Le Diable au XIXe siècle/XLIII

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Docteur Bataille ()
Delhomme et Briguet (tome 2p. 886-896).

CHAPITRE XLIII

La recherche de l’Homunculus


Il existe bien encore, de par le monde, quelques détraqués que hante la fameuse préoccupation des anciens alchimistes : la recherche de la pierre philosophale. Mais ce sont là, je l’ai dit, des détraqués vulgaires. La maçonnerie occulte contemporaine ne perd pas son temps à une œuvre tombée en discrédit, même parmi les suppôts du diable.

Les savants lucifériens travaillent à autre chose, au fond de leurs laboratoires maudits. Ils ont un problème soi-disant scientifique qu’ils se sont mis en tête de résoudre et qu’ils appellent « le secret des secrets ».

— Le secret de la vie, voilà ce qu’il nous faut ! Homunculus ! s’écriait Hoffmann, vers la fin de la séance du Lotus Saint-Frédéric que j’ai racontée.

Ils aspirent donc, ces triples fous, à créer l’être humain, en dehors des lois que Dieu, dans sa sagesse, a imposées à la nature.

Le même Hoffmann, que j’ai revu, m’exposa la théorie.

Le dieu-bon Lucifer est le rival d’Adonaï et même l’Excelsus Excelsior. Le livre Apadno nous enseigne que la création ne fut pas l’œuvre d’un seul des deux éternels Principes.

— L’un et l’autre, me disait-il, ont animé la matière, créé des êtres vivants, mais par une sorte de collaboration inspirée par leur antagonisme. Mais de qui est finalement l’homme intelligent, l’homo sapiens, si ce n’est de Lucifer plus particulièrement ? Là-dessus, le livre sept fois sacré est formel. La création, nous la comprenons donc autrement que les adonaïtes. Ex nihilo nihil, disons-nous. Pour nous, il y a eu, non pas création dans le sens strict du mot tels que l’entendent les théologiens de la superstition ; mais il y a eu organisation. C’est pourquoi nous donnons à l’Être suprême le titre de grand architecte, et non celui de créateur des mondes.

C’est aussi ce qu’Athoïm-Olélath voulut me faire entendre. « Dieu est éternel, et il est dans tout. La nature est donc éternelle ; elle a existé de tout temps, elle existera toujours. Dieu existe, mais comme âme de la nature. Ne croyons pas à la création absolue ; c’est une absurdité. Croyons à une génération, à une transformation, à une organisation ; nous serons dans le vrai. Ordo ab Chao. Or, dans la divinité, comme dans tous les éléments de l’univers, il y a deux principes contraires, d’où résulte l’équilibre des forces éternelles : l’un tend à pervertir et à détruire, c’est le mal et le mensonge, Adonaï ; l’autre conserve et améliore sans cesse, c’est le bien et la vérité, Lucifer. »

Voilà la base du système, qui accuse la Bible d’absurdité !… Rien n’est plus simple, au contraire, rien ne correspond mieux à la logique et à la conscience que le dogme de la création. Mais il gêne Satan, et Satan le rejette. Il le rejette pour enseigner aux palladistes… quoi ?… la théorie la plus diffuse, la plus invraisemblable.

Voyons, néanmoins, comment le livre Apadno prétend débrouiller cet imbroglio. Je résume.

Dans l’univers, Adonaï préside à la matière, Lucifer préside à l’esprit. La théorie matérialiste du docteur Buchner, exposée dans son fameux livre Force et Matière, est reprise par le Palladisme, c’est-à-dire par le démon, qui, au moyen d’une explication nouvelle, aussi fausse que celle du système athée, établit le prétendu rôle des deux Principes éternels ; le dogme mensonger de la divinité double est ainsi édifié — ce qui ne laisse pas d’être curieux et bien caractéristique — sur le mensonge de l’athéisme matérialiste.

