Le Diable au XIXe siècle/XXX

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Docteur Bataille ()
Delhomme et Briguet (tome 2p. 230-349).

SEPTIÈME PARTIE


PRATIQUES DIVERSES DE L’OCCULTISME




CHAPITRE XXX

Principales superstitions et maléfices les plus usités




Avant d’entrer dans le détail des différentes espèces de maléfices ou de sortilèges, il me faut dire en quelques mots ce que l’on entend par ces termes généraux, qui s’appliquent à tant de pratiques diverses.

S’il y a un fait reconnu en démonologie, c’est que le diable n’intervient et ne peut intervenir dans les choses humaines que pour procurer ou produire le mal, alors même qu’il semble avoir quelque bien particulier pour objet ; c’est ainsi, comme nous l’avons vu, que le spiritisme ne se targue de prouver l’immortalité de l’âme que pour arriver plus sûrement à détruire dans les âmes la foi aux dogmes catholiques sur les destinées de l’homme dans l’autre monde. Mal physique, mais surtout mal moral ou péché, tel est l’unique but de l’action diabolique. Tout dommage ou résultat mauvais produit par cette action s’appelle un maléfice. L’action par laquelle le magicien ou sorcier réalise le dommage voulu est désignée sous le nom de sortilège ; elle communique à la personne ou à l’objet maléficié un état particulier qualifié d’ensorcellement.

Le maléfice peut s’opérer à distance et par une influence purement spirituelle ; ou bien par une action immédiate et avec l’intervention d’une substance matérielle.

Tantôt le sorcier ou maléficier (maleficus) se contente d’un geste ou même d’un simple regard comme dans le cas du mauvais œil ou jettatura, si commun encore aujourd’hui, surtout en Italie. Tantôt il emploie certaines matières ou substances mystérieuses, vapeurs ou poudres, généralement mêlées à une boisson, ayant une action occulte, dont l’effet n’a aucun rapport avec les propriétés naturelles des substances mises en œuvre. Ces effets sont de plusieurs sortes : tantôt ces objets, employés dans le maléfice, agissent d’une façon bizarre sur les fonctions du système nerveux ; tantôt ils influent directement sur l’intelligence et la volonté, et enlèvent au maléficié sa conscience avec le sentiment de sa personnalité.

Les maléfices peuvent atteindre non seulement l’homme, mais les animaux et les objets inanimés eux-mêmes.

L’observation des faits qualifiés de maléfices ou de sortilèges remonte à la plus haute antiquité. Arrêtons-nous à Platon. Quand ce grand philosophe voulut donner des lois à sa République idéale, il dut s’occuper de ces phénomènes extraordinaires, afin d’établir ce que ces Lois devaient statuer touchant ceux qui en étaient les auteurs ; le maléfice devait-il être considéré comme un crime punissable par les lois ? Voici la réponse de Platon (Lois, livre xi, traduction de M. Cousin) :

« Il y a parmi les hommes deux espèces de maléfices dont la distinction est assez embarrassante. L’une est celle que je viens d’exposer nettement, lorsque le corps nuit au corps par les moyens naturels. L’autre, au moyen de certains prestiges, d’enchantements et de ce qu’on appelle ligatures, persuade à ceux qui entreprennent de faire du mal aux autres qu’ils peuvent leur en faire par là, et à ceux-ci qu’en employant ces sortes de maléfices on leur nuit réellement. Il est bien difficile de savoir au juste ce qu’il y a de vrai en cela ; et quand on le saurait, il ne serait pas aisé de convaincre les autres. Il est même inutile d’entreprendre de prouver à certains esprits fortement prévenus qu’ils ne doivent pas s’inquiéter de petites figures de cire qu’on aurait mises ou à leur porte, ou dans les carrefours, ou sur le tombeau de leurs ancêtres, et de les exhorter à les mépriser, parce qu’ils ont une foi confuse à la vérité de ces maléfices. Celui qui se sert de charmes, d’enchantements et de tous autres maléfices de cette nature à dessein de nuire par de tels prestiges, s’il est devin ou versé dans l’art d’observer les prodiges, qu’il meure ! Si, n’ayant aucune connaissance de ces arts, il est convaincu d’avoir usé de maléfices, le tribunal décidera de ce qu’il doit souffrir dans sa personne ou dans ses biens. »

Quelle que soit l’opinion personnelle de Platon sur la réalité des maléfices, ce passage prouve que la plupart des maléfices observés depuis par les démonologues étaient pratiqués de son temps autour de lui, que les fameuses sorcières de Thessalie avaient fait école jusque dans l’Attique, et que ces pratiques lui paraissaient assez dangereuses pour préoccuper un homme d’État et devenir l’objet d’une législation pénale toute spéciale. La loi qu’il portait contre les auteurs de maléfices relevant de l’art des devins ou de la magie, était celle même que nous trouvons décrétée dans l’Exode et le Deutéronome :

« Vous ne souffrirez point ceux qui jettent des maléfices, ils méritent la mort. » (Exode, xxii, 18.)

« Que personne parmi vous ne consulte les devins… ne pratique de maléfice ni d’enchantement… Car le Seigneur déteste toutes ces choses, et c’est pour de tels crimes qu’il anéantira ces peuples (les idolâtres) devant toi. » (Deutér., xviii, 9-12.)

L’Église de Jésus-Christ a repris pour son compte les anathèmes de l’Ancien Testament, et a condamné par la voix de ses Papes, de ses évêques, de ses jurisconsultes, par celle de ses Pères et de ses Conciles, tout usage du sortilège, comme étant indubitablement œuvre démoniaque et satanique. La législation civile a de tout temps, sur ce point, concordé avec le droit canonique, et a poursuivi des châtiments les plus sévères, de la mort même, les auteurs de maléfices, — du moins, jusqu’à la Révolution.

Cet accord unanime de la tradition religieuse et des lois civiles n’a pas empêché les esprits forts et les matérialistes de notre siècle de ne voir dans ces phénomènes si manifestement diaboliques qu’une superstition sans fondement, et dans les personnes atteintes de maléfices que des maniaques ou des fous.

Sans doute, comme cela a été établi pour les obsessions et les possessions, il y a aussi des cas de maléfice apparent qui peuvent s’expliquer par des causes naturelles et rentrer dans la manie ou la folie. La terreur qu’inspire à des imaginations faibles l’appréhension de l’ensorcellement, des menaces faites dans un but de supercherie, peuvent engendre des hallucinations, le délire lypémanique. Le docteur Calixte Cavalier, dans son étude médico-psychologique sur la Croyance aux sortilèges, a décrit minutieusement quelques-uns de ces cas, par exemple : celui d’une femme Legrand, accusée d’avoir mis le feu à la maison qu’elle habitait, sous prétexte qu’elle était ensorcelée par les voisins, et qui fut enfermée comme folle ; ou celui d’une Clotilde St… convaincue qu’une sorcière l’a prise depuis sa jeunesse sous sa protection, et qu’elle n’a qu’à l’appeler pour qu’elle vienne à son secours contre ses ennemis. Mais ces cas n’ont rien de commun ans ceux que nous fournit l’histoire et que nous allons exposer ; on ne saurait, sans abjurer toute raison, attribuer ceux-ci à des causes naturelles ou à des dispositions morbides. Toutes les objections et tous les sophismes de nos philosophes ou médecins naturalistes tombent devant les faits, et saint Thomas d’Aquin les a depuis longtemps réfutés quand il a dit :

« Quelques-uns disent que le maléfice n’est que dans l’imagination, et qu’on traite de maléfices des effets très naturels, dont les causes sont occultes. L’Église nous atteste la grande puissance des démons sur les corps et sur l’imagination de l’homme, quand Dieu le permet ; c’est de là que viennent les prodiges des magiciens. Cette opinion que les maléfices sont naturels a pour origine le manque de foi et l’incrédulité ; car les impies croient que les démons n’existent que dans les opinions du vulgaire, qui leur impute ses frayeurs imaginaires. »

Les différents faits de sortilège ou maléfice, ayant le caractère vraiment diabolique, peuvent se rapporter à l’un de ces cinq chefs que nous allons successivement examiner :

1° Fascination, miroirs magiques. — 2° Envoûtements. — 3° Charmes et philtres. — 4° Sorts. — 5° Talismans et amulettes.

A. — FASCINATION : MIROIRS MAGIQUES

La fascination consiste à ensorceler par une espèce de charme ou d’enchantement, analogue à celui qu’exercent certains animaux, le serpent, par exemple, sur les oiseaux qu’il attire pour les dévorer. Cette puissance peut se comparer à celle qu’exerce l’hypnotiseur sur son sujet.

La fascination peut s’exercer au moyen de divers sens, tels que le regard, le toucher, la parole, ou par l’intermédiaire d’objets inanimés, le miroir, par exemple, une nappe d’eau, un baquet ou une carafe, etc. Dans tous ces cas, que le charme vienne de l’amour ou de la haine, il est doué d’une telle puissance que celui qui la ressent ne peut s’y soustraire et demeure subjugué. « La fascination, dit Cornélius Agrippa, est une ligature (ligatio) qui, de l’esprit de celui qui fascine, parvient par l’œil du fasciné au cœur de ce dernier. » Les anciens démonographes considéraient le fascinum comme une espèce de substance vénéneuse s’exhalant sous forme de vapeur des yeux du fascinateur et pénétrant dans les yeux du fasciné, pour modifier toute sa nature corporelle et spirituelle ; mais la fascination n’est, en réalité, pas si compliquée que cela.

Le mot de fascination, employé dans ce sens général, comme synonyme de charme, enchantement, s’applique à toutes sortes de maléfices ; on dit indifféremment fasciner, enchanter, ensorceler, jeter un sort. Je ne veux le considérer ici que dans son sens propre et restreint, c’est-à-dire lorsque la fascination s’exerce directement par le regard, ou par l’intermédiaire d’un objet produisant sur le fasciné le même effet que le regard ; tels sont surtout les miroirs magiques.


Fascination directe par le regard. — L’œil étant naturellement l’organe le plus éloquent des sentiments et des émotions de l’homme, il va de soi que le démon emprunte volontiers ce sens pour accomplir ses maléfices ; nous pouvons nous faire une idée de ce que peut un simple regard doué de toute la puissance démoniaque, d’après l’influence naturelle qu’il exerce sur les hommes et les animaux dans les circonstances ordinaires de la vie. Nous connaissons l’influence d’un regard animé par la colère ou l’amour, la flamme qui d’un œil passe dans un autre œil, pour circuler de là dans les veines et jusqu’au cœur ; nous sommes chaque jour témoins de l’influence du regard du dompteur sur la bête farouche, qu’il subjugue ; que ne pourra ce même œil, quand Satan lui aura prêté toute son astuce, toute sa force et toute sa malice !… Aussi, dit-on généralement des sorciers qu’ils ont le mauvais œil ; les Irlandais appellent les sorciers Eye bitters, « ceux qui mordent avec l’œil. »

Quelques psychologues et physiologistes sont allés jusqu’à soutenir que la nature a pu donner à quelques-uns le pouvoir de faire mourir par là vue. Mais ceci est de la haute fantaisie, puisque Satan lui-même n’a pas le pouvoir de tuer un homme par son regard, ni autrement.

« La fascination, dit très bien Le Loyer[1], célèbre orientaliste et conseiller du présidial d’Angers, ne procède d’autre que du diable charmeur, et non de la puissance de l’âme, à qui cela n’est octroyé. Car pour y avoir des fascinations naturelles provenantes de sympathie ou antipathie, ou autres causes dont la raison s’en peut tirer de la nature, si est-ce qu’il restera ce point à examiner si aucunes fascinations qui procèdent des yeux, et desquelles on ne peut bailler raison, se font naturellement ou supernaturellement. Et je maintiens que ce qu’en disent les philosophes naturalistes pour les faire venir de la nature n’est suffisant ni décisif. Fracastor prétend qu’il y a des hommes dont les yeux ne lancent naturellement que pur venin. Qui sont ces personnes-là ? Je les leur dirai : ce sont les personnes qui ont contracté alliance avec le diable. »

C’est, du reste, la doctrine unanime de l’Écriture sainte et des Pères.

« La fascination, dit la Sagesse, iv, 12, ternit les choses bonnes. » — « Ce qui souille l’homme, c’est ce qui sort de l’homme ; car c’est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les homicides, les méchancetés, l’œil mauvais. » (Saint Marc, vii, 20, 22.) — « À ce vice de fascination, dit saint Jérôme, les diables coopèrent et aident le fascinateur. »

Du reste, tous les personnages compétents qui ont étudié cette question sont d’accord pour reconnaître qu’on ne saurait attribuer à une cause naturelle les phénomènes de fascination qui, par leur étrangeté, leur malice particulière, ou le mal profond qu’ils causent, dépassent évidemment les forces de la nature. S’il y a eu, comme cela est rapporté par des historiens, des familles entières en Afrique, en Italie, en Styrie et ailleurs qui faisaient état de nuire par leur regard, qui peut douter que ces gens-là ne fussent de vrais sorciers, dans l’œil de qui passaient les flammes mêmes de l’enfer ?

Les maléfices attribués au mauvais œil des sorciers remontent à la plus haute antiquité. On les rencontre chez les Chaldéens, au septième siècle avant Jésus-Christ. Le savant Lenormant, dans son livre sur la Magie des Chaldéens, a traduit une longue incantation provenant de la bibliothèque du palais royal de Ninive, où, au milieu de vingt-huit formules déprécatoires, se trouve celle-ci : « La face malveillante, le mauvais œil, la bouche malveillante, la langue malveillante, la lèvre malveillante, Esprit des cieux, conjure-les ! Esprit de la Terre, conjure-les ! » Chez les Assyriens, l’œil mauvais était un dieu mauvais, le démon Sed, dont la crainte fait mal. Parmi les inscriptions égyptiennes, se rencontre assez fréquemment le nom de Stou-arban, « femme qui détourne le mauvais œil. » Car si, comme le reconnaissent tous les démonographes, la femme est particulièrement douée du mauvais œil, c’est aussi, selon eux, la femme qui sera le plus capable de conjurer le maléfice. Un hymne de l’Atharva-Véda (livre sacré de l’Inde) invoque Agni et Soma contre le mauvais œil des sorciers : « Arrache au sorcier qui s’est fait connaître l’œil droit et l’œil gauche. » On trouve dans le Rig-Véda cette recommandation à l’épouse : « N’aie pas un regard qui porte malheur, qui tue ton époux. » Dans l’Avesta (livre sacré de la Perse), Zarathustra interroge ainsi Ahura-Mazda : « Quel est celui qui te fait l’offense la plus grave ? » et Ahura-Mazda répond : « C’est le Jahi, démon de l’impureté. Par son regard, il arrête les eaux courantes les plus rapides ; il arrête le développement des brillantes plantes aux fruits dorés. » Dans la théologie persane, le regard est une des armes d’Ahriman, le mauvais esprit, dont l’œil foudroie ou voile la vache nébuleuse ou le soleil.

Depuis ces temps reculés, la croyance aux effets pernicieux et terribles du mauvais œil se retrouve chez tous les peuples et à toutes les époques de leur histoire. Les Romains adoraient le dieu Fascinus, à qui ils attribuaient le pouvoir de garantir les enfants des fascinations et des maléfices. Chez les anciens Scandinaves, la puissance de fascination des magiciens était telle que, lorsqu’on voulait en faire périr un, on lui enfermait la tête dans un sac de cuir, avant de le plonger dans la vase. En Grèce, la crainte du mauvais il règne aujourd’hui avec la même force qu’autrefois. Dans l’île de Tyne, au début d’une maladie, on prononce emathyacti, c’est-à-dire, si le malade est sous l’influence du mauvais œil. Il en est de même chez les Musulmans et presque dans tout l’Orient.

Dans plusieurs provinces de France règne encore aujourd’hui la terreur de ce sortilège. En Auvergne, de nombreux sorciers ont conservé le pouvoir d’épouvanter les montagnards du Puy-de-Dôme et du Cantal ; on connaît en Berry une sorte de jetteux de sorts, dont toute l’influence vient du regard ou du mauvais œil, au dire des bonnes femmes.

Mais il serait oiseux de retenir plus longtemps le lecteur sur cette question où les faits sont d’un contrôle si difficile. On peut admettre, en effet, que le diable se serve de l’œil d’une personne méchante pour faire du mal, sans aller jusqu’à croire que ce mode de maléfice soit en action permanente et comme une seconde nature chez l’instrument des haines sataniques ; des cas de fascination, provenant d’une cause surnaturelle, ne peuvent être et ne sont qu’accidentels. Hors de là, la jettatura est une superstition des plus absurdes. Il importait néanmoins de la mentionner, puisqu’elle est très répandue et que l’on voit souvent des bonnes gens tendre le doigt du milieu en avant, les autres doigts de la main fermés, s’imaginant que ce signe préserve de la mauvaise influence des personnes ayant le mauvais œil.


Fascination par les Miroirs Magiques. — Fasciner le regard de l’homme, c’est-à-dire créer en lui, par l’enchantement de la vue, des hallucinations merveilleuses, tel a été toujours un des principaux objets de la magie.

À cette fascination se rapportent tous les prétendus prodiges opérés par les magiciens, prodiges qui, lorsqu’ils ne sont pas dus à la supercherie ou à la prestidigitation, ne peuvent évidemment être attribués qu’à la puissance démoniaque, aussi inépuisable dans ses tours de passe-passe que dans ses phénomènes réels. J’en ai rapporté un assez grand nombre d’exemples pour me borner ici à un prestige qui se rattache directement à la fascination de la vue proprement dite : les miroirs magiques, une des fantasmagories les plus familières à l’art satanique.

L’usage du miroir magique remonte aux époques fabuleuses de la Grèce : c’est en regardant dans un miroir ou bouclier d’airain, reçu des mains d’Athéné (Minerve), que Persée coupa la tête des Gorgones, dont le regard fascinateur changeait en pierres ceux qui les regardaient. Les sorcières ou sagas de la Thessalie traçaient sur des miroirs magiques leurs formules avec du sang : la lune les réfléchissait, et la réponse s’imprimait d’elle-même sur son croissant.

Pendant tout le moyen-âge, les miroirs magiques ont joué un rôle important dans les opérations occultes. Le miroir magique inventé par Roger Bacon eut, du treizième siècle au seizième, une grande célébrité ; on le voit apparaitre sur la scène anglaise au temps même d’Élisabeth dans les pièces qui mettent en action les hauts faits de la magie anglaise. C’était un moyen de divination vulgairement employé ; et, circonstance singulière, la personne qui était appelée à y voir les apparitions révélatrices était une jeune fille de vie pure ; cette tradition s’est conservée, comme nous l’avons vu, dans les pupilles ou colombes de Cagliostro. Les esprits surnaturels qui y paraissaient répondaient aux questionneurs « d’une voix venant fortement de la gorge et ayant l’accent irlandais très prononcé. » Ces miroirs étaient ordinairement fabriqués avec les sept métaux hermétiques, et constellés de signes diaboliques ou de pantacles.

Un grand magicien anglais du seizième siècle, grand favori de la reine Élisabeth, le docteur Dée, s’entretenait familièrement avec les esprits à l’aide d’un cristal noir de forme convexe que lui avait donné le daimon Uriel ; il lui suffisait de le fixer avec attention, et, la fascination produite par un grand effort de sa volonté, il y voyait apparaitre l’esprit qu’il désirait évoquer.

M. Léon Delaborde, dans un Voyage en Orient, nous dit qu’il apprit d’un sorcier le moyen de faire voir aux enfants des apparitions magiques dans le creux de leur main à l’aide d’une espèce de vernis noir qu’y verse l’opérateur.

Durant le moyen-âge et jusqu’au seizième siècle, on se servait du miroir magique pour découvrir les voleurs : « Je puis dire, observe Le Loyer, à ce sujet, que ce n’est qu’une fascination du diable qui charme par ses prestiges les yeux de l’esprit pour voir dans le miroir ou dans son ongle l’effigie du larron. » — « J’ai vu, ajoute-t-il, un homme, lequel, par la force de charmes et de paroles, faisait venir divers spectres et images dans un miroir, lesquels, par son commandement, exprimaient en la glace, soit par écrit ou par autres démonstrations el vraies figures, tout ce qu’il voulait savoir, si clairement et manifestement qu’il était facile aux assistants de les reconnaître et discerner ; on oyait je ne sais quelles paroles sacrées qu’il prononçait. »

La carafe d’eau qu’employait Cagliostro n’était qu’une espèce de miroir de ce genre. Avec le magnétisme, les miroirs magiques sont revenus à la mode. Un des plus fervents adeptes de la magie moderne, Cahagnet, en distingue jusqu’à dix espèces différentes, qu’il a toutes expérimentées avec succès, affirme-t-il.

Miroirs Théurgiques, dans lesquels, à l’aide d’un enfant vierge, on évoque l’archange Gabriel ; on pense bien que, si un esprit paraît, ce n’est pas un ange.

Miroir des Sorciers, très connu dans les campagnes : un miroir quelconque ou un simple seau d’eau ; l’évocation est accompagnée d’une conjuration à l’esprit familier.

Miroir de Cagliostro. — Il faisait, comme les sorciers ordinaires, une conjuration mentale à son esprit familier, conjuration qui n’était connue que de lui.

Miroir Du Potet. — Un simple disque noir tracé au charbon sur le parquet Ce miroir mérite une étude spéciale ; j’y reviendrai tout à l’heure.

Miroir Swedenborgien. — J’ai déjà parlé de l’influence du fameux Swedenborg sur les doctrines du satanisme contemporain ; c’est l’esprit même de Swedenborg (?) qui a révélé à Cahagnet la préparation et la confection de son miroir. On prend une certaine quantité de mine de plomb qu’on délaie dans de l’huile d’olive, de manière à en former une pâte assez claire, qu’on expose à un feu doux, pour en faciliter la mixtion ; on verse cette pâte sur une glace ordinaire non étamée, de manière à en couvrir également toutes les parties ; on la laisse sécher quelques jours dans une position horizontale ; après quoi elle est bonne à l’usage. « Je me sers de ce miroir, dit Cahagnet, comme de tous ceux dont j’ai parlé, en me tenant derrière le consultant, et le fixant magnétiquement vers le cervelet (au-dessus de la fossette du cou) avec l’intention que le fluide que je projette sur lui par mon regard aille joindre le sien pour l’illuminer. »

Miroir Magnétique. — On donne ce nom à des globes ronds en cristal de la capacité d’un litre environ, qu’on emplit d’eau fortement magnétisée, et l’on fait regarder les sujets dedans, environ dix minutes. À défaut de ces globes, on se sert de carafes ou de verres à boire, qu’on emplit également d’eau magnétisée.

Miroir Narcotique. — Cahagnet donne ce nom à de semblables globes en cristal, mais remplis d’eau distillée de plantes narcotiques. D’après ses propres expériences, l’absorption de quelque peu que ce soit des corpuscules de ces plantes agissant sur le nerf optique, suffit pour obtenir les résultats désirés : « Je fondai sur ce système, dit-il, un espoir qui ne fut pas démenti… Je prends une forte pincée de chacune des substances suivantes, savoir : belladone, jusquiame, mandragore et fleurs de chanvre, ensuite une tête de pavot concassée et trois grammes d’opium, que je mets macérer quarante-huit heures dans une cornue en verre, de la capacité de deux litres environ, à moitié pleine de bon vin rouge, puis je mets le tout au feu sur un bain de sable à distiller ; j’obtiens dans le récipient une eau très claire dont j’emplis mon globe qui, bien bouché, me sert ainsi à faire les expériences. »

Miroir Galvanique. — Il se compose de deux disques d’égale grandeur, ajustés l’un sur l’autre, l’un de cuivre, à surface concave, l’autre de zinc, à surface convexe ; tous deux parfaitement brunis. Le magnétiseur magnétise ce miroir pendant neuf jours, ou un mois, ad libitum, deux fois par jour, dix minutes à chaque fois, en ayant soin d’appeler à son aide, s’il est spirite, un esprit dégagé de la matière. Après la magnétisation, on peut s’en servir en posant la partie convexe (zinc) dans le creux de la main gauche, puis en fixant très attentivement le centre de la partie concave (cuivre), avec un grand désir d’y voir l’objet, le lieu, ou la personne qu’on désire y voir. Ce miroir fut composé par Cahagnet, sur les indications d’un esprit dégagé de la terre. Le premier esprit qu’il y vit fut celui de Swedenborg, mais de la tête au buste seulement. Il fait fort longuement l’historique d’un de ces miroirs confectionnés par lui et envoyé à un amateur de Niort, qui avait la propriété de jeter les personnes qui le regardaient dans des convulsions diaboliques. « Il ne m’en fallut pas davantage, ajouta-t-il, pour en étudier les effets électriques, magnétiques et médicinaux ; il ne quittait presque plus de mes mains… Je n’ai jamais mieux vu que dans celui-ci. » Cahagnet nous livre la formule de conjuration ou de prière dont il fait précéder ses expériences :

« Daignez, ô mon Dieu (nous savons quel est ce Dieu) répandre sur moi (ou sur tel sujet) un rayon de votre divine lumière, afin de nous éclairer dans l’étude que nous faisons de vos saints mystères, si vous nous en trouvez digne. »

Miroirs Cabalistiques. — Ce sont des globes métalliques, faits des divers métaux admis par les philosophes hermétiques, dont j’ai parlé plus haut[2]. Ces globes doivent être magnétisés, dit Cahagnet, et il ne faut se servir de chacun d’eux que dans le temps où les planètes auxquelles ils correspondent règnent sur la nôtre :

Ainsi du globe Or, dans le signe du Lion ;

Du globe Argent, dans celui du Cancer, et ainsi de suite.

« De même aussi on s’en servira de préférence les jours qui correspondent aux sept globes du système planétaire. Le lundi, par exemple, jour de la Lune, on se servira du globe Argent, pour connaître les mystères de la création, étudier la métaphysique et méditer sur l’harmonie de la nature. La réponse de la planète à vos questions apparaîtra sur la surface du globe, en forme d’images allégoriques, ou par des caractères d’écriture traduisant textuellement la réponse à la question posée. »

À ceux chez qui la promesse d’une semblable merveille pourrait faire naître quelque incrédulité, Cahagnet fait cette réponse lumineuse :

« Ces globes sont à notre égard ce que nous sommes à celui du moucheron… Si un poil de notre barbe trouvait aujourd’hui le moyen de correspondre avec notre âme, et qu’il lui demandât : « Combien ai-je encore de temps à rester où je suis ? » Notre âme ne serait pas embarrassée de lui répondre : « Tu dois disparaître de la place où tu es, dans huit jours », si elle a l’habitude de raser son menton à cette époque. Ce que notre âme répondrait à ce poil, un globe, ou l’intelligence qui gouverne ce globe, pourrait, tout aussi bien que l’âme humaine, nous faire la même réponse dans les mêmes conditions, vu que nous sommes les poils de ces grands êtres. »

Cahagnet poursuit cette étude astrologique sur chacun des autres globes métalliques servant à ses expériences : ainsi le globe Mercure doit servir le mercredi dans toutes les questions commerciales ou d’intérêts quelconques ; le globe Cuivre, représentant Vénus, serait consulté le vendredi dans toutes les questions de liaisons amoureuses, d’unions ou de séparations, etc.

Malheureusement, Cahagnet ne nous donne pas les résultats des expériences faites à l’aide de ce miroir mirifique. Tout ce qu’il nous en apprend, c’est qu’il en a fait confectionner un pour un certain M. Denizet, sous la direction de son somnambule Ravet : « un petit chef-d’œuvre monumental, dit-il, que ce monsieur ne dédaigna pas de payer 100 francs, prix plutôt des débours que de la façon justement rétribuée. L’heureux propriétaire de ce miroir étant tombé malade, je n’ai pas encore pu savoir quels résultats il en avait obtenus. J’espère en posséder un semblable d’ici peu de temps. »

10° Miroir Ravet. — Il est composé d’un ballon à distiller, ayant la capacité d’un litre, que l’on emplit d’eau clarifiée, et au fond duquel on dépose des lamelles plates et très minces ou des fils laminés des différents métaux qui suivent : or, argent, fer, mercure, étain, cuivre et plomb. Ces lamelles ou ces fils sont posés en croix les uns sur les autres, de manière à former rosace. On y versera trois gouttes de mercure ; on magnétisera l’eau à chaque opération ; on suspendra ce globe au plafond au moyen d’un fil, puis on priera le voyant de fixer sa vue au centre.

Quant à la manière d’opérer, préférable avec tous ces miroirs différents, voici celle que recommande Cahagnet :

« Pour obtenir cette vue de l’âme, il est bon de frapper celle de la chair par une certaine gravité de préparatifs, de silence et de foi dans l’œuvre qu’on se propose de faire ; il est bon d’être seul avec le consultant, dans un cabinet éloigné de tout bruit, éclairé faiblement… L’opération commencée, on peut aller jusqu’à quinze minutes de fixité sans ardeur sur le centre du miroir. Si la vision est pour se déclarer, le voyant commencera par apercevoir un brouillard ternir ce miroir ; ce brouillard se dissipera pour faire place à un point bleu qui ira en s’élargissant et offrant au centre un autre point lumineux qui s’étend également et renferme l’esprit, la personne, le lieu ou la réponse quelconque qu’on désire obtenir. Je fais tenir le consultant debout, à une distance de deux ou trois pieds, le miroir se trouvant posé à la hauteur de sa tête ; je me tiens près ou derrière lui, l’actionnant magnétiquement vers la nuque, la racine du nez ou le trajet du grand sympathique qui se trouve dans la direction du sein gauche… J’ai obtenu de très bons effets du miroir galvanique, posé à terre, le sujet se tenant debout et fixant la partie concave (cuivre). »

Dans toutes ces expériences, il n’y a, en somme, qu’une condition essentielle : la fascination (que nos sorciers modernes appellent : magnétisation) du sujet, opérée par la fixité de son regard sur le centre du miroir. C’est là le signe magique qui détermine l’intervention du prestige de Satan et soumet le magnétisé au charme infernal. Nous avons entendu Cahagnet nous parler des convulsions produites chez quelques sujets par l’emploi du miroir galvanique. La preuve que le galvanisme n’était pour rien dans ces effets morbides, la preuve qu’il n’y a là ni électricité ni fluide, c’est que nous allons voir ces effets funestes se reproduire plus caractérisés encore et offrant tous les signes d’une véritable possession dans les phénomènes opérés par Du Potet, sans l’aide d’aucun galvanisme ou d’aucune formule cabalistique, avec un simple cercle noirci au charbon.

Du Potet, avant de nous exposer les phénomènes produits par son art magique, ne peut s’empêcher de nous avouer ses doutes sur leur cause véritable. Ils lui semblent dépasser les forces de la nature, et, d’autre part, il ne peut croire encore à l’apparition réelle des esprits ou images réelles de corps qui ne sont plus. Quelle autre cause alors reste-t-il à imaginer, sinon la puissance du Maudit, l’intervention de Satan ? La conclusion s’impose d’elle-même.

Voici les faits, tels que les expose Du Potet lui-même dans la Magie dévoilée :

Miroir magique

« J’ai tracé sur le parquet un disque avec du charbon ; ce signe n’a aucune vertu par lui-même, mais il en acquiert une fort grande, lorsqu’il est tracé dans certaine disposition d’esprit (en d’autres termes : lorsqu’il représente un pacte implicite avec le diable). Lorsque le signe magique a en puissance la propriété que vous y avez imprimée, vous n’avez plus besoin d’autre préparation. Couvrez-le jusqu’à ce que vous soyez en mesure de commencer l’expérience… N’ayez point l’intention d’agir par vous-même, cela nuirait à l’expérience et en dénaturerait les résultats. »

Du Potet savait très bien que dans tous les prodiges qui s’opéraient par lui, il n’était que l’instrument passif d’une puissance étrangère et supérieure à lui, puissance dont les effets l’étonnaient et l’effrayaient lui-même. Aussi se contente-t-il de donner des instructions sur les précautions à prendre pour prévenir les accidents terribles qui pourraient surgir de ces formidables expériences. « Préparez-vous seulement, dit-il, aux éventualités d’accidents nombreux, dont plusieurs sont à redouter. Soyez vif et prompt dans les déterminations que vous aurez à prendre, car les émotions qu’éprouvent les expérimentés font déborder leur sensibilité, et il faut que vous arriviez à temps pour les saisir et les transporter loin du signe magique… Ayez un siège bas et sans dossier, car souvent le voyant cherche à s’approcher très près du signe ; il se penche et finit par se précipiter à terre. Ayez encore un couvercle opaque pour couvrir instantanément le signe en cas de besoin ; car souvent les émotions sont si grandes, les frayeurs si terribles, que si vous ne dérobez pas à la vue l’endroit d’où partent et se montrent les images, il vous sera presque impossible de conserver votre empire sur le sujet… Ce que l’on voit dépasse de bien loin ce qui se montre dans les affections nerveuses, soit qu’elles proviennent d’une altération du cerveau ou d’un dérangement dans les fonctions de la vie organique… Moi-même, en cet instant, en livrant au public cette ébauche de science antique, qui jamais ne sortit en vain du temple, sais-je bien ce que je fais, ce qui m’attend ?… »

premier fait

« Toutes précautions prises, vous laissez aller les choses. Le voyant perd bientôt la conscience de son être ; le regard sans cesse tourné vers le centre magique, il tourbillonne emporté, soulevé par des forces inconnues, et la lumière des immortels vient pénétrer son âme… L’instant va venir où, comme la Pythie, le voyant rendra ses oracles. Il voit, mais nul ne sait encore ce qu’il aperçoit. Il pleure, car sa mère est apparue… D’abord, il n’a vu que sa face ; puis, successivement elle s’élève devant lui ; il veut sentir ses étreintes, entendre sa voix. L’ombre sourit et semble l’inviter du regard et du geste ; mais bientôt je romps la chaîne établie entre les vivants et les morts, et tout s’évanouit. Est-ce un songe, une pure vision, un rêve seulement ? Il n’importe : c’est encore mon secret. »

deuxième fait

« Pendant mon absence, deux personnes de l’assemblée, saisies, impressionnées par le signe magique, s’étaient levées avec effort d’abord, puis étaient venues d’elles-mêmes tourner autour du miroir, où, se rencontrant, elles se regardaient d’une manière singulière. Elles semblaient vouloir chacune jouir seules et sans partage de la vue des merveilleuses images visibles pour toutes deux sur la surface noircie. J’interviens, et les deux voyants deviennent pacifiques. L’un s’agenouille, approche son visage du signe magique, sa tête oscille d’une étrange manière ; on pourrait croire qu’il s’échappe une flamme invisible de ce centre mystérieux, à en juger par les mouvements de va-et-vient que le voyant exécute. Il pousse des éclats de rire étranges.

« Il voit : ce sont de petits bonshommes qui dansent une ronde, enlacés l’un à l’autre, et semblent vouloir entraîner dans leur cercle le voyant lui-même. Bientôt, en effet, celui-ci se lève, toujours en riant, et s’écrie : Mais ils sont trop petits ! Et pourtant il se met à danser, d’abord lentement ; puis, s’animant, il se livre à la danse avec une sorte de fureur, en riant toujours du même rire :

« Mais l’autre voyant, que faisait-il pendant ce temps ? Il ne riait point ; au contraire, d’un sérieux de glace, il plongeait ses yeux pleins de feu sur le signe. Saisi bientôt de mouvements convulsifs, il dit voir monter graduellement une tête hideuse ; le monstre humain s’élevant de plus en plus, le sujet est rempli de terreur, ses dents se serrent, il recule ; mais, enchaîné à l’être qui apparaît, il faut qu’il s’en approche, et on peut étudier tous les effets de la peur et de la contrainte, toutes les terreurs que pourrait causer la vue d’un spectre qui n’aurait rien d’imaginaire.


Effets du miroir magique de Du Potet : la danse infernale des nains et la tête monstrueuse.

« Ai-je bien vu ces étranges choses, en plein jour, offertes à mes regards par des gens qui n’avaient point pris d’opium ? Je le certifie, et des centaines de personnes appuieraient au besoin mon témoignage… Je puis affirmer, d’ailleurs, que ce que voient les magnétisés n’est point dans ma pensée, par la raison que mon esprit n’avait jamais pu croire, jusqu’à ce jour, aux prodiges surhumains de la magie, et que ma surprise égale celle de chacun des assistants. »

troisième fait

« Le signe magique est découvert. Bientôt, une jeune fille, qui n’a encore assisté à aucune de mes démonstrations, est prise de tiraillements dans les membres ; elle se sent attirée vers le centre magnétique, et fait d’incroyables efforts pour résister à cette attraction ; ses efforts sont vains. Elle se penche toute tremblante, frémit, pleure, rit, se lamente. La voyant fatiguée, j’approche un siège ; elle s’assied sans se retourner ni perdre de vue ce qui a frappé ses regards. Alors elle veut fuir, mais elle ne peut se tenir debout ; elle se déplace pourtant, et nous la voyons tourner rapidement sans cesser d’être assise et accroupie ; le siège (une sorte de cube solide en bois) tourne avec elle. Ce n’est point la force et l’agilité humaines qui semblent produire les mouvements, ils sont inimitables. Éloignée, elle est prise d’un rire convulsif, et, malgré l’insistance de plusieurs personnes, elle ne veut point dire ce qu’elle a vu : « Jamais, dit-elle, je ne le dirai ; c’est trop drôle. »

quatrième fait

« Je trace sur le parquet un signe magique figuré par des traits de charbon. Je place sur cette figure un jeune homme en très bonne santé, plein de doute et parfaitement éveillé. En deux minutes, la face du patient s’altère ; il éprouve, dit-il, des battements dans les tempes, des tintements d’oreilles ; ses yeux se voilent ; il a un commencement de vertige. Ses jambes commencent à fléchir, sa tête quitte la position verticale, les muscles qui la retiennent ne pouvant la maintenir. Encore un instant, et le corps va tomber comme une masse inerte. Chacun le pressent, le voit même, à un mouvement indéfinissable qui se manifeste dans l’être, mouvement que l’on aperçoit seulement à la fin d’une agonie ou à l’approche d’une syncope. Une sueur froide le couvre. C’en est fait ! l’expérimenté succombe. On soutient son corps, où il ne semble rester que la chaleur.

« Par un mouvement irrésistible, le père de cet infortuné s’approche, plein de trouble et d’émotion ; il a suivi dans tous ses degrés cette curieuse épreuve, et son cœur détruisant ses doutes, l’empêche de s’y méprendre. Je suis maître absolu de la vie de son fils ; encore un instant, et non pouvoir imitera la nature, dans son œuvre terrible ; il aura dissipé ce rayon de vie. La balle meurtrière n’est pas plus prompte dans ses effets lorsqu’elle frappe le cœur, que ne l’est dans cet instant un caractère tracé de main d’homme.

« Changeant brusquement la position de l’expérimenté, nous le soutenons sur un signe différent du premier. Petit à petit, il revient à la vie, et je renonce à décrire ici les symptômes de cette résurrection… Lecteurs, je ne me joue point de votre crédulité, mon récit n’est que trop fidèle ; et je vous assure que je ne me livrerais qu’à un autre moi-même dans semblable occurrence. »

On voit jusqu’où Satan avait poussé l’infatuation de son art chez son adepte Du Potet, au point de lui faire croire qu’il était maître d’enlever et de rendre à son gré la vie. Par ce point encore, Du Potet ressemble aux satanistes ses prédécesseurs, à Simon le magicien ou à Apollonius de Tyane, qui, eux aussi, se glorifiaient de ressusciter les morts.

Ces extraits textuels, qui viennent d’être empruntés à sa Magie dévoilée, suffisent pour démontrer quelle est la vraie source des prodiges qui remplissent ce livre, source du reste dont on ne saurait douter quand on entend Du Potet lui-même faire cet aveu candide :

« Ce que nous ont enseigné les Mesmer, les Puységur et les Deleuze, est certainement, sous d’autres noms, ce que les Écritures condamnent, et ce que les anciens prêtres de notre religion poursuivaient sans miséricorde et sans pitié. » (Journal du Magnétisme, ix, 27.)


