Le Diable à Paris/Série 4/Dans le jardin du Palais-Royal
premier étranger. — C’est lui. Le voilà !
second étranger. — Pourvu qu’il parte !
premier étranger. — Soyez tranquille. La journée est magnifique. Il partira.
second étranger. — Il me semble qu’il est en retard. Ma montre dit midi cinq.
premier étranger. — Comment voulez-vous qu’il soit en retard, puisque c’est le soleil qui le fait partir…
second étranger. — C’est juste. Il faut donc que ce soit ma montre. C’est très-désagréable.
premier étranger. — Il me semble qu’il fume.
second étranger. — Attention, — c’est qu’il va partir. (Moment de silence.)
premier étranger. — C’est incompréhensible. Il ne part point.
second étranger, à un gardien. — Pourquoi votre canon ne part-il pas aujourd’hui, mon brave ? Il est plus de midi.
le gardien. — C’est qu’il est parti, messieurs.
second étranger. — Voyez-vous ? J’en étais sûr. Ma montre va bien.
premier étranger. — Allons ! demain je serai plus exact, (Ils s’éloignent.)
premier bourgeois, à part. — « Le pape est mort. » Diable !
second bourgeois, à part. — « Sa Sainteté est mieux. » J’en suis ravi.
premier bourgeois. — « L’auteur de l’assassinat qui a jeté la consternation dans Pézénas tout entier vient de payer sa dette à la société…… »
Tiens ! comment cela ? Tant mieux !
second bourgeois. — « Crime commis à Pézénas. — L’assassin vient de mettre le comble à ses forfaits…… »
Que peut-il avoir fait de mieux que de tuer un père de famille qui faisait honnêtement le commerce des laines ?
premier bourgeois. — « Traqué dans le marécage où il avait cherché un refuge, il a été, après une courte lutte, percé de part en part par le brigadier de la gendarmerie… »
Voilà un beau coup de sabre !
second bourgeois. — « Traqué dans les marécages qui avoisinent Pézénas, le misérable, après une courte lutte, a percé d’outre en outre le brigadier de la gendarmerie. Ce malheureux laisse une femme et cinq enfants sans ressource… »
Triste événement ! — Monsieur, après vous votre journal, s’il vous plaît.
premier bourgeois. — Volontiers ; le voici. Je vais lire le vôtre. (Ils échangent les journaux.)
second bourgeois. — Il paraît que c’est le gendarme qui a tué l’assassin de Pézénas. Tant mieux !
premier bourgeois. — Grand Dieu ! c’est l’assassin qui a tué le gendarme de Pézénas ! Ah ! tant pis.
second bourgeois. — Baste ! Sa Sainteté est morte.
premier bourgeois. — Allons ! le pape va mieux. (Ils s’éloignent.)
le père. — Ce qui me frappe et m’enchante le plus à Paris, c’est la complète assimilation que je vois s’être opérée entre le costume et l’extérieur de tous les Français. Il n’y a pas de Parisiens, — pas plus qu’il n’y a de Normands, de Bretons, d’Angevins, de Beaucerons. Montrez-moi dans ce jardin ceux qui sont Parisiens et ceux qui ne le sont pas : impossible ! et pourquoi ?
la mère. — C’est bien simple, tout le monde se fait habiller à Paris.
le père. — Justement. Et puis la facilité des communications. — Qu’on me bande les yeux, et qu’on m’amène ici, je ne saurai pas dire si je suis à Paris, plutôt qu’à Rouen, à Caen ou à Chartres.
le fils. — Il y a d’aussi beau monde sur la place de la Préfecture qu’ici, mon père, le dimanche.
le père. — Nous avons même plus de luxe. Mais comment diable veux-tu qu’il y ait de la différence, puisque nous avons les mêmes tailleurs, et que nos femmes ont les mêmes faiseuses que les gens de Paris.
le fils. — Sans doute. (Deux jeunes gens traversent rapidement.)
premier jeune homme, à haute voix. — Tiens ! voilà une famille de provinciaux qui passe.
second jeune homme, riant. — Et même — le père est superbe. (La famille s’éloigne en silence.)