D’autre part, Adonaï est le génie de l’eau, Lucifer est le génie du feu, dit encore le livre sept fois sacré des palladistes. On retrouve cette énormité dans un symbole bien connu du magisme : le Jéhovah blanc et le Jéhovah noir. Adonaï, le Jéhovah à tête noire, à corps noir, mais à vêtements blancs, est en position renversée, la tête en bas, plongeant dans l’eau ; au contraire, Lucifer, le Jéhovah à tête blanche, à corps blanc, est au-dessus de l’eau, dans l’éther ; on lui donne, dans les peintures et dessins symboliques, un vêtement noir, pour indiquer que son adversaire Adonaï l’a calomnié, l’a noirci dans l’esprit des peuples abusés, en faisant croire qu’il est, lui Lucifer, un diable (voir la reproduction du tableau du F∴ Macdonald Bates, 1er  volume, page 331).

De même que le paradis luciférien est le royaume du feu, de même le paradis adonaïte est le royaume de l’eau, le gouffre liquide, l’abîme de l’éternelle humidité ; c’est le paradis inférieur ; les palladistes emploient même ce terme : « le ciel infernal ». Le mot enfer, appliqué par les catholiques au domaine de Lucifer, est repoussé par eux comme expression calomnieuse. Le royaume de Satan est le vrai ciel, le vrai paradis divin.

Aussi, d’après le livre Apadno, la puissance d’Adonaï n’a pas pu aller plus loin que l’organisation du monde aquatique. Les poissons, animaux stupides, sont l’œuvre d’Adonaï. Voyez l’huître, disent les conférenciers palladistes, voyez l’huître, cet animal incomplet ; elle est la démonstration éclatante de l’infériorité d’Adonaï. Par contre, Lucifer, lui aussi, a pu organiser, sur notre terre, en transformant la matière vile ; mais l’intelligence brille chez les animaux qui sont son œuvre : aigle, coq, serpent, chat, chien, éléphant, cheval, singe, etc. Jusqu’à la formation du premier homme, le singe était, en tant qu’animal terrestre, le chef-d’œuvre de Lucifer.

Un jour donc, Adonaï passait en revue ses chefs-d’œuvre, à lui. Il avait produit les maléachs, mais dans le domaine de l’immensité, en dehors de notre planète ; et, pour produire les maléachs, il lui avait fallu recourir à la ruse, dérober du feu à Lucifer. Sur la terre, ses chefs-d’œuvre étaient pitoyables. Il était obligé de s’avouer que sa puissance était inférieure à celle de son rival.

Il pleurait de colère, de rage, ne pouvant tirer aucune idée de sa pensée méchante.

Soudain, il aperçut trois esprits du feu, qui venaient à lui. L’un était Mikaël, le généralissime des armées de Lucifer, le plus beau des génies de lumière après le Dieu-Bon ; les deux autres étaient Gabriel et Raphaël, qui avaient occupé jusqu’alors à eux deux le troisième rang dans la hiérarchie céleste, venant immédiatement après Astaroth, Astarté et Moloch. Le généralissime Mikaël avait entrainé avec lui Gabriel, Raphaël et quelques autres génies de lumière, mécontents de leur place dans la hiérarchie ; mais ils avaient vainement tenté de détrôner Lucifer et de lui substituer l’ambitieux Mikaël. Un esprit du feu, auparavant de moindre importance, Baal-Zéboub, avait déjoué le complot, en le faisant connaître aux trois princes ayant le deuxième rang (Astaroth, Astarté et Moloch) ; et Baal-Zéboub, d’une vaillance sans pareille, secondé par deux génies alors inférieurs, Hermès et Ariel, avait remporté un éclatant triomphe contre les révoltés. C’est pourquoi Lucifer avait expulsé ceux-ci de son ciel : Baal-Zéboub, en récompense de son dévouement victorieux, avait reçu la place de Mikaël, et Hermès et Ariel, celles de Gabriel et Raphaël. Les rois principaux des expulsés du ciel venaient ainsi offrir leurs services à Adonaï.

— Dieu du Mal, dit Mikaël prenant la parole, nous avons la haine du Bien. Place-nous à la tête de tes maléachs, et nous accomplirons de grandes choses.