B. — ENVOÛTEMENTS


L’envoûtement consiste proprement à faire languir ou dépérir à distance le maléficié, à l’aide d’une image à laquelle on fait subir les sévices et tortures qu’on veut infliger au patient. Il suffit à un adepte du satanisme de façonner une figurine de cire, de plomb, de terre ou de laine représentant grossièrement le personnage voué aux tourments ou à la mort. Il n’a qu’à piquer ces images avec des épingles ou à les taillader avec un poignard, pour qu’aussitôt, à quelque distance que ce soit, la personne représentée en ressente les effets dans sa propre chair. S’il expose au feu la figure de cire, à mesure que la chaleur la fait fondre, la personne représentée dépérit insensiblement, et quand la cire est fondue, meurt avec elle. Telle est, du moins, la théorie de l’envoûtement.

Il y a dans tout envoûtement deux parties essentielles : le volt (de vultus, image), et l’exécration magique.

Cette espèce de maléfice, comme tous les autres, remonte aux époques les plus lointaines de l’histoire ; il n’y a de différence que dans les rites observés chez les différents peuples qui l’ont pratiqué et le pratiquent encore. Il se trouve dans l’incantation chaldéenne que j’ai citée ; « celui qui forge l’image » y est maudit à côté de l’enchanteur et de l’œil mauvais. Le texte de Platon, qu’on a lu plus haut, ne laisse aucun doute sur l’emploi vulgaire que l’on en faisait de son temps en Grèce.

Les missionnaires l’ont retrouvé vers 1864 dans l’Amérique centrale, aux Îles Marquises et en Chine. Les rites observés aujourd’hui encore dans la province de Canton, à Kouaï-Thao, offrent une singulière analogie avec ceux dont parle Platon : ils consistent à faire mourir des personnes à distance au moyen de figurines de terre de très petite dimension (représentant ordinairement des porcs), que l’on dispose sur des tombes ou dans des maisons, après que les figurines ont reçu une sorte de bénédiction de la part des bonzes.

Un article publié en 1863 par la Revue des Deux-Mondes cite le cas d’une vieille sorcière de Bornéo, accusée d’avoir fait périr une jeune femme, « en façonnant une image de cire qu’elle exposait chaque matin devant un feu doux. À mesure que l’effigie s’en allait fondant, la femme Lia, la rivale condamnée, de plus en plus pâle, de plus en plus fiévreuse, languissait et se fondait, elle aussi. »

« Et l’histoire assez connue, dit Pierre Le Loyer, du roi d’Écosse, Duffus, duquel Boèce, en ses Annales d’Écosse, parle, qui fut ensorcelé de quelques sorcières au moyen d’une image de cire qu’elles rôtissaient auprès d’un petit feu, et ne retourna ce roi à la convalescence, sinon lorsque les sorcières furent découvertes et brûlées. »

Les faits d’envoûtement se retrouvent donc à toutes les époques, et ne peuvent être niés sans donner un démenti à l’histoire. Aussi n’essaie-t-on pas de les nier, mais de les expliquer en les ramenant à de simples faits naturels.

Ceux d’entre les occultistes modernes qui prétendent n’avoir aucune relation avec le démon, ne veulent y voir qu’un effet naturel de la volonté humaine s’exerçant à distance sur un corps étranger, effet analogue, disent-ils, à celui qu’opère chez les stigmatisés l’influence de l’esprit sur la chair ; car, chez les stigmatisés du catholicisme, ils ne veulent voir qu’un effet d’auto-suggestion, se traduisant d’une façon toute matérielle. Ainsi, disent-ils, de même que chez les saints honorés du miracle de la stigmatisation, un François d’Assise, une Madeleine de Pazzi, ces traces visibles et tangibles de la Passion de Jésus-Christ marquées sur leur chair (ils ne vont pas jusqu’à nier ces faits indéniables) ne sont que des effets pathologiques produits par la force de l’émotion et de la volonté, de même il se peut que les phénomènes d’envoûtements ne soient aussi que le résultat d’une volonté malfaisante agissant à distance par sa force naturelle sur une personne désignée. Ils sont allés jusqu’à essayer de prouver la vérité de leur théorie par des expériences reproduisant les prodiges diaboliques des temps passés. On a vu le colonel de Rochas, administrateur de l’École Polytechnique, apporter une poupée de cire devant son auditoire, désigner l’une de ces auditrices comme devant ressentir l’impression des manipulations et sévices qu’il ferait subir à la poupée, traverser à plusieurs reprises le cœur et les bras de la figurine, et Mme X…, la personne désignée, éprouver dans son corps des sensations analogues. On raconte même que la séance terminée, et, tout le monde s’étant levé à l’exception de Mme X…, l’une des spectatrices prit la poupée dans ses mains et la retourna pour l’examiner dans tous les sens. On entendit alors Mme X… murmurer : « Vous n’avez donc pas fini de me faire souffrir ? »

Loin de moi la pensée de qualifier cette expérience de comédie et de la croire jouée par le colonel de Rochas et Mme X… pour émerveiller les badauds qui en furent témoins ; je crois, au contraire, que M. le colonel de Rochas est un expérimentateur sérieux, mais je suis convaincu qu’il se méprend sur la cause des phénomènes dont il s’agit. Quel catholique, en effet, pourrait ne pas voir dans les faits de la nature de ce dernier une véritable intervention du diable, enchanté de jouer un tour de sa façon à ces imprudents chercheurs, et de leur fournir un semblant de preuve à leur théorie naturaliste du miracle ?

Parmi les envoûtements historiques sur lesquels les procédures auxquelles ils ont donné lieu ne laissent aucune incertitude, je citerai :

1° L’envoûtement pratiqué contre le roi Philippe VI, la reine et le duc de Normandie par Robert d’Artois, dans le but de se venger d’eux pour la part qu’il les accusait d’avoir prise dans les intrigues qui l’avaient dépouillé de son duché. Les détails que je vais rappeler sont extraits des débats du procès intenté de ce fait à Robert d’Artois, débats dont la copie originale est conservée aux Manuscrits de la Bibliothèque nationale.

« À quelques jours de là, c’est à-dire entre la Saint-Remy et la Toussaints de la même année 1333, frère Henry Sagebran (de l’ordre de la Trinité, son chapelain) fut mandé par Robert (alors à Namur) qui, après beaucoup de caresses, débuta par lui faire une fausse confidence, et lui dit que ses amis lui avaient envoyé de France un volt ou voust[3] que la reine avait fait contre lui. Frère Henry lui demanda que est-ce que voust ? — C’est une image de cire, répondit Robert, que l’on fait, pour baptiser, pour grever ceux que l’on veut grever. — L’on ne les appelle pas en ces pays voust, répliqua le moine l’on les appelle manies (synonyme de sorcellerie).

« Robert ne soutint pas longtemps cette imposture ; il avoua à frère Henry que ce qu’il venait de lui dire de la reine, n’était pas vrai, mais qu’il avait un secret important à lui communiquer, comme pour une confession. Alors Robert ouvrit un petit escrin, et en tira une image de cire enveloppée en un quevre-chief crespé, laquelle image était à la semblance d’une figure d’un jeune homme, et était bien de la longueur d’un pied et demi, et avait entour le chief (la tête) semblance de cheveux aussi comme un jeune homme. Le moine voulut y toucher : « N’y touchiez, frère Henry, lui dit Robert, il est tout fait, iceluy est tout baptisié, l’on le m’a envoyé de France, tout fait et tout baptisié ; il n’y faut riens à cestuy, et est fait contre Jehan de France et en son nom, et pour le grever. Ce vous dis-je bien en confession, mais je en vouldroye avoir un autre que je vouldroye que il fut baptisié. — Et pour qui est-ce ? dit frère Henry. — C’est contre une Deablesse, dit Robert, c’est contre la Royne, non pas Royne, c’est une Dya blesse ; ja tant comme elle vive elle ne fera bien ne ne fera que moy grever, ne ja que elle vive je n’auray ma paix, mais se elle estoit morte et son fils mort, je auroye ma paix tantost au Roy, car de luy ferois-je tout ce qu’il me plairoit, je n’en doubte mie. Si vous prie que vous le me baptisiez, car il est tout fait, il n’y faut que le baptesme, je ay tout prest les parrains et les marraines et quand que il y a mestier, fors le baptisement… Il n’y fault à faire fors aussi comme à un enfant baptiser, et dire les nons qui y appartiennent. »

« Le moine refusa son ministère pour de pareilles opérations, remontra que c’était mal fait d’y avoir créance, que cela ne convenait point à si hault homme comme il estoit, vous le voulez faire sur le Roy et sur la Royne, qui sont les personnes du monde qui plus vous peuvent ramener à honneur. »

« Monsieur Robert répondit : « Je ameroie mieux estrangler le dyable que le dyable m’estranglabt. »

« Robert, voyant que le moine ne voulait point se prêter à ce qu’il lui demandait, le chargea de lui trouver quelqu’un qui fit ce baptême. Frère Henry s’excusa et lui dit d’envoyer chercher celui qui avait baptisé l’autre. « Il est venu de France », répliqua Robert, voyant qu’il ne pouvait engager le moine.

« Ces dépositions de frère Henry, faites juridiquement le 31 janvier 1334, en présence de plusieurs évêques et chanoines, furent confirmées par une autre déposition que Jean Aimery, prêtre du diocèse de Liège, aussi prisonnier dans les prisons de l’évêque de Paris, fit le même jour en présence des mêmes personnes. Il déposa que Messire Arnoul de Courtray, chanoine de Saint-Albin-de-Namur, lui proposa de s’attacher à M. Robert d’Artois, qui lui donnerait cent et cent mailles d’or. « Quel service li porroie-je faire ? dit le prêtre, pour gagner si grand avoir ? Je n’ay point accoustumé à recevoir tel guain ny si graut. Je me suis bien tenus apoyéz, et oncquorres fais, quand je puis gaagnier huit deniers ou douze ou quatorze le jour à chanter ma messe. » Messire Arnoul répliqua : « C’est Roy de France, M. Robert le fit Roy, ne n’eust oncques esté Roy si ce ne feust M. Robert d’Artois. Vous estes un homme qui avez esté par tous pays, et oultre les monts et ailleurs, si avez moult veu et sieu des choses que plusieurs ne sceavent mie : et se vous voulez faire ce que l’on vous dira, le Roy de France ne sera pas Roy dedans un an. — Et comment ? respliqua le prêtre. — Vous sçavez bien, lui dit-on, faire manies ou sorceries, ou autres choses par quoy le Roy porra mourir briesvement. » Cette proposition irrita le prêtre ; il dit au chanoine qu’il prit le profit pour lui, et qu’il fit l’affaire, qu’il devait en savoir plus que lui.

« Cette tentative n’ayant pas réussi, M. Gautier, l’avoué de Huy, en fit une seconde. Le prêtre n’accueillit pas mieux cette proposition que celle d’Arnoul de Courtray. Il dit à l’avoué qu’il ne ferait jamais telle entreprise, qu’il ne savait point faire ce qu’il lui proposait, que quand il le saurait, il ne le ferait pas pour tout l’argent du monde, spécialement envers le Roy. « Si je voulais faire maléfice, ajouta-t-il, j’aurois plus chier de murtrir de glaive les hommes par les chemins que faire si faite mauvestie… Vous avez M. Jean Scaser prêtre, et Frère Henry Sagebran qui sont tout vostres, et à vostre commandement, et plusieurs aultres qui doivent plus sçavoir de teles choses, et sont plus malicieux que je ne suis… Sy, m’en laissiez en paix. »

« L’avoué cessa de lui en parler, et le pria seulement de lui garder le secret. Robert d’Artois, ne se trouvant plus en sûreté dans les Pays-Bas, se retira en Angleterre, déguisé en marchand. Là, il se tourna ouvertement contre sa patrie, et prit une part active à la guerre qu’Édouard III déclara à la France. Il mourut en 1342 des suites d’une blessure reçue en combattant contre son pays, et le roi d’Angleterre jura « que jamais n’entendroit à autre chose, tant qu’il n’auroit pas vengé sa mort. »

2° Maléfices employés par le duc d’Orléans contre la personne du roi de France. Extraits du Plaidoyer de Me  Jean Petit pour la justification du duc de Bourgogne, assassin du duc d’Orléans' (Chronique de Monstrelet, 1407).

« La première manière (de machiner la mort ou destruction de son prince) est machiner la mort de sondit prince par maléfices, sortilèges et supersticion. Que feu Louis, duc d’Orléans, ait esté criminel en cette espèce, je le preuve. Car il est vérité, que pour faire mourir la personne du Roy en langueur et par manière si subtile qu’il n’en feust apparence, il fist, par force d’argent et diligence, tant qu’il fixa de quatre personnes, dont l’usne estoit moyne apostat, l’autre chevalier, l’autre escuier, et l’autre varlet. Auxquels il bailla sa propre espée, sa dague et un annel pour dédier et pour consacrer, ou au plus proprement parler, exécrer au nom des dyables… Un dimanche très matin devant soleil levant, sur une montaigne, près de la tour de Monjay, ledit moyne apostat fist plusieurs choses superstitieuses requises à faire telles invocations de dyables emprès un buisson, et en faisant lesdictes invocations se despoulla en sa chemise et se mist à genoulx, et ficha ladicte espée et ladicte dague par les pointes, en terre, et ledict annel mist aussi emprès. Et là, dist plusieurs dépréciations en invoquant les dyables. Et tantost vindrent à lui deux dyables, en forme de deux hommes, vestus ainsi que de brun vert, ce sembloit, dont l’un avoit nom Hérémas et l’autre Estramain. Et lors, leur fist honneur et grande révérence, et si grande comme on pourroit faire à Dieu. Et cellui dyable qui estoit venu pour ledict annel, le print et l’emporta, et se esvanouy. Et cellui qui estoit venu pour ladicte espée et dague, demeura, et puis print icelle espée et dague et s’esvanouy comme l’autre. E tantost après, icellui majue retourna et vint où lesdiz dyables avoient esté, et trouva icelles dague et espée courbées de plat, et trouva que ladicte espée avoit la pointe rompue, et trouva ladicte pointe en la pouldre où le dyable l’avoit mise. Et après, aclendi par espace de demie heure l’autre dyable qui avoi emporté l’annel, lequel retourna et lui bailla ledict annel, qui estoit apparent rouge ainsi que escarlate, comme il sembloit pour l’eure, et lui dist : « C’est fait, mais que tu le mettes en la bouche d’un mort en la manière que tu scéz. »

Puis, Me  Jean Petit raconte dans le plus grand détail comment les trois magiciens allèrent prendre le corps d’un pendu, au gibet de Montfaucon, lui mirent ledict annel en la bouche, et ladicte espée et dague lui fichèrent au corps parmi le fondement jusques à la pectrine. » Après quoi, épée, dague et anneau furent rendus au duc d’Orléans pour parfaire le maléfice, ainsi que de la poudre des os du pendu « pour porter sur soy envelopez en un drapel ; lesquelz icelui duc porta par plusieurs journées entre chair et sa chemise, attachez à une aiguillette dedens la manche de sa chemise.

« Et le Roy fut si oppressé de maladie par une espace de temps qu’il apparoit mieulx mort que vif… disant tantost, après qu’il pot parler : « Pour Dieu ostez-moi cette espée qui me transperce le cuer. Ce m’a fait beau frère d’Orléans. »

Il ne faut pas oublier, en lisant les citations qui précèdent, qu’elles sont textuellement tirées du plaidoyer prononcé en public par le cordelier Me  Jean Petit, devant le tribunal chargé de juger le duc de Bourgogne comme assassin du duc d’Orléans.

Un des faits historiques les plus curieux en ce genre est celui qui est raconté avec de grands détails dans les Amusements des Eaux de Spa (tome IV, pages 30 et suivantes) :

En plein dix-huitième siècle, fut découverte une conspiration contre la vie des rois de France et d’Espagne, qu’on voulait faire périr de langueur par la vertu magique de l’envoûtement. « Elle fut découverte, dit le narrateur, par le consul de France à Livourne, et j’étais chez M. le cardinal de Janson, lorsque le courrier dépêché par le consul français lui apporta la relation de cet exécrable attentat, médité, disait-on, par le consul d’une des premières puissances de l’Europe. Le principal acteur de cette pièce était un mauvais prêtre, habitué de Notre-Dame de Mortevero, nommé Dom Giovanni Gastioni, natif de Burgue et sujet du grand-duc de Toscane. Ce misérable s’était associé un génois, conseiller du grand-duc, et quelques personnes moins connues dont j’ai oublié les noms. Le consul de… à Livourne, nommé M. Et…, leur prêta sa maison, et attira dans ce complot son vice-consul qui était anglais. Ce grand œuvre ne fut pas l’ouvrage d’un jour ; on en passa plus de quinze à en faire les préparatifs. On feuilleta tous les grimoires que l’on put trouver, entre autres les livres de Cornélius Agrippa, la Clavicule de Salomon, etc., et on n’omit aucune des profanes rubriques que ces auteurs prescrivent ; on travailla à l’aube dont ce mauvais prêtre devait se revêtir ; on fit avec beaucoup de cérémonies les bougies qui devaient être allumées et bénites par ce scélérat, et on prépara la cire dont on devait former les figures de Leurs Majestés très chrétiennes et catholiques ; on maléficia l’encens que l’on mit dans un encensoir de terre fait d’une certaine façon, et enfin le consul de… fournit et paya tout-ce qui devait servir à cet abominable usage. »

Un provençal, nommé Charles Méret, admis dans la confidence, trahit ses complices et dénonça la trame au grand-duc et au cardinal de Médicis. L’affaire s’instruisit avec le plus grand secret par l’Inquisition. L’embarrassant était de pouvoir se saisir du corps du délit, c’est-à-dire des livres et instruments magiques. Méret fit savoir que le consul de… avait loué deux chambres au haut d’une certaine tour qu’il indiqua, où devait s’opérer l’abominable sacrifice. Suivant les lois magiques, il fallait que la scène se passât dans un lieu percé à l’orient et à l’occident, qui n’eût aucune vue du côté de Notre-Dame de Lorette, et qu’il n’y eût dans ce lieu aucune image du Seigneur ni de la Vierge. La tragédie devait s’exécuter la nuit du samedi au dimanche suivant. À l’heure indiquée, l’inquisiteur, conduit par Méret, précédé du barigelle, et suivi des sbires de Livourne, entra dans la tour et saisit le prêtre. Il était déjà revêtu de l’aube, il feuilletait le grimoire avec la baguette magique, et n’attendait que le retour de Méret pour percer les figures. On trouva dans la chambre une boîte de sapin sur le dessus de laquelle était écrit : À M. Et… consul de… Cette boîte renfermait les deux figures, couronnées et le sceptre à la main, avec des cheveux à la tête, circonstance nécessaire, disent les magiciens, à cette maudite opération. L’inquisiteur se saisit de toutes ces pièces, ainsi que des livres. On trouva parmi les papiers du prêtre deux suppliques écrites de la main du malheureux et signées de son sang. Il y traitait le démon de « Sacrée Majesté » et se donnait pour toujours à lui, à condition qu’il aurait avec lui un génie assistant, assez puissant pour l’aider à défendre et attaquer qui bon lui semblerait.


Un envoûtement à Livourne, au xviiie siècle ; les envoûteurs pris en flagrant délit par le Saint-Office.

Confronté à Méret, ce misérable convint des faits déposés par celui-ci, et déclara que par les ordres du consul de… il devait fondre peu à peu et par quinze degrés différents, ces deux figures couronnées, et que par le moyen de son art les deux princes qu’elles représentaient devaient périr de langueur. Il avoua même que son dessein était de prolonger cette langueur jusqu’à six mois ; mais que le consul l’avait obligé, le poignard sur la gorge, de lui promettre de faire mourir ces princes en quinze jours, qui est le terme le plus prompt que son art lui permettait. Le mauvais prêtre avait coupé de ses propres cheveux derrière l’oreille gauche et les avait appliqués sur la tête des figures, avec des boîtes sacrées, de l’eau bénite, et les avait enveloppés de toiles chargées de caractères et de croix. Ces cheveux furent reconnus par le prêtre, et l’on vit encore la place où il les avait coupés.

Un fait des plus singuliers est celui que l’on dit être arrivé en Bohême dans la guerre du duc Wladislas contre le duc de Bohême Grémozislas. Une vieille sorcière dit à son beau-fils que son maître Wladislas mourrait dans la bataille avec la plus grande partie de son armée, et que, pour lui, s’il voulait se sauver du carnage, il n’avait qu’à tuer le premier qu’il rencontrerait dans la mêlée, lui couper les deux oreilles et les mettre dans sa poche ; puis, il ferait, avec la pointe de son épée, une croix sur la terre entre les pieds de devant de son cheval ; et, après avoir baisé cette croix, il se hâterait de fuir. Le jeune homme, ayant accompli exactement ces instructions, revint sain et sauf de la bataille. Mais, en rentrant chez lui, il trouva sa femme percée d’un coup d’épée, expirante et sans oreilles.

Les procédés et les rites de l’envoûtement variaient avec les pays, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure. Un historien arabe du xive siècle, Ibn-Kadoun, décrit ainsi, de visu, la confection du sortilège, tel qu’il se pratiquait en pays musulman :

« Nous avons vu de nos propres yeux un de ces individus fabriquer l’image d’une personne qu’il voulait ensorceler. Ces images se composent de choses dont les qualités ont un certain rapport avec les intentions et les projets de l’opérateur et qui représentent symboliquement, et dans le but d’unir et de désunir, les noms et les qualités de celui qui doit être sa victime. Le magicien prononce ensuite quelques paroles sur l’image qu’il vient de poser devant lui et qui offre la représentation réelle ou symbolique de la personne qu’il veut ensorceler ; puis, il souffle et lance hors de sa bouche une portion de salive et fait vibrer en même temps les organes qui servent à énoncer les lettres de cette formule malfaisante ; alors, il tend au-dessus de cette image symbolique une corde apprêtée pour cet objet et y met un nœud pour signifier qu’il agit avec résolution et persistance, qu’il fait un pacte avec le démon qui était son associé dans l’opération au moment où il crachait, et pour montrer qu’il agit avec l’intention bien arrêtée de consolider le charme. À ces procédés et à ces paroles malfaisantes est attaché un mauvais esprit qui, enveloppé de salive, sort de la bouche de l’opérateur. Plusieurs mauvais esprits en descendent alors, et le résultat en est que le magicien fait tomber sur sa victime le mal qu’il lui souhaite[4]. »

Dans les pays chrétiens, comme on l’a vu dans les exemples cités, l’envoûtement se complique le plus souvent de rites religieux qui sont une parodie sacrilège des cérémonies et des sacrements de l’Église. La profanation et le sacrilège donnent à l’envoûtement plus de force et d’efficacité ; à défaut de baptême ou des autres sacrements conférés à l’image, il faut tout au moins inscrire sur la poitrine de la figurine le nom des anges de la cabale. Un prêtre du diocèse de Clermont, nommé Pépin, accusé en 1347 d’avoir voulu envoûter l’évêque de Mende à l’aide d’une figure de cire, avoua, entre autres choses, qu’il avait fabriqué son image le vendredi, et qu’il avait inscrit sur sa poitrine le nom de l’ange de ce jour, Anhoël, en même temps que six autres noms d’anges. Ce même prêtre déclara, en outre, qu’il s’était servi, pour confectionner son sortilège, des livres de magie qu’il avait rencontrés dans ses voyages, spécialement à Tolède et à Cordoue. Il y avait, en effet, à Tolède, à cette époque, une école occulte de magie et de nécromancie.

Dans certains cas, le diable se contentait de procédés beaucoup plus simples et plus accessibles à tous. D’après Paracelse, un vrai magicien qui s’y connaissait, il suffit de peindre sur un mur une image à la ressemblance d’un homme, pour que tous les coups et blessures qu’on portera à cette image soient reçus et ressentis par celui dont l’image est la ressemblance.

Un crapaud peut aussi remplacer le Volt, à condition qu’on lui donne le nom de celui qu’on désire envoûter, et qu’on observe les cérémonies imprécatoires. Une autre recette recommande de lier le crapaud vivant avec des cheveux qu’on s’est procurés d’avance ; puis, après avoir craché sur le crapaud, on l’enterre sur le seuil de son ennemi ou en tout autre endroit qu’il fréquente tous les jours par nécessité. Ce dernier procédé est encore en usage dans l’Amérique du Sud, ainsi qu’en Espagne.

Du reste, l’envoûtement existe de nos jours. « On m’a rapporté confidentiellement, dit le colonel Albert de Rochas, avec les noms et les détails les plus précis, un drame qui se serait passé, il y a une dizaine d’années, dans une famille considérable de Toulouse, où une dame serait morte subitement d’une prétendue péritonite au moment où une nécromancienne de la ville piquait au ventre une statuette de cire qui était censée la représenter… J’ai reçu un certain nombre de lettres provenant de personnes qui se croyaient envoûtées et me demandaient mon appui contre leurs persécuteurs. J’ai vu à Montmartre une femme qui fait profession de repousser les envoûtements à l’aide de prières. »

Un ouvrage comme celui-ci est donc de pleine actualité, et il est vraiment nécessaire de rappeler les pratiques anciennes en matière de magie, puisqu’elles n’ont pas été abandonnées ; quelques-unes ont pu être modifiées plus ou moins, mais le fond de la sorcellerie est toujours le même.

Oui, ce sont les pires horreurs du moyen-âge qui revivent en notre siècle ; et plus nous approchons du vingtième, plus le satanisme accentue son œuvre souterraine, plus il multiplie ses modes d’action.

J’ai déjà fait allusion (1er  volume, pages 434-435) à l’étrange bataille, à coups d’envoûtement, entre Albert Pike et le docteur Gorgas, médecin de l’Université de Baltimore, chef d’un rite écossais dissident (le Rite Cernéau).

Le réformateur du Palladisme envoûtait à sa manière, le plus souvent en se servant d’une poupée de cire. Il se procurait, à défaut de cheveux ou de rognures d’ongles, une parcelle quelconque de vêtement porté par son ennemi ; dans sa lutte contre Gorgas, il était parvenu à avoir, de la blanchisseuse du docteur, un mouchoir de celui-ci.

Il faisait, d’abord, tremper cette étoffe dans un bain d’eau fortement salée, après avoir dit trois fois en jetant le sel dans l’eau : « Sagrapim melanchtebo rostomouk elias phog. » Puis, il faisait sécher l’étoffe devant un feu alimenté par des branches de magnolia. Après quoi, pendant trois semaines, chaque samedi à onze heures du matin, il adressait une invocation à Moloch, pendant laquelle il tenait l’étoffe sur ses deux mains ouvertes et tendues en avant, comme si le daimon invoque eut été présent, visible, et qu’il lui eût présenté l’objet en offrande. Le troisième samedi, à sept heures après le midi, il brûlait l’étoffe à une flamme d’esprit de vin, tout en psalmodiant un chant luciférien de sa composition, et il recueillait les cendres sur une sorte d’assiette en plomb, couverte d’hiéroglyphes gravés à la pointe d’un couteau consacré à Lucifer ; ce jour-là, il avait eu soin de rester à jeun jusqu’à trois heures après le midi, et son unique repas de la journée se composait de poisson, de biscuit et de fruits secs.

Après quoi, le lendemain, il périssait de la cire mêlée aux cendres de l’étoffe de l’ennemi et modelait sa poupée, qu’il appelait une « dagyde. » La dagyde de Gorgas avait trente centimètres de hauteur. Mais Pike ne perçait pas avec des épingles ni ne faisait fondre la dagyde qui représentait son ennemi, il la plaçait sous un globe de cristal, dont le socle était muni d’une petite pompe pneumatique, et il faisait ainsi vide d’air à l’intérieur du globe. La, personne envoûtée éprouvait alors toutes sortes de malaises bizarres, dont elle ne pouvait soupçonner la cause.

Le plus curieux, c’est que les démons, tout en favorisant ces sortilèges, fournissent à leurs adorateurs des moyens de les combattre par d’autres pratiques du même genre.

Le palladiste, qui se sait l’objet d’un envoûtement à la dagyde, se confectionne une poupée à la cire de laquelle il mêle de ses propres cheveux ou de ses rognures d’ongles ; cette figurine qui le représente est consacrée conformément à un cérémonial diabolique, et il lui applique des remèdes empruntés à la magie spéciale d’Albert Pike. Les occultistes de la haute-maçonnerie nomment cela « la méthode de Paracelse renouvelée. »

Dans la Goétie, où le prince de l’enfer est invoqué sous le nom de Satan, on pratique surtout l’envoûtement au crapaud, choisi mâle ou femelle selon le sexe de la personne que l’on veut atteindre. Pour se protéger, on porte sur soi un crapaud dans une boîte de corne ; les satanistes affirment que c’est alors cette malheureuse bête qui subit les tourments destinés à son porteur.

Le mode d’envoûtement que le colonel de Rochas s’est surtout appliqué à étudier est l’envoûtement photographique ; on peut même dire qu’il en est l’inventeur. Il consiste à faire, sur une photographie dont le cliché a été obtenu dans de certaines conditions, les piqûres d’épingle du vieux jeu que la majorité des occultistes font aux poupées de cire. La personne qui à sa photographie ainsi maltraitée, ressent des douleurs dans toutes les parties du corps où son portrait est piqué.

Ce procédé est encore à l’état d’expérience. Néanmoins, dès qu’il a été connu, les palladistes se sont préoccupés de lui trouver une contre-partie, comme pour le crapaud et la poupée de cire. Le vieux Walder prétendait que, pour triompher de l’envoûtement photographique, il avait découvert une recette merveilleuse.

Inutile de dire que cette recette est un nouveau prétexte à sacrilèges. « Lorsqu’on se sait envoûté, affirmait-il, selon le procédé mis à la mode par M. de Rochas, il faut, tous les lundis, dès le septième coup du midi sonnant, s’enduire le corps, sur les tempes, autour du cou et dans la région du cœur, d’un liniment composé d’essence de térébenthine et d’hostie adonaïte consacrée, réduite en poudre ; en faisant cette friction, on répètera tout le temps le vrai J∴ B∴ M∴ (Jesus Bethlemitus Maledictus). Au surplus, chacun des autres jours de la semaine, on demeurera, sitôt levé du lit, trois minutes en tenant le pouce replié et caché dans la main, tant pour la main droite que pour la gauche, et l’on dira à haute voix en grec la formule de la sixième heure, telle que la donne le divin Apollonius de Tyane, dans le Nuctéméron, formule qui s’interprète ainsi : « L’esprit se tient immobile ; il voit les monstres infernaux marcher contre lui ; et il est sans crainte. » En suivant fidèlement ces prescriptions, on aura l’invulnérabilité garantie contre tous les assauts quelconques de l’envoûteur, et, le trente-troisième jour, le volt photographique aura perdu toute puissance maligne définitivement. »

Un certain nombre de spirites pratiquent encore l’envoûtement dit à l’esprit volant.

M. Édouard Dubus l’a fait connaître, en ces termes :

« L’envoûtement moderne, dit à l’esprit volant, diffère absolument des envoûtements anciens. Il vous faut, pour l’exécuter, avoir à votre disposition un sujet hypnotisé, dont le corps astral (de nature fluidique) abandonne, sur votre ordre, le corps matériel et soit dirigé par votre volonté vers votre ennemi.

« Le corps astral, ainsi extériorisé, ou bien pénètre la victime qui lui est désignée et l’étouffe par sa seule pénétration, en arrêtant, par exemple les mouvements du cœur ; ou bien il l’empoisonne au moyen des toxiques que vous avez eu l’art de volatiliser.

« L’opération terminée, vous réintégrez dans le corps matériel de votre sujet son corps astral, et vous le réveillez.

« Certains magiciens, craignant des indiscrétions possibles, s’adressent à un corps astral déjà désincarné, c’est-à-dire au corps astral d’un mort. »

Je ne saurais mieux en finir avec cette question de l’envoûtement qu’en rappelant une vive polémique qui eut lieu, il y a un an, entre occultistes parisiens, de deux groupes ennemis, au sujet de la mort d’un certain abbé Boullan, dont le nom n’est pas inconnu aux adeptes du Palladium. Il est même utile de consacrer quelques pages à cette affaire ; car elle se produisit au moment où l’attention du public était surtout fixée sur les découvertes scandaleuses relatives au Panama, ce qui la fit passer inaperçue de beaucoup, et franchement elle mérite d’être mentionnée dans un ouvrage traitant la question du diable au dix-neuvième siècle.

C’était au plus fort des scandales parlementaires, tandis que les députés s’accusaient les uns les autres d’avoir reçu des pots-de-vin fantastiques, au moment précis où l’on arrêtait l’ex-ministre Baïhaut.

Le 4 janvier 1893, mourait subitement à Lyon un prêtre défroqué, nommé Boullan, ancien aumônier d’un couvent de religieuses. Ce Boullan, comme on va le voir, n’était guère recommandable.

Au Figaro, où règne au-dessus de toutes choses un esprit de scepticisme, allié au désir d’arriver à n’importe quel prix bon premier sur la piste de l’actualité, le directeur, M. Magnard, accueillit, pour annoncer la mort de l’ex-abbé, un article d’un de ses admirateurs, M. Philippe Auquier. Cet article, qui était intitulé le Roi des Exorcistes, peignait le défunt sous des couleurs très favorables. Je le reproduis d’abord : nous verrons ensuite ce que valent ces éloges prodigués à feu Boullan.

Voici l’article :

« L’abbé Boullan, celui-là même que M. J.-K. Huysmans nous présentait naguère, dans Là-Bas, sous le nom du docteur Johannès, et qui s’était vu donner, par la plupart de nos occultistes, le titre de roi des exorcistes, vient de mourir. Un télégramme de Lyon, dont ce curieux homme avait depuis longtemps fait sa résidence, nous apprend qu’il a rendu subitement le dernier soupir.

« La nouvelle frappera d’autant plus les initiés, que l’abbé était, il y a quelques semaines, à Paris, plein de santé et de projets, et plus fort que jamais contre les maléfices déchaînés contre lui par les apôtres de la magie noire.

« C’était une bien singulière figure que celle de ce prêtre pour qui, suivant certains, les problèmes les plus obscurs du Surnaturel n’avaient su garder leur secret.

« On peut le dire aujourd’hui, le public se leurra le jour où il accorda à M. Péladan — sur la seule foi de ses affirmations et étant donnée la fantaisie de ses costumes — le plus haut grade dans l’armée des amants de Psyché. Parmi ceux qui vouèrent leur vie à l’étude de l’occultisme, Boullan avait droit à la première place. C’était un apôtre dans l’acception la plus stricte du mot.

« Ordonné prêtre, alors qu’il était jeune encore, celui qui devait assumer la tâche de propager les vieilles doctrines Johanniques, en notre époque sans foi, exerça pendant de longues années à Paris. Cœur orgueilleux, cerveau inquiet et assoiffé d’absolu, il se livra dès lors, de toute la force de sa pensée, aux études théologiques. Lentement le mysticisme vague dont il s’était senti dès sa jeunesse possédé se précisait. Un jour, comme il avait obtenu le diplôme de docteur, on le fit aumônier d’un couvent de religieuses. Déjà des idées hardies, bien faites pour lui valoir les rigueurs des chefs du catholicisme moderne, le tenaient. Il se sentait, disait-il, « délégué par le ciel pour combattre Satan et pour prêcher la venue du Christ glorieux et du divin Paraclet. »

« Le milieu dans lequel il vivait se prêtait d’ailleurs admirablement à ses projets. Parmi les nonnes, plusieurs se plaignaient d’avoir à subir les atrocités des incubes. L’aumônier, par la seule puissance de ses invocations, les en débarrassa. Dans le couvent, les pratiques du mysticisme le plus ardent devinrent quotidiennes. Le haut clergé s’émut. On convoqua, à l’archevêché, l’abbé Boullan, pour l’examiner sur les doctrines dont il se faisait ainsi, — à l’encontre des règles édictées à Rome — le propagateur. Les explications qu’il donna furent catégoriques. Sa mise en interdit en résulta.

« Du Vatican, où il s’était aussitôt rendu pour protester contre la mesure disciplinaire qui le frappait, l’abbé Boullan fut chassé. Les cardinaux bafouèrent ce prêtre qui osait lever le front et se révolter contre l’Église tout entière, pour le triomphe de ce qu’il croyait être la vérité.

« Alors, l’interdit rentra en France, plus convaincu encore qu’il ne l’était avant d’avoir encouru les fulminantes apostrophes de la curie romaine. Réfugié à Lyon, dans la famille d’un architecte de ses amis et de ses adeptes, il travailla et, dès lors, prêcha sans cesse la douceur et le relèvement du monde par l’amour.

« Bien des personnes qui le visitèrent depuis, et qui n’étaient ni folles ni menteuses, m’en ont fait un très édifiant portrait. D’aucunes lui attribuèrent de véritables miracles.

« Car à ses qualités spirituelles, à la puissance que lui donnait son caractère sacerdotal, était venu s’ajouter une puissance nouvelle : intéressé surtout par les sciences psychiques, l’abbé Boullan était devenu l’un des plus expérimentés magnétiseurs. Poursuivi pour avoir, par ses manœuvres, soulagé un assez grand nombre de serviteurs de sa cause, il fut même condamné à la prison pour exercice illégal de la médecine.

« On s’est arrêté, il y a quelque temps, dans la presse aux résultats obtenus par M. de Rochas, au cours de ses recherches sur l’envoûtement. S’il faut en croire certains, l’abbé Boullan allait bien plus loin que le savant occultiste. Il renvoyait le mal à l’envoûteur.

« La manière dont l’abbé s’y prenait a été révélée, on s’en souvient, par l’original et vigoureux écrivain d’À Rebours et de Là-bas.

« Si, craignant un envoûtement, vous consultiez l’apôtre, il commençait par endormir une voyante et lui faisait expliquer, dès qu’elle était prise du sommeil somnambulique, la nature du sortilège subi. Si le cas était grave, il recourait « au sacrifice de gloire de Melchissédec » qui se pratique ainsi :

« Sur un autel, composé d’une table, d’un tabernacle de bois, en forme de maisonnette, surmonté d’une croix cerclée sur le fronton par la figure du Tétragramme, l’officiant fait apporter le calice d’argent, les pains azymes et le vin. Puis, — ayant revêtu des habits sacerdotaux, une longue robe vermillon, serrée à la taille par une cordelière blanche et rouge, et un manteau blanc découpé sur la poitrine en forme de croix renversée, — il commence à lire les prières du sacrifice.

« Le consultant est placé près de l’autel. Continuant ses oraisons, le prêtre pose sa main gauche sur la tête de l’envoûté ; puis, étendant son autre main, il supplie l’archange saint Michel de l’assister et adjure les glorieuses légions des anges d’enchainer les esprits du mal. Enfin, vient le moment de la prière déprécatoire, et l’officiant la clame par trois fois après avoir posé sur l’autel la main du consultant. Le pain azyme et le vin sont ensuite offerts à ce dernier, et le sacrifice prend fin.

« On serait vraiment surpris en apprenant le nom du Parisien connu qui assure avoir été ainsi débarrassé presque instantanément par le « saint » de Lyon d’une affection grave, due, croyait-il, aux pratiques d’un de ses ennemis adhérant à la Rose-Croix.

« En entravant de toute la force de son pouvoir l’œuvre des Kabbalistes pratiquant la magie noire, Boullan s’était attiré toute leur haine. Il ne comptait plus les entreprises vipérines du sâr Péladan, ni les embûches de son implacable ennemi le rose-croix Stanislas de Guaita, toujours prêt, paraît-il, à tourmenter ceux qui le gênent par les charmes de la plus odieuse sorcellerie.

« Aussi le voyage qu’il fit récemment à Paris émut-il profondément les initiés. On chercha longtemps sans les trouver les causes de ce déplacement. Boullan était descendu, sous un faux nom, à l’hôtel des Missions Catholiques, rue Chaumel. Personne ne put découvrir sa retraite. Il put regagner Lyon sans avoir eu à subir les tortures de l’interview.

« Un hasard me permit à ce moment de le rencontrer chez un ami commun. C’est pourquoi, seul peut-être entre les profanes, je puis aujourd’hui révéler que Boullan n’était pas venu à Paris pour autre chose que pour préparer une très importante publication, intéressante pour tous ceux qui professent le culte du mystère, celle du Zohar[5].

« Au moment où, poursuivant ce but, il allait une seconde fois venir dans la capitale, la mort l’a frappé. Les fervents de la Kabbale font en sa personne une grande perte. Boullan était une âme hautaine et comme on ’en trouve peu, par ces temps de vils compromis. » (Figaro du 7 janvier 1893).

