Le Diable à Paris/Série 2/Hommes et femmes de plume

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Hommes et femmes de plume

par Gavarni

Tout, nous le savons bien, n’est pas couleur de rose
En ce monde d’ingrats où votre cœur se perd.
Que de ses longs soupirs votre cœur se repose
Votre cœur nous a dit tout ce qu’il a souffert !

Plus de soupirs gratis aux timides échos :
Le Pétrarque du coin vend des sonnets tout chauds.



Laure, elle a d’un rébus illustré sa boutique,
Devinez-vous le mot ? — C’est la Gigogne antique,
Dame Nature. — Non ! — Ou c’est la Charité
Offrant aux malheureux l’ineffable mamelle.
— Eh, non ! C’est des amours la folle ribambelle ;
Et ces petits païens au minois effronté
D’un semblant de candeur narguent l’hypocrisie.
Cette enseigne, messieurs, c’est la galanterie ;
Laure tient magasin de sensibilité…

Où trouver un duvet assez doux pour la couche
De celui qui promène un orgueilleux bonheur ?
Quels baisers sembleraient assez doux sur le cœur,
Alice, après les tiens, pour le roi dont ta bouche
A couronné le front rêveur ?



Une odeur de cuisine aux myrtes est mêlée.
Et suit jusqu’en ses vers la muse échevelée.
Combien, dans ces ébats tendres et pudibonds,
le civet a de pleurs et l’amour a d’oignons !
De regrets bien amers illusion suivie !
Où cacher ta couronne, auguste Poésie,
Quand la Réalité marchandera demain
Le portrait du galant et la peau du lapin ?

LE COMPTE.

Égarements divers et pensers charitables :
Six francs. — Regrets choisis vingt francs. — « Mon idéal »
(Sous les traits adorés d’Alcindor) (l’animal !)
Dix écus. — Et neuf francs de pleurs intarissables
Versés le mois d’avant au départ de Blinval…



Laissant inachevé l’hymne qu’Amour inspire,
Il faut vers d’humbles soins ramener ses esprits :
Mettons aux petits pois l’oiseau cher à Cypris.
Voici l’heure où le gril va remplacer la lyre.



Sources de l’Hélicon ! mon cœur est une éponge…
Muses ! l’alexandrin est le ver qui me ronge !



Si du moins à ses chants (nouvelle édition)
Sapho pour souscripteurs avait tous ses Phaon !



Mademoiselle Angélina Traumouillé à Mosieur-Mosieur Oscar Pipanthoud.

« Monsieur,
Fermant à la clarté d’une céleste flamme
Les replis de mon cœur incessamment froissé.
Je voulais te cacher les abîmes d’une âme
Où trop de rêves ont passé !
................. »


Eugénie Charme « À un jeune poëte. »

« ...........
Laisse le feu divin ceindre ton front rêveur !
Adolphe n’est-il pas le signe du génie ?… »
Sans virgule ! Eh ! le diable emporte l’imprimeur
Qui va me mettre là : LE SINGE D’EUGÉNIE !

..............
Ardeur, ardeurs, lueur, lueurs, erreur, erreurs,
Vain mirage des mots dont notre âme se leurre !
Tout cela rime à toi, Bonheur… et rime à pleurs.


Le poëte finit où l’insensé commence…
Pour qui n’a plus d’oreille il n’est plus d’éloquence…
Le sublime aujourd’hui, môsieu, c’est le silence !