Adonaï, arrêtant ses larmes, répondit :

— Le plus intelligent des animaux qui sont mon œuvre sur la Terre, c’est le crocodile. Je voudrais produire un animal supérieur.

— Ne songe pas qu’à la Terre, ô Adonaï, répliqua Mikaël ; la Terre n’est qu’un point dans l’espace. Vois quelles sont les forces dont tu disposes ; réunis tous tes maléachs autour de toi, et engageons un terrible combat pour détruire Lucifer.

Mais Adonaï s’obstinait à vouloir former sur la Terre un animal supérieur à tous les autres.

— Eh bien, insinua Gabriel, prends de la terre, mêles-y de l’eau de ton divin royaume, et avec cela pétris un être animé à l’image du singe et supérieur au singe.

— Oui, appuyèrent Mikaël et Raphaël, produis, ô Adonaï, un animal terrestre et supérieur au singe.

Adonaï jugea bonne l’idée qui venait de lui être suggérée par les trois esprits du feu révoltés, et il voulut aussitôt la mettre à exécution.

Tous les quatre, ils descendirent sur notre planète. Mikaël et ses deux acolytes ramassèrent de cette matière qui forme le sol et la présentèrent au Dieu-Mauvais. Celui-ci l’humecta de son propre principe humide, et la masse de terre devint un bloc pétrissable. Adonaï se mit à l’œuvre ; comme un sculpteur, il modela un singe d’argile. Puis, il s’agit de l’animer : Adonaï souffla dans la bouche de sa statue de terre et contempla son ouvrage. L’être nouveau se mouvait, en effet, mais lourdement, marchant à quatre pattes, mangeant de l’herbe, faisant entendre des grognements de bête stupide.

Le Dieu-Mauvais n’était pas satisfait. Il souffla une deuxième fois dans la bouche de l’animal grotesque ; celui-ci hurla, exécuta des cabrioles, mais ne put parvenir à se tenir debout ; à chaque saut, il retombait par terre, bavant une salive verdâtre, se traînant sur les genoux, et il grognait de plus belle, regardant son auteur d’un œil glauque et terne.

Une troisième fois, Adonaï lui souffla dans la bouche, et de toute son énergie. La contrefaçon du singe de Lucifer marcha sur les mains, tenant les jambes en l’air, pour choir bientôt encore ; et, multipliant ses grognements, maintenant cet être absurde et infect se repaissait de la fiente des autres animaux. Finalement, il s’allongea dans une petite mare qui était là, bourbeuse et fétide : il se vautrait avec complaisance dans la vase et les immondices ; c’était là son seul plaisir ; créature de boue, il retournait à la boue.

— Allons ! c’en est assez, dit Adonaï ; cet être me plaît ainsi, pour l’existence qu’il aura à vivre sur Terre ; mais j’aurais aimé pouvoir lui donner tout au moins la malice d’un de mes maléachs… Cet animal se nommera Adam. Il est insexuel, ainsi que les génies de mon royaume ; il demeurera donc le seul de son espèce. Qu’il soit heureux dans les boues de la Terre ; je lui octroie l’immortalité !

Et le Dieu-Mauvais regagna les régions de son domaine, accompagné de Mikaël, Gabriel et Raphaël, afin de se concerter là avec eux pour régler les nouvelles conditions de la guerre contre Lucifer. Les autres esprits du feu qui s’étaient révoltés furent admis dans le conseil.

Sur terre, l’Adam adonaïte continuait à se vautrer au milieu de la fange. Les autres animaux terrestres vinrent à tour de rôle regarder ce nouveau compagnon. Les lions en avaient pitié ; les chats s’en éloignaient avec méfiance ; un éléphant, le saisissant avec sa trompe, le sortit de la mare, et, par bonté instinctive, essaya de le laver avec l’onde claire et limpide d’une source voisine. L’Adam adonaïte grogna contre l’éléphant, grogna contre les chats et contre tous les animaux formés par Lucifer, et se replongea dans sa vase grouillante. Assis ou suspendus dans les branches des arbres qui entouraient l’endroit, les singes, joyeux, se moquaient de l’être stupide, et les oiseaux avaient, dans les notes de leur chant, comme des éclats de rire.