Le public boulevardier qui a lu cet article n’y a, évidemment, pas compris grand chose ; quant aux catholiques, il n’y comprendraient guère non plus ou croiraient à une simple folie, si depuis quelque temps les voiles de l’occultisme ne commençaient à se déchirer. Il faut, en effet, avoir l’initiation dite philosophique, la clef des mystères du satanisme contemporain, ou encore la connaissance du dogme et des pratiques du Palladium, il faut posséder ce fil secret d’Ariane pour se retrouver au milieu du dédale des expressions ambiguës, des termes bizarres ignorés des profanes, accumulés à dessein dans tout ce qui traite, livre ou article de journal, des hommes et des choses de l’occultisme.

Pour démêler la vérité dans tout ce fatras, il est donc nécessaire, indispensable, de savoir ceci :

En dehors du Palladisme, qui est la grande religion luciférienne organisée, il y a une assez nombreuse collection de groupes occultistes, s’occupant de magie blanche ou noire, en perpétuelle rivalité d’influence ; plusieurs sont animés de violentes haines les uns contre les autres. Dans ce monde-là, la personnalité de Lucifer est considérée sous les aspects les plus variés. Pour les uns, il est bien l’archange déchu ; mais il est déjà repentant, Dieu lui pardonnera, et il est désigné pour être un nouveau Messie. D’autres le tiennent pour légal de Dieu adoré par les chrétiens et ne sont pas éloignés de la théorie des palladistes ; mais ce sont des dissidents, n’appartenant pas à la maçonnerie et faisant bande à part. Des groupes féministes en font un dieu-femelle, l’appellent « la Blanche », et l’opposent à la divinité des catholiques, qualifié de dieu-mâle, « le Noir ».

Enfin, divers groupes n’hésitent pas à reconnaître en Lucifer le Satan maudit, tel ou à peu près tel que le dogme chrétien le définit et le représente ; mais ils ne lui en adressent pas moins leurs hommages, sous prétexte que le Christ a déserté la cause de l’humanité ; ceux-là sont les vrais satanistes, subdivisés en groupes indépendants et en groupes organisés ; ce sont les diseurs de messe noire, les occultistes de toutes les autres écoles fulminent contre eux ; c’est à qui se prévaudra de la Théurgie pour les accuser de faire revivre les horreurs et les infâmies de la vieille Goétie.

« Nous faisons de la magie blanche, clament les adeptes des sectes qui répudient la qualification de satanistes ; eux, ils font de la magie noire ! »

En résumé, toutes ces sectes, tous ces groupes sont à mettre dans le même sac. Qu’ils invoquent Lucifer ou Satan, sous n’importe quel nom, même sous celui de Paraclet, c’est bel et bien le roi de l’enfer qu’ils adorent ; mais de cela ils ne conviennent et ne conviendront jamais publiquement.

Pour le classement et l’explication de ces diverses sectes, opérant dans l’ombre comme le Palladisme, mais en dehors de lui et avec moins de mystère, j’ai réservé les IXe et Xe parties de mon ouvrage. Toutefois, sans entrer à présent dans d’amples détails, je suis obligé de montrer ces divergences de vues, à propos de l’envoûtement ; sans cela, mes lecteurs auraient de la peine à saisir le sens des révélations que la polémique de deux groupes d’occultistes à apportées au public à l’occasion de la mort subite de l’ex-abbé Boullan.

Et, à ce propos, on constatera que ce sont toujours les querelles entre les partisans des réunions secrètes, qui dévoilent leur existence, leur organisation, leur action souterraine dans le monde. La suppression officielle de la formule du « Grand Architecte » dans la constitution du Grand Orient de France a provoqué l’excommunication du Rite Français par le Rite Écossais et a amené Albert Pike à se découvrir une première fois comme souverain pontife de la franc-maçonnerie universelle. Le transfert du siège suprême dogmatique de Charleston à Rome, voté par le convent secret du 20 septembre 1893, à mis en fureur les hauts-maçons américains, qui, ne pouvant plus contenir leur colère contre l’intrus du palais Borghèse, ont oublié plus ou moins leur serment de discrétion, — ce dont je me garde bien de les blâmer, trouvant même qu’ils auraient pu en dire davantage, — et le public a connu ainsi le fonctionnement de la haute-maçonnerie. Dans les cas que nous avons à examiner ici, ce sont les coteries occultistes non inféodés au Palladisme, qui se démasquent en accusant l’une d’entre elles d’avoir envoûté un des grands-prêtres du magisme indépendant.

Cela dit, rectifions comme il convient l’article de M. Philippe Auquier ; après quoi, nous verrons la suite de cette curieuse querelle.

Les deux coteries diaboliques qui guerroient l’une contre l’autre en cette circonstance, sont celles des mages blancs Jules Bois et Huysmans et des mages noirs Joséphin Péladan et Stanislas de Guaita ; encore est-il bon d’observer que Péladan et Guaita ne sont pas tout à fait d’accord ensemble, et c’est surtout ce dernier qui sera on butte aux attaques des mages blancs, vengeurs du grand-prêtre Boullan envoûté.

Déjà, dans son volume Là Bas, M. Huysmans avait ouvert le feu contre les Mages de la Rose-Croix parisienne (Péladan, Guaita et autres) ; donnant un aperçu des pratiques en usage chez les satanistes contemporains, — et son livre, à raison de cela, ne saurait être mis entre les mains des dames ni des jeunes gens, — il avait établi une opposition entre un certain docteur Johannès, qu’en occultiste de la magie blanche il portait aux nues, et un chanoine Docre, qu’il représentait comme le type du mauvais prêtre se livrant en secret à la magie noire, une sorte de Gilles de Retz en soutane. Ce livre est un roman ; mais les personnages qui ont servi de modèles à l’écrivain existent ou ont existé, et les mystères des groupes occultistes blancs ou noirs décrits dans le volume ne sont pas œuvre d’imagination. M. Huysmans, en somme, prêche pour son diable et le blanchit, en représentant le plus noir possible le diable d’à-côté.

C’est si bien cela, que nombre de personnes qui avaient entendu parler de l’ex-abbé Boullan, qui savaient qu’il disait des messes sacrilèges, crurent que le chanoine Docre de Là-Bas, c’était lui, et l’imprimèrent. M. Huysmans, de se rebiffer ! C’était, au contraire, sous les traits du docteur Johannès qu’il avait peint son ami Boullan.

Il écrivit même à ce sujet une lettre de rectification, dans laquelle on lisait ceci :

« Le chanoine Docre n’a aucun rapport, ni de près, ni de loin, avec l’ancien abbé Boullan, disait M. Huysmans. Docre est fait, pour dire toute la vérité, avec deux ecclésiastiques, que j’ai beaucoup, que j’ai trop connus. L’un fut, ainsi que je l’ai écrit dans Là-Bas, chapelain d’une reine en exil, et il s’est, il y a quelques années, pendu. L’autre exerce encore le sacerdoce en Belgique, dans une ville qui n’est pas très éloignée de Gand. Tout en gardant la physionomie très exacte du chapelain qui se suicida, j’ai réuni sur un seul et même personnage les détails absolument avérés, absolument certains, que je possédais sur l’un et sur l’autre de ces deux prêtres. J’ajouterai tout de suite, et afin de me dispenser de répondre aux nombreuses lettres qui me sont adressées à ce sujet, que les abbés sataniques ne sont pas très rares ; personnellement, j’en connais trois, — et il en existe d’autres, — qui célèbrent, à l’heure actuelle, à Paris, des messes noires.

« Cela dit, j’arrive à l’ancien abbé Boullan, sous les traits duquel mon confrère a cru reconnaître le chanoine Docre. Si cet abbé ressemblait à quel- qu’un dans mon livre, ce serait au docteur Johannès, car il entreprend ainsi que lui les cures des personnes chez lesquelles il croit reconnaître des traces d’envoûtements ou de maléfices ; comme lui encore, il déclare qu’il est missionné pour prêcher l’avenue du Paraclet. J’ai beaucoup fréquenté cet ancien abbé, et j’ai même passé, à Lyon, près d’un mois chez lui. Eh bien ! je puis l’affirmer, personne ne méprise et n’exècre plus que ce prêtre le satanisme. La vérité, c’est qu’il est un mystique singulièrement érudit et l’un des plus sagaces des thaumaturges. »

On le voit, voilà bien affirmé le système auquel je faisais allusion tout à l’heure : « la magie blanche n’est pas du satanisme ! » Nous retrouverons toujours et partout cette déclaration de la part de n’importe quel occultiste le plus sûrement luciférien, même sous la plume de Sophie Walder (voir sa 2e lettre à M. l’abbé Mustel, reproduite en entier dans l’ouvrage de M. A.-C. De la Rive, la Femme et l’Enfant dans la Franc-Maçonnerie Universelle). C’est, de la part de ces adversaires du catholicisme, un parti-pris de changer le sens des mots ; et il y a des gens naïfs qui s’y laissent prendre. Ainsi, le fameux prêtre apostat Louis-Alphonse Constant, maçon parfait initié, Chevalier Kadosch en sachant aussi long que les 33es sans l’anneau, osait écrire : « Le dogme qui est ma règle est essentiellement catholique. » Pour le comprendre, il fallait savoir qu’il prenait ce mot dans son sens de traduction littérale : catholikos, universel. Son dogme diabolique était universel, voulait-il dire ; les initiés seuls ne s’y méprenaient pas.

C’est certainement parce qu’il ignore les doubles-sens des occultistes, que M. Magnard a laissé passer dans le Figaro l’article de M. Auquier. S’il l’avait soumis à un de nos religieux qui savent à quoi s’en tenir sur ces ruses de style, celui-ci lui aurait dit : « Gardez-vous bien d’insérer ces lignes ; elles font l’éloge d’un prêtre du démon ! »

L’ex-abbé Boullan n’était rien autre, en effet.

Pour ne pas être « la messe noire », que son ami Huysmans a décrite, « sa messe rouge » était tout aussi bien une messe sacrilège et diabolique. À l’époque où il portait la soutane, il s’adonnait déjà à des pratiques impies de ce genre ; et si l’archevêché de Paris le frappa d’interdiction, ce ne fut pas sans des raisons extrêmement graves. Au lieu de combattre le démon en se conformant au rituel de l’Église, dans l’exorcisme des malheureuses religieuses possédées, il procéda à la manière des magiciens. « Ses pratiques, a dit l’Éclair, ne peuvent honnêtement se décrire ; on raconte que les infortunées avaient été tenues de prêter les mystérieuses blancheurs de leur épiderme à des souillures scatologiques. » Il était impossible, certes, de conserver dans la bergerie un pareil loup, qui n’y avait pénétré que sous le déguisement de l’agneau ; à une meilleure époque, il eût été justement traité comme un autre Urbain Grandier.

À Rome, les cardinaux ne le bafouèrent nullement, quoiqu’en dise M. Auquier ; la vérité est que le Vatican tout entier eut horreur de ce prêtre infâme, qui transformait son sacerdoce en ministère de Satan, et qui osait soutenir qu’il avait reçu du ciel la mission de combattre l’enfer par la profanation de l’Hostie sainte et par l’ordure.

Vomi par l’Église, l’ex-abbé Boullan évolua d’abord parmi les diverses sectes de l’occultisme ; il versa plus que jamais dans la science diabolique des grimoires ; il s’unit à l’autre apostat, l’ex-abbé Constant ; il abandonna, m’a-t-on assuré, son calice de prêtre catholique à une société de magiciens, chez laquelle le vieux Walder devait recruter peu après les éléments du premier triangle palladique qui fut fondé à Paris, et ce serait même ce calice qui servirait aujourd’hui encore aux profanations du triangle Saint-Julien (ce dernier renseignement, sous toutes réserves).

Boullan a-t-il été palladiste ? C’est possible ; pourtant, je ne le crois pas, non seulement parce que je n’en ai aucune preuve, mais surtout parce que la fixation de sa résidence à Lyon n’amena pas l’établissement dans cette ville d’un groupe affilié au rite de Charleston. D’autre part, son caractère n’était pas fait pour se plier aux exigences d’Albert Pike. Ce qui fait la force au Palladisme, c’est son secret si rigoureusement gardé, même au sein de la maçonnerie ordinaire ; Boullan, au contraire, aimait s’afficher ; il n’eût jamais pu tenir l’emploi d’un Larocque, d’un Bordone, d’un Umberto dal Medico, ou de tout autre de ces maçons du Rite Suprême que leurs Frères coudoient dans les loges, sans soupçonner quel rôles ils y jouent ni quelles sont leurs occupations ailleurs.

Et puis, Boullan opérait en magicien insuffisamment mystérieux. Il voulait faire des cures magiques et en tirer bénéfice ; d’où son procès pour exercice illégal de la médecine, et la qualification d’escroquerie que le tribunal appliqua à son système, en lui octroyant trois mois de prison. Sa thérapeutique de sorcier était particulièrement répugnante : un malade se présentait-il à lui, il lui crachait dans la bouche. « On lui reprocha au tribunal, dit l’Éclair, de faire un élixir du mélange de deux liquides naturels fournis par lui et par une femme ; devant les juges, Boullan déclara ces pratiques conformes à sa foi. » Nous allons voir tout à l’heure M. Jules Bois, autre docteur en occultisme et l’un des admirateurs et disciples enthousiastes de feu Boullan, célébrer comme une merveille une des plus abominables profanations du défroqué.

A-t-il vraiment accompli des guérisons extraordinaires, par des moyens surnaturels ? Cela se peut ; mais alors, incontestablement, c’est par le pouvoir du diable qu’il agissait.

Voilà pour la médecine de l’ex-abbé Boullan.

Quant au « sacrifice de gloire de Melchissédec », quant à sa « messe rouge », il ne me sera pas difficile d’en montrer le caractère diabolique.

Je prends l’article même de M. Auquier ; il est facile de voir, à sa simple lecture, que la cérémonie de l’ami de MM. Jules Bois et Huysmans est une contrefaçon de la messe chrétienne : les pains azymes sont, ni plus ni moins les hosties que l’officiant sacrilège consacre ; le manteau blanc découpé sur la poitrine en forme de croix renversée est un ornement luciférien. Sur ce point, un mot d’explication : la croix maçonnique, la croix de l’occultisme est, sauf quelques rares exceptions, la croix aux branches d’égale longueur, et ceci a pour but de la distinguer de la croix chrétienne, dont la branche perpendiculaire est plus longue que l’horizontale ; on sait, en outre, le sens honteux qui est donné par les sectaires à la ligne verticale traversant l’astre, sens qui est accentué encore par la position d’une rose (emblême du sexe féminin) à l’intersection des bras de la croix ; c’est là, explique-t-on au 18e degré de l’initiation, le symbole de la vie triomphant de la mort et de l’humanité se renouvelant sans cesse ; mais alors, en occultisme, cette croix ainsi interprétée n’est jamais représentée renversée ; par contre, lorsqu’il s’agit de faire figurer la croix chrétienne dans un accessoire du culte luciférien, on la place renversée, et cela de tout temps, depuis les sabbats du moyen-âge jusqu’aux cérémonies adonaïcides des Odd-Fellows de nos jours. Et l’ex-abbé Boullan célébrait son sacrifice de Melchissédec avec une pareille chasuble !… Est-ce clair ?

En ce qui concerne les adjurations aux anges, mes lecteurs savent depuis longtemps comment il faut comprendre ce passage obscur de l’article. Tout luciférien dit bons génies, esprits de lumière, anges, en parlant des démons ; et les anges de Dieu, du Dieu des chrétiens, sont des esprits de ténèbres, des mauvais génies, des maleachs. Supplier saint Michel ? lisez : le conjurer par la puissance de Baal-Zeboub de ne pas nuire à l’opération magique.

Enfin, M. Auquier nous dit que le tabernacle de l’autel de Boullan était « surmonté d’une croix cerclée sur le fronton par la figure du Tétragramme. » Eh bien, là, il n’y a pas moyen de nier ; cette croix additionnée du Tétragramme n’est pas la croix chrétienne ; c’est encore une croix de Lucifer, et l’une des mieux caractérisées, car Lucifer et Tétragramme (ou JHVH) sont deux mots parfaitement synonymes en occultisme.

Ouvrons le Dogme de la Haute-Magie, par l’autre apostat, le F∴ Constant, et, à propos du « grand agent magique », qui n’est autre que le Satan travesti des mages modernes, nous lisons, page 152 :

« Le grand agent magique se révèle par quatre sortes de phénomènes, et a été soumis au tâtonnement des sciences profanes sous quatre noms : calorique, lumière, électricité, magnétisme.

« On lui a aussi donné les noms de Tétragramme, d’Inri, d’Azoth, d’Éther, d’Od, de Fluide Magnétique, d’Âme de la Terre, de Serpent, de Lucifer, etc. »

Selon la règle, le F∴ Constant n’a pas ajouté le nom de Satan ; il l’a remplacé par etc. ; mais son explication nous suffit. Elle établit que Tétragramme et Lucifer s’équivalent, et que c’est bien lui le grand agent magique qui se révèle dans le prétendu magnétisme.

Maintenant, suivons la querelle des mages blancs et des mages noirs à propos de la mort subite de l’ex-abbé Boullan, dont le caractère de prêtre du démon ne saurait faire aucun doute.

C’est son disciple et ami Jules Bois qui s’est le plus acharné à accuser le rose-croix Stanislas de Guaita d’avoir envoûté l’aumônier interdit dont l’occultiste Huymans a fait le « docteur Johannès. » Cette polémique mérite d’être conservée ; elle est des plus instructives. Nous en trouverons les principaux articles dans le Gil Blas ; que mes lecteurs me pardonnent cette reproduction : elle est nécessaire et, du reste, ils ne la regretteront pas.

Voici comment M. Jules Bois partit en guerre contre M. de Guaita et ses collègues de la Rose + Croix parisienne:

Décidément, les mystérieuses affaires d’empoisonnement à distance, d’envoûtement pour mieux dire, qui firent tant de bruit au moyen-âge, vont renaître en notre siècle pratique, mais que la vieille science des mages illumine de feux sanglants. C’est maintenant un fait incontestable, et je pense que les preuves apportées dans cet article ne pourront plus laisser de doute dans les esprits : — l’abbé Boullan qui vient de mourir subitement à Lyon, a été frappé par des colères invisibles et par des mains criminelles armées de foudres occultes, de forces redoutables et inconnues.

Ayant pénétré moi-même pendant plusieurs jours dans l’intimité de celui qui fut la victime d’ennemis aussi hypocrites qu’impitoyables, il me sera permis d’apporter ici un témoignage détaché et quelques étranges documents.

Un mot d’introduction de M. J.-K. Huysmans me présenta, cette année même, à M. Boullan, qui, ayant quitté la robe de prêtre catholique pour différends théologiques avec le haut clergé, se faisait appeler par les fidèles de son Carmel le « Dr  Johannès », nom mystique signifiant que l’âme de Saint-Jean l’apocalyptique s’était en lui incarnée.

L’abbé Boullan était un des nombreux sectateurs de Vintras. Vintras a laissé une réputation discutée et troublante. Prophète peut-être, — il se prétendait, lui, la nouvelle incarnation d’Élie, — médium à coup sûr, il s’élevait de terre devant témoins lorsqu’il priait, et des craquements se produisaient autour de sa présence. Sans instruction, il écrivit des livres de science sacrée, touffue et incohérente, où, selon l’expression d’Éliphas Lévi, l’Ange s’exprimait dans un langage de portier. Il professa que l’acte de l’amour sexuel était, de tous les hommages, le plus agréable à Dieu ; sa doctrine, il l’appuya par des miracles. Quand il consacrait, les hosties, devant des centaines d’yeux abasourdis, sortaient du calice et restaient suspendues dans l’espace ; d’autres gardaient des stigmates sanglants. On les a conservées à Lyon dans une chapelle particulière. M. Huysmans qui les a vues, pourrait dire qu’elles ne sont, malgré le sang et les années, ni détériorées ni corrompues.


Lorsque le mage Eugène Vintras priait sa divinité, il s’élevait en l’air, devant les fidèles de son culte infernal.

L’abbé Boullan rencontra Vintras, qui lui délégua ses pouvoirs. Héritier des manuscrits du Prophète, il ne tarda pas à accomplir d’aussi incroyables prodiges. Il guérissait des enfants noués, par exemple, avec des pierres précieuses ; et plusieurs femmes, — dont une Parisienne des plus citées dans le monde artistique, — furent soulagées d’une maladie de matrice — réputée incurable selon les plus savants docteurs — par l’imposition sur les ovaires d’hosties consacrées…

J’eus donc une certaine hésitation en montant l’escalier tortueux du n°… de la rue… à Lyon, là où habitait le thaumaturge[6]. Je fus reçu par un petit vieillard, allègre, aux yeux de flamme, avec un front d’inspiré et une mâchoire têtue. Il me mit à l’aise aussitôt, et nous causâmes entre madame Thibault la voyante et M. Misme, architecte qui est l’hôte et le disciple du « Père ».

« — Vous avez bien fait de venir, me dit Johannès, il est d’infâmes calomnies qui courent sur mon compte ; on prétend que je me livre à la magie noire ; les rose-croix de Paris, Stanislas de Guaita et Péladan répandent ce bruit. Mais vous quitterez Lyon, la conscience éclairée. »

(Ce que je vais rapporter, je puis, sur mon honneur, le certifier textuel, et s’il y’avait contestation, je ferais appel aux personnes présentes : M. Misme et madame Thibault).

« — Les occultistes de Paris, Guaita particulièrement, continua Boullan, sont venus ici m’arracher les secrets de la puissance. Guaita même s’agenouilla devant madame Thibault et la conjura de lui donner sa bénédiction : « Je ne « suis qu’un enfant qui apprend », s’écriait-il. Pendant plus de quinze jours nous lui fûmes une famille. À peine était-il parti avec le manuscrit du Sacrifice, le livre magique par excellence, une nuit je me réveillai frappé au cœur. Madame Thibault, chez qui je courus, me dit : « C’est Guaita. » Je m’affaissai en criant : « Je suis mort. » Après quelques secours je pus me redresser et je me fis porter à l’autel… »

Alors Boullan se leva et écarta le rideau de l’alcôve me montrant un petit édifice très simple, en bois, où brûlait une veilleuse…[7]

« — Je me fis porter à cet autel qui est toute ma force ; je dis le sacrifice de gloire qui rompt la complicité des méchants ; je pris les saintes espèces, et, ranimé, je me recouchai et dormis…

« Guaita lui-même, pratiquant la reconnaissance à rebours, me fit savoir qu’il avait voulu exercer contre moi la puissance que je lui avais octroyée,

« Depuis, je sais qu’il s’en est servi pour accomplir tous les maux. Des êtres ont disparu, frappés à mort par ce mage noir. Et sa haine s’accroît d’autant plus contre moi que je suis le seul par mes sacrifices, moi et le directeur de la Tromba Apocalyptica de Rome, à renverser leurs complots. Lorsque M. Huysmans est venu ici, il a assisté à une lutte à distance, dont je sais qu’il a emporté le souvenir le plus tragique. Madame Thibault assistait par la voyance aux coups repoussés de Lyon à Paris (Wird, Guaita, Péladan avaient décidé de me faire mourir). L’hostie à la main, j’invoquais les grands archanges pour qu’ils pulvérisent ces ouvriers d’iniquité… »

Des cris aigus me firent détourner la tête.

« — Ne vous étonnez pas, reprit Boullan, ce sont des oiseaux qui nous portent les messages du ciel. Ils se posent en observation sur le toit voisin, et, par leurs rumeurs, ils nous avertissent des projets de nos ennemis. »

Je visitai la maison ; elle est très simple, un peu encombrée de bondieuseries, mais ne sentant pas le moins du monde le sorcier. Madame Thibault, une paysanne au regard d’aigle, au verbe villageois, ne mange depuis des années que du pain dans du lait, fait à pied les pélerinages les plus lointains, et n’a qu’à soulever les prunelles au-dessus des lunettes pour apercevoir les légions de l’invisible ; quant à M. Misme, c’est un excellent vieillard, préoccupé de retrouver l’élixir de Paracelse. Je quittai la maison, charmé de cette hospitalité franche ; et le bon rire de Boullan tinta dans mes oreilles longtemps.

… Lorsque j’appris aujourd’hui sa mort et les soupçons planant sur les actes des Rose-Croix, je courus chez M. J.-K. Huysmans.

« — Vous tombez bien, me dit-il, et vouz allez avoir les seuls documents authentiques. Boullan est mort le 4. Voici la dépêche de M. Misme, et voici la dernière lettre de Boullan, notez bien ceci, datée du 2, l’avant-veille, et du 3, la veille de sa mort. Elle jette sur cet événement un jour étrange :

« Quis est deus ?
« Lyon, 2 janvier 1893.
« Bien cher ami J.-K. Huysmans,

« Nous avons reçu avec joie votre lettre qui nous apportait vos vœux de cette nouvelle année. Elle s’ouvre sous de tristes pressentiments, cette année fatidique ; 8 — 9 — 3, chiffres qui forment un ensemble d’annonces terribles.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« 3 janvier. — Ma lettre en était là hier au soir, pour attendre celle de la chère madame Thibault. Mais cette nuit un accident terrible a eu lieu. À trois heures du matin, je me suis éveillé suffoqué, j’ai crié : « Madame Thibault, j’étouffe », deux fois. Elle a entendu, et, en arrivant près de moi, j’étais sans connaissance. De 3 h. à 3 h. 1/2, j’ai été entre la vie et la mort.

« À Saint-Maximin, madame Thibault avait rêvé de Guaita (Stanislas de Ghaita) et le matin un oiseau de mort avait crié. Il annonçait cette attaque. M. Misme avait rêvé à cela. À 4 h, j’ai pu reprendre mon sommeil, le danger avait disparu.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Dr  J.-A. Boullan. »

Huysmans reprend :

« Quant à son agonie, la voici relatée par madame Thibault elle-même dans la lettre qu’elle vient de m’adresser, avec toute sa naïve émotion ; prenez-la au moment où nous a laissé le docteur.

« … Après avoir bu une tasse de thé, il a transpiré beaucoup ; j’ai rallumé le feu ; je lui ai chauffé une chemise qu’il a mise, et tout est rentré dans son état normal. Il s’est levé comme d’habitude, et il s’est mis à écrire, aussitôt le jour venu, son article pour La Lumière que madame Lucie Grange lui avait demandé, puis une lettre à un ami ; il voulait porter cela à la poste lui-même. Je ne l’ai pas voulu, je lui ai dit qu’il faisait trop froid pour lui.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« L’heure du diner est venue ; il s’est mis à table et il a bien diné, il était très gai ; même il est allé rendre sa petite visite quotidienne aux dames G… et lorsqu’il est rentré, il m’a demandé si j’allais être bientôt prête pour la prière ; nous arrivons pour prier ; quelques minutes après, il se sent mal à l’aise ; il pousse une exclamation et il dit : « Qu’est-ce que c’est ? » En disant cela, il s’affaissait sur lui-même. Nous n’avons eu que le temps, M. Misme et moi, de le soutenir et de le conduire sur son fauteuil, où il put rester pendant la prière que j’ai abrégée pour pouvoir le faire coucher plus vite.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« La poitrine est devenue plus oppressée, la respiration plus difficile ; au milieu de toutes ses luttes, il avait une maladie de foie et de cœur… Il me disait : « Je vais mourir, adieu. » Je lui disais : « Mais, mon père, vous n’allez pas mourir ; et votre livre que vous avez à faire ? il faut bien que vous le fassiez. » Il était content que je lui dise cela… il m’a demandé de l’eau du salut. Après avoir bu une gorgée, il nous disait : « C’est cela qui me sauve. » Je ne m’effrayais pas trop, nous l’avions vu tant de fois aux portes de la mort et se remettre quelques heures après. Je croyais que ce ne serait que passager. Il nous a parlé jusqu’au moment de la dernière crise… Je lui dis : « Père, comment vous trouvez-vous ? » Il me jette son dernier regard d’adieu. Il n’a plus pu nous parler. Il est entré en une agonie qui a duré à peine deux minutes…

« Il est mort en saint et en martyr ; toute sa vie n’a été qu’épreuves et souffrances depuis seize ans et plus que je le connais.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« J’appréhendais un triste dénouement avec toutes ces luttes qu’il avait soutenues pour lui et pour d’autres. Je suis étonnée qu’il soit venu jusqu’ici. Je crois qu’il avait rempli sa tâche. Sa mort m’avait été montrée depuis plus de six ans ; et, au moment où j’allais prendre le train à Saint-Maximin pour partir aux Saintes-Maries, un oiseau est venu me jeter plusieurs cris. Il n’était pas jour. Il était six heures du matin. J’ai dit tout haut, devant quelques personnes : « Ah ! mon Dieu ! une mort que cet oiseau m’annonce. » Et j’ai senti que c’était le pauvre Père. Je repoussais cette inspiration, je ne m’attendais pas qu’elle allait arriver cinq jours après ma rentrée à Lyon. »


« — Ces lettres ont un langage secret, reprit l’auteur de Là-Bas. J’étais à. Lyon, lorsque est parvenue une des lettres de la Rose-Croix, condamnant à mort par les fluides celui qui vient de mourir ; il en est plusieurs que madame Thibault doit avoir conservées.

« Ce que je puis vous dire pour ma part, c’est que Péladan, ce bilboquet du Midi, a tout tenté contre moi avant et surtout après mon roman Là-Bas. Tous les honnêtes gens ont été de mon côté, quand j’ai dévoilé les agissements sataniques des Rose-Croix de Paris ; mais les magiciens noirs me battent chaque nuit le crâne par des coups de poing fluidiques ; mon chat lui-même en est tourmenté ; peu m’importe, je ne les crains pas. Un journal du soir, par un madrigal, m’a avisé que mon protecteur magique étant mort, je risquai fort maintenant d’y passer ; mais ce dont ils ne se doutent pas, c’est que mon vrai, mon unique bouclier a été la sainteté hors d’atteinte de madame Thibault. »

Je ne porte ici, pour ma part, aucune accusation, je crois seulement de mon devoir de relater des faits : l’étrange pressentiment de Boullan, les visions prophétiques de madame Thibault et de M. Misme, ces attaques, paraît-il, indiscutables des rose-croix Wird, Péladan, Guaita contre cet homme qui est mort.

On m’a assuré que M. le marquis de Guaita vit seul et sauvage ; qu’il manie (il se plait à le laisser dire) les poisons avec une grande science et la plus merveilleuse sûreté ; qu’il les volatilise et les dirige dans l’espace : qu’il a même, — M. Paul Adam, M. Édouard Dubus, M. Gary de Lacroze l’ont vu, — un esprit familier enfermé chez lui dans un placard et qui en sort visible sur son ordre.

Ce que je demande sans incriminer qui que ce soit, c’est qu’on éclaircisse les causes de cette mort. Le foie et le cœur par où Boullan fut frappé, voilà les points que les forces astrales pénètrent.

Maintenant que des illustres savants tels que MM. Charcot, Luys et particulièrement de Rochas reconnaissent la puissance des envoûtements, dussé-je, — moi qui suis un adepte de la magie, — braver des fureurs homicides, je veux de pettes explications ; je les veux comme doivent les vouloir MM. Joséphin Péladan, Stanislas de Guaita et Oswald Wird, — afin que leur conscience soit légère ! — (Gil-Blas, du 9 janvier 1893).


Tel est l’article, écrit et signé par M. Jules Bois, occultiste, « adepte de la magie », — ainsi qu’il le proclame, — et cet article, on le reconnaitra, est gravement révélateur, quoique laissant bien des choses dans l’ombre et cherchant (comme tous les écrits d’occultistes) à donner le change sur les puissances surnaturelles auxquelles recourt l’écrivain. M. Jules Bois se rangeant dans le groupe des Vintras, Boullan et Huysmans, ne veut pas laisser soupçonner que sa magie est du satanisme tout aussi bien, mais sous une autre étiquette, que celle des Guaita et Péladan contre qui il fulmine.

Les hosties qui voltigeaient, dont il parle à propos d’Eugène Vintras, ne rappellent-elles pas les Saintes Espèces profanées par un juif, épisode connu sous le nom de miracle des Billettes ?… Faut-il que ces odieux profanateurs soient aveugles, pour attribuer à leur fausse divinité maudite de telles manifestations, si vraiment elles ont eu lieu !

Quant au Quis est Deus ? dont l’apostat Boullan faisait son en-tête de lettre, c’est bien là un blasphème d’inspiration vraiment satanique. La devise de l’archange saint Michel, parodiée par un prêtre indigne, un infâme qui osait, sous prétexte de médecine, appliquer des hosties consacrées !… En vérité, tout cela n’est-il pas le comble de l’abomination ?… et M. Jules Bois rapporte ces pratiques-là sans frémir !… Que dis-je ? il les cite complaisamment comme des faits admirables… Voilà ce qui est courant dans le groupe occultiste auquel appartiennent MM. Bois et Huysmans ! C’est bien la peine de flétrir les diseurs de messes noires !…

Mais quelle que soit notre tristesse en nous astreignant à de telles citations, continuons-les, il faut que l’on sache les crimes contre Dieu qui se commettent en ce siècle impie. Cette affaire d’envoûtement récent nous permet d’enregistrer quelques actes de l’occultisme moderne, — sans aucune contestation possible, puisque les disciples enthousiastes d’un Boullan les ont eux-mêmes consignés dans leurs écrits.

Le lendemain du jour où M. Jules Bois publia dans le Gil-Blas l’article qui vient d’être reproduit, M. Huysmans s’unissait à lui pour le confirmer. En effet, dans le Figaro du 10 janvier, on trouve sous la signature de M. Horace Blanchon, le récit d’une entrevue avec ces deux mages blancs.


J’ai voulu, écrit M. Blanchon, voir M. Huysmans et aussi M. Jules Bois, qui lui prête des propos si accusateurs à l’égard du sâr Péladan.

Voici ce que m’ont dit l’un et l’autre de ces messieurs :

« — Il est incontestable que Guaita et Péladan pratiquent quotidiennement la magie noire. Ce pauvre Boullan était en lutte perpétuelle avec les esprits méchants, qu’ils n’ont cessé, pendant deux ans, de lui envoyer de Paris. Rien n’est plus imprécis que ces questions de magie ; mais il est tout à fait possible que notre pauvre ami Boullan ait succombé à un envoûtement suprême.

« — Moi qui vous parle, ajouta M. Huysmans, je suis certain que Péladan et Guaita ont fait tout ce qu’ils ont pu pour me nuire. Et tenez ! chaque soir, à la minute précise où je vais m’endormir, je reçois sur le crâne et sur la face… comment dirai-je ?… des coups de poings fluidiques. Je voudrais croire que je suis tout bonnement en proie à de fausses sensations purement subjectives, dues à l’extrême sensibilité de mon système nerveux ; mais j’incline à penser que c’est bel et bien affaire de magie. La preuve, c’est que mon chat, qui ne risque pas, lui, d’être un halluciné, a des secousses à la même heure et de la même sorte que moi. En outre, il est certain que Mme Thibault, la digne femme que j’ai connue chez l’abbé Boullan, m’a, une fois déjà, délivré de ce maléfice. Depuis que notre ami est mort, la sensation bizarre de chaque soir a redoublé. »

Le 11 janvier, M. Jules Bois revient à la charge dans le Gil Blas. Il remercie M. Édouard Dubus qui avait bien voulu certifier par lettre ce fait : « M. Stanislas de Guaita a chez lui des manifestations fantômales. »

Et il ajoute :


M. Laurent Tailhade, ce sceptique, y assista, et en fut, paraît-il, épouvanté ; et ce n’était ivresse ni de morphine ni de haschich, puisque la vieille bonne du magicien, femme simple et saine, en poussa des clameurs d’effroi.


L’esprit familier de M. Stanislas de Guaita a rempli d’effroi les personnes qui l’ont vu.

M. Édouard Dubus ne doit pas ignorer que, si M. Stanislas de Guaita, qui n’a jamais eu la prétention d’être un saint, ne réalise pas ces phénomènes par la mortification et l’ascétisme, c’est par des pratiques infernales, pratiques dangereuses et inouïes, qu’il arrive à les obtenir.

Je tiens ici à affirmer que je ne suis pas l’ennemi de M. de Guaita, ainsi que la lettre en question l’insinuerait, non ! et je ne reçois pas non plus de mot d’ordre. Je n’ai eu avec le mage de l’avenue Trudaine, jusqu’ici, que les plus courtois rapports ; mais devant les présomptions importantes qui m’ont été fournies, j’ai cru de mon devoir, — et tout honnête homme l’aurait fait à ma place, — d’affirmer que M. Stanislas de Guaita avait, maintes fois depuis plusieurs années, menacé le docteur Boullan, qui vient de mourir de cette mort si mystérieuse et si subite, et qu’il y avait dans l’esprit de Boullan la hantise, l’obsession, la douleur persécutrice de ces menaces. Je ne veux pas en dire plus ; mais ce que je dis là, je le maintiens entièrement.

Le soir de mon article, M. J.-K. Huysmans a été plus particulièrement atteint par les fluides. Ces fluides, ainsi que l’auteur de Là-Bas me l’a expliqué chez lui, dans son cinquième où les plus exquis bibelots mystiques voisinent avec les violentes réalités de Forain et les extraordinaires géométries de Traksel, ces fluides dans leur choc nocturne pourraient bien rappeler le souffle d’une machine d’électricité statique. Ils l’importunent très souvent et augmentent ses insomnies.

Depuis la mort de Boullan, qui les avait coupés par ses « sacrifices » magiques, ils reprennent de plus belle.

J’ai demandé à M. J.-K. Huysmans s’il avait eu de la part de Boullan ou de son entourage d’autres manifestations d’une énigmatique puissance.

« — J’étais alors chez le docteur Johannès, me répondit le romancier ; il avait endormi la petite Laure qui lui servait de somnambule. Il lui demanda de voir chez moi à Paris, alors que son corps était devant nous à Lyon ; elle dépeignit assez bien mon intérieur qu’elle ne connaissait pas, puis s’écria : « Il y a un homme dans le lit de M. Huysmans. » Je m’écriai : « Pour ça, je suis bien sûr que non ; personne ne pénètre chez moi en mon absence. »

« Le docteur Johannès réitéra la question. Malgré mes dénégations et mes haussements d’épaule, la petite Laure insista et deux jours de suite. Mais je ne voulus rien entendre, croyant qu’il y avait là un simple rêvé d’une imagination mal dirigée… Quelque temps après, je rentrai rue de Sèvres, à Paris, et à peine gravissais-je les marches de mon escalier que ma concierge, après quelques préambules, — car elle se doutait bien, me connaissant, que cela me mettrait en fureur : « Monsieur, votre domestique a couché deux nuits de suite dans votre lit en votre absence. » — J’avoue que je demeurai abasourdi et que je n’eus rime pas assez de présence d’esprit pour m’emporter. »


Dans ce même article, M. Jules Bois nous apprend que M. Huysmans conserve chez lui une hostie consacrée, couverte du sang qui en a coulé et qui y est aujourd’hui figé.

Que la patience de Dieu est grande !

Cependant, M. Stanislas de Guaita protesta contre ces accusations d’envoûtement. Du moins, le Figaro publia une note dans ce sens. Il est vrai qu’il en répudia la paternité ; mais ce fut pour se décider plus tard à faire publier une lettre de-protestation des plus complètes ; je la reproduirai à sa place chronologique.

À la note du Figaro, M. Jules Bois répliqua dans le Gil-Blas du 13 janvier, en ces termes :

M. Stanislas de Guaita, qui se retranche maintenant derrière de simples préoccupations métaphysiques, prétend que les envoûtements ne sont point son fait.

Eh bien, en voici un qui est très clairement avoué et par lui-même dans son propre livre le Serpent de la Genèse, à la page 477. Cet envoûtement, — le plus terrible, parce qu’il est collectif, — était dirigé depuis longtemps déjà contre l’abbé Boullan, dit le docteur Baptiste, ce vieillard à qui les douleurs et les épreuves de sa vie avaient enlevé bien des forces.

M. Stanislas de Guaita a écrit ceci :

« … Dès le retour de M. Wirth, examen fait des pièces nouvelles, les occultistes, réunis en tribunal d’honneur, prononcèrent la condamnation du docteur Baptiste à l’unanimité des voix (23 mai 1887). Elle lui fut signifiée le lendemain.

