Le Diable à Paris/Série 3/Pourquoi

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Le Diable à ParisJ. HetzelVolume 3 (p. 107-108).

POURQUOI

Pourquoi, souvent, ceux qui parlaient le plus haut à Paris se taisent-ils tout à coup ?

Le ruisseau voisin, dont le murmure m’importunait, se tait depuis qu’aucun obstacle n’embarrasse son lit ; sur les rouages du moulin qu’il fait mouvoir, un peu d’huile fut à propos versée, et j’ai cessé d’entendre le bruit strident qui blessait mon oreille.

Le silence a donc une cause, mais elle est quelquefois difficile à découvrir.

J’ai vu des hommes, adversaires bruyants de certains ministres, blâmer bien haut leur système, déclamer contre les abus, flétrir de honteuses faveurs, dénoncer des marchés scandaleux, condamner des manœuvres corruptrices, et j’avais pour ces hommes une haute estime. Quelques mois après, rien n’était changé, si ce n’est leur conduite : le mal était le même, mais ils ne le voyaient plus, ils ne voulaient plus le voir.

Quel prodige opéra cette métamorphose ? Quel enchanteur ferma tout à coup tant de bouches menaçantes ?

Je m’adressais cette question, qui pour moi resta longtemps insoluble. Le hasard, auquel sont dues presque toutes les découvertes, m’a donné, je crois, le mot de l’énigme ; de même que les médecins physiologistes découvrent dans les entrailles des animaux les mystères de la vie humaine, de même dans les actions d’un chien j’ai trouvé l’explication du fait qui m’avait tant surpris.

UN CHIEN À LA SOCIÉTÉ PHILOTECHNIQUE
fable.

Dans le comité littéraire
Où brillent nos talents divers,
Nous lisions, comme à l’ordinaire,

De la prose admirable et d’admirables vers ;

Dans le comité littéraire
Une approbation muette,
Donnée à charge de retour,
Venait caresser tour à tour
Et l’orateur et le poëte.

Tout à coup un long aboîment
À la porte se fait entendre :
C’était dans le plus beau moment !
Force fut au lecteur d’attendre.
Attendre est cruel pour l’auteur,
Quand il croit charmer l’assistance ;

Et souvent plus cruel, hélas ! pour l’auditeur,

S’il faut que l’auteur recommence.

Le maître cependant sort, gronde et bat son chien.
L’instant d’après, le bruit se renouvelle :

Le chien aboyait de plus belle ;
Menace et coups n’y faisaient rien.

« Quel parti prendre ? Ouvrons-lui ; son tapage
Dans la salle ne peut nous troubler davantage. »

Il entre donc. À peine admis
Auprès de son maître en colère,
Médor, sur son derrière assis,

Se tait, semble écouter, grave comme un confrère.

Combien de gens vous rencontrez
Qui se font ouvrir de la sorte :

Grands aboyeurs tant qu’ils sont à la porte,

Et muets dès qu’ils sont entrés !

s. lavalette.