Soudain, les fleurs ouvrirent partout leur calice ; les boutons de rose, faisant éclater leur corsage vert, s’épanouirent, fraîches, splendides de couleur, et embaumant les airs. Le Dieu-Bon venait de paraître, et la belle nature lui faisait fête, tandis que les crocodiles, les poissons, et tous les animaux qui sont dépourvus de l’ombre même de l’intelligence s’enfuyaient.

L’Adam adonaïte, épouvanté, se cachait au fond de la boue. Lucifer l’en retira. À ce seul contact, toute la saleté dont il avait fait jusqu’alors son élément s’anéantit ; la masculinité saillit en sa chair auparavant visqueuse, là où l’Excelsior l’avait saisi, lui donnant un sexe par la seule étreinte de sa main divine ; et le Dieu-Bon, enfin, le plantant droit dans la posture qui est devenu l’apanage de l’homme, lui posa l’index sur le front, en disant :

— Infortuné, tu vivais dans le sommeil de l’inconscience et de la stupidité ; que la lumière se fasse dans les ténèbres de ton cerveau ! Reçois en toi cette infime étincelle de l’éternel feu de Lucifer ; c’est pour toi l’intelligence et le verbe ; de brute que tu étais, je te transforme en être raisonnant et parlant, je te fais le plus intelligent des habitants de cette planète… Ton existence vile et inféconde n’était pas la vraie vie, la vie selon la nature belle et parfaite. Eh bien, la vraie vie, je te la donne encore… Regarde, sois heureux, et bénis-moi.

Alors, descendirent du ciel Baal-Zéboub, Astaroth et Astarté, qui, en une seconde, moissonnèrent les plus belles fleurs de la terre et les déposèrent aux pieds de l’Adam transformé, émerveillé. De même que Mikäël, Gabriel et Raphaël avaient formé un amas d’humus pour être pétri par Adonaï, de même les trois hauts génies de lumière formèrent un monceau de toutes les richesses de la flore terrestre : et cette chose, Lucifer la pétrit à son tour, l’anima par un de ses sourires, et la femme fut faite, la rose ayant fourni l’incarnat de ses joues, et le lys la blancheur de son sein.

Toute la belle et bonne nature était à présent dans la joie, saluant la femme comme sa reine immortelle.

— Quel nom donnes-tu à la femme, Dieu Tout-Puissant ? demanda Astarté.

— Je la nomme Ève ; car c’est par elle qu’Adam entre dans la vraie vie.

Le Dieu-Bon et les trois hauts génies de lumière s’élevèrent à travers l’espace ; l’humanité n’avait plus dès lors qu’à vivre et se multiplier dans le bonheur ; et les deux premiers humains, ravis et reconnaissants envers Lucifer, s’endormirent sur le frais gazon dans les bras l’un de l’autre, au doux murmure du roucoulement des colombes.

Il n’y a pas lieu de donner ici la suite de la légende palladique, c’est-à-dire la rentrée en scène d’Adonaï humilié, qui jure de se venger, jette un charme maudit sur le premier couple humain, dans le but de laisser l’humanité à jamais réduite à Adam et Ève ; je passe cela, et le reste. Ce que je voulais, c’était seulement faire connaître comment le livre Apadno travestit la Bible sur le fait de la création, dont nous avons à nous occuper dans ce chapitre.

Créer est interdit à Satan ; voilà pourquoi il s’attribue une part dans les origines surnaturelles de l’humanité, en imaginant ce conte ridicule que les triples fous du Palladisme rêvent d’imposer un jour comme dogme à tous les peuples de la terre. Mais, en attendant que la religion secrète sorte des triangles [1], les nouveaux alchimistes, les chimistes lucifériens cherchent à créer, eux aussi, et Satan, le suprême dupeur, les encourage, en leur promettant son assistance.