« Mais avant de mettre en lumière les œuvres du personnage, on lui laisse tout le temps de s’amender. La condamnation qui resta près de quatre ans suspendue sur cette tête coupable reçoit en ce jour son exécution tardive. »

… Que M. Stanislas de Guaita ne vienne pas nous dire que sa condamnation était une condamnation platonique… La haine inexorable qu’il avait vouée au docteur Boullan, dit Baptiste, haine dont il avait créé le réseau serré et menaçant dans le cœur de tous ses amis, à lui Guaita, cette haine inexorable se resserrait de plus en plus, comme un étau de courroux contre cette victime solitaire…

De cette condamnation il y a l’une de ces trois conclusions à tirer :

1° Ou M. de Guaita a plaisanté… il n’y avait pas de quoi… et je dois dire que ce n’est point son habitude, comme c’est l’habitude de celui qui fut son ami, le baladin à gynandres et à androgynes Péladan ;

2° Ou M. de Guaita est insensé, condamnant quelqu’un en l’air, sans efficacité, sans qu’il y ait une sanction à ses paroles ;

3° Ou M. de Guaita a écrit, en toute connaissance de cause et d’effet, une sentence dont il savait la portée, et dont il pouvait diriger les funestes applications. Condamnant Boullan, il était sûr dans ce cas, de faire exécuter cette condamnation. Et alors, je laisse à mes lecteurs et à lui-même Stanislas de Guaita, le soin de qualifier une aussi cruelle conduite.

… Dans ses conversations, à Paris et à Lyon, le docteur Baptiste témoignait des afflictions que lui causait la haine infatigable de Stanislas de Guaita. Et toutes ses lettres en étaient pleines ; on sentait que pesait sur lui cette volonté persécutrice.

Un ami inconnu m’adresse une longue lettre dont j’extrais ces lignes plus particulièrement intéressantes :

« … Les conversations passées entre le docteur Boullan et moi me sont présentes comme au premier jour, et les accidents, les blessures survenues ou reçues sous mes yeux m’ont laissé un souvenir qui ne s’effacera jamais de ma mémoire… »

Boullan vint récemment deux fois à Paris ; il cacha son adresse et même son nom, car il voulait dépister les envoûtements dont il était l’objet. Il les sentait rôder autour de lui comme des poignards empoisonnés…


Cette fois, M. de Guaita s’émut. L’acharnement que M. Jules Bois, son adversaire occultiste, mettait à l’accuser d’avoir causé par maléfices la mort de l’apostat Boullan, le contraignit à sortir du silence dans lequel il s’était enfermé ; mais ce ne fut pas pour donner des explications sur ses pratiques personnelles. Il se borna à nier, — très énergiquement, il est vrai, — d’être l’assassin de Boullan.

Voici sa lettre, reproduite du Gil-Blas du 15 janvier :


Paris, ce 13 janvier 1893.
Monsieur le rédacteur du Gil-Blas,

Voilà plusieurs jours que la presse colporte sur mon compte certains ragots, d’un ridicule plus infamant en vérité pour les malveillants ou les naïfs qui ont lancé ce canard, que pour moi-même, aux trousses duquel il s’acharne.

Nul n’ignore plus que je me livre aux pratiques de la plus odieuse sorcellerie ; — que je suis à la tête d’un collège de Rose+Croix fervents du Satanisme, et qui dévouent leurs loisirs à l’évocation du Noir Esprit ; — que ceux qui nous gênent tombent, l’un après l’autre, victimes de nos maléfices ; — que moi, personnellement, j’ai féru à distance nombre de mes ennemis, qui sont morts envoûtés, en me désignant pour leur assassin (or, chacun sait que, depuis les récents travaux des docteurs Luys et Charcot, et particulièrement du savant colonel de Rochas, l’envoûtement à distance n’est plus contesté par la science universitaire ! !)…

Ce n’est pas tout. — Je manipule et dose les plus subtils poisons avec un art infernal, c’est convenu ; je les volatilise avec un bonheur particulier, en sorte d’en faire affluer, à des centaines de lieues d’éloignement, la vapeur toxique, vers les narines de ceux-là dont le visage me déplaît. — Je joue les Gilles de Raiz au seuil du vingtième siècle ; — j’entretiens (comme Pipelet avec Cabrion) des « relations d’amitié et autres » avec le redoutable Docre, le chanoine chéri de M. Huysmans. — Enfin, je tiens prisonnier en un placard un Esprit familier qui en sort visible sur mon ordre !

Est-ce assez ? — Point. Tous ces beaux renseignements ne sont qu’une préface. L’affaire où l’on veut en venir, c’est que l’ex-abbé Boullan, — ce thaumaturge lyonnais dont la mort récente a fait quelque bruit, — n’a succombé qu’à mes infâmes pratiques, à mes efforts combinés avec ceux de mes noirs complices, les Frères de la Rose+Croix.

On va même (cette insinuation naquit sous la plume méridionale de M. Jules Bois), jusqu’à laisser entendre qu’il serait expédient de pratiquer l’autopsie du défroqué, de qui certaines lettres, rendues publiques avec l’assentiment de M. J.-K. Huysmans leur destinataire, me dénoncent positivement comme le magicien provocateur de la crise cardiaque qui a ravi au Carmel son Souverain Pontife, et au monde des démoniaques son « Roi des Exorcistes. »

Car il faut bien dire que M. Boullan, dont j’ai démasqué dans mon dernier livre (avec preuves à l’appui) les œuvres et les doctrines, souffrait dès longtemps d’une double atteinte au cœur et au foie. Cette affection suivait son cours normal, avec des hauts et des bas. Mais à chaque nouvelle atteinte, notre pontife criait à l’envoûtement nouveau.

M. Boullan est mort : paix à sa cendre !… J’ai dit d’ailleurs ce que j’ai cru devoir dire, touchant nos relations et les événements qui succédèrent.

J’ai raconté la vérité ; je n’y ajouterai rien. Ceux qui veulent des détails précis et d’authentiques documents n’ont qu’à consulter, dans le Serpent de la Genèse (tome I, le Temple de Satan, pages 428-500) les 72 pages intitulées : le Carmel d’Eugène Vintras et le grand pontife actuel de la secte.

Cette parenthèse étant close, revenons à ce qui me concerne personnellement.

Les allégations produites dans les journaux, ces jours derniers, seraient abominables, si elles ne respiraient la plus intense bouffonnerie.

Me défendre de pareils cancans, allons donc ! Le bon sens public en a fait justice, et je n’ai peur que d’une chose, pour les fauteurs de ces naïves calomnies : c’est que, curieux d’épater les badauds et de divertir les sceptiques, ils n’aient fait rire beaucoup plus à leurs dépens qu’aux miens.

J’avais d’abord l’idée de m’en tenir au silence du plus parfait dédain. Je l’ai gardé jusqu’à ce jour, absolu ; — et les quelques lignes de rectification parues au Figaro émanent de la direction, et non de moi. M. Jules Bois en est donc pour ses frais de doucereuse perfidie, lorsqu’il note que « la réponse si pâle de M. Stanislas de Guaita dans le Figaro, n’est pas faite pour contenter ses amis. »

Je me disais : laissons tomber ces plaisanteries d’un goût fâcheux, et que nul ne rééditera. Je me trompais. De toutes parts, en dépit même de la diversion du Panama, des feuilles quotidiennes reproduisent gravement ces pauvretés !…

Donc, mon intention était de me taire ; mais ces sottes histoires menacent enfin de s’éterniser. La patience a des bornes, et c’est décidément trop de ridicule pour une fois.

On me demande à grands cris des explications… Les meilleures, en pareil cas, se donnent sur le pré. C’est du moins mon avis.

Mais à qui m’en prendre ?

— À M. Huysmans, d’abord : à tout seigneur, tout honneur !

— À M. Huysmans, qui, dans son roman Là-Bas, et depuis la publication de ce livre, n’a cessé de se faire l’écho central de ces invraisemblables calomnies ; — à M. Huysmans, qui a permis qu’on publiât les folles lettres où M. Boullan me désigne comme son persécuteur ; — à M. Huysmans enfin, dont la rectification parue dans un journal du matin souligne en quelque sorte les calomnies qu’on lui prêtait à mon endroit, plutôt qu’elle ne les atténue.

Donc, à M. Huysmans, tout d’abord. — Puis ensuite, à M. Jules Bois, qui m’a pris à partie par trois fois, dans le Gil-Blas.

En conséquence, j’ai envoyé des témoins à ces deux derniers.

Voilà, monsieur le rédacteur, ce que je voulais faire savoir aux lecteurs du Gil-Blas. Si j’ai choisi de préférence le Gil-Blas pour l’exercice de mon droit de réponse, c’est que M. Jules Bois a mis un incroyable acharnement à m’y poursuivre.

Agréez, Monsieur le Rédacteur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Stanislas de Guaita.

P. S. — M. Huysmans, dans sa lettre adressée à un journal du matin, prétend trouver en mon livre la preuve que j’ai dû maléficier M. Boullan. En effet, dit-il, dans l’hypothèse contraire, la condamnation du pontife, dépourvue de sanction, se réduirait à un non-sens.

Cette condamnation consistait, comme il est imprimé en toutes lettres à plusieurs pages du Serpent de la Genèse, dans la mise au jour des œuvres et des doctrines du personnage. Il est impossible de s’y tromper un seul instant, pour peu qu’on prenne la peine de lire l’ensemble du chapitre.


Tout catholique reconnaîtra que provoquer en duel des accusateurs n’est pas mettre à néant leurs accusations. Si nous vivions dans un autre siècle, cette querelle entre occultistes aurait été tirée au clair par la justice ; mais aujourd’hui l’État est athée, la loi ne reconnaît pas l’existence du surnaturel.

Je ne veux pas dire par là que M. de Guaita soit réellement l’auteur de la mort de l’apostat Boullan. La mort subite de cet infâme est sans doute le châtiment d’une existence horriblement sacrilège ; Dieu a jugé que c’était assez, et il a foudroyé le prêtre indigne au moment où il s’apprêtait à vulgariser, pour perdre des milliers et des milliers d’âmes, l’abominable livre le Zohar.

Mais M. Stanislas de Guaita est mal venu à se plaindre d’avoir été soupçonné. Pour être diabolisant, il l’est bien, et sa façon d’exposer ironiquement le résumé de ce qui a été publié sur son compte ne peut porter que sur les boulevardiers, qui ne croient à rien. Pour avoir le droit de nier par la tangente de l’ironie, il faudrait au moins que M. de Guaita n’eût pas publié son Essai de sciences maudites et le Temple de Satan, deux ouvrages où il se révèle occultiste de la pire espèce. Il ne faudrait pas que M. de Guaita fût loué à outrance par tous les propagateurs de la sorcellerie moderne.

« Stanislas de Guaita, écrit l’occultiste Papus, 33e, est l’un des kabbalistes contemporains les plus savants et les plus aimés des lecteurs d’occultisme… Stanislas de Guaita est aujourd’hui le seul écrivain qu’on puisse comparer à Éliphas Lévi. »

Éliphas Lévi est le pseudonyme judéo-cabalistique du luciférien Constant, le prêtre apostat dont j’ai fait de nombreuses citations.

« La pureté et la grandeur du style, continue le F∴ Papus, les profondeurs philosophiques abordées et la délicatesse apportées dans l’exposé des sujets les plus troublants font des ouvrages ésotériques de Guaita de véritables monuments de science occulte. Le Temple de Satan est une étude complète de la sorcellerie à toutes les époques et sous toutes ses formes, telle, en vérité, que Stanislas de Guaita était peut-être seul à pouvoir l’écrire. Étayée sur une masse prodigieuse de documents authentiques, pour une bonne part inédits, cette étude témoigne encore d’une compétence vraiment imprévue, en ces matières étranges et troublantes. Enfin, chose plus rare qu’on ne saurait croire, ce livre substantiel et condensé jusqu’à l’excès, ce livre bourré de renseignements et de spécifications précises, n’a rien de difficultueux ni de rébarbatif ; cette œuvre d’érudition et de science, écrite dans une langue souple, limpide et sobre, bien française, présente l’intérêt et le mouvement d’une œuvre d’imagination ; le Temple de Satan se lit comme un roman. » (Bibliographie méthodique de la science occulte, n° de décembre 1892.)

Il est impossible d’être plus chaleureusement prôné par les apôtres du démon.

D’autre part, les adversaires occultistes de M. de Guaita, et en particulier M. Jules Bois, appartiennent « au monde des démoniaques », selon l’expression de l’ennemi de feu Boullan, et ce n’est pas parce qu’ils mêlent le nom de Jésus à leurs diatribes, que les lecteurs catholiques se laisseront tromper. MM. Jules Bois et Huysmans considèrent le Christ comme un mage, au même titre que Zoroastre, Bouddha, etc. ; c’est un blasphème de plus, voilà la vérité.

Cette observation faite, donnons la réplique de M. Jules Bois à M. de Guaita ; car le disciple de l’apostat Boullan ne voulut pas avoir le dernier mot. Sa lettre fut insérée dans le même n° du Gil-Blas (15 janvier 1893) :

Monsieur le Rédacteur du Gil-Blas,

M. Stanislas de Guaita, le chef des Rose+Croix, « revient de tournée » comme le dit si bien le « représentant » de sa maison.

Il répond enfin.

Il se défend même — et mal ; je dirai plus : il s’accuse encore.

Il s’empêtre dans les pièges qu’il tend et le magicien noir décrit en connaissance de cause ses propres maléfices, il se mire dans ses envoûtements.

Laissons-lui ce triste orgueil ; laissons-lui ce plaisir moins élevé de la réclame qui lui fait citer par deux fois son livre, si profondément inconnu et cependant si chatouilleux que la meilleure partie en est écrite en latin.

Mais, quand il s’agit de se défendre de ce soupçon de satanisme, M. de Guaita recule et tente une diversion. Il change de terrain ; il sort de la discussion ; il quitte la plume et prend l’épée, — dont il se croit plus sûr.

Eh bien ! puisqu’il parle de doucereuse perfidie, je puis lui répondre hautement que si je l’ai attaqué de face, si je soutiens qu’il a poursuivi d’une haine implacable ce vieillard qui maintenant n’est plus, je serai devant lui, Stanislas de Guaita, sur le pré, avec la même audace.

On ne « calomnie » pas, monsieur de Guaita, quand on défend un mort et quand on protège une idée ! Vous, vous jugez, vous condamnez, vous exécutez votre sentence. Votre tribunal, s’il n’est pas horrible, n’est qu’une triste bouffonnerie, et puisque vous vous déclarez mage, je vous citerai l’exemple de vos maitres, de nos maitres, de Jésus, de Bouddha, de Pythagore, de Platon, de Socrate, qui ne surent que mourir et pardonner.

Et maintenant, paix à Boullan, qu’il repose désormais tranquille ; sa querelle renait entre les vivants, et M. Stanislas de Guaita sait bien que nous ne sommes pas des hommes politiques, que contre lui nous ne commencerons pas une guerre mesquine de petits papiers…

Recevez, Monsieur le Rédacteur, l’assurance de mes sentiments cordiaux et distingués.

Jules Bois

La querelle se termina par des duels entre le mage noir et les deux mages blancs ; les trois occultistes vivent encore.

Ainsi, cette étrange affaire a permis au public de constater l’existence de ces sectes diaboliques, en plein Paris, au dix-neuvième siècle. En vain, les rares adversaires qui se sont élevés contre moi dans la presse catholique s’efforcent de représenter les Jules Bois et Huysmans comme de simples observateurs, comme des hommes qui se bornent à étudier l’occultisme en interrogeant ses adeptes ; c’est là une hypocrisie nouvelle, une manœuvre pour dissimuler aux catholiques le travail souterrain de nos satanistes modernes.

Je ne citerai qu’un exemple de cette supercherie ; mais il est caractéristique.

Voici comment M. Georges Bois apprécie son homonyme Jules Bois, l’occultiste :

« Le scepticisme de M. Jules Bois est aux antipodes de la foi catholique. Mais on ne saurait lui contester sa compétence et son expérience des choses de l’occultisme ; c’est un spécialiste d’une autorité reconnue… M. Jules Bois publie sur l’occultisme une série d’études : les Petites Religions de Paris. Après avoir parlé du bouddhisme, il vient au luciférianisme et à l’essénianisme. Sa méthode consiste à écouter les praticiens de ces diverses spécialités et à résumer ses interwiews avec la plus indifférente et la plus sceptique exactitude. » (Extrait de la Vérité, n° du 5 mars 1894.)

Eh bien, là encore comme toujours, M. Georges Bois ment, trompe ses lecteurs sciemment ; c’est une habitude invétérée, une seconde nature.

M. Jules Bois n’est nullement un sceptique, un indifférent ; c’est un occultiste passionné, qui se bat en duel pour ce qu’il appelle « protéger une idée », l’idée, c’est-à-dire la doctrine absolument satanique de son maître et ami le magicien Boullan, prêtre apostat et sacrilège ! Il est le défenseur d’une école où les Saintes-Espèces sont profanées quotidiennement de la façon la plus odieuse, sous prétexte de médecine mystique. Il se proclame mage, ce qui n’est certes pas une déclaration de scepticisme.

M. Jules Bois n’est pas palladiste ; il ne voit pas en Lucifer le principe du Bien, l’égal du Dieu des chrétiens et son antagoniste finalement vainqueur. Non, il ne va pas jusque-là. Il ne tient pas le Christ pour un descendant de Baal-Zéboub, traître à sa mission sur terre et justement mis à mort ; mais, pour lui, Jésus est un magicien, dont les préceptes ont du bon, comme ceux d’autres magiciens, Simon, Apollonius de Tyane, qu’il met sur le même pied que le Christ. Julien l’Apostat est, pour lui, Julien le Sage. Quant à Satan, c’est un révolté, qui sera pardonné par Dieu, et voici comment : Dieu lui enverra un jour une femme surnaturelle, Psyché ; Satan en deviendra épris ; ce mariage régénérera Satan, et il sera alors le vrai Messie qui fera triompher le règne de Dieu dans toute l’humanité.

Telles sont les croyances de M. Jules Bois ; telle est sa foi, si ardente qu’il n’hésite pas à combattre pour elle l’épée à la main.

M. Jules Bois ne se borne pas à écrire les Petites Religions de Paris, œuvre de reportage, fourmillant d’inexactitudes et de quiproquos, comme toutes les interwiews hâtives faites par un journaliste qui vient prendre des renseignements sur des questions de lui totalement inconnues, le plus souvent. Il a écrit aussi une pièce, « un drame ésotérique », dont le titre est : les Noces de Sathan (avec un h) ; et là nous trouvons sa pensée personnelle, un aperçu de la doctrine qu’il professe. Ce drame est une tentative du diabolisme aux mille formes qui s’insinue dans certains salons du monde élégant ; en d’autres termes, les occultistes de cette fin-de-siècle ont imaginé de propager leur dogme infernal sous le couvert d’une sorte de renaissance soi-disant artistique, qu’ils s’efforcent de mettre à la mode. Telles ont été, par la peinture et la sculpture, les exhibitions du démoniaque Péladan, dénommées « Salon de la Rose + Croix. » M. Jules Bois, lui, voudrait, par le théâtre, faire pénétrer dans les esprits mondains son satanisme spécial.

Je viens de montrer ce qu’est M. Stanislas de Guaita ; je dois faire connaitre aussi son contradicteur en occultisme. Pour ne pas être accusé de dénaturer les opinions du mage blanc Jules Bois, je citerai quelques lignes fort instructives du compte rendu de sa pièce satanique, inséré dans son propre journal, le Cœur (revue mensuelle, n° d’avril 1893). L’auteur du drame en avait donné lecture au cours d’une conférence faite le 14 mars, à la salle des Capucines. M. Jean Jullien, collaborateur de M. Jules Bois, écrit donc à ce sujet :


« M. Jules Bois est un poète incontestable et un initié convaincu ; il nous a développé, dans une forme élégante et d’une clarté rare, le but du théâtre ésotérique et le plan de sa pièce…

« Nous avons en nous deux âmes. L’une est la partie libre de l’homme en possession de toutes les puissances créatrices qui constituent l’individualité humaine dans sa nature indépendante et dans son libre arbitre. L’autre est le principe supérieur qui constitue la conscience et fait que l’homme peut connaître ce qui est bien et ce qui est mal ; c’est l’intelligence qui l’amène à se dépouiller des principes de sa nature pour monter dans la vie plus élevée des mondes supérieurs. La première est l’âme terrestre ; la seconde est l’esprit en relation avec les forces mystérieuses de l’univers… »


Il est évident que ces adeptes de la magie blanche, qui sentent en eux deux âmes, dont l’une est « un esprit en relation avec des forces mystérieuses », sont tout simplement des possédés ; cela est clair comme le jour. M. Jules Bois me paraît avoir grand besoin d’être soumis au régime des exorcismes.

Je passe une dissertation sur le théâtre grec, et je coupe tout ce qui serait sans intérêt pour mes lecteurs.

M. Jean Jullien nous apprend que le théâtre ésotérique « ne s’accommode pas de simples théories psychiques » ; qu’il n’est pas « non plus l’œuvre des symbolistes de lettres » ; et il en arrive à dire :


« Il (le théâtre ésotérique de M. Jules Bois) n’est pas davantage la résultante de la parole du prêtre, ni la conclusion des morales, ces recueils d’hypocrisie ; il est l’œuvre des initiés au monde de l’esprit, cherchant la beauté immuable dans l’infinie vérité ; il est la représentation de l’évocation… »


Voilà un aveu significatif.


« Arrivons, continue M. Jean Jullien, à la pièce ésotérique de M. Jules Bois, les Noces de Sathan.

« Comme il est assez difficile de représenter matériellement « l’atmosphère seconde du monde astral », le décor est censé simuler le flanc d’une montagne entre terre et ciel, avec grotte réservée aux apparitions. Une femme drapée de blanc, coiffée à l’égyptienne, debout à droite de la scène, prend la parole au nom d’Hermès. « Ce qu’Osiris me révéla, dit-elle en substance, pour être caché aux profanes, le Christ commande aujourd’hui qu’on l’explique avec des symboles. »

« Un homme en maillot noir et manteau noir s’avance : c’est Sathan. Il symbolise les révoltes de l’esprit humain, les désirs et l’orgueil de l’homme, le mal. Il nous explique qu’il souffre de ne pouvoir faire tout le mal qu’il souhaite ; les démons et les hommes ne comprennent plus

« Qu’il faut aimer le Mal comme on aime la Mort. »

« Paraît Psyché ; elle symbolise les élans du cœur, la faiblesse et la puissance de la femme, la médiatrice.

« Psyché est aimante et pure ; quelle belle proie pour Sathan ! Elle parle de rédemption ; il résiste.

« Elle ne désespère pas cependant de le sauver. Comme nous ne sommes en aucun temps, en aucun lieu, Psyché fait entendre à Sathan les élohims célébrant le pur amour divin, puis, elle lui montre Adam, Ève, Caïn, Méphistophélès, Faust, stigmatisant l’amour des hommes ; elle évoque les succubes, incubes, démons stercoraires à l’amour immonde ; elle fait même apparaître Hélène pour lui prouver la vanité de l’amour intellectuel. Après ce défilé des différentes amours, elle le persuade que le seul vrai bien est l’amour mystique où le cœur palpite dans le déchainement de l’esprit, AMOUR QUI FERA DE LUI LE MESSIE FUTUR.

« Sathan, vaincu par Psyché, s’écrie :

« Le miracle de ta caresse
« A transfiguré mon tourment.
« Moi qui croyais, par ta faiblesse,
« Couronner le mal triomphant,
« Je sens le bien et son ivresse
« Ensorceler mon front tremblant ;
« Et me voici tout chancelant,
« Comme un enfant qu’un baiser blesse. »

« Et les élohims répandent les lis rouges sur les fronts des mystiques époux.

« Eh bien ! on avait raison, à Eleusis, de ne représenter ces mystères que devant les initiés ; pour les profanes, ils sont bien difficilement compréhensibles. N’eût-il pas mieux valu représenter les Noces de Sathan dans une salle absolument obscure et silencieuse, avec de vagues apparitions lumineuses en des glaces disposées sur la scène et rien que des voix ?

« Quoiqu’il en soit, l’œuvre, bien qu’abstraite, curieusement rimée, reste intéressante. Quoique l’idée de Satan régénéré ne soit pas nouvelle, c’est là une tentative vraiment originale et artistique. »

Après cela, j’ai bien le droit de dire :

Si M. Jules Buis est un égaré, un instrument inconscient du diable, un simple possédé qui se croit un mage ayant l’inspiration divine, l’autre Bois, le Georges Bois qui se dit catholique abuse étrangement de la confiance de ses lecteurs en faisant passer à leurs yeux pour un indifférent et un sceptique son homonyme l’occultiste dogmatisant et pratiquant, le croyant en Satan futur Messie, l’initié convaincu, disciple de Boullan l’apostat.

Et une question se pose à l’esprit de quiconque n’est pas de parti-pris :

Quel intérêt M. Georges Bois a-t-il à sophistiquer à ce point la vérité ? Quel but poursuit-il, à quelle mystérieuse consigne obéit-il, en dissimulant avec une opiniâtreté inouïe l’œuvre puissante du satanisme dans la société moderne, en s’efforçant de discréditer de toutes manières (heureusement sans y réussir) tout homme qui vient déchirer les voiles du magisme infernal de notre époque et mettre en garde la chrétienté contre une organisation ténébreuse, l’âme de toutes les sectes anticatholiques et en particulier le moteur occulte de la franc-maçonnerie ? Oui, quel est le ressort caché de cette conduite incompréhensible ? Voilà ce que se demandent ceux qui apprécient ma campagne contre les sectateurs de la religion luciférienne, en considérant, d’autre part, les moyens déloyaux employés pour la faire échouer[8]

Entre les deux Bois, le plus coupable, à mon avis, ce n’est pas Jules ; c’est Georges.

Cette digression terminée, je reviens aux envoûtements, et j’en finis avec la question.

Quelle que soit la vérité sur la mort subite de l’ex-abbé Boullan, il n’en est pas moins certain que les envoûtements n’ont pas cessé d’être pratiqués de tout temps, et aussi bien aujourd’hui que dans l’antiquité et au moyen-âge.

M. Horace Blanchon, qui a assisté aux expériences du colonel de Rochas, a écrit très impartialement ceci :


« M. le colonel de Rochas s’est fait une célébrité par sa hardiesse à étudier les phénomènes les plus inquiétants en apparence ; il s’est occupé de reproduire, expérimentalement, les phénomènes d’envoûtement. Même on affirme qu’un prélat, délégué de la Congrégation des Rites, serait venu de Rome pour que le colonel l’aidât à faire la part du naturel et du surnaturel en tout cela.

« M. de Rochas n’a obtenu de résultats qu’à petite distance. Il n’envoûte pas de Paris à Lyon, mais simplement à la distance de 3 ou 4 mètres.

« Voici ce que je lui ai vu faire sur trois malades du service de M. le docteur Luys : Mme B…, la nommée Jeanne, et la nommée Clarisse.

« La malade étant peu profondément endormie, il est possible de lui extérioriser ses sensations, c’est-à-dire de rendre sa peau insensible et de donner cette sensibilité à une couche d’air située à 2 mètres d’elle. Si on pince ou si on chatouille l’atmosphère à 2 ou 3 mètres de l’hypnotisée, l’hypnotisée crie ou est prise d’un fou rire, absolument comme si on agissait directement sur elle.

« Si, au lieu de charger telle couche d’air de sa sensibilité, on en charge un verre d’eau ou une poupée de cire, — ici, nous revenons à l’envoûtement proprement dit, — il suffit de frôler le verre d’eau pour que le sujet perçoive ce frôlement sur sa peau, et de même, il suffit de tirer les cheveux à la poupée ou de la piquer, pour que le sujet éprouve la sensation correspondante. Si on brutalise la poupée, l’hypnotisée est au supplice…

« Comme tout est progrès dans le siècle qui court, on opère au besoin sur de simples photographies, pour peu que le sujet à envoûter les ait touchées pour leur abandonner, pour extérioriser, à leur profit, sa sensibilité et sa vitalité. Et les expériences du même ordre sur l’emploi des médicaments à distance tendraient de même à démontrer qu’il est relativement facile d’empoisonner de loin son ennemi, sans qu’il soit possible à M. Brouardel lui-même de lui trouver dans les viscères le moindre poison végétal. »


Cette citation n’était pas inutile, l’écrivain reproduit ayant fidèlement relaté ce qu’il a vu ; et son impartialité est d’autant plus indiscutable que, personnellement, il déclare, en sa conclusion, qu’il n’est nullement convaincu par les expériences auxquelles il a assisté chez M. de Rochas « dont la bonne foi scientifique, dit-il, n’est, d’ailleurs, nullement en cause ». M. Horace Blanchon pense que les sujets employés par le colonel sont de bonnes simulatrices, et voilà tout. La vérité est qu’il n’y a en tout cela ni résultat scientifique naturel, ni supercherie non plus, M. de Rochas n’étant pas un naïf à qui des farceuses en imposeraient ; il y a œuvre du diable, ni plus ni moins, et c’est ce que beaucoup ont le grand tort de ne pas vouloir comprendre. Ce n’est pas la science des hommes, mais celle de l’Église seule, qui est capable d’expliquer et qui explique ces phénomènes étranges et troublants.


C. — CHARMES ET PHILTRES


On entend proprement par charmes (du latin carmen, vers, chant) toute préparation magique rendue efficace par la vertu de paroles mystérieuses, parfois chantées ; le mot incantation exprime l’acte même de cette exécration verbale.

Les substances qui entrent dans la composition du charme sont d’une très grande variété, et le charme est d’autant plus puissant que les substances qu’on y mêle sont plus étranges et plus incompatibles, les paroles plus mystérieuses et plus incompréhensibles. « Les formules les plus incompréhensibles, dit Pic de la Mirandole, et les plus absurdes en apparence, sont magiquement les plus efficaces. » C’était déjà l’opinion de Jamblique, disant que « ces formules de la magie qui paraissent barbares et inintelligibles sont pourtant vénérables, parce qu’elles sont révélées d’en haut et se rapprochent par leur inintelligibilité même de la langue des dieux ». Il existe, en effet, une sorte de langue infernale, dont Albert Pike a formé, dit-on, un vocabulaire[9].

Aussi le sorcier, en pays chrétien, a toujours soin d’amalgamer dans la composition de ses charmes les choses saintes avec les profanes, le ciel avec l’enfer, les objets sacrés avec les substances les plus viles et les plus obscènes. En voici un exemple des plus frappants, emprunté à l’Autobiographie de Madeleine Bavent, dont j’ai résumé plus haut l’histoire de la possession, autobiographie publiée par le R. P. Desmarets, prêtre de l’Oratoire et sous-pénitencier de Rouen, son confesseur :

« Quinze jours à peine s’étaient écoulés, que Picart (le directeur du couvent de Louviers) prit quelque prétexte d’aller au jardin, où j’étais avec quelques-unes des religieuses. Pour lors, j’avais l’incommodité de mes mois. Il nous suivit, et comme nous fûmes arrêtées en certain endroit, il prit une Hostie dans un livre qu’il portait, avec laquelle il recueillit quelques grumeaux du sang tombé à terre. Après, il l’enveloppa dedans, et m’appelant à lui vers le cimetière, me prit le doigt pour lui aider à mettre le tout dans un trou proche d’un rosier. Les filles qu’on exorcise ont dit que c’était un charme, pour attirer les religieuses à la lubricité. Je n’en saurais que dire… mais il est certain que, pour mon cas particulier, j’étais fort encline à aller en ce même lieu où j’étais travaillée de tentations sales et tombais en impureté. »

Elle reconnut aussi devant le lieutenant-criminel qu’elle avait fait, sous la direction du même Mathurin Picard, neuf ou dix charmes composés d’hosties consacrées mêlées avec des crapauds, du poil du bouc du sabbat et d’autres choses si honteuses que l’honnêteté ne permet pas de les nommer ; qu’elle et Picard avaient piqué des hosties consacrées apportées au sabbat ; on les perçait, souvent il en sortait du sang, qui servait à la composition des charmes de lubricité.

On peut distinguer plusieurs sortes de charmes : — les charmes meurtriers à l’aide desquels on donne la mort aux hommes ou aux animaux ; — les charmes purement nuisibles, dont on se sert pour détruire les fruits de la terre, pour faire tomber la pluie, disposer des vents et de la foudre, etc. ; — les charmes curatifs ou guérisseurs ; — enfin les charmes propres soit à engendrer ou à exalter l’amour, soit à l’affaiblir ou à l’abolir. Ces derniers prennent le nom de philtres.

Objets ou paroles enchantés par le pouvoir infernal du magicien, c’est en somme à quoi se réduit le charme. Ce sont là proprement les sacrements du diable, inventés par lui à limitation des sacrements de l’Église.

« Lorsque les démons s’insinuent dans les créatures, dit saint Augustin (Cité de Dieu, XXI, ch. VI.), ils sont attirés par des charmes aussi divers que leur génie. Ils ne cèdent point, comme les animaux, à l’attrait des aliments ; mais, en tant que natures spirituelles, ils se rendent à des signes conformes à la volonté de chacun. Aussi, les voyez-vous affectionner différentes espèces de pierres, d’herbes, de bois, d’animaux, d’enchantements ou de rites. Afin donc d’engager les hommes à les attirer à eux, ils commencent par les séduire, soit en versant dans leur cœur un poison secret, soit en leur offrant l’appât d’amitiés perfides ; et de la sorte ils se forment un petit nombre de disciples qui deviennent les maîtres des autres. Comment savoir, en effet, s’ils ne l’eussent eux-mêmes enseigné, ce qu’ils aiment ou ce qu’ils abhorrent, le nom qui les attire ou qui les contraint, tout l’art enfin de la magie, toute la science des magiciens ? »

Voulons-nous, à côté de l’autorité de saint Augustin, celle d’un grand savant moderne ? Écoutons le révélateur des mystères de l’Égypte, Champollion-Figéac : « En un mot, toutes ces combinaisons formées d’herbes, de pierres, d’animaux, de certaines émissions de voix, de certaines figures, ou imaginaires, ou empruntées à l’observation des mouvements célestes, combinaisons qui deviennent, entre les mains de l’homme, des puissances productrices de divers effets, tout cela n’est que l’œuvre de ces démons, mystificateurs des âmes asservies à leur pouvoir, et qui font de l’erreur des hommes leurs malignes délices. »

Champollion-Figéac prononçait ces graves paroles au sujet des charmes et enchantements pratiqués dans l’ancienne Égypte, et dans lesquels il trouvait la clef des prodiges de la magie moderne. Le maléfice y existait dans toute son horreur. L’évocation suivante du démon, prononcée par la bouche du goëtien de l’antique Égypte, en fait foi :

« Ô toi qui hais, parce que tu as été chassé, je t’invoque, tout-puissant souverain des dieux, destructeur et dépopulateur, toi qui ébranles tout ce qui n’est pas vaincu ! Je t’évoque, à Typhon-Seth !… Vois, j’accomplis les rites prescrits par la magie, c’est par ton vrai nom que je te somme. Viens donc à moi franchement, car tu ne peux me refuser… Et moi aussi, je hais telle maison qui est prospère, telle famille qui est heureuse ; sus contre elle et renverse-la, car elle m’a fait injure ! »

J’ai déjà dit, maintes fois, quelle fut chez les Grecs la puissance de la magie associée à la religion ; le paganisme étant une des religions diaboliques les mieux aimées de Satan[10], le prêtre était, le plus souvent, doublé d’un magicien. Qui ne connaît la légende de Circé servant à ses hôtes de passage tels mets et tels breuvages corrompus par ses préparations enchantées et les transformant en lions, en loups, en pourceaux ?…

Les enchantements de Circé se sont perpétués dans les traditions des sorcières d’Italie. « N’avons-nous point nous-même, pendant notre séjour en Italie, dit saint Augustin, entendu rapporter que des femmes de cette contrée, des hôtelières initiées aux pratiques de la sorcellerie, savaient communiquer à des fromages offerts aux voyageurs la vertu de transformer en bêtes de somme ceux qui s’en nourrissaient ? Elles faisaient travailler ces malheureux à des transports de fardeaux, et lorsqu’ils s’étaient acquittés de leur tâche, elles leur laissaient reprendre leur première forme. Or, Proœstantius, étant dans sa propre maison, avait goûté par hasard à l’un de ces fromages maléficiés, et l’effet en avait été prompt ; car, tombant sur son lit dans un état semblable au sommeil (le somnambulisme artificiel), et dont nul effort n’avait pu le tirer, il s’était senti devenir cheval. Dans cette nouvelle condition, cheminant en compagnie d’autres bêtes de somme, il avait porté sur son dos les livres destinés aux soldats. Tout cet incident lui avait semblé n’être qu’un songe ! et pourtant, ce qui résulte de l’enquête ouverte à ce sujet, c’est que chaque détail s’était passé conformément à son récit. » Pour opérer de semblables métamorphoses, le diable, aujourd’hui devenu spirite, se passe de philtres ou de fromages ; il lui suffit de quelques passes d’un Vocate Procédant ou d’un simple regard d’un Vocate Élu.

Mais revenons aux Grecs.

On connait la grande réputation des femmes de Thessalie dans l’art magique, leur habileté à composer des charmes, des poisons et des philtres. À côté d’elles, certains enchanteurs d’un ordre inférieur, se livrant aux pratiques de la Goétie, étaient surtout redoutés par leurs intentions toujours criminelles ; ils composaient des philtres qu’ils vendaient à tout venant. Les mystères célèbres en certains lieux de la Grèce étaient remplis de rites fort semblables aux pratiques des sorciers du moyen-âge. Un grand rôle y était joué par les reptiles et les animaux immondes, les philtres et les compositions dégoûtantes, les formules les plus bizarres. L’usage des charmes et des philtres passa de la Grèce en Italie, où il régna jusqu’à la chute de l’empire romain, malgré les nombreuses lois qui essayèrent d’en arrêter les progrès. Les poètes latins érotiques sont pleins de révélations sur le rôle joué par la magie dans les amours coupables de la plus corrompue des sociétés. On ferait une longue liste des crimes commis par la magie d’alors ; je n’en veux citer qu’un, d’autant plus remarquable que l’empereur philosophe Marc-Aurèle y trempa lui-même. J. Capitolinus, dans sa vie de Marc-Antonin (XIX) le raconte ainsi :

« Un jour, Faustina, fille d’Antonin le Pieux, et femme de Marc-Antonin, voyant défiler des gladiateurs, s’éprit de l’un d’entre eux en vertu d’un charme jeté sur elle. Longtemps tourmentée de sa folle passion, elle en fit l’aveu à son époux. Marc-Antonin consulta les Chaldéens à ce sujet ; ils répondirent qu’il fallait mettre à mort le gladiateur, que de son sang Faustina devait se laver certaines parties du corps, et coucher en cet état dans le lit de son époux. Ainsi fut fait : le charme fut détruit ; mais Commode vint au monde… Il n’y a rien dans cette histoire que de vraisemblable, si l’on songe que le fils d’un si vertueux empereur fut tel que ne fut jamais ni boucher, ni histrion, ni valet d’arène, ni homme, enfin, comme en produit la fange de tous les crimes, de toutes les infamies. »

Creuzer (Religions d’Italie, ch. IV) parle longuement des fulguritores (lanceurs de foudre) étrusques, auxquels Tullus Hostilius et Numa devaient la science de conjurer la foudre, de la lancer sur les ennemis, de la faire entendre par un ciel serein. « Rien n’égalait, dit Creuzer, la crainte et l’horreur dont se sentaient pénétrés ceux qui lisaient les rituels des fulguritores. » — « Tous les passages des anciens, ajoute Guignaut en note, prouvent que cet art consistait seulement en prières et en cérémonies conjuratoires. » — « J’affirme, dit l’historien Pausanias, avoir vu moi-même des hommes qui, par de simples prières et enchantements, détournaient la grêle. » La race diabolique de ces fulguratores n’est pas encore éteinte. L’abbé Bonduel, qui a évangélisé les sauvages Menomonis (Amérique du Nord) a vu, plusieurs fois, lorsque les glaces entravaient le commerce de ces sauvages, un ouragan violent fondre instantanément, à la prière du sorcier, sur le fleuve, et briser une glace de six à huit pieds. M. Duroy de Bruigoac, dont j’ai déjà cité l’excellente étude, Satan et la Magie de nos jours, rapporte ce fait récent : « Un de nos économistes bien connus proféra, dans une partie de plaisir, des paroles d’évocation ; à l’instant même, un ouragan furieux, terrible, éclata comme la foudre. Cela eut lieu devant témoins. »

Chez les Romains, au déclin de la République, les Phrygiens faisaient négoce clandestin de charmes, de philtres et d’amulettes. Ce négoce s’est perpétué pendant tout le moyen-âge, ainsi que le prouvent les innombrables procès de sorcellerie qui remplissent cette époque. Je ne puis ici qu’indiquer sommairement les principaux charmes alors en vogue, et dont on retrouverait encore aujourd’hui des traces dans nos campagnes. Cahagnet, qui a étudié à fond cette matière, dit avec son affreuse logique de sorcier sataniste :

« Il n’est pas besoin d’aller visiter l’Inde et l’Égypte pour étudier ce qui n’a cessé de se faire à côté de nous, ce qu’un simple berger ou pâtre sait aussi bien exécuter que les plus grands sages de l’Orient, qui, par quelques paroles ou quelques signes de croix, me guérira une brûlure ou une entorse. D’autres, avec de simples paroles, n’éteignent-ils pas un incendie ? Ne donnent-ils pas une fièvre ou une maladie quelconque ? Ne peuvent-ils pas faire naître de la vermine, inonder nos demeures de rats, de couleuvres ou de lézards ? soutirer au pipeau ou à la houlette le lait de vos vaches, le vin de vos caves? Ne me font-ils pas voir, dans un simple seau d’eau, les personnes que je désire y voir ? Ne font-ils pas mourir tous les bestiaux de mes étables ? Ne rendent-ils pas stériles toutes mes terres ? Ne rajeunissent-ils pas mes organes affaiblis par la vieillesse, par le secours de quelque philtre ? Ne font-ils pas l’opposé par le nouage de l’aiguillette ?… » Bien des crimes, bien des maux, dont la cause reste inconnue ou inexplicable, ont sans doute leur origine dans l’emploi des charmes ou sortilèges, clandestinement opérés par les adeptes secrets de Satan.

