent enfin à Bochara[4], ville considérable de Perse. Le roi Barach faisait sa résidence en cette ville ; ils y demeurèrent trois ans.