Il leur a expliqué que c’est en se prenant à lui-même une étincelle de ce feu éternel dont il est le principe, la quintessence, qu’il a animé par elle l’œuvre imparfaite d’Adonaï et qu’il est ainsi le véritable auteur de l’homo sapiens. Il leur a dit la rancune qu’Adonaï lui à vouée à la suite de cet abaissement de son orgueil et de quelle haine implacable ce Dieu-Mauvais poursuit l’humanité, à coups de maladies, de fléaux, de persécutions de toutes sortes.

Aujourd’hui, Satan veut montrer à l’homme, c’est-à-dire au palladiste, que la Bible ment et que c’est le livre Apadno qui dit vrai. Il prétend le prouver en déléguant à ses adeptes de premier choix ce soi-disant pouvoir qu’il possède de former et animer l’être humain, destiné à vivre et à se développer, et cela sans gestation ni parturition ; mais il exige que son élu travaille, dans son laboratoire. Pensez donc ! si l’homme n’avait, à son tour, qu’à créer sans aucun effort d’intelligence, et par la seule permission de messire Satanas, ce serait beaucoup trop simple !

Aussi, le malin a dit au docteur palladiste : « Je t’inspirerai de ma science divine ; tu seras l’auteur de l’homunculus, afin de te démontrer à toi-même qu’il n’est pas besoin d’Adonaï pour produire l’être humain, animé et intelligent. Travaille, et je t’aiderai. »

Or, pour créer à la manière palladique, il faut une matière, matière inanimée qui doit devenir vivante. Et puisqu’Adonaï a dérobé à Lucifer de son feu pour produire les maléachs, anges du mal, pourquoi Lucifer se ferait-il un scrupule de dérober à son rival un peu de cette matière à laquelle celui-ci préside ? Ce scrupule, Satan affirme qu’il ne l’a pas eu, et voilà pourquoi et comment il a remis aux Hoffmann et tutti quanti on ne sait quelle chose innommable, une prétendue matière apportée d’une planète quelconque ; de Saturne, disent quelques-uns.

L’homunculus recherché aujourd’hui n’est pas précisément ce que la sorcellerie du moyen-âge désignait sous ce nom ; mais il est bon de dire un mot de ces homuncules-là, ne serait-ce que pour mieux constater la défaite de Satan, plus complète de nos jours sur ce point qu’autrefois.

Alors, les magiciens parvenaient à obtenir quelque chose, ou, pour mieux dire, le diable leur donnait une illusion, que Dieu tolérait. Sous ce rapport, l’ouvrage de Paracelse, Archidoxorum Libri Decem (deux volumes in-4o, imprimés à Genève, en 1658), en apporte un témoignage, malgré toute la discrétion de l’auteur, démoniaque pactisant. Paracelse a écrit là une partie de la recette dont il assure avoir eu bon succès ; mais ce qu’il dit au sujet des éléments employés dans le principe de l’opération ne peut être reproduit dans une publication comme celle-ci. Pour la première partie de l’œuvre occulte, il faut tel alambic, et cela dure quarante jours. La suite de l’explication peut être reproduite. « Au bout des quarante jours, écrit Paracelse, vous verrez se mouvoir dans le récipient une petite forme humaine, parfaitement distincte, mais presque sans substance. Si vous nourrissez cet embryon avec un peu de sang humain, en ayant soin de le maintenir, pendant quarante semaines, à une température équivalente à la chaleur d’un ventre de cheval, vous verrez s’achever la création d’un véritable enfant mais infiniment petit. C’est ce que nous appelons l’homunculus, le petit homme. L’art qui lui a donné la vie, et qui sait entretenir cette vie, en fait une des plus singulières merveilles de la science humaine unie au pouvoir de Dieu. Ce petit être est doué d’intelligence, et sa naissance mystérieuse lui vaut la faculté de pénétrer et de nous communiquer le secret des choses les plus cachées. » Les sorciers d’alors, qui réussissaient à avoir un homuncule, le conservaient dans un bocal, et, chaque matin, l’arrosaient de vin et d’eau de rose. Il n’est pas besoin d’être un grand clerc, pour comprendre que l’homuncule de Paracelse était tout bonnement un diable à qui Satan confiait le soin de jouer cette comédie, et le magicien s’imaginait avoir créé une miniature de l’être humain !