Les principaux charmes en usage dans la magie sont les suivants :

Charme stupéfiant. — Ce charme est célèbre dans les campagnes sous le nom de main de gloire. C’est la main d’un pendu desséchée en plein soleil, puis dans un four chauffé avec de la verveine et de la fougère après qu’on l’a fait macérer quinze jours dans un mélange de zimat, de salpêtre, de sel et de poivre long. On met ensuite dans cette main une chandelle composée de la graisse du même pendu, de cire vierge et de sésame de Laponie. Les voleurs se servent de cette main comme d’un chandelier ; toutes les personnes à qui elle est présentée sont subitement frappées de stupeur et d’engourdissement. — Nos missionnaires ont découvert à Calcutta et à Canton des charmes analogues employés par des bandes de voleurs qui parviennent à enlever de malheureux enfants et à les stupéfier instantanément au point de les empêcher de reconnaître et même de voir jusqu’aux membres de leur propre famille. On lit à ce sujet, dans le Glaneur indouchinois du 2 juillet 1820 : « La curiosité publique a été vivement excitée depuis quelques jours par la découverte d’une bande de voleurs d’enfants des deux sexes. Cette découverte a été faite par le zèle d’un tisserand en soie, qui, en se promenant dans les rues de Canton, reconnut l’enfant de son maitre, perdu depuis quelques jours. L’enfant tourna sur lui un regard stupide et refusa de le reconnaitre. Le tisserand l’emmena de force chez son père. Il restait toujours sous le charme de la stupidité ; mais on n’eut pas plus tôt appelé les prêtres de Bouddha et pratiqué les cérémonies efficaces que le charme disparut, et que l’enfant, en versant des larmes abondantes, reconnut son maître et son père. Les voleurs furent découverts : on trouva six hommes et trois femmes qui faisaient ce métier depuis plus de vingt ans. Ils avaient enlevé, pendant cette époque, plusieurs milliers d’enfants : il n’en restait plus que dix dans la maison, tous sous l’influence du charme stupéfiant. »


La main de gloire. — Les voleurs se servent de cette main comme d’un chandelier ; toutes les personnes à qui elle est présentée sont subitement frappées de stupeur et d’engourdissement.

Charmes d’invisibilité. — Pour se rendre invisibles, grand nombre de magiciens, invoquant habituellement Satan, portent en outre sous le bras droit le cœur d’une chauve-souris, celui d’une poule noire ou celui d’une grenouille.

— Ou encore, le sorcier prend entre les dents certain os d’un chat noir volé, qu’il a fait bouillir pendant vingt-quatre heures sans boire ni manger.

— Il faut noter aussi l’anneau enchanté ou anneau de Gygès. Les cabalistes ont laissé la manière de faire cet anneau. « Il faut entreprendre cette opération un mercredi de printemps, sous les auspices du daimon Hermès. Que l’on ait du bon mercure fixé et purifié ; on en formera une bague où puisse entrer facilement le doigt du milieu ; on enchâssera dans le chaton une petite pierre que l’on trouve dans le nid de la huppe, et on gravera autour de la bague ces paroles : Jésus passant † au milieu d’eux † s’en alla ; puis, ayant posé le tout sur une plaque de mercure fixé, on fera le parfum de Mercure ; on enveloppera l’anneau dans un taffetas de la couleur convenable à la planète du daimon protecteur ; on le portera dans le nid de la huppe d’où l’on a tiré la pierre ; on l’y laissera neuf jours ; quand on la retirera, on fera encore le parfum comme la première fois ; puis, on la gardera dans une petite boîte faite avec du mercure fixé pour s’en servir à l’occasion. Alors on mettra la bague à son doigt. En tournant la pierre en dehors de la main, elle a la vertu de rendre invisible celui qui la porte ; quand on veut être vu, il suffit de rentrer la pierre en dedans de la main que l’on ferme. » — Le même anneau se fabrique aussi avec de petites tresses formées des poils qui sont au-dessus de la tête de l’hyène.

Charme d’invulnérabilité. — Dans le Finistère, les vieux sorciers indiquent à leurs clients celui-ci : on place secrètement sur l’autel quatre pièces de six liards, qu’on pulvérise après la messe ; et cette poussière, avalée dans un verre de vin, de cidre ou d’eau-de-vie, rend invulnérable.

Charme pour l’évocation. — D’après le Grimoire, dit Grimoire du pape Honorius (basé sur la doctrine de Simon-le-Magicien et des gnostiques), ce charme consistait dans le sacrifice d’un coq noir[11]. « Après le lever du soleil, dit ce Grimoire, on tuera un coq noir, et on prendra la première plume de l’aile gauche, qu’on gardera pour s’en servir dans son temps. On lui arrachera les yeux, la langue et le cœur, qu’on fera sécher au soleil, et qu’on réduira ensuite en poudre. Au soleil couchant, on enterrera le reste du coq en un lieu secret. Le mardi, à l’aube du jour, le nécromancien mettra sur son autel la plume du coq, laquelle sera taillée avec un canif neuf, et il écrira sur du papier blanc et net, avec le sang de Jésus-Christ (du vin consacré), les figures représentées (pages 8 et 9 de l’édition de 1760). »

Charmes pour exciter les orages et faire tomber la pluie. — Pour obtenir ces effets, les sorcières n’ont qu’à battre l’eau avec des verges et y jeter une certaine poudre qui leur vient directement de Satan. La fameuse sorcière Françoise Secrétain, dont Boguet raconte au long l’histoire, avoua dans le cours de son procès, qu’elle avait, au Sabbat, battu l’eau pour la grêle. Les cérémonies, danses et abominations du sabbat terminées, Satan exhortait ses fidèles à nuire de toutes leurs forces à leur prochain : « Vengez-vous ou vous mourrez. » Il leur faisait promettre de gâter et de perdre les fruits de la terre, et leur distribuait des poudres et des graisses propres à cet effet. Finalement, levant sa queue, il laissait tomber sous lui des graines noirâtres, en chapelet, puis des poudres fort puantes. De grandes pièces de toile déployées recevaient ces crottins précieux, destinés à infecter l’air, à troubler les éléments, à stériliser la terre. D’autres fois, le diable Léonard se consumait en feu et se réduisait en cendres, que les sorciers et sorcières recueillaient précieusement, et mettaient en réserve pour leurs maléfices.

Boguet raconte à ce sujet le fait étrange que voici :

« Une jeune fille, âgée de huit ans, au diocèse de Trèves, se trouva à certain jour en un jardin avec son père, où elle plantait des choux d’une si grande dextérité pour son âge, que son père ne se put tenir de l’en louer ; mais elle répondit à l’instant qu’elle savait bien faire d’autres choses. Et sur ce que son père lui demanda ce qu’elle savait faire, elle lui dit qu’il se retirât un peu loin, et qu’elle ferait pleuvoir en tel endroit du jardin qu’il lui plairait. Et s’étant sur ce éloigné de sa fille, elle fit un creux en terre, dans lequel elle urina, et battit l’eau d’un petit bâton, en murmurant je ne sais quoi à part soi, et à l’instant il tomba une fort grande pluie au lieu que le père lui avait dit. La fille rapporta qu’elle avait appris ce métier de sa mère, laquelle le père déféra peu après à la justice, et la mauvaise femme fut brûlée. »

Un nommé Stœdelin, insigne sorcier, de Boltingen, diocèse de Lausanne, auteur de plusieurs désastres par des orages et par la foudre, fit devant la justice les aveux suivants : « Je suscite facilement des orages ; mais je ne puis faire du mal par la foudre qu’à ceux qui ne se munissent point du signe de la croix… C’est en prononçant certaines paroles, en invoquant le prince des démons pour qu’il envoie celui des siens qu’on désigne pour frapper ; transportés en rase campagne, nous lui immolons un coq noir que nous lançons en l’air ; il le prend et excite aussitôt un orage ; mais Dieu ne permet pas toujours qu’il se fasse dans l’endroit qu’on désigne. » Le juge lui demanda si on pouvait le conjurer, il répondit qu’on le pouvait par les adjurations de l’Église : Adjuro vos grandines et ventos, etc.

Les nombreux désastres causés par la puissance magique des sorciers, en Allemagne surtout, au quinzième siècle, décidèrent le pape Innocent VIII à fulminer contre eux sa bulle du 15 décembre 1484.

Charmes produisant la possession. — On en à déjà vu des exemples dans les diverses possessions dont j’ai rapporté brièvement l’histoire. Je n’en ajouterai qu’un nouveau, emprunté au Discours des Sorciers, de Boguet :

« Le samedi 15 juin 1598, Louise, fille de Claude Maillat, d’un village dépendant de Saint-Claude, âgée de huit ans, fut rendue impotente de tous ses membres, de sorte qu’elle était contrainte de marcher à quatre pattes, et tordait la bouche de la façon la plus étrange. Exorcisée le 19 juillet suivant, on découvrit qu’elle était possédée de cinq démons, disant se nommer : Loup, Chat, Chien, Joly et Griffon, qui sortirent de sa bouche, sous forme de pelotes, grosses comme le poing et rouges comme le feu. Françoise Secrétain, accusée d’avoir causé ce maléfice, avoua qu’elle avait donné ces cinq démons à Louise, en lui présentant une croûte de pain ressemblant à du fumier qu’elle lui avait fait manger. Elle avoua aussi qu’elle et le Gros Jacques Boquet avaient fait mourir Louis Monnerat par le même moyen, d’un pain qu’ils lui avaient fait manger, saupoudré d’une poudre blanche que le diable leur avait donnée ; qu’en outre elle avait fait mourir plusieurs vaches en les touchant de la main ou bien d’une baguette, en prononçant certaines paroles. »

On cite maints exemples de personnes possédées après avoir mangé des viandes, des pommes ou des noix à la sollicitation d’un sorcier ou d’une sorcière.

Charme des sagittaires. — Les Sagittaires sont une espèce de magiciens ou sorciers, qui ont été découverts et condamnés par le pape Innocent III. En retour de l’abandon de leur âme, Satan leur donne un charme qui leur permet de transpercer leurs ennemis de leurs flèches, à quelque distance qu’ils soient ; d’où leur nom de Sagittaires. Le maléfice s’opère ainsi : au jour du Vendredi-Saint, le sagittaire tire trois flèches sur un crucifix en bois, et, dans le courant de l’année, il peut donner une maladie mortelle à trois hommes différents, la maladie les frappant au jour voulu par le magicien, à l’endroit même du corps où le crucifix a été atteint. C’est une sorte d’envoûtement, comme on voit. On dit aussi que la victime recevait une flèche, sans savoir d’où elle venait.


Le charme des Sagittaires. — Au jour du Vendredi-Saint, le sagittaire tire trois flèches sur un crucifix en bois, et, dans le courant de l’année, il peut donner une maladie mortelle à trois hommes différents, la maladie les frappant au jour voulu par le magicien, à l’endroit même du corps où le crucifix a été atteint. C’est une sorte d’envoûtement. On dit aussi que la victime recevait une flèche, sans savoir d’où elle venait.

Combien d’accidents mortels peuvent se produire, dont la cause restant inconnue provient d’un magicien ayant voué son âme au diable ! Dans notre siècle de scepticisme, où la voix infaillible des papes n’est plus écoutée, les lois civiles ne punissent plus de tels forfaits.

Charme pour tuer les enfants avant leur naissance. — Le nommé Stœdelin, du diocèse de Lausanne, le même cité plus haut, confessa avoir tué sept enfants dans le sein de leur mère ; pour commettre ce crime, il avait enterré, sous le seuil de la porte de la maison, une bête sur laquelle il avait fait certaines opérations magiques.

Charme de taciturnité. — Diagramme, le plus souvent tracé sur une bande minuscule de papier d’une extrême minceur, que les sorciers, poursuivis en justice, dissimulaient sous un ongle ou dans une mèche de leurs cheveux. Ce charme leur permettait d’affronter, sans les ressentir, les plus terribles tortures ; tant qu’ils le portaient, ils n’avaient pas à craindre que le moindre aveu sortit de leur bouche. Voilà pourquoi, quand ils niaient leur crime, on les faisait mettre à nu, épiler et raser par tout le corps, afin de découvrir, avec les stigmata diaboli (les signatures du diable), le charme de taciturnité. Sitôt le diagramme découvert et brûlé, les larmes coulaient, et les aveux se produisaient.

Les adversaires du surnaturel diabolique prétendent ne voir dans ces faits si communs au moyen-âge que des cas d’anesthésie hystérique ; mais ils se gardent bien d’expliquer comment l’insensibilité du patient cessait avec la découverte et l’enlèvement du diagramme.

Dans le Grimoire dit du pape Honorius se trouve dévoilé ce secret pour éviter de souffrir à la question : « Avalez un billet où soit écrit ce qui suit, de votre propre sang : Aglas, Aglanos, Algadenas, Imperiequeritis, tria pendent corpora dis meus et gestas in medio et divina potestas dimeas clamator, sed jestas ad astra levatur ; ou bien : Tel, Bel, Quel, Paro, Mon, Aqua. »

10° Charme pour voir les esprits dont l’air est rempli. — « Prenez la cervelle d’un coq, de la poussière que touche le cercueil d’un mort, de l’huile de noix, de la cire vierge ; faites du tout une composition que vous envelopperez dans du parchemin vierge sur lequel seront écrits ces deux mots : Gomert Kailoeth ; brûlez le tout, et vous verrez des choses prodigieuses ; mais ceci ne doit être fait que par des gens qui n’ont peur de rien. » (Grimoire dit du pape Honorius.)

11° Charme Agla pour chasser les mauvais esprits. — Signe cabalistique composé des premières lettres de ces quatre mots hébreux : Athali, Gabor, Leolam, Adonaï. Ce charme était fréquemment employé au seizième siècle, par les Juifs, les cabalistes et quelques hérétiques. Il en est longuement question dans l’Enchiridion, un livre de magie ridiculement attribué au pape Léon III.

12° Charmes opérés au moyen de la salive. — La vertu magique de la salive a été de longue date observée chez les anciens. Pline le naturaliste, rapporte, comme une antique coutume, celle de porter avec le doigt un peu de salive derrière l’oreille pour bannir les soucis et les inquiétudes. La salive, dit-on, tue les aspics, les serpents et les vipères. Albert-le-Grand dit qu’il faut qu’elle vienne d’un homme à jeun. La salive est aussi un préservatif contre le maléfice. À l’exemple des anciens, qui crachaient trois fois dans leur gyron pour se préserver des charmes et de la fascination, les sorciers crachent trois fois par terre, lorsqu’ils renoncent à leur commerce avec le diable.

13° Charmes opérés au moyen des rognures d’ongle. — Les rognures d’ongle jouent un grand rôle dans les traditions diaboliques. Le diable les ramasse, disent les sorciers, pour s’en faire une visière ou un chapeau ; mais si l’on fait le signe de la croix avant de les jeter, le diable ne peut plus s’en servir. Une légende absurde du Zohar (livre de cabale) raconte qu’Adam portait d’abord un vêtement d’ongles ou de corne : qu’aussitôt qu’il eut péché, ce vêtement qui le mettait à l’abri des mauvais esprits lui fut enlevé, et qu’il ne lui resta plus que les ongles des doigts. De préservatifs contre l’influence diabolique, les ongles seraient devenus au contraire un instrument et une arme pour le diable. Le Zend-Avesta recommande d’enterrer les rognures d’ongles avec certaines prières ; sans quoi, elles servent d’arme et d’équipement au démon. Dans les légendes du Nord, il est question d’un navire fait avec les ongles des morts, et monté par des démons destructeurs des dieux. Les Musulmans croient également que les ongles sont le refuge des mauvais génies. Un sorcier marocain, chargé de soigner une dame européenne, découvrit que sa maladie était causée par un djinn. Pour le faire sortir, il composa un talisman que la dame dut porter, en ne vivant pendant sept jours que de millet pilé dans du miel, et du bouillon d’un coq noir et vierge ; enfin le septième jour, elle devait couper ses ongles.

Il faut avoir bien soin, disent les rituels de magie, de brûler ou d’enterrer les rognures d’ongles : autrement les sorciers en font des balles avec lesquelles ils tirent sur le bétail. On a trouvé sur certains animaux de semblables balles faites de cheveux et d’ongles. « C’est un grave péché, dit le Talmud, de jeter les ongles ; car si une femme enceinte venait à passer dessus, cela pourrait lui occasionner un avortement. »

Nous avons vu plus haut que l’ongle pouvait devenir à volonté un miroir magique ; pour cela, on n’a qu’à racler l’ongle du pouce droit ou gauche d’un enfant, le frotter d’huile, y mettre du noir de fumée, en prononçant une oraison qui commence ainsi : « Uriel, premier séraphin, etc.» — On prête aussi aux ongles mêlés à un breuvage la vertu d’empoisonner ou d’enivrer : les raclures d’ongle guérissent aussi la fièvre, absorbées dans un verre d’eau, disent encore les sorciers.

14° Charmes par simples paroles. — Un juif nommé Zambarès fit, en prononçant quelques mots, tomber raide mort un taureau aux pieds de saint Sylvestre, du temps de Constantin. Le père Nyder, dominicain, raconte qu’une sorcière, d’un seul mot, fit tourner sens dessus dessous le menton à sa voisine. Aujourd’hui encore, certains versets, prononcés par les sorciers ou sorcières, empêchent de faire le beurre. — On n’a qu’à dire : Gaber siloc fandu, pour empêcher de mourir un poulet auquel on aura percé la tête d’un couteau ; et : Malaton malatas dinor, pour empêcher un ennemi de tirer droit avec une arme à feu quelconque.

15° Charmes opérés par le souffle. — Les sorciers tuent et endommagent à l’aide de leur souffle et haleine. Ils font avorter par un simple souffle les femmes enceintes. Dans le fameux procès de sorcellerie intenté à Gaufridy, se trouve relaté l’aveu suivant de l’accusé : « J’avoue que le diable me promit que par la vertu de mon souffle je rendrais désireuses de moi toutes les filles et femmes dont j’aurais envie, pourvu que ce souffle leur arrivât aux narines, et dès lors je commençai à souffler toutes celles qui me plaisaient… La mère de Madeleine (une de ses victimes) la tenait de si près, que ce fut cause que je soufflai sur sa mère pour qu’elle me l’amenât. »

Je citerai, quand j’en serai à l’articlé Sort, un exemple qui ne laisse rien à désirer sur la vertu magique du souffle chez les sorciers. On rencontre dans plusieurs procès l’ensorcellement par le souffle. Claudine Gaillard, dite la Fribotte, souffla contre Claudine Perrier qu’elle rencontra à l’église d’Ébouchoux. Cette dernière devint aussitôt impotente et mourut de langueur au bout d’un an. Sprenger, au diocèse de Constance, condamna une sorcière qui avait rendu un homme ladre, en lui soufflant dessus.

16° Charmes pour sortir de prison. — Le lendemain du jour où l’on est mis en prison, on avale à jeun, toujours d’après les aveux des sorciers, une croûte de pain, sur laquelle on a écrit : Senozam, Gogoza, Gober, Dom ; puis, on dort sur le côté droit : on est sûr de sortir de prison avant trois jours. — Un assassin, François Gaillard de Longchamois, détenu prisonnier à Saint-Claude en l’an 1600, reçut de Claudine Coirières, prisonnière en même temps pour sortilège, une graisse dont elle lui frotta les mains : aussitôt, il fut enlevé en l’air et passa, sans être nullement blessé, à travers les barreaux d’une fenêtre, et fut transporté ainsi bien loin de la prison par un démon invisible.

17° Charmes composés d’onguents. — Les plus efficaces de ces onguents sont ceux qui sont fabriqués avec de la graisse de pendus, ou celle des petits enfants que le diable fait tuer aux sorciers. À l’exemple précédent peuvent s’ajouter ceux-ci : — D’après les aveux de Gros Jacques et de Françoise Secrétain, dont j’ai déjà parlé, ces misérables possédaient un onguent dont on n’avait qu’à frotter une vache sur le derrière pour la faire mourir. — « En l’an 1564, dit Boguet, un homme d’Orgelet, que je ne nommerai pas, mit la peste en vingt-cinq maisons, en frottant d’une certaine graisse quelques cuillers appartenant aux maîtres de ces maisons ; il fut exécuté à Annecy. » — Jean Humbert, dans son procès rapporté par De Lancre, déclara que le diable au sabbat leur donnait des graisses en les assurant que ceux qu’il en frotteraient, mourraient de langueur. Humbert, en ayant enduit son fouet, fit périr, cinq jours après, les deux chevaux d’un nommé Humblot qu’il haïssait. — Les sorcières devaient s’oindre les cuisses, le ventre et les reins d’un certain onguent avant de se rendre au sabbat.

18° Charmes guérisseurs et préservateurs. — S’il y a des charmes pour donner des maladies aux hommes et aux animaux, il y en a aussi pour les guérir.

Le Grimoire dit du pape Honorius, donne de nombreuses recettes contre la pleurésie, contre les fièvres, les pertes de sang, le mal de tête. — « J’ai vu une sorcière, dit Boguet, qui guérissait de plusieurs sortes de maladies. Pour un cheval piqué, elle disait certains mots en formes de prières, et plantait en terre un clou, qu’elle ne retirait jamais. » On guérit un cheval encloué, en mettant trois fois les pouces en croix sur son pied, en prononçant le nom du dernier assassin mis à mort, et en récitant certaines prières diaboliques. — Pour guérir du mal caduc, les sorciers se servent de la poudre du crâne d’un larron pendu ; ils se servent aussi de la cervelle d’un chat, de la tête d’un corbeau. — Mais souvent les charmes employés sont moins innocents. Les Druides estimaient que la vie d’un homme ne peut se racheter que par la vie d’un autre homme. Les sorciers sauvèrent ainsi la vie de Mumol, grand-maitre de France, en faisant mourir le petit-fils du roi Childebert. Le diable n’abandonne jamais ses droits ; c’est ainsi qu’il exige, pour guérir des suites du maléfice, la mort du sorcier même qui l’a causé. Il obtint ainsi la mort de Jeanne Platet, emprisonnée pour avoir mis les démons au corps de Guillaumette Blondeau. Les parents de Guillaumette ayant poursuivi la sorcière pour qu’elle levât le sortilège jeté sur leur fille, Jeanne Platet y consentit et avoua à la fille qu’il lui suffirait pour cela de faire une neuvaine. Guillaumette fit sa neuvaine ; mais il arriva que, la nuit du dernier jour, la sorcière se suicida en prison et la fille guérit « après avoir jeté par le bas plusieurs petites bêtes en forme de lézards, et par la bouche beaucoup de matière verte. »

Roman Ramirez, brûlé à Tolède en 1600, confessa qu’il avait appris de Satan à guérir plusieurs maladies secrètes, par le moyen d’herbes et de parfums.

Qui ne connaît quelque rebouteux ou rebouteuse, ayant encore aujourd’hui grande vogue dans nos campagnes ? Sur toutes ces guérisons plus ou moins magiques ou diaboliques, la doctrine de l’Église est formelle : c’est qu’il n’est pas permis de se servir des arts magiques, même pour une bonne fin, et qu’il est illicite d’opposer maléfice à maléfice. C’est ainsi que l’usage des préservatifs contre les maléfices est aussi criminel que l’usage des maléfices mêmes. Saint Grégoire parle d’une fille, qui se fit délivrer d’un démon par un magicien ; cinq ou six autres démons entrèrent aussitôt en elle prendre la place du premier.

Il est arrivé plus d’une fois que le sorcier lui-même devint victime du maléfice qu’il était appelé à guérir. De Lancre en cite un exemple, qui est, dit-il, on ne peut plus véritable. En 1555, un conseiller au parlement de Bordeaux avait une fièvre dont il ne pouvait se délivrer. On lui indique un jeune homme qui le guérira ; on convient d’un salaire. Le guérisseur fait des conjurations, trace un cercle et y fait entrer le président. Il lui demande alors s’il n’a pas quelque vieux parent ou ennemi dont il voudrait se défaire ; le magistrat répond « qu’il ne désire donner son mal à personne ». Le sorcier insiste, prétend qu’ils sont engagés trop avant pour reculer : « Je n’avais pas le dessein, dit le magistrat, de donner mon mal à personne ; mais, puisque vous me forcez à le donner, je ne pourrais en faire présent plus à propos qu’à vous-même, qui savez le guérir. » — À peine eut-il dit ces mots, que le sorcier s’écria qu’il était mort…, ajoutant qu’étant étranger et n’étant venu que pour opérer une cure, on voulût bien lui permettre de mourir dans l’hôtel ; le magistrat, fort étonné, crut qu’il pourrait le guérir en le soignant ; ce qu’il fit, mais en vain ; le sorcier, pris du mal du conseiller, mourut, au grand ébahissement de toute la ville. (De Lancre, Tableau de l’inconstance des Démons, p. 353.)

Plus récemment, en 1853, le procès (en cour d’assises) de Claude Feuillet, cultivateur, âgé de cinquante-six ans, démontra l’authenticité des sortilèges. Cet homme, victime d’un sort jeté sur lui, apprit par un autre sorcier que ses malheurs prendraient fin s’il réussissait à dissimuler complètement son sexe. Il s’habilla donc en femme, changea de localité, et, en effet, les maléfices auxquels il était en butte cessèrent d’avoir leur effet contre lui. Mais, à quelque temps de là, Feuillet, se croyant à jamais délivré de l’obsession, se maria ; il eut un enfant. Dans la localité nouvelle où il avait établi sa résidence, les maux recommencèrent alors à pleuvoir sur lui. Au lieu de recourir à l’Église, qui l’aurait victorieusement débarrassé des attaques du diable, il résolut de reprendre ses jupons, de changer encore de ville, en un mot, de dissimuler de nouveau son sexe ; et, comme sa femme et son enfant le gênaient, il les empoisonna. Feuillet fut condamné aux travaux forcés à perpétuité ; mais à ce procès furent révélés tous les étranges événements dont cet homme avait été accablé et qui lui avaient fait perdre la tête.


La Dentue avait fait pacte avec un diable, nommé Bargorym, lequel lui donna une branche d’un arbre d’espèce inconnue ; comme d’un robinet, le lait coulait de la branche infernale plantée dans le mur de la chambre de la sorcière.

19° Charmes pour tarir le lait chez la femme et chez les animaux. — Les sorciers font tarir le lait aux nourrices à l’aide de certaines poudres qu’ils jettent dans leurs potages. Jeannette Gressor, brûlée à Dôle, avait fait ainsi perdre le lait à Claudine, veuve d’Étienne Goguel, et à Nicole Clauderey, de Mossans. — Claudine Vernier, dite la Montagne, brûlée aussi à Dôle, confessa qu’elle faisait passer le lait des vaches de ses voisins aux mamelles des siennes. Le R. P. Dolrio, jésuite, raconte que, du temps qu’il était à Mayence, on brûla à Trèves une sorcière fameuse, laquelle, à l’aide d’une canne qu’elle plantait dans la paroi de sa maison, tirait tout le lait des vaches de ses voisins. Ce sortilège, rapporté par le savant religieux, était, du reste, assez commun et se pratique peut-être encore de nos jours. En tout cas, il est bon de rappeler l’histoire d’une sorcière qui fut brûlée en Autriche au seizième siècle ; on l’appelait « la Dentue », à cause d’une énorme dent, beaucoup plus grosse qu’un doigt de la main, qui saillait hideusement en dehors de sa mâchoire. La Dentue avait fait pacte avec un diable, nommé Bargorym, lequel lui donna une branche d’un arbre d’espèce inconnue, épineuse, noueuse et tordue. La sorcière, quand elle voulait se procurer du lait, n’avait qu’à planter la branche diabolique dans le mur de sa chambre. Aussitôt, Bargorym apparaissait, faisant fête à la Dentue, et du lait se mettait à couler de la branche, comme si c’eût été un robinet ; pendant ce temps, les vaches du village dépérissaient. — Comme préservatif de ce maléfice, ou contre-charme, on met bouillir dans un pot du lait de la vache tarie, en récitant certaines paroles et en frappant sur le pot avec un bâton. Le diable frappe la sorcière qui a jeté le charme d’autant de coups, jusqu’à ce qu’elle l’ait levé, disent les magiciens.

20° Charme dit le Chevillement. — Il consiste à ficher, avec des imprécations, des chevilles de bois ou de métal dans la muraille la plus rapprochée de la victime qu’on veut atteindre par le maléfice. L’effet le plus ordinaire de ce charme est une rétention d’urine. On meurt parfois du chevillement. Pour obvier à ce sortilège, il suffit, selon les grimoires, de cracher dans son soulier droit, avant de le mettre. — Je me borne à rapporter ces maudites choses, je tiens à le rappeler, mon désir étant d’exposer tout ce qui peut venir à l’appui de mes révélations personnelles ; mais, bien entendu, le lecteur fera la part de ce qui est vraiment maléfice diabolique et de ce qui n’est que ridicule superstition.

21° Philtres. — Les charmes qui portent ce nom sont, la plupart du temps, des breuvages faits pour troubler l’équilibre de l’âme et inspirer des passions délirantes. Les substances entrant le plus communément dans la confection des philtres sont les suivantes :

— L’Hippomane, excroissance poussant sur la tête des poulains, aphrodisiaque puissant ;

— La Verveine, ou plante attractive de Van Helmont, base d’un philtre foudroyant, bien connu des Frères de la Rose + Croix ; la verveine se référait à l’arcane VI de la Doctrine Absolue (l’amoureux du Tarot) ;

— Le sang des Colombes ;

— La Cantharide ;

— Le Muse, dont il est dit au verset 26 du ch. 83 du Koran : « On leur donnera à boire (dans le Paradis) un vin délicieux, fermé et cacheté de musc. » Il a aussi la vertu de chasser les mauvais et tristes esprits, prétendent les sorciers.

— Un charme aphrodisiaque, en usage chez les Musulmans, se compose ainsi :

Sommités fleuries de stœchas 
 15 grammes
Baies de myrthe 
 25 grammes
Anis 
 20 grammes
Carottes sauvages bien réduites 
 20 grammes
Safran en fleurs 
 15 grammes
Dattes sèches 
 50 grammes
Jaunes d’œufs 
 4 grammes
Eau pure de fontaine 
 500 grammes
La décoction terminée, ajouter :
Miel pur 
 50 grammes
Sang vif de pigeons


Dans quelques-uns des philtres dont la magie donne la recette, il faut sans doute faire la part des excitants naturellement propres à produire le paroxysme de la passion bestiale à laquelle la littérature impie donne le nom d’amour, profanant ainsi ce beau mot ; mais la plupart de ces philtres se composaient de substances n’ayant qu’un rapport très éloigné avec de pareils résultats, et n’étaient souvent que des onguents ou pommades qu’il suffisait de respirer pour en ressentir les effets. Tels sont, par exemple, les philtres dont voici la recette :

— Pommade à base de chypre et d’ambre gris, triturés avec la moelle extraite du pied gauche d’un loup.

— Moitié gauche d’un squelette de grenouille, qu’on a obtenu en exposant une grenouille toute vive dans une fourmilière (la moitié droite produit l’effet opposé : elle excite à la haine).

— Une demi-dragme d’organes de lièvre et de foie de colombe mis en poudre dans un mortier, avec les écailles friables du sang qu’on aura pris soin de se tirer en avril, un vendredi, et fait sécher au four dans un petit pot vernissé.

Il ne faut pas oublier que dans la plupart des cas, l’usage du philtre était accompagné de cérémonies sacrilèges et de paroles magiques dépourvues de tout sens raisonnable. On peut dire, sans crainte de se tromper, que le diable n’est pas pour rien dans toutes les recettes récentes si hautement préconisées pour rajeunir la virilité et entretenir le libertinage au delà des bornes fixées par la nature. Aphrodisiaques censément médicaux et philtres magiques, tout cela est également infâme et (vient uniquement de l’inspiration de Satan, on peut hardiment l’affirmer.

22° Charmes par ligatures. — Ces charmes produisent l’effet opposé à celui des précédents. Ils lient, empêchent ou paralysent la puissance du sens génésique ; aussi les appelle-t-on également charmes d’impuissance. C’était là ce qu’on appelait « nouer l’aiguillette ». D’après Bodin, il y avait plus de cinquante manières de nouer l’aiguillette, et Boguet constate que de son temps, sous le règne de Henri IV, l’usage de ce maléfice était devenu plus commun qu’à aucune autre époque. « La pratique en est aujourd’hui, dit-il, plus connue que jamais, vu que les enfants mêmes se mêlent de nouer l’aiguillette, chose qui mérite un châtiment exemplaire. »

Le rite le plus ordinaire de cette ligature s’accomplissait à l’église, pendant la cérémonie nuptiale. Le sorcier ou maléficier se munissait d’un simple lacet : lorsqu’avait lieu l’échange des anneaux, il faisait à ce lacet un premier nœud ; puis un second, au moment même de la bénédiction nuptiale ; et enfin un troisième, quand les époux se trouvaient sous l’écharpe dont on les couvre. Bien entendu, le sorcier opérait sans être vu.

On comprendra aisément que je n’insiste pas sur un pareil sujet. D’autre part, il est juste de reconnaître que l’usage de ce genre de maléfice est aujourd’hui moins répandu que du temps de Boguet. En tout cas, il est toujours opportun de se souvenir que l’Église réprouve ces pratiques comme ne pouvant être inspirées que de Satan, et d’avoir présentés à la pensée ces réflexions d’un théologien profondément versé dans ces matières, le R. P. Debreyne ; après avoir cité l’opinion du célèbre Paul Zacchias, médecin du pape Innocent X, « qu’il faut rarement croire à ces sortes de maléfices, bien que parfois ils existent véritablement », il ajoute :

« Au reste, le démon, malheureusement, n’y perd rien. Il a trouvé moyen de se dédommager amplement, et on sait comment il exploite le mariage à son déplorable et immense profit. Voulez-vous savoir sur quels époux le démon exerce le plus souvent son pouvoir et son infernale malice ? L’ange Raphaël vous l’apprendra par ces paroles adressées au jeune Tobie : « Écoute-moi, et je t’apprendrai quels sont les maléfices que le démon peut exercer contre toi… Les personnes qui se marient et chassent Dieu de leur pensée se livrent alors à la débauche comme les bêtes dénuées de toute intelligence, et le démon règne sur ces époux. » Voilà bien certainement le maléfice le plus terrible et aussi incontestable qu’il est fréquent. Il paraît que le démon a plus d’intérêt aujourd’hui à pousser les hommes aux passions brutales dans l’usage du mariage qu’il ne trouve d’avantages à les en rendre tout à fait incapables. Si maintenant il ne tue pas les maris comme il fit mourir autrefois les sept maris de Sarah, il n’y trouve que mieux son compte par le nombre infini d’âmes qu’il entraîne avec lui dans les éternels abîmes. »

L’infâme pratique du Malthusianisme, ajouterai-je, qui a été tant prônée en ces derniers temps, est aussi une inspiration directe de Satan, et l’on n’est pas étonné de voir des francs-maçons (tels, en France, le FF∴ Talandier, Yves Guyot, etc.) à la tête des apologistes et des propagateurs de ce système criminel, dont le prétendu but est d’empêcher l’accroissement exagéré des populations ; en réalité, c’est la ligature de l’aiguillette, non subie en victime, mais acceptée et érigée en principe pour légitimer en quelque sorte les hontes de la débauche.


D. — SORTS


Jusqu’ici, j’ai passé en revue les divers moyens employés par les agents de Satan pour nuire autant qu’il est en lui à l’espèce humaine. Il me reste à faire connaître plus spécialement les sortilèges et maléfices dans les effets mêmes qu’ils produisent à l’aide de ces moyens, en d’autres termes, à montrer le magicien ou je sorcier à l’œuvre, appliquant à la destruction de l’homme et de tout ce qui se rapporte à l’homme la puissance de sortilège ou de sorts que Satan lui confère pour le mal et le crime.

Bodin, au 4e livre de sa Démonomanie, compte quinze crimes principaux imputables aux sorciers :

1° Le crime de lèse-majesté divine ; — 2° le blasphème ; 3° l’hommage au diable ; — 4° l’abandon au diable des enfants nés ou à naître ; — 5° le sacrifice au diable desdits enfants ; — 6° leur consécration au diable dès le sein de leur mère ; — 7° le serment de propagande satanique ; — 8° le serment prêté au nom du diable et en son honneur ; — 9° l’inceste ; — 10° l’homicide, en vue de se procurer la chair et les organes humains requis pour la confection des charmes ; — 11° l’anthropophagie, coutumière aux pratiquants du sabbat ; — 12° l’usage des poisons et des philtres ; — 13° le sort qui fait périr les bestiaux ; — 14° le sort qui stérilise la terre, suscite la grêle et détruit les moissons ; — 15° le commerce charnel avec les démons et monstres vomis par l’enfer.

À chacun de ces crimes catalogués par Bodin correspond un maléfice particulier dont l’homme est toujours la victime. À vrai dire, mon ouvrage réalise, pour ce siècle-ci, la démonstration, par exemples, de la vérité ce terrible réquisitoire et de la réalité des forfaits qui y sont dénoncés Aussi n’aurai-je à m’occuper en particulier ici que des maléfices plus spécialement infligés par cette puissance magique, d’autant plus redoutable qu’elle est plus vague et plus mystérieuse, qu’on appelle vulgairement « jeter un sort ». C’est là proprement le métier du « sorcier » ; mais j’aurais fort à faire, si je voulais tracer un tableau complet de cette partie de l’art infernal. Je dois donc me borner aux points essentiels, et, tout en jetant un coup d’œil sur le passé qui éclaire le présent, montrer ce qu’est encore de nos jours cette sorcellerie qui a causé et cause encore tant de maux à l’humanité.

Je rapporterai à trois chefs les maléfices exercés par le moyen du sort :

1° Sorts jetés sur les Personnes.
2° Sorts jetés sur les Bestiaux.
3° Infestation des Maisons.


Sorts jetés sur les personnes. — Procès du mendiant de Monaistère. On trouvera tout au long les détails de cette affaire dans le livre de Joseph Bizouard, intitulé Des rapports de l’homme avec le démon.

En 1619, la veille de la Fête-Dieu, dans les villages de Saint-Palais et Menetou-Sallon, à quatre et cinq lieues de Bourges, passait, dit Chenu, (Notables questions de droit, 1620), un mendiant noir comme un diable, vêtu de toile toute déchirée. En traversant le bourg de Saint-Palais, il trouva la femme de Silvain Lefèvre sur sa porte et lui demanda du pain ; celle-ci lui en coupa un morceau : « Rompez-le, dit le mendiant, je n’en veux que la moitié, et gardez l’autre pour vous, que vous mangerez » ; ce que cette femme fit par simplicité. À l’instant, elle ressentit des douleurs intolérables dans tout son corps, et devint tellement enflée, dit ce magistrat, qu’elle creva et mourant quatre jours après l’événement.

À Menetou, le même mendiant trouve la femme de Pierre Postard assise devant sa porte et allaitant son enfant. Debout à deux pas d’elle, il lui dit : « Donnez-moi du pain. » Cet homme lui inspirant de l’horreur, elle cria à son mari, qui était dans sa maison, d’apporter du pain à ce pauvre ; ce qu’il fit en le remettant à son beau-père qui était dehors, pour le donner au mendiant. « Coupez-le en deux, lui dit celui-ci, je n’en veux que la moitié. » Le père de la femme, qui était un peu sourd, lui demande ce qu’a dit le pauvre. « Il dit que vous le rompiez, qu’il n’en veut que la moitié. Donnez-la lui et retirez-vous. »

Dès qu’elle eut ainsi parlé, rapporte Chenu, ce mendiant lança un regard épouvantable, bâillant incessamment ; ce qui fit que cette femme s’écria : « Mon père, ôtez-vous de là, autrement vous êtes mort ! »

À peine eut-elle dit ces mots, que ce misérable jette sur elle un regard perçant et continue de lui envoyer son souffle ; de sorte qu’elle sentit sortir de sa bouche un air extrêmement froid, qui lui parut avoir une couleur bleue. Les yeux du pauvre étincelaient.

Ressentant aussitôt sur ses joues une sensation pareille à celle de deux soufflets, cette pauvre femme ne put dire que ces mots : « Je suis morte, prenez mon enfant, je ne puis plus me soutenir… »


Le sort du pain rompu. — Le sorcier-mendiant ayant rendu la moitié du pain, la femme Postard tomba subitement en défaillance, gravement malade.

Le mendiant veut fuir, mais on s’en saisit ; on le conduit devant le juge du fief Pot, et de là en prison.

Interrogé sur son nom, il se nomme Gilbert Fourneau, né à Monaistère en Bourbonnais. Sur sa manière bizarre de demander du pain, il répond avec beaucoup de sagacité : « c’est qu’on le lui donnait à regret, c’est pour le renouveler plus souvent, etc. » Interrogé pourquoi il ne demande pas pour l’amour de Dieu, il répond par des blasphèmes horribles et dit mille impiétés : « il va avec ceux de sa religion, il n’ira à la messe qu’après les vendanges, il n’a fait aucun mal à cette femme, etc. »

On lui fait des menaces, qu’on feint de vouloir exécuter, s’il ne la guérit. Alors il consent. On amène la femme Postard ; dès qu’il a pris ses mains dans les siennes, elle recouvre sa connaissance, parle et peut s’en retourner à pied ; mais une demi-heure après, elle était retombée dans le même état. On réitère les menaces ; il dit qu’il ne peut rien ; cependant, effrayé, craignant lui-même pour sa vie, il demande du vin blanc, le mêle avec de la suie et du vinaigre, lui en fait boire, et la voici de nouveau guérie.

Pendant que ceci se passait à Menetou, le mari de la première victime fit sa plainte, et le juge se transporta auprès de la femme Lefèvre, qui respirait encore. On constate tout ce qui s’est passé. Un témoin dépose que le pauvre a dit qu’il en devait faire autant à trois femmes le même jour. Le mendiant nie ; « il voyage, dit-il, parce qu’il à l’esprit malade ; mais il n’est pas sorcier, etc… »

Les présomptions étaient fortes ; cependant le juge ne les trouvait pas assez graves pour condamner, mais suffisantes pour ordonner la question.

Bref, le procureur fiscal en appela à la justice de Boisbelle : nouveaux interrogatoires ; on chercha les marques, qu’on eut peine à trouver sur le pauvre, tant il était noir. Il continua ses blasphèmes, et fut condamné à être brûlé le 5 août 1619.

Chenu ajoute que ce jugement peut paraître hardi : « mais les juges, dit-il, eurent la conscience tranquille » ; car ce mendiant, voyant qu’il était inutile de nier, avoua qu’il avait ensorcelé par le souffle et le regard ; qu’il avait appris cela en Savoie ; qu’il avait promis au diable de faire mourir plusieurs personnes pendant deux ans, etc.

Un jésuite, le R. P. Girard, essaya pendant trois heures de le convertir. Le mendiant le rendit comme aveugle en le regardant, et le bon père ne recouvra la vue qu’après de ferventes prières. Son zèle, enfin, fut couronné de succès ; ce misérable fit la confession sincère de ses péchés.

Et l’avocat Bizouard conclut sa narration par une remarque fort sensée et fort juste : « Si ce jugement, dit-il, a paru hardi à Chenu, et on a vu les mêmes scrupules chez Boguet pour d’autres jugements, combien les condamnations où ces deux magistrats ne doutaient pas du crime sont loin de leur mériter les injures que l’incrédulité ignorants a vomies pendant plus de deux siècles contre les juges de leur temps ! »

Il fallait, en effet, que le fait du maléfice diabolique fût bien positivement établi et avéré, pour que les juges prononçassent la peine de mort. On en trouvera un exemple frappant dans le cas que je vais citer tout à l’heure, celui du berger Hocque.

Que ces sorts jetés sur les personnes soient assez puissants pour donner la mort à ceux qu’ils atteignent, nous en avons une preuve sans réplique dans un des documents les plus curieux et les moins connus qu’offrent les annales du satanisme, document revêtu de l’autorité du pape Clément VI, et qui, mieux que bien des récits, nous montre : d’un côté, la puissance infernale dont jouissent les adeptes de Satan, et, de l’autre, avec quelle sollicitude le chef de l’Église poursuivait à la fois l’expiation des crimes commis par les sorciers, et la réparation des maux et désastres matériels mêmes, fruits de leurs sortilèges maudits.

Voici le fait :

Au quatorzième siècle, un certain abbé de Saint-Sevin, en Lavedan, avait fait mourir, par art magique, un grand nombre d’habitants de la vallée d’Aspe, voisine de celle de Lavedan, pour se venger sur eux des courses et ravages qu’ils faisaient dans cette dernière contrée. En punition de ce crime diabolique, la terre, les femmes et les bestiaux de Lavedan avaient été frappés d’un châtiment terrible : pendant six années, ils n’avaient porté aucun fruit. Au bout de ces six années, l’expiation étant jugée suffisante, le pape prononça l’absolution de la terre, des habitants et des bestiaux de Lavedan du péché commis par l’abbé-magicien, et il signa la paix entre les deux vallées ennemies, en en statuant les conditions.

Ce document étant fort rare, il convient de le reproduire in-extenso.

Contrat de la Paix faite entre les vallées d’Aspe et de Lavedan par l’ordre du Pape, qui avoit absous la terre, les habitants et les bestiaux de Lavedan, du péché commis par l’abbé de Saint-Sevin, en foisant mourir par art magique grand nombre d’habitants d’Aspe, pour les courses et ravages qu’ils faisoient en Lavedan ; en punition duquel péché, la terre, ni les femmes, ni les bestiaux de Lavedan n’avoient porté aucun fruit durant six années.

Du premier juin 1348

Traduit de l’original qui est en langage Béarnois[12].

Soit chose connue à tous, que comme la terre de Lavedan, d’Arreaigues, eût demeuré six ans sans porter de fruit, ni femme enfant, ni vache veau, ni jument poulain, ni bétail d’aucun poil : à raison de ce que le petit Abbé de Saint-Sevin auroit fait périr les gens d’Aspe, qui avoient fait et faisoient des courses et des ravages en Lavedan, après avoir lu sur un sureau un livre qu’il avoit tiré par art diabolique de Salomon : à cause de quoi les gens du Lavedan furent conseillés d’envoyer deux prud’hommes d’entre eux vers le Saint-Père, à Rome, pour demander absolution de ce péché, ce qui leur fut octroyé, en observant les choses par lui ordonnées, et ci-dessous déclarées, ainsi qu’il les écrivit par lettres qu’il envoya : savoir, une à l’Évêque de Lescar, une autre à l’Évêque de Tarbes, une autre au Sénéchal de Béarn, et une autre au Sénéchal de Bigorre, tendantes aux fins, qu’en ensuivant les pénitences et amendes par lui imposées, ils fissent la paix entre les deux montagnes ; et pour cet effet appelassent dix prud’hommes d’Aspe, et autant de Lavedan, et fissent rédiger cela par écrit : et moyennant ce, absoudre les terres, gens, bestiaux et autres choses de Lavedan, et accordèrent comme s’ensuit. Et tout premièrement paix soit entre parties à jamais, et que celui qui la rompra ait la malédiction du Saint-Père, et paie deux cents marcs d’argent, cent marcs aux endommagés, les autres cent au Seigneur de la terre, d’où les endommagés seront ; et qu’ensuite ceux de Lavedan envoyeront dix hommes de sainte vie vers Monseigneur Saint Jacques en Galice, qu’ils fassent chanter quatre Messes d’Évêques, et dix Messes d’Abbés avec crosses, et cent Messes à Prêtres ou Frères ; et que ceux de Lavedan fassent à jamais les réparations ci-dessous écrites, et paient au messager d’Aspe, le jour et fête de saint Michel de Septembre, dans l’église de Saint- Sevin, ou en celle d’Odot, avant que l’étoile paroisse, les sommes sous-écrites : c’est à savoir, Baich-Soriguere et Ossen, vingt-deux deniers morlaas ; Segur, vingt-deux deniers morlaas ; Donaxs, vingt-deux deniers morlaas ; Veguer, vingt-deux deniers morlaas ; Dagos, vingt-deux deniers morlaas ; Larivière et Ost, six deniers et maille morlaas ; Haisacq, dix deniers morlaas ; Busos, six deniers et maille morlaas ; Odot, quatorze deniers morlaas ; Solon, douze deniers et maille morlaas ; Saint-Sevin, deux sols sept deniers morlaas ; Assises-Devant, deux sols neuf deniers morlaas ; Aas, deux sols et maille morlaas ; Us, six deniers et maille morlaas ; Morlanne, vingt-deux deniers morlaas ; Cauterès, neuf blancs morlaas ; Golagagos, dix-huit deniers et maille morlaas ; Poy, vingt-deux deniers morlaas ; Marsos, deux sols quatre deniers morlaas ; Arrens, deux sols morlaas ; Lessales, dix-huit deniers morlaas ; d’Oges, Aucun et Argelès, douze deniers morlaas ; Serra, dix deniers morlaas ; et s’ils ne paient ledit jour de saint Michel de Septembre, ou après, lorsque le messager d’Aspe viendra, chacun lieu et village qui auront payé accompagneront ledit messager, et se mettront devant lui, pour pignorer ceux qui n’auront point payé ; et ceux qui ne voudront suivre, paieront audit messager d’Aspe soixante-six sols morlaas de peine encourue, lequel messager d’Aspe marchera à l’effet de la levée et recouvrement desdites sommes, auparavant que l’étoile paroisse, et chacun lui paiera quatre deniers morlaas pour chacun jour, et autres quatre deniers pour chacune nuit, et que le pasteur se mettra devant le messager d’Aspe ; et si le messager d’Aspe tardoit, trois, cinq, dix, vingt, trente ans à demander ce-dessus, ou que ceux de Lavedan ne le voulussent payer, sous prétexte de quelque discorde ou noise, ils seront tenus de payer pour tout le temps qu’ils seront en retardement ; et s’ils tardoient trente-un ans, et que pendant ce temps on ne leur eût fait demander, ils ne seront point tenus de payer les arrérages des années dont ils seront en retardement, mais paieront annuellement, à l’avenir, pour tout temps, ainsi que dessus est dit et déclaré ; et tant pour les peines susdites que pour le principal, ils seront pignorés, saisis et incantés en toutes les terres et seigneuries, qu’ils seront appréhendés et trouvés. Ceci fut fait à Bédous, le premier Juin 1348 ; témoins furent de ce, Transilot de Lassalle, Peyroulau de Gabe, de Bédous. Et ceci a été extrait lettre à lettre du livre Censier, et fut corrigé par Guicharnaud, Recteur d’Accous, et moi Benoît de Lacaussade, en fis l’extrait dudit Censier, et l’écrivis de Mandement de Messire Pées de Lacaussade, mon père, et de Messire Guicharnaud de Tarras, et lesdits de Lavedan et d’Aspe jurèrent sur les quatre saints Évangiles de Dieu, qu’ils tiendront et accompliront tout ce dessus, à peine d’encourir les susdites peines ; et moi Bertrand de Lassale, notaire d’Aspe, qui au rapport des susdits Prêtres, ai fait la présente carte, lesquels jurèrent n’y avoir rien ajouté ni diminué, et me fut mandé que doresnavant j’en baillasse copie à tous les hommes d’Aspe, ainsi signé, de Lassale, notaire. Extrait d’un vieux instrument en parchemin, qui est au pouvoir des Jurats d’Accous, Capdeuil d’Aspe et Garde-Chartres d’icelle, en tant qu’il touche au public de tout le corps de la vallée d’Aspe, par moi Bernard de Sallefranque, Abbé de Borce, notaire, sous-fermier de la Notarie du Vic-Dessus d’Aspe, le quatrième jour du mois de Juillet, l’an 1586, ainsi que de mot à mot je l’ai trouvé audit instrument en parchemin ; l’ai corrigé et collationné, et signé de mon seing accoutumé, afin qu’au temps à venir foi et croyance soit ajoutée, comme si c’étoit l’instrument vieux en parchemin. Signé, de Salle-franque, notaire.

Collationné par extrait, sur l’ouvrage intitulé lous Priviledges, Franquises, etc., imprimé à Pau en 1694, par Dupoux, par nous, conseiller, secrétaire du Roi, Maison, Couronne de France et de ses Finances, en la Chancellerie près le Parlement de Navarre. Signé, Laussat.

(Ce titre, confirmé par Louis XIII, se trouve dénombré dans l’article quarante-quatrième de la déclaration générale des biens, droits et privilèges des habitants de la vallée d’Aspe, Pyrénées.)

Qu’il se passe au dix-neuvième siècle des faits analogues, on n’en saurait douter. Je pourrais en citer plusieurs ; contentons-nous d’un fait que recommandent à l’attention l’étrangeté des phénomènes, leur persistance pendant une durée de six mois, et l’immense notoriété dont il jouit. M. de Mirville l’a rapporté ; je dois le relater à mon tour, et l’on verra bien ainsi ce que valent les dénégations des sceptiques.

C’était entre 1827 et 1830, dans un village du département du Finistère. Un paysan assez à son aise, mais fort ambitieux, découvrit, dans quelque vieux livre de sorcellerie, qu’à l’aide de certains moyens, de certaines observations, on pouvait se procurer de l’argent. Il fit les simagrées voulues, et l’argent arriva ; mais à l’instant même, sa femme, qui n’avait pas pris part à ce marché, reçut, par voie de révélation, l’avis, qu’en punition de ce méfait toute la famille allait être frappée, qu’elle ne pourrait pendant six mois faire aucun usage des biens qui lui appartenaient, que la maison resterait ouverte à tous venants, que son domaine ne serait ni cultivé, ni récolté, et enfin que le père, la mère et les enfants deviendraient muets et seraient pour tout le pays un objet d’horreur.

Cette pauvre femme, terrifiée, courut chez son curé et demanda à être entendue en confession. Le curé l’entendit, lui donna l’absolution ; mais aussitôt elle devint muette. Rentrée chez elle, elle trouva toute sa famille frappée du même mutisme. Son mari et ses enfants roulaient des yeux hagards, criant, vociférant et se cachant au moindre bruit dans quelque coin obscur de la maison. Les choses durèrent ainsi pendant six mois, la maison ouverte à tous venants, les terres abandonnées, etc. Les témoins de ce fait prodigieux (qui se rapproche singulièrement de celui que nous venons de voir dans le document de 1348) sont, d’abord, toute la population du lieu, les autorités civiles et militaires, le clergé, les journaux du temps, nombre d’étrangers et particulièrement d’Anglais venus tout exprès de Jersey pour le voir, etc.

Quant aux maléfices exercés sur les personnes, ne les retrouve-t-on pas, avec tous leurs caractères diaboliques, dans maints phénomènes du prétendu magnétisme et du spiritisme des Vocates Procédants ?

Cahagnet, dans sa Magie magnétique, raconte le fait suivant :

Une femme vint consulter Adèle (sa somnambule), accompagnée d’un sieur Médard, de Saint-Gratien ; elle éprouvait une maladie de langueur. Adèle lui dit que son ennemie est une parente avec laquelle elle s’est souvent disputée : « Elle agit, tandis que vous n’agissez pas. Chaque fois qu’elle passe devant votre porte, elle vous envoie un mauvais fluide en vous montrant le poing.» — Cette femme affirme qu’on ne lui a jamais jeté de fluide et regard naïvement ses habits. — « Ce qu’elle vous a envoyé est invisible, dit la lucide, et votre ami vous en débarrassera. » — Le sieur Médard, peu habile à magnétiser, fut instruit par Adèle, et à mesure que la maléficiée guérissait, on voyait son envoûteuse tomber peu à peu dans le marasme. Cette femme, alors bien guérie, ayant été atteinte d’une maladie aiguë, son envoûteuse, qui ne connaissait nullement le magnétisme, continua, par un ressentiment aveugle, de diriger sur elle, qui ne pouvait plus se défendre, son fluide malfaisant, de sorte que celle-ci succomba et l’envoûteuse récupéra la santé.

Le même Cahagnet nous raconte qu’il fut lui-même la victime d’un sortilège, ressemblant fort à l’envoûtement.

« On peut, dit-il, renverser un sujet, le faire agir comme on le désire ; on peut l’attirer à soi, lui imprimer des marques sur le corps, lui donner à distance des coups de bâton ou des soufflets… Si l’on étudie ce que l’on peut faire en ce genre, on voit se rétablir une à une les croyances réputées ridicules des paysans concernant les sorciers. Les personnes assez avancées dans cette science poussent la prudence jusqu’à ne point laisser à la disposition de leurs ennemis des pains à cacheter enduits de leur salive… La justice n’a-t-elle pas saisi au domicile de certaines somnambules certains préparatifs qui ont fait présumer qu’elles agissaient par correspondance sur quelques victimes ?… Un coiffeur, rue Saint-Honoré, était connu pour obséder occultement les femmes. Quand il n’avait pas réussi, il allait jusqu’à les frapper à distance ; les malheureuses se levaient toutes noires de coups et les jambes ensanglantées par ses égratignures. »

On trouvera dans le Journal du Magnétisme, n° du 23 août 1849, le récit, trop long pour être inséré ici, d’une longue obsession magnétique, examinée par les membres de l’Athénée de Lyon, dont le rapport, adressé à Du Potet, attribue à la magnétisation tous les symptômes du maléfice diabolique. Le célèbre magnétiseur ordonna, pour la guérison du patient, des passes magnétiques, qui furent sans succès.

On connaît les terribles phénomènes produits par l’agent occulte des nègres Vaudoux, nommé par eux Mandigoës-Obi, qui, sous forme d’épidémie périodique, décime les populations de Saint-Domingue et d’autres îles des Antilles. D’après l’abbé Bertrand, cette secte meurtrière est une espèce de confrérie pratiquant un culte satanique originaire d’Afrique. Ce culte offre de grandes analogies avec celui des sorciers au sabbat. « La scène, dit M. de Mirville, se passe au fond le plus impénétrable de la forêt, sur la plus ardue des montagnes, sur le bord des volcans ou dans les marais pestiférés. L’appel nominal des fidèles, la constatation de la présence de l’Obi, l’apport du sistre et de la chaudière, l’égorgement d’une chèvre qui doit s’offrir d’elle-même à son bourreau et mourir sans pousser un seul cri, la danse orgiastique, l’agenouillement devant des serpents, des hurlements épouvantables, des actes d’une infamie révoltante, et trop souvent, dit-on, l’immolation d’un enfant, voilà tout le programme de la fête mystérieuse, pendant laquelle on inscrit tous les noms désignés à la vengeance. »


Les mystères d’Obi. — C’est, en quelque sorte, le sabbat des nègres, appartenant à la secte des Vaudoux, principalement aux Antilles.

Un européen habitant la Jamaïque, M. Lond, dans la Bibliothèque Britannique (tome IX), fait le récit suivant :

« Il n’y a que les noirs nés en Afrique qui connaissent les pratiques d’Obi Tous les nègres, soit africains, soit créoles, ont la foi aux sorciers. C’est à eux qu’ils ont recours dans toutes les occasions importantes. Ces magiciens vendent à différents prix des préparations enchantées. Le nègre le plus hardi tremble devant le paquet de haillons et les coquilles d’œuf que la sectateur d’Obi à suspendus à une branche d’arbre pour écarter les maraudeurs. Lorsqu’un nègre se persuade qu’Obi le cherche, il se regarde comme perdu : il n’a de ressource alors que dans l’art d’un sorcier plus habile que celui qui le poursuit.

« Les composants ordinaires des préparations d’Obeah sont du sang, des plumes, des becs de perroquet, des dents de chien ou d’alligator, des bouteilles cassées, de la terre de tombeaux, du rhum, et des coquilles d’œuf.

« Nous tenons les faits suivants d’un planteur de la Jamaïque, d’une véracité reconnue.

« En 1755, à son retour à la Jamaïque, il trouva qu’il avait péri un grand nombre de ses nègres pendant son absence, et que, parmi ceux qui lui restaient, plusieurs étaient singulièrement affaiblis. La mortalité continua après son arrivée pendant une année entière, malgré toutes les ressources de la médecine. Le propriétaire soupçonnait beaucoup les praticiens d’Obi ; mais les malades s’obstinaient toujours à nier d’avoir eu aucune connaissance de pareilles pratiques. Enfin, une négresse, qui était malade, vint dire à son maître que, sentant qu’elle n’avait pas longtemps à vivre, elle se croyait obligée de lui confier la cause de sa maladie, espérant que cet aveu mettrait fin aux ravages de l’épidémie parmi ses compatriotes. Elle raconta alors que sa belle-mère, née parmi les Papaws, femme d’environ quatre-vingts ans, mais encore active et vigoureuse, avait lâché Obi sur elle, comme elle l’avait fait sur beaucoup d’autres, et qu’elle pratiquait depuis plusieurs années les maléfices de l’Obeah.

« Dès que le bruit de l’accusation se répandit parmi les nègres, ils accoururent en foule pour l’appuyer de leur témoignage. Le propriétaire se rendit alors à l’habitation de cette vieille, en se faisant suivre de six domestiques blancs. Ils forcèrent la porte de sa cabane, dont le toit, dans sa partie intérieure, et toutes les crevasses des murs, étaient garnis d’instruments de sorcellerie, guenilles, plumes, os de chat, etc. Ils trouvèrent, en outre, dessous son lit, une jarre de terre qui contenait un grand nombre de boules d’argile de diverses grosseurs, blanchies en dehors, et dans lesquelles elle avait fait entrer des cheveux, des lambeaux de toile et des plumes. Quelques-unes étaient entourées du crâne d’un chat, ou portaient des griffes et des dents du même animal, des dents de chien ou d’homme, des grains de verra de diverses couleurs. Il y avait aussi un grand nombre de coquilles d’œufs, pleines d’une substance visqueuse qu’on négligea d’examiner, et divers sachets pleins de différentes choses. On abattit la cabane, et on la réduisit en cendres avec tous les instruments des maléfices. Quant à la vieille, le propriétaire ne voulut pas la mettre en jugement, parce que, selon la loi, elle aurait été condamnée à mort. Il en fit cadeau à des Espagnols qui partaient pour Cuba. Depuis ce moment, tous les nègres de la plantation reprirent courage, et l’épidémie s’arrêta. »

La secte des Vaudoux n’est point encore éteinte aujourd’hui. Certains auteurs prétendent même que, depuis la fameuse révolution de Saint-Domingue, qui fut indubitablement son œuvre, cette sorte de franc-maçonnerie a pris une nouvelle extension.


Sorts jetés sur les Bestiaux. — Entre 1687 et 1691, plusieurs bergers ayant été condamnés à mort par le bailli de Pacy, en Brie, pour maléfices jetés sur les bestiaux, le Parlement de Paris, jugeant les preuves insuffisantes, avait cru devoir casser le verdict du bailli et substituer les galères à la peine de mort. La question était de savoir si les ravages commis étaient dus à des opérations diaboliques ou à des moyens naturels. Parmi les condamnés de la Haute-Justice de Pacy, s’en trouvait un, Pierre Hocque, qui n’avait été condamné qu’à neuf ans de galères pour avoir fait mourir grandi nombre de bestiaux par des gogues[13]. Le Parlement avait confirmé cet arrêt.

La justice avait pensé d’abord que cette mortalité avait été causée par des poisons naturels. Mais on découvrit bientôt de nouveaux crimes. Malgré l’arrestation du berger, les bestiaux du sieur Visier, à qui Hocque en voulait spécialement, continuaient de périr ; d’où le soupçon très légitime qu’on s’était trompé. Visier, convaincu qu’il y avait maléfice diabolique et désirant éclairer la justice, se servit, à cet effet, d’un nommé Béatrix, compagnon de chaîne de Pierre Hocque, pour qu’il engageât celui-ci à faire cesser une mortalité si ruineuse. Béatrix, vivant familièrement avec le berger, s’en chargea volontiers dans l’espoir d’une récompense, et, dans les épanchements causés par le vice, obtint du condamné un aveu complet. Pierre lui confia qu’il se servait d’une charge d’empoisonnement magique, appelée les neuf conjurements, laquelle subsistait encore, et se composait de sang, de fiente d’animaux, d’eau bénite, de pain bénit de cinq paroisses, notamment de celle où est le troupeau qu’on veut maléficier, d’un morceau de la sainte hostie, que ces misérables retiennent lors de la communion, de crapauds, de couleuvres, etc., mis dans un pot de terre neuf, acheté sans marchander ; ils y mettent plusieurs billets sur lesquels ils écrivent avec le sang des animaux, mêlé d’eau bénite, les paroles de la consécration, etc. On enterre ce pot sur le chemin où passent les bestiaux, sous le seuil des étables, etc. On renouvelle sa vertu en l’aspergeant de temps en temps de vinaigre.

Béatrix lui fit observer qu’étant condamné, il n’avait nul profit à espérer de cette charge, qu’il fallait la lever. Hocque répondit que, n’étant pas libre, il ne le pouvait, mais qu’il avait un ami, Louis Couasnon, dit Bras-de-Fer, qui demeurait à Courtois, près de Sens, qui le pouvait très bien. Béatrix se fit dicter une lettre à l’adresse de Nicolas Hocque, par laquelle il le chargeait de se transporter chez Bras-de-Fer (sans dire qui avait fait cette charge) et de le prier de la lever.

À peine les fumées du vin étaient-elles dissipées, que Pierre Hocque, réfléchissant à ce qu’il avait fait, commence à se tourmenter et à pousser des hurlements, disant qu’il allait mourir lui-même, à l’instant où Bras-de-Fer lèverait la charge ; dans son désespoir, il se jette sur Béatrix pour l’étrangler. Les autres forçats, frappés de sa douleur, veulent exterminer Béatrix, qui n’aurait pu éviter la mort, si le commandant de la Tournelle, avec ses gardes, ne l’eussent délivré.

Bras-de-Fer va remplir son mandat à Pacy ; il entre dans les écuries, fait des cérémonies impies, sacrilèges, exécrables, qu’on ne saurait rapporter ici. Simulant l’homme de bien, il recommande à Visier de faire dire « une messe à Saint-Cartos » ; ce que celui-ci fit innocemment, ignorant que ce fût le crapaud dont le venin sert dans les empoisonnements. Bras-de-Fer s’enferme dans les écuries avec Étienne Hocque et en bouche toutes les ouvertures avec de la paille, ainsi que le tout est exposé dans les dépositions, confrontations et recolements des accusés ; alors, un esprit lui fait connaître l’endroit où est déposé le sort ; et au moment où il le jette au feu, il lui est aussi révélé que Pierre Hocque en est l’auteur et qu’il expire au même instant à Paris dans sa prison.

En effet, à la même heure où Bras-de-Fer levait la charge sur les chevaux et les vaches, Pierre Hocque mourait dans des convulsions étranges, comme un possédé, sans vouloir se confesser. Bras-de-Fer refusa de lever le sort sur les moutons, parce qu’il lui fut révélé que les enfants de Hocque en étaient les auteurs et qu’il ne voulait pas les faire mourir comme leur père.

Ce fait donna lieu à un second procès. Décrétés et arrêtés, les enfants Hocque et leurs complices furent trouvés saisis de caractères et manuscrits pour composer des charges, et Bras-de-Fer fut reconnu chef de la cabale des bergers. Par sentence du 23 janvier 1688, ce dernier, E. Jardin et le Petit-Pierre furent condamnés à être pendus et brûlés, les deux fils et la fille de Hocque à un bannissement perpétuel. Mais cette sentence fut infirmée, et, par arrêt de la Cour du 12 mars, les trois premiers furent seulement condamnés aux galères à perpétuité, et les enfants de Pierre Hocque bannis pour neuf ans.

Cet arrêt excita la haine des condamnés.

Pendant le cours du procès qui dura huit mois, il ne périt plus de bestiaux ; mais dès que les enfants Hocque furent sortis de prison, au lieu de se soumettre au bannissement, ils se rendirent à Chevri, près de Pacy, chez des parents, arrosèrent la charge de vinaigre, et cette même nuit la mortalité recommença : il mourut huit moutons. Le sieur Visier envoya ses bestiaux chez son beau-père, elle cessa ; il en prit à moitié d’un sieur Bourdin ; dès que les enfants Hocque le surent, ils périrent.

Cette récidive donna lieu à un troisième procès. Réintégrés en prison par sentence du 31 octobre 1689, ils furent condamnés à mort. Sur l’appel, la Cour infirma la sentence, et condamna les frères Hocque aux galères et leur sœur à un bannissement perpétuel. Cette clémence endurcit la nombreuse cabale des bergers qui continuèrent leurs maléfices contre Visier, lequel fut complètement ruiné.

Plusieurs bergers furent incarcérés ; on les trouva saisis de livres détestables. Confrontés et interrogés, ils avouèrent les faits. Visier seul avait perdu pour plus de 8.000 livres de bestiaux ; le fermier des Chartreux, en trois ou quatre ans, pour plus de 15.000 livres (somme énorme à une époque où un excellent cheval ne valait pas plus de 100 francs).

L’infamie va plus loin : de pauvres veuves sans défense ont été obligées de s’abandonner à leurs bergers qui les menaçaient de faire périr leurs troupeaux. Ils font des conjurations pour contraindre des femmes et des filles, et encheniller (c’est leur terme) ou faire mourir de langueur ceux qui leur déplaisent. — Tout ce qui vient d’être exposé est connu, prouvé, avoué, et résulte des confrontations, récolements, etc. Le P. Le Brun (Histoire des pratiques superstitieuses, tome IV) publie plusieurs factums, tant des parties que du procureur de la Châtellenie, faits en vue de décider la Cour du Parlement de Paris à condamner l’infernale ligue des bergers du Berry à la peine du feu ou d’un bannissement à perpétuité[14].

Le même P. Le Brun raconte un fait qui eut lieu vers le même temps et « donna un grand branle au jugement contre ces bergers, outre l’ordre précis de Sa Majesté d’en faire justice. »

Le Président N*** étant à sa terre de M…, quand il était intendant de la généralité d’Orléans, vit, le lendemain des fêtes de la Pentecôte, dans la longue avenue qui mène au village, un homme marchant sur ses mains et ses genoux, les pieds levés en l’air. Celui-ci, qui était un des notables de l’endroit, lui exposa qu’un tisserand du village l’avait réduit dans ce pitoyable état, pour avoir refusé de lui prêter dix pistoles. Huit mois après, le maléficié, ayant vendu des bestiaux, lui porta les dix pistoles, en le priant de le guérir ; ce que fit le tisserand en lui donnant simplement un coup sur l’épaule, mais avec recommandation de n’en rien dire, notamment au curé. Le même jour, l’homme guéri étant allé à la messe, le curé le voyant guéri l’aborda, et lui, dans sa joie, sans penser à rien, lui conte tout. En s’en retournant, il trouva le tisserand qui lui dit : « Tu ne m’as pas tenu parole, tu t’en repentiras. » Dès la nuit suivante, ses jambes redevinrent sèches comme auparavant. L’intendant envoya deux hocquetons chercher le tisserand, et le menaça rudement de le faire punir s’il ne guérissait cet homme. Le tisserand, ainsi pressé, ne fit que se tourner, prononça quelques paroles, et à l’instant même, les jambes desséchées du malade « regrossirent », et il fut guéri.


Infestation de Maisons. — Le Presbytère de Cideville. Le procès qui se déroula au sujet de l’affaire de Cideville devant la Justice de paix de Yerville (Seine-inférieure), au commencement de l’année 1851, a eu trop de retentissement pour que je ne le résume pas ici. Je m’appuierai surtout, dans ce résumé, sur le récit de M. de Mirville, témoin oculaire des faits, et dont la véracité est au-dessus de tout soupçon[15]. Il tenait, du reste, à la disposition du public chez son éditeur Vrayet de Surcy, rue de Sèvres, n° 2, les dépositions officielles des témoins, dont il faisait partie.

Vers les premiers jours du mois de mars 1849, M. le curé de Cideville avait rencontré chez un de ses paroissiens malades un individu, nommé G***, célèbre dans tout le pays par sa réputation de guérisseur occulte et de docteur-ès-sorcelleries. Un malade s’étant assez mal trouvé du traitement mystérieux (il en était mort), le curé avait cru devoir formuler un blâme énergique et renvoyer le guérisseur. Mais celui-ci, n’en continuant pas moins son métier, se vit un jour appréhendé au corps et condamné à une ou deux années de prison. Furieux de cet arrêt, le sorcier jura de se venger du curé, qu’il accusait de sa mésaventure.

L’heure de la vengeance arrivée, le berger Thorel, disciple et ami de G***, fait entendre à son tour que M. le curé pourra bien s’en repentir, et qu’il se fera, lui Thorel, l’exécuteur des menaces de son maître.

Deux enfants, l’un de douze ans, l’autre de quatorze, se destinant à entrer au séminaire, sont élevés au presbytère de Cideville ; ils vont servir tout d’abord d’instruments à la vengeance de Thorel. On voit, à une vente publique, le berger s’approcher du plus jeune des enfants, et peu d’heures après, les phénomènes mystérieux apparaissaient.

Aussitôt après la rentrée de cet enfant, une espèce de trombe ou bourrasque violente vient s’abattre sur le malheureux presbytère ; puis, à la suite de cette bourrasque, des coups semblables à des coups de marteau ne cessent de se faire entendre dans toutes les parties de la maison, sous les planchers, sur les plafonds, sous les lambris. Ces coups sont souvent d’une force à ébranler la maison, à la faire tomber en démence (ruine), ainsi que le prophétise le berger lui-même. On peut les entendre à deux kilomètres de distance. Cent cinquante personnes de Cideville explorent la maison, sans pouvoir en découvrir la cause.

Ce n’est pas tout. Les carreaux se brisent et tombent en tout sens, les objets s’agitent, les tables se culbutent ou se promènent, les chaises se groupent et restent suspendues dans les airs, les chiens sont jetés à croix ou pile au plafond, les couteaux, les brosses, les bréviaires s’envolent par une fenêtre et rentrent par la fenêtre opposée, les pelles et les pincettes quittent le foyer et s’avancent toutes seules dans le salon, les fers à repasser qui sont devant la cheminée reculent, et le feu les poursuit jusqu’au milieu du plancher ; des marteaux volent en l’air avec force et se déposent avec la lenteur et la légèreté d’une plume sur le parquet ; d’énormes pupitres s’entrechoquent et se brisent ; un d’entre eux, chargé de livres, arrive violemment et horizontalement jusqu’au front d’un témoin honorable, M. R. de Saint-V***, puis, sans le toucher, tombe perpendiculairement à ses pieds.


Les maisons hantées. — Les manifestations extraordinaires, qui eurent lieu en 1851 au presbytère de Cideville (Seine-Inférieure), appartiennent à la catégorie des faits acquis et indiscutables.

Madame de Saint-V***, témoin de vingt expériences analogues, se sent un jour tirée par la pointe de sa mante, sans apercevoir la main invisible qui la tire ; le maire du village reçoit à son tour un coup violent sur la cuisse, et au cri que cette violence lui arrache, un être invisible répond par une caresse qui lui enlève toute douleur.

Un autre témoin, venu à Cideville à l’improviste, passe une nuit dans la chambre des enfants, interroge le bruit mystérieux en imposant ces conditions au dialogue : un coup, par exemple, voudra dire oui ; deux coups voudront dire non ; puis, le nombre des coups signifiera le nombre des lettres, etc. Tout cela se frappe avec tant de justesse et de rapidité, que le témoin se voit obligé lui-même de conjurer l’agent mystérieux d’y apporter plus de lenteur, afin qu’il puisse vérifier tous ses dires, qui se trouvent enfin de la plus complète exactitude.

Cet ingénieux témoin, qui inventait ainsi ce procédé de dialogue avec les esprits, calqué peu de mois après dans toute l’Amérique et bientôt dans toute l’Europe, était M. de Mirville lui-même.

Un prêtre un vicaire de Saint-Roch de Paris, M. l’abbé L***, par hasard de passage à Yvetot, se transporte à Cideville, et voici qu’aux mêmes questions posées par son frère, entièrement inconnu comme lui dans le pays, les réponses arrivent avec la même rapidité, la même exactitude. Les mêmes phénomènes se reproduisent dans les réponses faites à deux propriétaires, MM. de V***, venus d’Eu tout exprès, et au docteur M***, de Bacqueville.

En même temps, le malheureux enfant qui avait été touché par le berger est en proie à des phénomènes non moins étonnants. Il manifeste tous les symptômes du cauchemar diabolique : envahissement du système nerveux, poids insolite sur ses épaules, compression de la poitrine, etc. De plus, il voit toujours derrière lui l’ombre d’un homme en blouse, qu’il dit ne pas connaître jusqu’au jour où, confronté avec Thorel, il s’écrie : « Voilà l’homme ! » Au moment où l’enfant accuse la présence du fantôme, un dos ecclésiastiques présents affirme avoir aperçu distinctement derrière lui une sorte de colonne grisâtre ou de vapeur.

Bientôt, l’état nerveux de l’enfant s’aggrave. Il tombe en convulsions, puis dans une sorte de syncope extatique qui fait croire à sa mort ; les assistants se mettent en prières, et, au bout de plusieurs heures, l’enfant revient à lui.

Un autre jour, il dit voir une main noire descendre par la cheminée, et s’écrie qu’elle lui donne un soufflet. Personne ne voit la main ; mais on entend le bruit du soufflet, on voit la joue devenir et rester longtemps rouge, et, dans sa naïveté, l’enfant s’élancer en dehors, espérant revoir cette main sortir par le haut de la cheminée.

Les prières ne paraissant pas suffisantes pour remédier à cet état de choses, un des ecclésiastiques réunis au curé de Cideville déclare avoir lu, dans un livre de science occulte, que ces ombres mystérieuses redoutaient la pointe du fer. Sur cette révélation, on se met à l’œuvre ; on se munit de longues pointes, et partout où le bruit se fait entendre, on les enfonce le plus lestement possible. La tentative paraissant infructueuse, on va y renoncer, quand un coup de pointe fait jaillir une flamme, et, à la suite de cette flamme, une fumée si épaisse qu’il faut ouvrir toutes les fenêtres, sous peine d’une prompte et complète asphyxie. Ce succès donne du courage : on reprend les pointes et on enfonce de plus belle… Un gémissement se fait entendre ; on continue, le gémissement redouble : enfin, on distingue positivement le mot pardon… — « Pardon ? disent ces messieurs ; oui, certes, nous te pardonnons, et nous ferons mieux : nous allons passer toute la nuit en prières, pour que Dieu te pardonne à son tour ; mais à une condition, c’est que, qui que tu sois, tu viendras demain, toi-même, en personne, demander pardon à cet enfant. — Nous pardonnes-tu à tous ? — Vous êtes donc plusieurs ? — Nous sommes cinq, y comprit le berger. — Nous pardonnons à tous. » Alors, tout rentre dans l’ordre au presbytère, et cette terrible nuit s’achève dans le calme et la prière.