Mais, depuis cette époque-là, le prince des ténèbres, inaugurant une nouvelle campagne, a fondé le Palladisme, a renouvelé la vieille théurgie ; il a donné à Albert Pike le livre Apadno, ce monstrueux assemblage des mensonges les plus cyniques, et il prétend, sur des dogmes de sa façon, organiser une religion essentiellement luciférienne, destinée à conquérir le monde. Alors, oui, il a posé comme dogme qu’il est, lui, le vrai facteur de l’univers, le véritable père de l’humanité. Mais alors aussi Dieu n’a plus voulu tolérer le prestige rapporté par Paracelse, et, encore une fois, Satan a été et reste vaincu.

En vain, les chimistes du Palladium s’ingénient à des combinaisons plus extravagantes et plus sacrilèges les unes que les autres ; leur résultat est nul ou presque nul.

Il est impossible de dire sans voiles dans cette publication en quoi consistent ces expériences, devant lesquelles des hommes — des hommes créés par Dieu ! — n’ont pas reculé ; néanmoins, je dois me faire comprendre en quelques mots, et cela se peut honnêtement.

Tels de ces docteurs affirment être parvenus, comme Pasteur pour les bactéries, à cultiver cette espèce d’infusoires dont la découverte est due à l’allemand Ham, et tout aussi bien des vésicules de Coste. Mais ce n’est pas tout que de mettre le vibrion de Ham en contact avec l’ovule, en s’affranchissant des lois naturelles établies par Dieu ; il faut, pour cette génération contre nature, un milieu propice, et c’est cette matière innommable que Satan apporte à ces chercheurs insensés, qui, dans le nouveau grand-œuvre, remplit la fonction de l’utérus. Cette matière, qui est gélatineuse et transparente, a la forme d’un disque convexe à sa partie supérieure et concave inférieurement ; elle est à peu près aussi grosse qu’une noix ; toutes proportions à part, je ne saurais mieux comparer cette chose qu’à un acalèphe, du genre de ces méduses que l’on trouve souvent échouées à marée basse sur le sable de nos côtes maritimes ; on dirait donc une petite méduse, mais sans les tentacules.

C’est dans cette petite poche, de matière inconnue, que l’on verse d’abord une parcelle minuscule d’hostie consacrée pulvérisée, puis telles cellules granuleuses, qui ont été obtenues, conservées et cultivées par des moyens souvent criminels, toujours répugnants ; après quoi, grâce à une petite seringue, on projette le liquide contenant les infusoires, également cultivés, soigneusement entretenus depuis sept jours au moins à la température de la chaleur normale du sang humain. On assure que les vibrions de Ham, doués de la meilleure vitalité sont ceux provenant d’un homme mort violemment (exception pour le cas de mort par un coup de foudre) ; tels seraient ceux d’un suicidé ou assassiné par une balle de revolver dans la cervelle, ou encore mieux ceux d’un guillotiné.

La poche gélatineuse et transparente est alors refermée. Avec un microscope, on voit, au travers de la matière enveloppante, les vibrions s’attacher aux ovules, les entourer comme un serpent serrant dans ses anneaux une sphère, puis pénétrer, la tête première, à leur intérieur, comme pour s’y faire absorber ; et, en effet, ils s’effacent bientôt en quelque sorte ; les éléments organiques se mêlent ; le contenu de la poche gélatineuse devient trouble, granuleux, puis homogène. La prétendue fécondation, la génération diabolique de l’Homunculus est faite.

Que se passe-t-il ensuite ?… Le chimiste luciférien, au bout d’un temps fixé, ouvrira-t-il d’un coup de bistouri la petite poche gélatineuse, ce qui serait l’opération césarienne de l’occultisme ? et va-t-il trouver là le nouveau-né magique et minuscule que sa science infernale a voulu produire ? Non, ce n’est point cela qui arrive. C’est ce bloc de matière innommable, qui, travaillé à l’intérieur par une vivification factice, se transforme et paraît devenir une substance vivante. Cette substance amorphe, cette sorte de gelée transparente, qui semble albumineuse maintenant, est contractile et se parsème de granulations, gisant au fond du récipient, maintenu dans une espèce de couveuse artificielle. Cette chose sans nom, qui semble vivre d’une vie fœtale, pousse quatre prolongements, comme quatre pattes : mais c’est tout.