Le lendemain, dans l’après-midi, un homme se présente à la porte du presbytère, c’est Thorel, l’attitude humble, le langage embarrassé, cherchant à cacher avec son chapeau des écorchures toutes saignantes qui couvrent son visage. L’enfant l’aperçoit et s’écrie : « Voilà l’homme ! voilà l’homme qui me poursuit depuis quinze jours ! » « Que voulez-vous, Thorel ? lui dit M. le curé. — Je viens… je viens de la part de mon maître chercher le petit orgue que vous avez ici. — Non, Thorel, non, on n’a pas pu vous donner cet ordre-là ; encore une fois, ce n’est pas pour cela que vous venez ici. Que voulez-vous ? Mais, auparavant, d’où vous viennent ces blessures ? Qui donc vous les a faites ? — Cela ne vous regarde pas, je ne veux pas le dire. — Dites donc ce que vous voulez faire : soyez franc, dites que vous venez demander pardon à cet enfant ; faites-le donc, et mettez-vous à genoux. — Eh bien ! pardon », dit Thorel en tombant à genoux. Et, tout en demandant pardon, il se traîne et saisit l’enfant par sa blouse.

À partir de ce moment, les souffrances de l’enfant et les bruits mystérieux redoublent au presbytère de Cideville. Le curé engage Thorel à se rendre à la mairie ; et là, devant témoins, sans que personne lui dise de le faire, Thorel tombe à genoux trois fois et demande encore pardon. — « De quoi me demandez-vous pardon ? lui dit le curé, expliquez-vous. » — Et Thorel de continuer ; mais tout en demandant pardon, il se traine sur ses genoux et cherche à toucher l’abbé Tinel, comme il avait fait à l’enfant. — « Ne me touchez pas, s’écrie le curé, ne me touchez pas, au nom du ciel, car je vous frappe ! » Vaine menace ; Thorel avance toujours jusqu’à ce que M. le curé, acculé dans un angle de la pièce, se voie forcé pour sa légitime défense de lui asséner trois coups de canne sur le bras. Ce sont ces trois coups de canne qui vont devenir la base du procès intenté au curé par Thorel.

En attendant, il retourne chez le maire, et le conjure en pleurant d’intercéder pour lui auprès du curé. Puis, il avoue que tout cela remonte à G*** « Il est sorti de prison, lui dit-il, il est venu me voir ; il en veut à M. le curé, parce qu’il l’a empêché de gagner son pain en le renvoyant de chez un malade de la commune qu’il voulait guérir… M. le curé a eu tort, car G*** est un homme très instruit, très savant, et qui peut lutter contre un prêtre. M. le curé voudrait bien, lui, qu’on l’instruisit, et s’il voulait payer un café, je le débarrasserais de tout ce qui se passe au presbytère. »

À ceux qui lui demandaient pourquoi il choisissait pour victime un enfant innocent, il répondait : « Vous ne voyez donc pas que M. le curé peut vivre avec ces deux enfants-là ; il faut qu’ils partent, ils partiront, et alors tout sera fini. »

Il était difficile d’avouer plus complètement le maléfice, et la cause du maléfice. Du reste, il n’en était pas à son coup d’essai. Les témoignages qui furent entendus dans la procédure lui imputèrent plusieurs autres faits de sorcellerie.

Les phénomènes de Cideville durèrent deux mois et demi, du 26 novembre 1850 au 15 février 1851, époque à laquelle l’archevêque crut devoir éloigner les deux enfants du presbytère. À partir de ce jour, tous les phénomènes cessèrent.

Le curé de Cideville fut donc poursuivi devant la justice de paix du canton d’Yerville à raison des trois coups de canne administrés au sorcier pour éviter son attouchement, et, le 4 février 1851, le juge de paix d’Yerville, mettant le curé hors de cause, débouta Thorel de ses fins et le condamna à tous les dépens de la procédure.

On peut rapprocher de l’histoire du presbytère de Cideville, une histoire analogue arrivée en 1746, dans le presbytère du curé de Walsch, Basse-Alsace. L’avocat Bizouard résume ainsi la lettre du curé lui-même adressée à dom Calmet le 25 août 1746 :

« Le 10 juin, à huit heures du matin, le bon curé étant dans sa cuisine avec sa nièce et sa servante, ils virent tout à coup un pot de fer qui fut mis à terre et fit plusieurs tours sans qu’on le touchât ; une pierre d’environ une livre fut lancée de la pièce voisine. Le lendemain matin, à neuf heures, des carreaux furent cassés avec une adresse qui parut surnaturelle. Le curé bénit sa maison. Les vitres furent respectées, mais on lança des pierres sur les gens du curé ; si l’on apportait de l’eau, une main invisible jetait des pierres dans le seau ; dans le jardin, à mesure que la servante plantait des choux, on les arrachait et on les mettait en morceaux. Un jour qu’on avait bêché, la bêche fut enfoncée de deux pieds en terre ; sur la bêche était un ruban, et à côté on vit deux pièces de deux sous serrée la veille dans une boîte par la servante ; l’esprit déplaçait la vaisselle, la rangeait en rond dans la cuisine, dans le porche et même dans le cimetière. — Le curé, n’y pouvant plus tenir, fit venir le maire et lui déclara qu’il était décidé à quitter le presbytère. Sur ces entrefaites arrivèrent les agents du comte de Leinengen, qui dirent au curé que c’était l’effet d’une sorcellerie, de prendre deux pistolets et de les tirer où il verrait du mouvement. Au même instant, l’esprit jeta deux pièces d’argent qu’il tira de la poche d’un de ces officiers, et tout cessa. — Le curé soupçonna un mauvais paroissien qu’il avait été obligé de faire sortir de sa paroisse, et qui pour se venger avait ensorcelé sa maison. »

Les histoires de maisons hantées, soit pendant des possessions, soit par suite de sorts jetés par des sorciers, sont tellement nombreuses, qu’il faudrait plus d’un volume pour les rapporter toutes, même en se bornant à celles qui se trouvent déjà relatées par les principaux écrivains jouissant d’une autorité incontestée. Raggiolo, Verporten, de Mirville, Louis Figuier, l’abbé Lecanu en citent à n’en plus finir. Glanons encore quelques faits avérés, reconnus, et passons ensuite à la question des talismans, qui, elle aussi, à bien son intérêt.

En 1475, une possession se déclare à Sauminiato, dans la maison d’un avocat nommé Jean de Bonromanis ; des pierres d’un grand volume sont jetées dans la maison par des agents invisibles, rejetées dehors ensuite sur les passants ; tout est brisé dans l’intérieur du logis ; les plus gros meubles sont emportés par les fenêtres, comme s’ils s’envolaient, puis reviennent de même ; des coups sont frappés partout ; ils retentissent sur les murs, sur les meubles ; ils causent une violente douleur aux personnes. Le vacarme dure cinq mois, au vu de tous les habitants de la ville et de celle de Florence qui en est voisine. La jeune fille de l’avocat, but principal de ces violences, devient folle, puis possédée, furieuse. Ses parents et des amis dévoués la portent de force à Vallombreuse ; elle y est délivrée après trois jours de prières. Cette délivrance est citée parmi les miracles de saint Jean Gualbert.

Vers 1760, un pasteur protestant du comté de Hohenlohe, nommé Schupart, qui devint recteur de l’Université de Gessen, vit sa maison assaillie de la même manière ; le désordre dura huit ans, et ne cessa que quand il eut quitté le lieu. Le dominicain Jean Nyder relate deux faits identiques arrivés à sa connaissance dans deux couvents de son ordre, l’un d’hommes, l’autre de femmes, à Nuremberg. Les désordres ne cessèrent que par la puissance des exorcismes de l’Eglise.

Au mois de février 1845, une maison de la rue des Grès, en plein Paris, fut presque démolie par des projectiles volumineux, lancés on ne savait d’où, à toutes les heures du jour et de la nuit. Tout fut brisé à l’intérieur ; les portes et les fenêtres furent enfoncées. Ni les agents de la police, ni les militaires qui leur furent adjoints, ne reconnurent jamais ni une main ni un des points de départ ; les physiciens et les mécaniciens demeurèrent à court d’explications ; les agents les plus habiles de la police furent sur pied de jour et de nuit pendant quinze jours ; tout demeura inutile. Le négociant qui occupait cette maison, dégoûté enfin et ruiné, se retira, et le désordre cessa. Tous les journaux du temps en entretinrent Le public.

Au mois de mars 1847, à Bayswater, en Angleterre, chez des époux nommés Williams, à l’occasion d’une jeune enfant de neuf ans, recueillie dans la rue par charité, les meubles se mettent à se promener d’eux-mêmes, à s’enfuir des mains qui veulent les toucher, et souvent tombent et se brisent. Les flambeaux, les assiettes dansent sur les tables ; les gros meubles se mettent aussi de la partie ; l’enfant, principalement, est en butte aux vexations les plus étranges ; elle ne peut plus ni boire ni manger ; les aliments, avec les vases qui les contiennent, s’enfuient de la table, quand elle veut y porter la main. On finit par se douter qu’elle est la cause du désordre ; on la renvoie après quelques semaines, et le désordre cesse. Le journal (Douglas-Herald, 26 mars) qui rapporte ces faits ne dit pas si quelque parent ne convoitait pas la succession des deux vieillards ; il aime mieux accuser l’enfant, comme s’il y avait eu de l’intérêt ! comme s’il lui eût été possible de produire de telles manifestations !… Mais il ajoute, de bonne foi, que le modus operandi était demeuré invisible.

Au mois de décembre 1849, à Saint-Quentin, chez un négociant, un vacarme affreux se déchaîne subitement : les sonnettes vont seules, des coups retentissent contre les murs en vingt endroits divers, les vitres se brisent seules, en présence de nombreux témoins. La vaisselle et les ustensiles se promènent par la cuisine et la salle à manger. Le désordre se renouvelle chaque jour à plusieurs reprises, et cela durant trois semaines, sans qu’on puisse saisir les agents ni les moyens d’action. L’on finit par soupçonner qu’une domestique, introduite depuis ce temps dans la famille, en est la cause involontaire ; on la renvoie, et tout rentre dans l’ordre (Gazette des Tribunaux, 20 décembre 1549).

Le 15 janvier 1846, à Mortimer, département de l’Orne, une jeune fille de quatorze ans, d’une intelligence peu développée, ouvrière en gants de filets de soie, se trouve en butte à une obsession plus grande encore. Le lourd billot de chêne auquel étaient attachés son filet et celui de ses compagnes se déplace et s’enfuit. De ce moment, Angélique Cottin (c’est son nom) ne peut plus toucher un meuble qu’il ne prenne aussitôt la fuite ; le frôlement de sa robe fait fuir les chaises, les tables, les plus pesants objets d’un ménage de campagne, les pelles, les pincettes et jusqu’aux charbons. Deux ou trois hommes des plus forts ne peuvent retenir la chaise sur laquelle elle veut s’asseoir ; elle fuit ou se brise entre leurs mains. Ils se placent sur le billot où elle attache son filet ; le billot danse sous leurs pieds et les secoue rudement. Elle est obligée de s’isoler et de se tenir debout au milieu de la pièce. On lui donne un panier de haricots à éplucher, pour s’occuper ; quand elle y plonge la main, les haricots sautent hors du panier, et le panier s’envole. Des centaines de personnes, de toute condition et de tout savoir, constatent ces phénomènes ; on indique par tout le pays le sorcier qui a jeté le sort.

Après bien des jours de douleurs et d’expériences, on envoie la jeune fille à Paris, pour être soumise à l’examen de l’Académie des sciences. Arago, après avoir constaté par lui-même les phénomènes, en entretint ses collègues, le 2 février. L’Académie nomma une commission ; le docteur Tanchon, rapporteur, fut encore à même d’en vérifier une partie. Arago fit part de son rapport le 17, en séance publique ; mais, de ce moment, les phénomènes avaient disparu. L’Académie décida qu’il n’y avait plus alors lieu de s’en occuper. La Gazette des hôpitaux et la Gazette médicale réclamèrent vivement contre une telle fin de non-recevoir, mais en vain. L’Académie avait prononcé le mot sacramentel ; Angélique Cottin n’existait pas pour les savants.

Au mois de décembre 1846, une jeune apprentie coloriste dans un atelier de la rue Descartes, à Paris, devient en butte à une obsession du même genre. La table crie et s’agite pour peu qu’elle y touche ; les pinceaux fuient ses doigts, quand elle veut les prendre ; le pupitre va se cacher dans un coin de la pièce ou se dresse devant l’apprentie, la chaise recule au se dérobe, le frôlement de sa robe met les meubles en fuite, les bas quittent ses jambes et sa remettent d’eux-mêmes. Elle est soulevée de son siège et y retombe lourdement. On parla aussi d’enchantement et de sortilège (Siècle, 4 mars 1847).

Dans la même année 1846, au mois de novembre, à Claire-Fontaine, près Rambouillet, une domestique refuse l’aumône à un mendiant, qui la menace en se retirant. Dès le soir, tout s’agite dans la maison de manière à désespérer les habitants. La domestique, en se plaçant sur l’endroit même d’où elle avait été menacée, est prise d’affreuses convulsions. Le charretier de la maison y va par bravade et est pris des mêmes convulsions. Les phénomènes reparurent longtemps avec intermittence (Revue des Deux-Mondes, décembre 1846).

En 1849, au mois de mars, à Guillonville, près Chartres, chez un fermier du nom de Polléans, un incendie a lieu ; un domestique est inculpé ; une jeune domestique, du nom d’Adolphine Benoît, dépose contre lui ; l’auteur présumé du crime est mis en état d’arrestation et relâché après trente-deux jours de détention préventive. Dès le moment de l’arrestation, Adolphine Benoît devient l’objet des plus étranges vexations. Les pelisses, les couvertures des lits viennent l’affubler pendant qu’elle travaille ; ses poches et son tablier se remplissent de saletés qui y pleuvent ; le harnais du cheval vient se passer à son cou ; les poêles et les casseroles s’accrochent à ses vêtements.

Les serrures et les cadenas s’arrachent d’eux-mêmes des portes ; Dolléans, un fusil à la main, garde le dernier cadenas ; un bruit lui fait tourner la tête, le cadenas avait disparu. Il vint s’accrocher le lendemain au dos de la domestique, pendant qu’elle récitait sa prière en compagnie de la maitresse de la maison.

La jeune fille, devenue malade à force de frayeur, s’absenta pour cinq jours, et tout cesse, mais pour recommencer à sa rentrée, et avec une intensité beaucoup plus grande. Adolphine Benoît renvoyée de chez ses maîtres, le calme se rétablit pour quinze jours ; à ce terme, c’est le fils du fermier, enfant de trois mois, qui devient en butte aux vexations ; rien ne peut soustraire son berceau aux meubles plus ou moins lourds qui accourent de toutes parts le couvrir ; il n’est pas préservé même dans les bras de sa mère. Enfin, l’abbé Lefranc, curé de Cormainville, paroisse voisine, délégué par l’évêque de Chartres, fait un exorcisme, et tout cesse à l’instant (l’Abeille, 11 mars 1849 ; Constitutionnel, 5 mars 1849 ; Journal de Chartres, même mois).

En décembre 1857 et janvier 1859, des phénomènes presque identiques à ceux d’Angélique Cottin se manifestent à Lahaye, département d’Indre-et-Loire, à l’égard d’une jeune fille nommée Honorine Seguin ; mais celle-ci, moins effrayée qu’Angélique, s’accoutume aux caprices des meubles, elle leur commande bravement, et ils lui obéissent. Elle dit à une chaise : « Va te placer là » ; la chaise glisse sur le parquet et va se placer à l’endroit désigné. « Lève-toi sur deux pieds » ; elle se lève. « Demeure en équilibre » ; elle y demeure. « Frappe dix coups, d’un de tes pieds de devant » ; elle les frappe. « Marque la mesure, pendant que je vais chanter » ; elle bat la mesure, etc. (Louis Figuier),

Arrêtons-nous là, et concluons avec M. l’abbé Lecanu, qui constate l’aveuglement inqualifiable des adversaires du surnaturel. Même les faits, dans le genre de ceux qui viennent d’être cités, ne réussissent pas à les convaincre. Selon eux, toutes ces jeunes filles sont des filles électriques, des raies, des torpilles, des gymnotes. Voyez-vous ça ! Étonnants, messieurs les naturalistes; voilà découvert un nouveau genre d’électricité !…

Cela fait penser à une histoire de crayon magique, écrivant tout seul, suspendu au plafond par un fil, incident arrivé en France et qui montre jusqu’où va la moquerie du démon à l’adresse des incrédules, de ceux dont la prétention, en présence de manifestations sans supercherie, est d’expliquer ces phénomènes par n’importe quel fluide ou on ne sait quelle électricité. On posa la question suivante, rapporte M. l’abbé Lecanu : « Que faut-il penser de l’existence du diable ? » La réponse du crayon, que personne ne touchait, fut : « Je n’existe pas. » Signé : « Satan. »

E. — TALISMANS ET AMULETTES

On entend par talismans et amulettes certains objets que l’on porte ordinairement sur soi, et auxquels sont attachées certaines vertus magiques, curatives ou préservatives. La principale différence qui existe entre le talisman et l’amulette, c’est que le talisman a plutôt des propriétés actives, tandis que l’amulette n’est qu’un simple préservatif. « Amulette » vient du latin amoliri, qui veut dire écarter, éloigner. Le mot « talisman », de source arabe (telem ; teraphim, en hébreu) s’appliqua dans l’origine à des objets, pierres, métaux ou bandelettes, sur lesquels était imprimée ou ciselée la figure ou l’image d’un signe céleste ; le talisman se rattache par là à l’astrologie.

La foi aveugle dans les talismans, c’est-à-dire en certains objets enchantés ou ayant la vertu de porter bonheur ou d’écarter les maladies ou autres maux humains, est aussi ancienne que le monde. Enfantée dans l’Orient par le fatalisme, elle s’est surtout conservée chez les peuples dont le fatalisme est resté le dogme religieux fondamental, chez les Mahométans, par exemple. Les anciens Persans, pour se préserver de différents maux, appliquaient sur diverses parties du corps des tahvids, espèces de bandelettes, ornées de sentences mystérieuses. Les thothaphoth ou philactères des Hébreux étaient des amulettes du même genre. Les abraxas, introduits par les Gnostiques en Occident, n’étaient aussi que des amulettes empruntées à la Syrie et à l’Égypte. Aujourd’hui encore, les bouddhistes de Ceylan s’appliquent sur leurs membres des images des démons qui doivent les guérir infailliblement. De nos jours, certaines peuplades américaines, les nègres et les insulaires de la mer du Sud, ont leurs amulettes, consistant le plus ordinairement en pierres taillées et polies, en un morceau d’or ou un fruit sec, représentant grossièrement une figure d’homme ou de divinité, ou une image obscène. Le grand Lama envoie des sachets de ses excréments réduits en poudre aux potentats de l’Asie, qui les portent avec un respect religieux en amulettes. Beaucoup des substances que nous avons vu figurer dans la composition des charmes deviennent des talismans ou des amulettes : la poudre de crapaud, la râpure de crâne humain, l’ongle de l’élan, des têtes de milan, des poils de la queue d’un loup, les scarabées, l’hippomane, etc…

De nombreux personnages de l’antiquité grecque et latine, et même des naturalistes, tels que Pline, croyaient à l’influence des talismans. D’après Plutarque, Périclès portait un talisman à son cou et en mettait à celui de ses enfants. La plupart des bijoux antiques n’étaient que des talismans ou des amulettes, portés dans une pensée superstitieuse. Chez les magiciens, les talismans jouaient un grand rôle dans leurs opérations. Apollonius de Tyane, en parcourant la Grèce, laissait des talismans partout où il passait. Il délivra les habitants d’Antioche des moucherons qui les infestaient, en faisant porter dans une procession des images en plomb représentant le dieu Mars. C’est encore avec des talismans qu’il délivra Constantinople des scorpions (en gravant sur le cuivre le signe céleste de ces reptiles) et qu’il arrêta les inondations du fleuve Lycus. Paracelse avait ses « boîtes aux influences. » On connaît la célébrité des talismans cabalistiques de Catherine de Médicis.

Renouvelés par les Gnostiques et les hérésiarques des premiers siècles de l’ère chrétienne, les talismans tombèrent sous les censures et les anathèmes de l’Église, condamnant, comme pratique diabolique, l’usage de substances et de remèdes qui paraissent être naturellement sans vertu. Cependant, l’usage en était permis, si l’on pouvait croire que ces substances fussent douées de quelque vertu naturelle occulte, mais à la condition expresse qu’elles ne fussent accompagnées d’aucune invocation, d’aucun caractère ni d’aucun signe magiques. Selon saint Augustin, il fallait y apporter la plus grande prudence, et se défier d’autant plus des talismans, qu’ils semblaient être plus efficaces : « Quand on ignore la cause de cette efficacité, dit-il, il importe avant tout de voir dans quel esprit on s’en sert. » (De Doctr. Christiani, II, 29.)

De même, saint Augustin s’élève avec énergie contre l’abus qu’on faisait de son temps d’un talisman ayant une apparence religieuse et chrétienne : les cloches qu’on portait en amulettes.

À plus forte raison, l’Église condamnait-elle sévèrement tout usage de talisman évidemment entaché de quelque superstition ou de quelque cruauté diabolique ; tel, par exemple, ce talisman dont parle le savant Ugolin, dans son Thesaurus, une espèce de Téraphims, décrite, dit-il, par Gamaliel, précepteur de saint Paul : « On tuait un enfant nouveau-né ; on le décapitait ; on plaçait sous sa langue, salée et huilée, une petite lame d’or sur laquelle on écrivait le nom d’un mauvais esprit ; puis, suspendant cette tête à la muraille, on allumait des lampes devant elle, et, se prosternant à terre, on conversait avec elle. »

En 721, un concile tenu à Rome défend, sous peine d’excommunication, l’usage de ces bandes sur lesquelles sont écrits des versets des livres saints réunis à d’autres paroles superstitieuses. Au neuvième siècle, Léon-le-Sage condamne à mort ceux qui se servent de talismans.

Malgré les anathèmes et les condamnations de l’Église, l’usage des talismans ou amulettes n’en continue pas moins à régner en pays chrétiens, et il s’est perpétué jusqu’à nos jours. Le grand Pascal mourut portant cousue dans ses vêtements une inscription mystérieuse qui nous est parvenue. Charles-Quint se garantissait des vertiges en se mettant sur la tête un sachet rempli de poudre de vers-à-soie desséchée. Le R. P. Delrio rapporte que sous le règne de Henri III, presque tous les soldats de l’armée de reîtres qui passa en France, commandée par le baron Dhona et fut défaite par le duc de Guise, portaient des amulettes. On a conservé de nombreuses amulettes, sous forme de petites plaques de cuivre, gravées de plusieurs manières, ramassées par nos soldats de Crimée sur le champ de bataille jonché de cadavres russes.

Des médecins, et des plus illustres, tels que Galien, Liébaut, Fernel, Hartmaux, Boyle, Van Helmont, ont rempli leurs ouvrages de recettes talismaniques plus bizarres les unes que les autres. Il faudrait des volumes pour énumérer ces recettes merveilleuses. On peut, avec le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, article Amulettes, ramener ces recettes à cinq classes principales, que nous allons rapidement parcourir.


Règne Minéral. — Suspendues au cou ou portées au doigt, certaines amulettes préservent de l’épilepsie, des cauchemars, des maux d’estomac, des chutes, des terreurs paniques, de la foudre, de la grêle, etc. Jean Hartmaux

Degner (Hist. méd., 1754) décrit ainsi une amulette pour arrêter la sécrétion du lait chez les nourrices qui veulent sevrer : « On remplit de mercure un tuyau de plume à écrire ; et, après l’avoir soigneusement fermé avec de la cire, on le suspend au cou entre les mamelles, et on le porte ainsi jusqu'à ce que tout le lait ait disparu. »

Un physicien célèbre du seizième siècle, auteur de plusieurs livres de magie et d’astrologie, énumère ainsi les pierres les plus usitées comme talismans, et leurs principales vertus :

L’Agathe fortifie le cœur, préserve de la peste, et guérit les blessures des bêtes venimeuses.

L’Améthyste paralyse les charmes de la magie.

L’Angélique guérit des maléfices.

Le Borax passe pour endormir.

La Cornaline assure la victoire.

La Chrysolite fait repentir l’homme des fautes qu’il a faites,

La Chrysphrase fortifie la vue et réjouit l’esprit.

Le Corail arrête le sang, écarte les mauvais génies, préserve de la foudre et de la grêle.

La Crapaudine, qui se trouve dans la tête du crapaud, est bonne pour les maléfices.

Le Cuivre chasse les spectres et fantômes.

Le Diamant combat les insomnies, les prestiges et les enchantements, calme les colères.

L’Elossite calme les maux de tête.

L’Émeraude guérit du mal caduc et de la morsure des animaux venimeux.

La Galachide, où Garachide, pierre noirâtre, garantit des mouches et des insectes ; mise dans la bouche, elle fait découvrir les secrets des autres.

Le Gedi, pierre inconnue, change l’air, excite les pluies, les vents et les nuages.

L’Héliotrope, pierre inconnue aujourd’hui, passait pour rendre invisible.

L’Hyacinthe, pendue au cou, préserve de la peste et de la foudre.

La Jade, portée en amulette, est un préservatif contre les bêtes venimeuses.

L’Opale récrée le cœur, préserve de tout venin et contagion de l’air.

La Périthe, pierre jaune, guérit la goutte.

Le Jamenius-Lapis prévient les avortements.

La Strasite, pierre fabuleuse, facilite la digestion.

La Syrrochite, pierre précieuse, possède, d’après Pline, la faculté de retenir les ombres évoquées.

La Pierre d’Aigle, qui se trouve dans le nid de cet oiseau, fait découvrir les voleurs et accélère les accouchements.

La plupart de ces talismans ont conservé leur valeur et leur emploi dans la magie moderne. Voici, d’après Cahagnet, les différentes vertus magiques attachées aux pierres précieuses :

Le Diamant blanc, affectionné par les esprits de lumière, éclaire l’intelligence de celui qui le porte à cette intention.

Le Rubis, affectionné par des esprits ardents à l’étude, avides de savoir, influe sur le sang.

L’Émeraude, recherchée par les esprits voyants ou supérieurs, met celui qui le porte en rapport avec eux ; elle éclaire, nettoie, renforce le globe de l’œil matériel.

Le Saphir renforce le fluide nerveux, et met en rapport avec des esprits de plusieurs sociétés affectionnant différentes études.

L’Amèthyste influe sur les gonflements de la rate, et met en rapport avec les esprits moins avancés, moins élevés.

La Topaze, affectionnée par des esprits errants dans l’atmosphère sulfureuse de la terre, est applicable aux troubles occasionnés par la bile.

Le Corail a la puissance du rubis et convient au sang échauffé.

L’Opale, affectionnée par des esprits de paix, est bonne contre les insomnies.

La Cornaline, qui touche peu les esprits, a plusieurs propriétés médicinales selon sa couleur.

Ces pierres, pour être efficaces, doivent être pures et montées sur une bague que l’on porte à l’annulaire de la main gauche. Il en est de même des métaux, dont les vertus magiques s’allient très bien à celles des pierres : l’or au diamant, l’argent à l’émeraude, etc. Cahagnel a copié exactement la bague que portait le démon qui se donnait à lui pour l’esprit de Swedenborg.

Il faut ajouter à cette liste le GamahèsCamaïeux, pierre naturellement empreinte de certains hiéroglyphes, signatures magiques des forces élémentaires, dont Paracelse faisait usage dans sa médecine occulte.


2e Règne Animal. — Les excréments du loup, contre la colique.

La tête de la vipère, contre l’esquinancie.

Les dents d’un chien enragé, attachées dans un morceau de cuir, contre la rage.

La matière fécale d’un éléphant, mêlée de miel et introduite chez une femme, l’empêche de concevoir.

La poudre de crâne humain, contre un saignement de nez opiniâtre.

Trochisques ou poudre de crapauds, pour se préserver de la peste.

Peau prise sur la poitrine d’un jeune loup, portée sur le sein, guérit les douleurs d’estomac.

Le cœur d’un crapaud, mis sur la mamelle d’une femme, fera revenir son lait perdu.

Crapaud desséché, mis sous l’aisselle, contre l’épistaxis.

Fiente des serpents portée en amulettes, contre les fièvres malignes.

La peau d’un veau marin préserve de la foudre, etc., etc.


3e Règne Végétal. — J’ai parlé plus haut de la plante attractive de Van Helmont. Les anciens Mages connaissaient vingt-deux plantes, dont la vertu magique correspondait aux vingt-deux arcanes de la Doctrine dite Absolue. Cette liste a été réduite à seize par la magie moderne. Voici, suivant César Longin, les seize plantes sacrées, pouvant servir de talismans ou d’amulettes :

L’Héliotrope (Ireos des Chaldéens), est l’herbe de la sincérité.

L’Ortie (Roybra), l’herbe de bravoure.

La Virga-Pastoris (Lorumborat), l’herbe de fécondité.

La Chélidoine (Aquiaris), l’herbe du triomphe.

La Pervenche (Herisi), l’herbe de fidélité.

La Cataire (Bieith), l’herbe de vitalité.

La Langue de Chien (Algeil), l’herbe de sympathie.

La Jusquiame (Mansesa), l’herbe de mort.

Le Lys (Ango), l’herbe de manifestation.

Le Gui (Luperax), l’herbe de salut.

Le Centaurée (Isiphilon), l’herbe aux enchantements.

La Sauge (Coloricon), l’herbe de vie.

La Vervoine (Ophanas), l’herbe d’amour.

La Mélisse (Celeivos), l’herbe de confortation.

La Rose (Eglerisa), l’herbe initiatique.

La Serpentaire (Cartulin), l’herbe des fluides.

Voici quelques-uns des talismans et amulettes le plus communément empruntés aujourd’hui au règne végétal :

L’Oseille, le Plantin, contre les serofules ; le Séneçon, suspendu au cou, contre la morsure des scorpions ; la racine de Pivoine, contre l’épilepsie chez les enfants ; des Marrons, conservés dans une poche, contre les hémorrhoïdes ; un collier de Liège, pour arrêter la sécrétion du lait ; des sachets de Safran sur l’estomac, contre le mal de mer ; une branche de Prunier attachée à la cheminée, pour guérir les maux de gorge ; l’Osier franc contre la dislocation des membres ; la racine de Colchique, pendue au cou, contre les sueurs nocturnes ; le Trèfle à quatre feuilles, préservatif très recherché contre une foule de maux.

Cette liste serait incomplète, si l’on ne signalait pas la Mandragore, plante narcotique et vénéneuse de la famille des Solanées, qui entrait (comme la Ciguë, l’Œnanthe et le Chanvre) dans la préparation des charmes magiques. On s’en servait aussi comme de talisman, à cause de l’ébauche de forme humaine que sa racine affecte quelquefois. Une tradition fabuleuse prétendait que l’homme avait apparu primitivement sous forme de mandragore monstrueuse, dégrossie ensuite par le souffle du Très-Haut. Certains adeptes des sciences occultes au moyen-âge s’autorisèrent de cette tradition pour concevoir le rêve de retrouver la composition du limon primitif qui avait donné naissance aux mandragores, afin d’y faire croître des Androïdes, auxquels ils eussent communiqué la vie mentale, par l’infusion de l’Archée. — La Mandragore la plus efficace, comme talisman, était celle qu’on déterrait sous les gibets.

4 Écriture, Figures, Images, Objets divers :

Papier Triangulaire attaché à la porte de la chambre, et où est écrit le nom de la maladie dont on veut guérir, en usage chez les Grecs modernes.

Amulette portant la figure d’un agneau, rendant invulnérable.

La figure d’un Lion gravée en or, le Soleil étant dans la figure du Lion, contre la morsure du Scorpion.

La figure d’un Bélier avec celle de Mars, contre les maux de tête.

La figure d’un Taureau, contre l’esquinancie.

L’ourlet du Suaire d’un Mort, porté sous les reins, contre la colique.

L’habit d’un Bourreau qui vient de faire une exécution, contre les loupes.

Sachet de Linge neuf, renfermant du Sel, une Toile d’araignée, de l’Oignon, contre la fièvre quarte.

Ruban ayant servi à un Pendu, contre le mal de tête.

Manger une Pomme ou un morceau de Pain dans lequel sont renfermés ces mots : Zioni, kirioni, ezzeza, préserve de tout accident pendant sept mois.

Le fameux mot Abracadabra, répété plusieurs fois en retranchant toujours la dernière lettre et disposé par cela même en triangle :

A B R A C A D A B R A
A B R A C A D A B R
A B R A C A D A B
A B R A C A D A
A B R A C A D
A B R A C A
A B R A C
A B R A
A B R
A B
A

est merveilleux contre certaine fièvre intermittente appelée « hémitritée, » etc., etc.


Anneaux magiques. — Voir plus haut Charmes d’Invisibilité.

Aux anneaux déjà cités, on peut ajouter : les sept anneaux magiques que Iarchas l’indien donna à Appollonius ; l’anneau d’Édouard d’Angleterre, qui guérissait du mal caduc.

Citons encore :

— L’anneau de Salomon, par la force duquel ce prince, au dire des magiciens, commandait à toute la nature. Cet anneau, dit la légende, sur lequel est gravé le grand nom de Dieu, est gardé par des dragons dans le tombeau inconnu de Salomon ; celui qui s’emparerait de cet anneau serait maître du monde et aurait tous les génies à ses ordres.

— L’anneau des voyageurs. Cet anneau donnait à celui qui le portait le moyen de franchir sans fatigue, des distances assez importantes, par exemple, d’aller de Paris à Orléans, et de revenir d’Orléans à Paris dans la même journée.

— Les livres cabalistiques enseignent à fabriquer beaucoup d’autres anneaux sous l’influence des planètes, et à leur donner des vertus au moyen de pierres et d’herbes merveilleuses. Il faut ranger parmi ces amulettes ou talismans diaboliques tous les porte-bonheur et mascottes qui sont à la mode de nos jours.

Que certaines amulettes, comme le prétendent certains médecins, n’aient pas été sans action dans certaines dispositions morbides en agissant sur l’imagination des malades, je ne me refuse pas à l’admettre ; mais il faut avouer que ce sont là des cas fort rares et qui n’empêchent pas de conclure que l’emploi de ces moyens naturellement si disproportionnés aux effets qu’on leur attribue, ne saurait être inspiré que par l’éternel séducteur et trompeur du genre humain.

Que sont devenus le talisman et l’amulette dans la magie de notre siècle ? L’usage en est resté populaire ; on retrouverait dans plus d’une de nos campagnes les sachets renfermant des poudres magiques destinées à conjurer les mauvais esprits ou à guérir les maladies. Encore aujourd’hui combien de mères ou de nourrices déposent de semblables sachets sur le ventre ou dans le creux de l’estomac de leurs enfants pour apaiser les convulsions, détruire les vers, combattre les insomnies ou les fièvres !

Mais, sans aller chercher dans les campagnes les traces d’une superstition toujours subsistante, ne les retrouvons-nous pas dans notre monde intelligent, savant et lettré, parmi nos magnétiseurs et nos spirites ?

L’anneau magique d’Apollonius de Tyane a passé dans leurs mains. Le célèbre Du Potet expérimentait avec une bague qu’il tenait d’un sorcier et qui opérait de tels prodiges, qu’un de ses disciples, M. Arnette, sur le point d’en parler, s’arrête comme effrayé de ce qu’il va révéler : « Nous voilà, s’écrie-t-il, dans le domaine de la Magie ! Mon esprit haletant s’arrête au seuil du sanctuaire ; l’initiation commence ; mais il ne m’est pas permis d’en révéler les mystères. » (Journal du Magnétisme, 1853, p. 294.)

Magnétiseurs et spirites ont pris à la lettre le chapitre d’Agrippa dans sa Philosophie Occulte : « Comment se fait l’infusion des vertus occultes aux espèces des choses par les idées, moyennant l’âme du monde (c’est-à-dire : le démon). » Écoutons Cahagnet, l’un de leurs oracles :

« Le magnétisme prouve mathématiquement la légitimité de la croyance aux talismans…

« Chacun de nous peut écrire une pensée sur un parchemin ou un morceau de papier quelconque, animer cette pensée de toute l’énergie de sa puissance, et faire porter ce talisman au malade ou au possédé sur le cœur : les effets en seront les mêmes que ceux des talismans les plus cabalistiques du monde.

« Tout peut servir de talisman, si tout est revêtu de la foi de l’opérant et de celle du croyant à son efficacité. »

Et Cahagnet, avec le précepte, donnait l’exemple.

Se sachant obsédé par un aréopage de magnétiseurs ennemis qui cherchaient à le tuer, ou tout au moins à le rendre fou, il s’appliquait sur l’estomac, pour conjurer leurs maléfices, un sachet magique, dont sa lucide Adèle lui avait donné la recette. Il se composait de branches de thym, de romarin et de rue, mises en croix dans un petit sachet en toile pendu au cou par un cordon.

Le magnétisme, du reste, ne se réclame-t-il pas d’une des ensorcelées et magiciennes les plus célèbres de notre siècle, connue sous le nom de la Voyante de Prévorst, qui, elle, faisait usage des talismans ? Disons en quelques mots son histoire.

Frédérique Hauffe naquit en 1801, dans le village de Prévorst (Wurtemberg), d’une famille qui avait eu des communications de soi-disants esprits de défunts ; son grand-père assurait qu’il avait fait sa fortune en suivant les avis d’un spectre. Favorisée d’apparitions dans sa jeunesse, Frédérique, une fois mariée, tomba de plus en plus dans des extases visionnaires qui devinrent pour elle une seconde vie. Elle habitait alors Weinsberg, où le docteur Kerner, savant distingué et médecin célèbre, de la sincérité duquel on ne saurait douter, la soigna et relata minutieusement les phénomènes extraordinaires dont il fut le témoin.

Ces phénomènes ressemblent beaucoup à ceux que nous avons vus se produire dans le presbytère de Cideville. Les objets placés autour d’elle se déplaçaient, s’entrechoquaient, s’élançaient d’une chambre à l’autre, ou s’élevaient en l’air comme mus par une force invisible. Elle évoquait dans des verres, dans des bulles de savon, les images des absents. Les agents mystérieux de ces phénomènes n’étaient pas seulement subjectifs, d’après Kerner, mais bien objectifs et réels. Kerner vit un jour, à l’endroit ou Frédérique indiquait un fantôme, une forme grise et incertaine.

Je ne veux entrer ici dans aucun détail touchant les apparitions des défunts vus par la Lucide de Prévorst : ces apparitions n’ont rien qui les distingue particulièrement de celles qui ont été rapportées au chapitre de la Nécromancie. Je n’insisterai que sur un point, où se manifeste fort clairement l’intervention de Satan, comme auteur véritable de tous ces prodiges : l’emploi qu’elle faisait d’une amulette ou talisman, auquel on ne saurait douter que fut attaché le pouvoir magique dont elle disposait ou qui se manifestait autour d’elle.

Ce talisman lui avait été donné par un sorcier d’on ne sait quel pays. C’était un simple sachet contenant des herbes : assa fœtida, sabina tyrannus, deux graines de sementramoni, un très-petit aimant et un petit papier sur lequel était écrit : « C’est à cela qu’est apparu le fils de Dieu ; qu’il détruise les œuvres de Satan. » Satan commençait à se renier lui-même, pour assurer plus facilement le succès de son œuvre ; néanmoins, sa signature était assez lisiblement écrite dans les noms d’herbes mystérieuses qui accompagnait ce papier hypocrite. Du reste, le fait suivant, attesté par le Dr  Kerner et nombre d’autres témoins dignes de foi, ne laisse aucun doute sur l’origine diabolique de ce talisman :

Il arrivait souvent que l’amulette qu’elle portait suspendue au cou, de son propre mouvement et sans être touchée de personne, se dégageait de derrière sa tête et courait par dessus sa poitrine et la couverture de son lit comme un être vivant, de sorte que les personnes présentes devaient la rattraper sur le plancher et la lui rapporter. Dans son sommeil somnambulique, Frédérique donnait de ce fait extraordinaire l’explication suivante : « Cet homme (le sorcier qui la lui avait donnée) fait cela par son art ; il agit sur moi d’une manière magique ; il veut ravoir cette amulette pour qu’on lui en demande une autre, parce que maintenant je ne peux plus m’en passer. »

Il est difficile avec toute la bonne volonté du monde, de voir dans de pareils faits l’intervention d’une force divine ; cette force ne s’enferme point dans une amulette et ne s’amuse point à ces jeux ridicules. Si Dieu s’est servi quelquefois d’une humble matière pour opérer des prodiges, cette matière était transformée et comme consacrée par quelque évènement divin dont elle avait été le témoin ou l’instrument : tel, par exemple, du bois de la vraie croix, ou de la terre sainte, apportée de Jérusalem. Écoutons saint Augustin nous racontant l’histoire d’Hespérius.