Le plus beau résultat obtenu a été un homuncule de cette espèce, à Leipzig, lequel se mouvait, ainsi qu’un animal lent, mal venu ; ses prolongements lui servaient d’organes de locomotion, tout en fonctionnant comme organes de succion, aspirant les gouttelettes de sang dont le chimiste luciférien humectait son bocal.

Malgré l’aide promise par Satan à ses chimistes, voilà tout ce qu’ils ont pu produire ; jamais un prolongement de cette substance pseudo-vivante n’a pris l’aspect d’une tête ; jamais la chose n’a augmenté de volume ; et toujours, en moins d’une semaine, cela a dépéri, après quelques mouvements inexplicables, et cela s’est fondu, dissous.

La science occulte luciférienne n’a donc pas lieu d’être fière. Il est vrai qu’elle ne se tient pas pour battue. C’est un premier résultat, me disait Hoffmann, et il est considérable !… Selon l’usage palladiste, il mettait l’insuccès sur le compte des maléachs. Il y a encore lutte entre Lucifer et Adonaï, pense-t-il, et c’est celui-ci qui empêche les têtes de pousser aux homuncules des laboratoires de haute-magie ; mais Lucifer finira bien par avoir le dessus.

Eh ! oui, aveugles incurables, c’est le Dieu des chrétiens, le seul vrai Dieu, qui a dit à Satan, essayant de ce nouveau prestige : « Assez ! prince de l’orgueil et du mensonge, tu n’iras pas plus loin ! » Mais vous pouvez recourir à d’autres expériences encore, vos efforts seront impuissants. Dieu seul peut créer, Dieu seul a fixé les lois naturelles de la génération humaine ; et Satan ne peut rien y changer, encore moins il ne saurait créer, car il n’est pas Dieu.


Telle est la haute magie blanche contemporaine, la théurgie nouvelle, la Ré-Théurgie Optimate. On voit que le Palladisme est bien, plus que tout autre occultisme, la religion luciférienne dans son essence et dans son culte ; et l’on comprend facilement quel grand besoin de mystère il a. Le monde n’est pas prêt à recevoir la lumière des triangles.

Longtemps encore ce culte si étonnamment organisé devra rester enfoui dans ses antres ; espérons que Dieu ne lui permettra pas d’en sortir, supplions-le d’épargner à l’humanité un tel malheur. L’heure de la ruine sonnerait bientôt, l’heure des grandes et terribles catastrophes, pour le peuple dont le gouvernement admettrait le luciférianisme au nombre des religions reconnues.

Quoi de plus dissolvant, en effet, qu’un système qui transforme, dans l’esprit de ses partisans, le diable en Dieu et l’enfer en paradis ? et quels crimes pourraient davantage attirer le châtiment du ciel sur une nation, que l’adoption d’une croyance infernale basée sur des œuvres d’infâme sorcellerie, sur des sacrilèges permanents, sur l’évocation quotidienne des démons, et aboutissant, comme science, au protoplasma diabolique.

  1. Si je suis bien renseigné, il s’est formé depuis quelque temps, dans les nouveaux groupes lucifériens indépendants, un courant favorable à la divulgation des doctrines du Palladisme. En janvier 1895, on a agité à Londres la grosse question : ne serait-il pas temps d’entrer dans la voie de la propagande publique ? Certains croient que cette propagande serait plus efficace que le recrutement pratiqué dans les loges maçonniques. Si une suite était donnée à ces desseins, nous verrions donc bientôt le luciférianisme pur professé catégoriquement et enseigné sans aucun voile. L’Angleterre, qui inonde le monde de bibles protestantes, est-elle destinée, en outre, à faire à présent la distribution générale des tracts lucifériens projetés ?