« Hespérius est auprès de nous. Il a sur le territoire de Fassoles, une métairie appelé Labédie. Après s’être assuré que l’influence des malins esprits répandait la désolation parmi ses esclaves, au milieu de ses troupeaux, et dans tout l’intérieur de sa maison, il vint, en mon absence, supplier mes prêtres que l’un d’eux voulût bien le suivre et conjurer par ses oraisons la puissance ennemie. Un prêtre y alla et offrit le sacrifice du corps de Notre-Seigneur, conjurant le ciel avec les plus ardentes prières de mettre un terme à ces malignes attaques. Tout aussitôt la miséricorde de Dieu les fit cesser.

« Or, Hespérius avait reçu d’un ami quelque peu de terre sainte, apportée de Jérusalem, où Jésus-Christ, notre Sauveur, après avoir été enseveli, ressuscita le troisième jour. Il avait suspendu cette relique dans sa chambre, afin de se préserver lui-même de tout mal. Mais, ayant obtenu la délivrance de sa maison, il s’inquiéta de ce qu’il aurait à faire de cette poussière sacrée, que, par respect, il ne voulait plus conserver auprès de sa couche. Comme le

hasard nous faisait passer dans ce voisinage, mon collègue l’évêque de Synite, Maxime et moi, nous allâmes ensemble le trouver. Il nous demanda d’enfouir cette terre en quelque endroit, et d’y établir un lieu où les chrétiens pussent célébrer les divins mystères. Nous y consentîmes ; et, dès que la nouvelle s’en fut répandue, un jeune paysan paralytique pria ses parents de le transporter sans retard en ce lieu saint. On s’empressa de le satisfaite, et fort heureusement pour lui ; car à peine y eut-il terminé son oraison qu’il put se lever et s’en retourner à pied, parfaitement guéri. » (Cité de Dieu, liv. VIII, ch. 22.)


La superstition diabolique des talismans est, en notre siècle, beaucoup plus vivace qu’on ne se l’imagine ; et elle est répandue dans toutes les classes de la société. C’est par centaines que l’on compte les divers « fétiches » minuscules, portés en secret, pour avoir telle ou telle chance. Même, il n’est pas rare, aujourd’hui, de lire, à la quatrième page des journaux populaires, entre les réclames des somnambules et des tireuses de cartes, les annonces des marchands de talismans.

Bon nombre de ces objets sont de « l’article n’importe-quoi », si l’on peut s’exprimer ainsi ; ce commerce constitue une véritable escroquerie.

Mais, à côté de ces brimborions sans valeur aucune, il y a les talismans vrais, les objets qui ont reçu l’imprégnation satanique ; ceux-là ne sont pas marchandise de fabrication et de vente publiques.

Le plus souvent les docteurs en occultisme se bornent à enseigner les moyens de les obtenir soi-même, de les fabriquer. Il en est ainsi principalement pour les talismans dits astronomiques. Ce sont en général des rondelles de métal, sur lesquelles on grave au burin à pointe de diamant certains, signes conformes aux modèles indiqués par les mages blancs ou noirs.

Les principaux de ces talismans-là sont consacrés aux « daimons » des sept planètes. La consécration se fait à tel jour et telle heure fixés par certaines règles et en suivant fidèlement certaines prescriptions, plus ou moins empruntées à la cabale.

Il y a ainsi les talismans dits du Soleil, de la Lune, de Mars, de Mercure, de Jupiter, de Vénus et de Saturne.

Le Talisman du Soleil, en or, consacré à Lucifer, nommé Pi-Rhé pour la circonstance, vaut à qui le porte la faveur des personnages puissants ; grâce à lui, disent les occultistes, on n’a pas à craindre la mort par syncope, maladie du cœur, anévrisme, épidémie ou incendie. On oppose Pi-Rhé à l’ange Mikaël, dans l’occultisme non palladique, et au Dieu-Mauvais Adonaï, chez les palladistes.

Le Talisman de la Lune, en argent, consacré à Astarté, nommé Pi-loh pour la circonstance, a la spécialité de protéger les voyageurs ou les personnes résidant hors du pays natal ; il garantit de la mort par naufrage, ou encore par épilepsie, hydropisie, apoplexie, folie. On oppose Pi-Ioh à l’ange Gabriel, tant dans les triangles que dans l’occultisme non palladique ; dans les triangles, on dit « le maleach Gabriel ».

Le Talisman de Mars, en acier, consacré à Baal-Zeboub ou Belzébuth, nommé Ertosi pour la circonstance, met son porteur à l’abri des attaques ou embûches des ennemis ; par lui, les périls mortels dans la bataille sont écartés ; il préserve encore de la mort par fièvre ardente, par ulcères rongeurs, par supplice ou par épidémie. On oppose Ertosi à l’ange Samaël dans l’occultisme non palladique, et au maleach Mikaël, dans les triangles.

Le Talisman de Mercure, en alliage d’argent, étain et mercure, consacré à Hermès, nommé ici Pi-Hermès, rend de très nombreux services aux occultistes qui le possèdent : il facilite la réussite des opérations de chimie ; enterré dans la cave d’un magasin, il attire la clientèle au commerçant ou industriel ; placé sous le traversin, pendant la nuit, il procure des songes que les mages blancs ou noirs disent être prophétiques ; il empêche de tomber dans les pièges matériels ou moraux ; il préserve de la mort par le poison ou par toute arme d’assassin. On oppose Pi-Hermès à l’ange ou maleach Raphaël.

Le Talisman de Jupiter, en étain très pur, consacré à Ariel, nommé ici Pi-Zéous, vaut à son porteur la considération, la sympathie, le bon accueil des personnes à qui il se présente ; il éloigne les soucis et produit l’augmentation du bien-être dans la position sociale que l’on occupe ; il préserve de la mort violente, ainsi que de la mort par maladie du foie, tumeur maligne, affection de la moelle épinière et inflammation du poumon. On oppose Pi-Zéous à l’ange ou maleach Zachariel.

Le Talisman de Vénus, en cuivre rouge, consacré à Astaroth, nommé Suroth pour la circonstance, fait aimer qui le porte, le fait rechercher, désirer des personnes de l’autre sexe ; il préserve les femmes de la maladie du cancer, et les deux sexes des maladies qui sont d’ordinaire le fruit de la débauche ; il neutralise aussi les tentatives d’empoisonnement. On oppose Suroth à l’ange ou maleach Anaël.

Enfin, le Talisman de Saturne, en plomb, consacré à Moloch, nommé ici Rempha, a la spécialité d’écarter des femmes les complications souvent mortelles qui accompagnent ou suivent parfois l’enfantement ; il préserve les hommes du danger d’être enterrés en état de léthargie ; il a encore la spécialité d’empêcher ses porteurs, des deux sexes, de mourir par apoplexie, carie des os, consomption, paralysie, phthisie ; il fait aussi échouer les guet-apens. En temps de guerre, un capitaine occultiste, qui enfouit le talisman de Moloch dans la citadelle qu’il a à défendre, voit l’ennemi se décourager rapidement et battre en retraite. On oppose Rempha à l’ange ou maleach Oriphiel.

À ces talismans d’un usage général dans l’occultisme moderne, il convient d’ajouter les talismans personnels que les coryphées de la magie se fabriquent et dont la matière et la forme leur sont indiquées par leur démon protecteur.

Tel était, par exemple, le fameux bracelet-talisman d’Albert Pike, si connu, au moins de réputation, dans les triangles (voir la figure, page 321). Ce bijou diabolique, qui est actuellement conservé au trésor du Sanctum Regnum de Charleston, est de deux métaux : la partie principale est de diverses pièces en or rouge, se touchant les unes les autres, et maintenues solidement par de très forts fils d’argent. Entre autres figures, découpées ou ciselées, on remarque le chiffre luciférien 7 et la lettre L, en caractère de l’alphabet des Mages (Luzaïn), initiale du nom du Dieu-Bon. À gauche de l’L magique, est un camée, enchâssé dans une monture d’or, et sur lequel est gravée la signature du démon qui indiqua à Pike la composition du bijou.

Albert Pike, je l’ai dit, ne résidait pas à Charleston ; aussi n’assistait-il pas régulièrement à l’apparition hebdomadaire de Lucifer. C’est pourquoi il se fabriqua ce talisman, en se conformant scrupuleusement aux prescriptions du génie infernal qui lui fut délégué par le prince des ténèbres.

Ce talisman lui obtenait l’apparition immédiate de Lucifer, en quelque endroit que, lui, Pike, se trouvât ; il y avait ainsi un pacte entre Satan et lui.

Pike agrafait ce bracelet à son bras gauche, et sur la manche de sa tunique de Mage. Il mettait le genou droit en terre, élevait la main gauche ouverte et légèrement renversée vers le ciel ; puis, il prononçait ces mots :

Eïnkoël !… Inglod !… Bagdev !… Imihaël !…

Il se prosternait alors, baisait la terre, et se relevait.

Debout, il disait encore :

Deus sanctus, excelsus excelsior !… Lumen de lumine!… Rex !… Pater!… Athanatos !… Tibi sum ! tibi sum ! tibi sum !… Eleïson imas, el-Gennaïth !… Imihaël !… Bagdev !… Inglod !… Einkoël !… Lucifer ! Lucifer! Lucifer !…

Au troisième appel de son nom, Lucifer apparaissait instantanément devant son vicaire, sans éclat de foudre, sans bruit, sans qu’il fût possible de dire d’où il venait de surgir.

On raconte que, la première fois que Pike fit usage du bracelet-talisman, Satan lui demanda :

— Qu’as-tu à me dire ?

— Rien, répondit le réformateur du Palladisme. Je voulais voir uniquement si le daimon qui m’a fait faire ce talisman ne m’avait point trompé et si tu répondrais vraiment à mon appel.

— Je ne puis pas, cependant, être venu ici pour rien, répliqua Satan. Tu sais que je t’aime, ô mon fils selon le cœur. Demande-moi quelque chose.

— Eh bien, transporte-moi dans la plus belle et la plus brillante des étoiles de notre île céleste, qui est Sirius, au dire des astronomes de ce globe planétaire.

Dans son Livre des Révélations, le pontife luciférien rapporte, comme parfaitement exact, ce voyage à travers l’immensité, qu’il effectua dans les bras de Satan. Il parcourut ainsi, s’il faut l’en croire, 52.174.000 millions de lieues, en quelques secondes, non évanoui, mais « avec la sensation d’un bien-être inconnu qui diminua en lui le sentiment des impressions extérieures. » Il accomplit à deux reprises un trajet de 1.373.000 fois la distance du soleil à la terre.

Quand Lucifer le replaça chez lui, dans son cabinet de travail, à Washington, il lui dit :

— Ce que tu viens de voir, 6 fils de mon cœur, est peu dans l’univers. Le soleil, autour duquel gravite cette terre d’où mes bien-aimés extirperont le culte d’Adonaï, n’est qu’un point comparativement à Sirius, dont tu viens de fouler un instant le sol ; et Sirius et le soleil ne sont que deux étoiles appartenant à la même couche de mondes, à la même île céleste isolée dans les espaces sans fin. Cette île, dont le grand axe a plus de sept cents fois la distance que nous venons de parcourir, n’est encore qu’une mince petite couche d’étoiles, de planètes et de satellites, auprès des autres couches épaisses et profondes, éparses dans l’univers et incomparablement plus riches en astres de toutes sortes. Tel est l’univers, dont je suis l’architecte, l’univers que les visionnaires trompés par Adonaï ont réduit, dans leur ignorance, à un système astronomique stupide, faisant de cet atome qui est le globe terrestre le centre intéressant de la création universelle. La vérité est qu’Adonaï n’est plus en état de lutter contre moi que dans ce monde-ci et celui d’Oolis, planète d’un soleil inconnu des hommes. Je suis donc le Très-Haut le plus haut, le Tout-Puissant le plus puissant, le Dieu du triomphe final, parce que je suis la Lumière, la Science et la Vie.

Et Albert Pike répondit :

— Oui, ô mon Dieu, vous êtes seul adorable. Gloire à vous, Éternel Père, Dieu-Bon ! guerre au dieu de la Superstition, de l’Ignorance et de la Mort !

On ne peut parler de Pike, le grand magicien par excellence, sans songer, effet de répercussion, à un autre diabolisant, celui-ci ridicule, suprêmement grotesque, le signor Pessina.

Lui aussi, il a voulu avoir ses talismans personnels, dont j’ai fait figurer la reproduction (absolument exacte) ci-dessous.



J’avoue que je ne me suis pas attaché à me faire expliquer par lui ni par personne les bêtises inscrites sur ses petits ronds de métal. Sans doute, Pessina ne sait-il pas lui-même ce qu’il a gravé-là.

Le souverain grand hiérophante du rite de Memphis et Misraïm, possède, comme on le peut voir, un talisman de science et vertu, un autre de savoir et immortalité, un troisième d’invisibilité instantanée, un quatrième de transport immédiat.

Je laisserai de côté la vertu de Pessina. Mais la science ?… Oh! mes amis, ce n’est point par elle que brille mon sublime initiateur ! Voilà un talisman qui ne réussit guère au pauvre homme !…

Parvient-il à se rendre invisible tout à coup, comme il le prétend ? à se transporter instantanément en n’importe quel endroit, par l’évocation d’Aratron ?… Je n’ai pas assez fréquenté Pessina pour pouvoir me prononcer là-dessus.

Ce qui est assez cocasse dans sa magie spéciale, ce sont les sept caractères sacrés, qui donnent, affirme-t-il, bonne chance en toute chose.

Il a un talisman pour chaque jour de la semaine ; mais, faisant de l’occultisme à sa façon, il a placé le lundi sous l’influence de Belzébuth, le mardi sous celle d’Uribiel, le mercredi sous celle d’Astaroth, le jeudi sous celle de Satras, le vendredi sous celle de Beffabuc (son ami et protecteur Beffabuc), le samedi sous l’influence de Barjel, et le dimanche sous celle de Barachiel. À part Astaroth et Belzébuth, les démons de Pessina sont des diablotins de bien minime importance.

N’importe, le grand hiérophante a pactisé et pactise avec eux. Je donnerai ici un léger aperçu de sa manière d’opérer pour les évocations. Ce qui suit est extrait de son rituel cabalistique.

Pessina, orné de tous ses insignes, revêtu de sa belle robe de mage misraïmite, coiffé d’une mitre égyptienne, — au total, un vrai costume de carnaval à faire aboyer tous les chiens de Naples, s’il avait le malheur de mettre le pied à la rue, ainsi harnaché, — Pessina, dis-je, trace d’abord sur le sol la figure ci-dessous :



On n’est pas obligé de comprendre ; ne cherchez pas.

Après quoi, Pessina, qui a eu soin d’inscrire sur deux feuilles de « papier royal » la figure du pentagramme, au centre duquel il a mis le signe particulier de l’esprit qu’il veut évoquer, dépose de loin, sans entrer dans le cercle, ces feuilles, au moyen d’un trident, aux endroits désignés par la lettre A sur le plan.

Ensuite, Pessina se parfume solennellement avec une pommade de sa composition, et qui varie suivant le jour.

Dans la pommade du lundi, entrent de l’encens et de la myrrhe; dans celle du mardi, de la myrrhe, du benjoin et du storax ; dans celle du mercredi, du benjoin, du storax et de la sandaraque ; dans celle du jeudi, de la myrrhe, du storax et du mastic ; dans celle du vendredi, du mastic, de l’aloès et de la myrrhe ; dans celle du samedi, de la myrrhe, de la sandaraque et de l’aloès ; dans celle du dimanche, du mastic, du storax et du benjoin.

Une fois pommadé, Pessina s’accroche sur la poitrine, au moyen d’une chaînette d’argent passée au cou, un bloc de bois assez volumineux en forme de pyramide.

Quand je vous disais que le grand hiérophante, en train d’évoquer, fait songer au Mardi-Gras ?… Cette pyramide, appliquée contre la poitrine, a tout l’air, vue à quelque distance, d’une bosse de Polichinelle.

Maintenant, Pessina est prêt ; il n’a plus qu’à entrer dans le cercle magique. Il fait d’abord le tour, en marchant sur les noms du Christ et des quatre évangélistes, les piétinant sans les effacer. Puis, il entre dans ce cercle par le midi, se place au point B, et dépose par terre sa pyramide en bois. — Nota : S’il s’agit d’évoquer Beffabuc, la pyramide est remplacée par une bouteille, ce récipient étant l’endroit d’où ce démon se plaît à sortir.

Tout cela, n’est-ce pas, est d’un ridicule achevé ?… Eh bien, il m’a été affirmé, de la façon la plus formelle, que Pessina a parfois des manifestations ; pas souvent, il est vrai, mais enfin il en a. Les diablotins lui font, par-ci, par-là, l’aumône d’une apparition.

J’avais oublié de dire, — mais le lecteur y a pensé, sans doute, — que notre opérateur a une baguette à la main. D’autre part, il porte sur lui un des sept caractères sacrés dont on a vu (page 233) la reproduction. Ajoutez encore qu’il a sur le corps, eu tatouage, les « quatre signes admirables », reproduits à la même page.

Pessina se livre à diverses simagrées de son rituel, et, quand le démon évoqué apparaît, c’est entre la pyramide et les deux feuilles de papier royal qu’il se montre.

La « grande roue parlante » de Pessina mérite aussi quelques lignes. Je traduis textuellement du rituel du magicien misraïmite :

« Il faut faire l’opération dans une journée sereine et au temps de la lune croissante. Dès l’aurore, tu écriras, avec une plume d’oie neuve, avec de l’encre nouvelle, et sur une peau d’agneau vierge, la roue parlante, ayant au milieu l’hexagone contenant les noms angéliques et le signe de l’esprit avec son sceau, et, tout autour, l’alphabet (voir la figure, page 233). Cela fait, tu béniras la peau d’agneau par l’encens et par l’eau. Après quoi, tu prépareras un pendule de métal lourd, en forme de triangle renversé, et tu l’attacheras avec une cordelette de soie couleur d’or ; et de même tu béniras ce triangle par l’encens et l’eau, comme tu as déjà fait pour la roue. »

On se sert de la roue parlante, en plaçant la peau d’agneau sur une table ; au-dessus, on suspend le pendule. On évoque Raphaël ; il ne paraît pas ; mais un démon qui prend ce nom agite le pendule. On pose des questions, et le pendule diabolisé répond en s’arrêtant de lui-même tour à tour sur les lettres nécessaires pour former les mots de sa réponse.

Voulez-vous un échantillon de l’éloquence latine de Pessina ?… Savourez-moi ceci :

« Te invoco, Lucifer, ut sis mihi solus et defensio et protectio corporis et animæ meæ, et omnium rerum mearum, ut mihi concedas potestatem super omnes spiritus aerius, ut quiscumque nominibus invocarero statim et precise ex omni parte conveniant et voluntatem meam perfecta adimpleant, quod mihi voleo, et obedientes atque ministrantes tua districta virtute precipiente mandata mea Joanne-Baptista Pessina perficiant. Amen.

« Sanctus, sanctus, sanctus Lucifer, Belzebuth, Astaroth, Beffabuc, Satras, Barjel, Obson, Ubiriel, Barachiel, per hæc tua sanctta nomina et omnia alia, voco te et obsecro te, adoro te, benedico tibi et rogo ut acceptas orationes has et conjurationes. Peto te da mihi virtutem et potestatem tuam super omnes angelos qui de cælo rejecti sunt, et precise super Beffabuc, ad attrahendum eos coram me, et ad precipiendum eis et omnia quæ possunt faciant et verba meu vocem, quæ meam nulla mora contenet, sed mihi et dictis meis obediant, et me timent. Facias me potentem congregare et costringere eos ut mihi veraciter de omnibus meis interrogatis et quibus quææram responsionem veracem tribuant et omnibus meis mandatis satisfaciant sine lesione corporis et animæ meæ et omnium ad me pertinentium. Amen. »

Je n’ai pas changé un iota. Enfin, dans son rituel cabalistique, Pessina fait savoir aux hauts-maçons misraïmites que, pour que l’évocation réussisse, il y a une condition indispensable. Je n’invente rien ; je traduis fidèlement. « Est indispensable la présence d’une jeune fille vierge ou d’une femme en état de grossesse. » Comment et pourquoi une femme enceinte peut, à défaut d’une jeune vierge, la remplacer ? Pessina ne l’explique pas.

Voici en quels termes le grand hiérophante formule l’évocation de Beffabuc (la bouteille étant posée par terre, et l’opérateur agissant un vendredi et portant sur lui le talisman n° 5 des sept caractères sacrés) :

« Beffabuc, toi qui aimes le vrai et les mystères ignorés et cachés, dévoile-les-moi ; rends-moi la joie, et pénètre-moi de ton esprit bienfaisant. J’ai confiance en toi, j’espère en toi du matin au soir, et je bénis ton nom adoré. Je te supplie, par la virginité de cette demoiselle ici présente (ou : par le fruit des entrailles de cette dame ici présente), de venir en ce lieu, immédiatement, faire tout ce que je te demanderai. »

« Et, aussitôt que l’esprit, sortant de la bouteille, a pris corps devant le mage, celui-ci dira :

« Aglati, Aglali, sois le bienvenu. Je t’attendais avec impatience. Je te demande, par le Schemhamphorasch, par le Tel et le Tol, de rester avec nous en ce lieu et de répondre intelligiblement et sans mots équivoques. Et, pour nous en donner l’assurance, lève ta main droite devant cette demoiselle (ou : devant cette dame), et fais serment de dire la vérité. Et tu feras cela, par l’effet de la virginité de cette jeune fille (ou : pour rendre honneur au fruit des entrailles de cette femme) et en vertu de tes sublimes qualités qui t’empêchent de dire le faux. »

« Après que l’esprit a répondu à toutes les questions, on le fait rentrer dans la bouteille, en disant :

« Beffabuc, je t’aime et je te remercie. Par tes noms très saints, par le Schemhamphorasch, par le Tel et le Tol, pars, je te renvoie au séjour de gloire, et, à mon prochain appel, viens et secours-moi dans tous mes besoins. »

Cet aperçu des talents magiques du « gentilhomme cavaleresque » me paraît suffire à l’édification de mes lecteurs. On s’imagine aisément le grand hiérophante, avec ses pommades aux parfums mêlés, qui varient chaque jour d’évocation ; il nous semble le voir, à la sortie d’une séance, allant faire une partie de billard avec quelques profanes qu’il méprise du haut de son importance et qui ne se doutent pas, certes, que cette tête étrangement pommadée et sentant le rance vient de contempler Beffabuc.

Passons à Lemmi.

Le renégat enjuivé, qui a l’horrible Sybacco pour démon familier, n’est pas encore, comme cabaliste et comme magicien, de la force d’Albert Pike ; mais il est en bonne voie. Déjà, nous l’avons vu solidement ferré sur l’astrologie. En fait de talismans, il n’en a jusqu’à présent, du moins à ma connaissance, imaginé que trois pour son usage personnel .



Le premier est l’ornement central d’une bandelette qu’il s’attache au front, lorsque ses calculs d’horoscopes s’effectuent avec trop de difficultés. Il est convaincu que, muni de ce talisman, il ne peut alors commettre aucune erreur.

Le second, dont le dessin lui a été donné par Sybacco, doit lui procurer le don de se rendre invisible, mais seulement en voyage. Umberto dal Medico prétend qu’une expérience de ce genre, à laquelle il assista, réussit à merveille. Il faut remplir certaines conditions, pour que la vertu du talisman opère : s’être nourri uniquement de fruits et de légumes pendant les trois jours précédant celui de la mise en œuvre de l’objet magique ; avoir sacrifié, la veille au soir, à Vénus-Astarté ; porter le talisman directement sur la chair, à la hauteur des reins, l’objet étant fixé au corps par une chaînette en argent qui forme ceinture. Alors, Lemmi, selon le dire de son disciple dal Medico, n’a plus qu’à prononcer le mot : Vlanimoël, pour devenir instantanément invisible pendant trente-trois minutes. Afin que le charme opère de nouveau dans la même journée, le magicien doit laisser au moins onze minutes se passer, pendant lesquelles il ne peut demeurer à la même place. Adriano voudrait perfectionner ce talisman ou en connaitre, par les démons qu’il évoque, un lui permettant de rendre également invisibles les objets qu’il toucherait, au moins pendant la période de sa propre invisibilité.

Le troisième talisman de Lemmi, de forme triangulaire, est d’on ne sait quels métaux ; on dirait du bronze d’aluminium, dans lequel sont enchâssées des parties en nickel ; pourtant, ce n’est ni de l’aluminium, ni du nickel. Ce talisman triangulaire a été remis à Adriano, alors qu’il n’était encore que grand-maître du Directoire Exécutif, par le démon Ariel en personne, apparaissant au cours d’une séance de grand rite à Florence. Lemmi y a ajouté neuf petites pendeloques symboliques en or, suspendues par des petites chaînettes d’argent. Il porte ce talisman sur la poitrine, côté du cœur, agrafé à l’étoffe de sa robe de mage officiant, lorsqu’il préside une réunion consacrée spécialement aux évocations. L’objet magique, qui est tout à fait d’origine infernale, lui vaut alors un accroissement de puissance démoniaque ; il représente un pacte formel avec Satan, il en est le gage.

Je pourrais citer bien d’autres talismans lucifériens, tant palladiques que non palladiques ; mais l’énumération en serait fastidieuse. Ces talismans varient comme forme, comme matière, comme signes gravés ou incrustations ; en résumé, c’est pourtant toujours le même diabolisme.

Néanmoins, pour terminer, j’en dois signaler deux qui sortent du banal et dont l’imprégnation est aggravée par le sacrilège. Ils appartiennent, l’un à Solphie Walder, l’autre au frère Hobbs (voir les figures plus haut).

Celui de Sophie Walder se compose d’une boîte ronde, plate, er argent, sur le couvercle de laquelle sont fixées diverses figures cabalistiques, lettres, chiffres, points, rondelles, en or. En outre, une plaque carrée, partie en or, partie en argent, donnant une bizarre combinaison de triangles, est soudée par un coin au couvercle de la boîte. D’autre part, des figures étranges découpées sur une assez forte lame d’or, sont également soudées, mais à la partie de la boîte formant le fond. C’est l’ensemble de cette composition étrange, où l’or et l’argent entrent seuls, qui forme le talisman. Dans le dessin, les parties noires représentent l’or, et les blanches, l’argent.

Ce qui rend ce talisman particulièrement exécrable, c’est que la boîte contient une hostie consacrée, du grand module, une hostie ayant été exposée dans un ostensoir à l’adoration des catholiques, et que Sophie s’est procurée on ne sait comment ; sans doute, la divine Eucharistie que cette femme porte ainsi provient de quelque vol commis dans une église. L’hostie tombée aux mains de la fille Walder a été de nombreuses fois poignardée dans les triangles.

Dans quel but ce talisman a-t-il fabriqué ? pourquoi cette nouvelle profanation ajoutée à tant de sacrilèges ?… Sophie prétend-que l’objet magique lui porte bonheur au jeu ; car elle aime fort l’argent, je l’ai déjà dit, et est quelque peu joueuse.

Quant au talisman imaginé par Frédérick Hobbs, il a pour but de faire cesser les épidémies, ainsi que divers fléaux. Hobbs assure avoir trouvé le moyen d’arrêter le cours des maladies déchainées dans une ville, telles que le choléra, les fièvres faciles à se communiquer, et de ramener la pluie, par exemple, quand une sécheresse prolongée devient par trop nuisible à un pays. Le raisonnement, en vertu duquel le grand-maitre de Calcutta a fabriqué son talisman, est véritablement diabolique.

L’objet, d’une forme extravagante, est en bois dur, dont une importante partie est assez épaisse pour qu’on ait pu y creuser une cavité d’une certaine profondeur. Tout cela est agrémenté de sculptures en relief : signes de cabale, emblèmes lucifériens, monstres divers, hiéroglyphes inimaginables ; on y remarque une tiare pontificale renversée, au-dessus de laquelle une sorte de magot chinois vomit ; ce dernier détail suffit à indiquer l’esprit de haine antichrétienne qui a présidé à la confection de ce monstrueux et abominable bibelot.

Mais cela n’est rien encore. Le plus monstrueux, le plus abominable, c’est cette cavité qui a été ménagée dans la partie épaisse du bois. Là, au fond, l’infâme Hobbs a placé une hostie consacrée. Dans sa rage de blasphème, il appelle ce creux : « la basse-fosse du traître ». Ceci se tient fermé hermétiquement au moyen d’un large et épais bouchon de liège, tout hérissé d’aiguilles dont les pointes touchent le Divin Corps de Notre-Seigneur ; il suffit d’une légère pression du bouchon, en appuyant sur lui avec le pouce, pour que les aiguilles s’enfoncent dans la sainte Eucharistie.

Ce talisman, le plus odieusement sacrilège que la perversion maçonnique ait imaginé, ne pouvait être passé sous silence. Il méritait, plus que tout autre, d’être signalé à l’indignation des honnêtes gens.

Le jour où Hobbs l’inventa, il soumit immédiatement son idée au vieux Pike, qui l’approuva. « Adonaï, disait Hobbs dans sa lettre, accable l’humanité de fléaux. Quand une catastrophe se produit, quand une épidémie décime une population, quand la sécheresse prépare la famine, c’est la main du Dieu des chrétiens qui agit là, c’est Adonaï et son Christ qui sont les coupables, eux toujours nos barbares persécuteurs. Laissons leurs adorateurs aveugles implorer la clémence de ces ennemis acharnés de l’humanité, laissons-les se morfondre en supplications aussi stupides que dégradantes. Nous, nous sommes fils de la lumière, nous avons pour guide la raison, et nous nous révoltons contre le mal. Le défi d’Adonaï et de son Christ, nous l’acceptons, nous le relevons, et nous répondons au Dieu Mauvais et au traître dont il a fait son Verbe : « Soit, vous persécutez les hommes, vous les faites souffrir et mourir ; eh bien, nous vous tenons à votre tour, et, si vous êtes immortels, du moins vous souffrirez, puisque vous avez voulu que ce pain devienne votre chair. » Le talisman de Hobbs fut solennellement consacré à Lucifer, dans une séance spéciale tenue au Sanctum Regnum de Charleston ; puis, il lui fut retourné, avec les plus grands éloges du Sérénissime Grand Collège des Maçons Émérites. Le nom de Hobbs obtint alors une énorme popularité dans les parfaits triangles et les grands triangles. C’est de 1890 que date cette monstrueuse invention, et j’ai entendu dire récemment que d’autres palladistes ont fabriqué depuis des talismans semblables, pour profaner des hosties avec ce raffinement de satanisme lorsqu’une maladie est chez eux.

De ce talisman de Hobbs, il convient de rapprocher certains instruments sacrilèges que je n’ai jamais aperçus dans les triangles, je dois le dire, et dont j’ai appris l’existence il n’y a pas longtemps. Ils doivent, à coup sûr, être de l’invention de quelque société de satanistes, non affiliés au Palladium, mais tout aussi scélérats.

Ce sont… des instruments de torture pour hosties !

L’appareil se compose d’une boîte ronde en cuivre doré, que je ne saurais mieux comparer qu’à une boîte de montre à remontoir ; il y a, en effet, sur le côté, exactement comme pour une montre, une sorte de vis, que l’on fait tourner avec facilité en la roulant avec deux doigts. Cette vis met en mouvement le mécanisme qui est dans la boite. Seulement, ici, ce n’est plus un mouvement d’horlogerie ; c’est un engrenage de minuscules rouleaux hérissés de pointes, compliqué de petites griffes d’acier, tout cela fonctionnant avec ensemble, et écrasant, piquant, griffant, déchirant l’hostie consacrée qui est déposée dans le fond du boîtier.

Ces appareils existent, je le répète. Où se fabriquent-ils ? Je l’ignore ; je n’ai rien vu de semblable à Gibraltar. Mais ils existent et servent aux atroces profanations que je viens d’indiquer. Bien que ces abominables instruments ne soient pas des talismans, j’ai pensé qu’il y avait intérêt à en parler ici. Par le sacrilège, ils se rapprochent des bibelots magiques des palladistes.

Arrêtons-nous. Ces crimes ne doivent pas exciter seulement notre indignation ; il ne suffit pas de frémir ; il faut prier, il faut que les fidèles réparent, par l’adoration plus que jamais fervente de l’Eucharistie, les horribles outrages, les attentats inouïs que la rage infernale multiplie tous les jours. Certes, nous sommes confondus, nous tous chrétiens, quand nous songeons à la patience de Dieu ; cela est au-dessus de notre intelligence humaine ; nous constatons les crimes, et ils sont si épouvantables que nous ne pouvons pas comprendre que le châtiment ne les suive pas toujours, aussitôt commis. Inclinons-nous donc, pleurons, prions et réparons. Parce, Domine, parce populo tuo.

  1. Quatre livres des Spectres ou Apparitions.
  2. Voir au premier volume, page 493.
  3. Volt, voust, envoûter, d’invultuare, vullum effingere, mot usité dans la moyenne latinité pour exprimer la représentation de quelqu’un en cire ou en terre glaise.
  4. Citation extraite de l’Envoûtement, par le colonel de Rochas.
  5. Le Zohar est un des deux livres fondamentaux de la cabale ou (Kabbale), qui est la doctrine philosophique des juifs hétérodoxes. Zohar signifie « lumière » ; c’est la lumière dont les Pharisiens se servaient pour interpréter la Bible, repoussant l’inspiration de Dieu pour suivre l’inspiration de Satan. Mgr Meurin n’hésite pas à déclarer que le Zohar est un livre essentiellement diabolique. Et c’est ce livre que l’ex-abbé Boullan s’apprêtait à publier en français ! (Dr  Bataille).
  6. M. Jules Bois, dans son article, a mis l’adresse exacte du magicien Boullan.
  7. Il est à remarquer que M. Jules Bois s’abstient de décrire cet autel.
  8. Un de mes abonnés m’envoie un exemplaire du journal l’Éclair, numéro portant la date du jeudi 18 mai 1893, où se trouve, aux faits divers, un entrefilet révélant l’existence d’une société de plaisir, non secrète évidemment, mais peu connue, dont je demande pardon à mes lecteurs de reproduire le nom. Cette société, qui fonctionne à Paris, s’appelle : les Bons Bougres, et a, parait-il, un banquet annuel.
    « Le déjeuner annuel des « Bons Bougres », dit l’Éclair, a eu lieu hier avec une joyeuse animation. Parmi les convives : MM. Deschamps, président du Conseil général ; Albert Pétrot, conseiller municipal ; Paul Vivien, président de la Ligue de l’intérêt public ;… nos confrères Charles Raymond, Joseph Gayda, Georges Bois, les acteurs Paul Mounet, etc. »
    Je n’irai pas jusqu’à dire que cette société des Bons Bougres est un triangle luciférien, ni même une émanation de loges maçonniques, non certes ! Sauf erreur, nous avons affaire là tout simplement à un groupe de joyeux vivants, pour employer le terme boulevardier. Mais il n’empêche que les sociétaires comptent parmi eux des francs-maçons notaires : le F∴ Deschamps, qui est ou a été vénérable de loge, et qui appartient certainement au Grand Orient de France ; le F∴ Vivien, maçon des plus actifs, lui aussi, vénérable de la loge Droit et Justice, également du Grand Orient de France ; le F∴ Albert Pétrot, aujourd’hui député, Rose-Croix, vénérable d’honneur, membre et secrétaire du Conseil de l’Ordre, toujours au Grand Orient de France.
    D’autre part, il est à remarquer que l’Éclair à imprimé « Georges Bois » et non pas « Jules Bois ».
    Il est à remarquer encore que M. Georges Rois (le rédacteur de la Vérité, journal catholique) dans son volume intitulé Maçonnerie nouvelle du Grand Orient de France, à falsifié les documents qu’il a reproduits concernant les convents de 1889, 1899, 1891 ; que ces falsifications consistaient à enlever les noms de francs-maçons militants se trouvant au cours des documents maçonniques officiels et à les remplacer par des désignations incompréhensibles pour le public, lui cachant ainsi les personnalités (une longue nomenclature de ces falsifications a été publiée dans le 1er  numéro de la Revue mensuelle, religieuse, politique, scientifique) : que ces falsifications sont d’autant plus coupables, que, dans son livre même, M, Georges Bois déclare qu’il faut publier les noms des francs-maçons, « afin que les catholiques sachent qui ils ont devant eux » (page 514); qu’il a été obligé, pris sur le fait, ne pouvant nier, d’avouer ces falsifications (Vérité, n° du 5 février 1895) ; que le Saint-Siège prescrit l’obligation générale de dévoiler les noms des francs-maçons et particulièrement veux des chefs, des coryphées, des militants, et cela sous peine d’excommunication (bulle Apostolicæ Sedis ; consultation du Saint-Office en réponse à une lettre de Mgr l’évêque de Bayonne, 19 avril 1893) ; que plusieurs des falsifications de M, Georges Bois ont eu notamment pour effet de cacher aux catholiques le rôle personnel, violemment antichrétien, joué par le F∴ Albert Pétrot dans les convents de la franc-maçonnerie.
    Enfin, en nous communiquant le numéro du journal qui, dans une courte note, a révélé l’existence du club bizarre au nom tiré du Père Duchêne, mon abonné me fait observer très judicieusement la coïncidence singulière qui existe entre la date du déjeuner Deschamps-Vivien-Pétrot-Bois (Georges) et la date de l’ouverture des hostilités du journal la Vérité contre mes révélations démasquant la haute-maçonnerie. En effet, la campagne si incompréhensible de M. Georges Bois a commencé immédiatement après cette pétille ripaille intime où figuraient trois importants chefs franc-maçons.
  9. Certains chants palladistes, certaines formules de la Ré-Théurgie Optimate, sont composés de mots barbares qui ne paraissent avoir aucun sens et n’en ont peut-être pas. D’autres, écrits sous la dictée des démons, appartiennent évidement à la langue infernale.
  10. C’est peut-être pour cela que nous assistons en ce moment à une tentative de restauration du paganisme. Oui, il en est ainsi, quelqu’étrange que cela puisse paraitre : nous avons, en cette fin du dix-neuvième siècle, des personnes, et non des moins instruites, qui ont formé des sociétés dont le programme est de rechercher les moyens de remettre en honneur le culte de Jupiter, Vénus et autres faux dieux de l’antiquité. Albert Pike, avant de constituer le nouveau Palladisme (religion nettement luciférienne), hésita beaucoup ; sa première pensée, qui le domina pendant de nombreuses années, fut de faire revivre, par l’initiative de la Maçonnerie, l’ancienne religion des Grecs et des Romains.
  11. Ce grimoire, que la malice diabolique des magiciens eut le cynisme d’attribuer à un pape, fut publié pour la première fois en 1670.
  12. Cette pièce se trouve dans un ouvrage extrêmement rare qu’un de mes abonnés a bien voulu me communiquer : Essai sur la minéralogie des Monts-Pyrénées, par M. l’abbé P***, grand volume in-4o, publié à Paris par la librairie Didot jeune, quai des Augustins, en 1384, imprimé sous le privilège de l’Académie royale des sciences, à la suite d’un rapport favorable de Lavoisier.
  13. On appelle gogues des charmes composés de sang, de fiente d’animaux, d’eau bénite, de pain bénit, de morceaux d’hosties consacrées, de couleuvres et de crapauds, dont la vertu était renouvelée par des aspersions de vinaigre.
  14. Ces faits sont rapportés par l’avocat Bizouard : Des rapports de l’homme avec le démon, tome II, pages 351-359.
  15. « Il n’y a pas un mot, dit M. de Mirville, dans le récit suivant, qui n’ait été solennellement prononcé à l’audience par un des vingt témoins assignés, ou qu’on ne soit prêt à affirmer aujourd’hui devant témoins. »