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Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/07

La bibliothèque libre.
Société des Écrivains Catholiques (p. 31-35).

VII

Les dîmes.


Une autre question vous agace singulièrement les nerfs, savantifiant M. Dessaulles : c’est celle des dîmes. Il y a longtemps que vous et les vôtres désirez brouter dans les champs de l’Église, et ce qui vous irrite, c’est que vous donnez inutilement de la corne contre le mur qui le protège. Toutefois, vous accordez, quelle condescendance ! que le clergé a droit de vivre d’honoraires prélevés sur les revenus des particuliers ; mais vous voudriez que ce fut le pouvoir civil qui décidât de tout, et de par autorité propre, en pareille matière,

C’est grand dommage que le Dieu de Moïse et d’Aaron, et, après lui, Jésus-Christ Notre Seigneur et l’apôtre saint Paul n’aient pas prévu que vous, M. Dessaulles, pouviez naître un jour, tout resplendissant des lumières de la raison laïque du dix-neuvième siècle. Ils auraient certainement pris garde à eux et n’auraient pas parlé et agi à la légère comme ils ont fait, à propos de dîmes. Ils se sont malheureusement trompés, et c’est vous, M. Dessaulles, le grand prophète de notre époque, qui le prétendez. Vous affirmez, en outre, avoir reçu mission du ciel pour réformer ce qu’il y a d’imparfait dans l’organisation de l’Église comme société. Ça se peut ; mais, comme l’âne de Balaam ne parle pas tous les jours, il faut que vous donniez des preuves tout-à-fait évidentes de la mission que vous dites avoir reçue, si vous voulez que l’on vous croit.

Il y a lieu de pouffer de rire en face de toutes les extravagance que vous débitez. Comment vous, M. Dessaulles, qui, tout M. Dessaulles que vous êtes, n’avez pas même juridiction sur les simples affaires de ménage de votre voisin, et qui vous gardez bien d’y mettre le nez, sachant qu’on vous forcerait à renifler tout autre chose que le pot aux roses, comment osez-vous vous mêler des affaires de l’Église que son Divin Fondateur a non-seulement soustraite à votre juridiction, mais à celle même des princes et des rois, de tout gouvernement civil, quelle que soit sa forme extérieure ?

Pauvre homme ! Vous seriez payé pour radoter que vous ne feriez pas mieux. C’est une fameuse raison que celle que vous alléguez pour démontrer que la question des dîmes doit être réglée par la puissance temporelle ! Si la puissance ecclésiastique intervient en pareille matière, dites-vous, elle se constitue en même temps juge et partie en ce qui la concerne. Or, concluez-vous, rien de plus contraire au seul gros bon sens.

Vous croyez, savant homme ? Sachez d’abord que la plus chère de toutes les thèses que vous défendez : l’omnipotence du pouvoir civil, se trouve ruinée de fond en comble par votre argumentation. Comment, en effet, pouvez-vous avoir le cerveau confectionné pour ne pas vous apercevoir que si votre raisonnement vaut contre la puissance ecclésiastique, il vaut également contre la puissance temporelle ? Et vous-même, cher M. Dessaulles, vous vous mettez complaisamment le carcan au cou en appliquant, comme vous faites, le principe que vous invoquez. Vous aimez pourtant, pour vous-même au moins, les allures libres et dégagées. Songez-y ; on peut fort bien vous rogner les ongles et d’autres choses aussi, rien qu’en s’appuyant sur vos simples dires, car, d’après votre manière d’envisager et de présenter les choses, toute société ou tout particulier ne peut agir sans être juge et partie dans sa propre cause.

Sachez, en second lieu, que le principe que vous invoquez, tout incontestable qu’il soit, n’a d’application que dans les matières contentieuses. Il dirige dans l’organisation régulière d’un tribunal ; mais, hors de là, surtout quand il s’agit de savoir si l’Église a droit d’acquérir et de posséder par telle et telle voie, il n’a plus à figurer. Autant vaudrait, si on l’invoque en ce dernier cas, recourir à n’importe quel principe de géométrie ou de physique ; on serait tout aussi avancé.

Comme vous me faites pitié par votre phénoménale ignorance, vous me permettrez, illustre M. Dessaulles, de développer une question que j’ai déjà suffisamment démontrée pour tout autre que vous.

De ce que l’Église, société visible et parfaite, a eu une sublime mission à remplir sur la terre, guider l’homme vers sa fin surnaturelle et la lui faire obtenir, il en résulte qu’elle a droit aux moyens, au moins strictement nécessaires, de remplir cette mission. Or, le maintien de son indépendance, l’exercice du culte divin, l’entretien des ministres sacrés, l’administration des affaires ecclésiastiques, la pratique des œuvres de charité exigent des ressources considérables, elle doit nécessairement, pour subvenir à ces besoins, posséder des biens temporels. La simple raison le veut ainsi et l’Écriture le confirme, car l’apôtre Saint Paul dit, dans la première épitre aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que ceux qui servent à l’autel ont part aux oblations de l’autel ? Ainsi, le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile. »

Par ces paroles, Dieu, souverain maître de toutes choses, dispose qu’une partie des biens des fidèles sera la propriété de son Église. Voilà qui est de droit divin. Il ne détermine pas quelle sera cette portion, puisqu’elle peut et doit varier selon les temps, les lieux et les personnes ; mais il laisse à la prudence et à la sagesse de la sainte épouse du Christ de la déterminer elle-même, en tenant compte des diverses circonstances. Voilà, en pareille matière, ce qui est de pur et de seul droit ecclésiastique. Aussi, dès le temps des apôtres, les fidèles contribuaient-ils de leurs biens au culte et aux besoins de l’Église, et tout ce qu’ils devaient donner, sans que le pouvoir civil intervint, était une propriété sacrée dont il n’était permis de rien détourner. Ananie et Saphire, frappés de mort aux pieds de saint Pierre, pour avoir usé de mensonge dans le but de retenir une partie des biens par eux d’abord consacrés au service des autels, le prouvent surabondamment.

Depuis lors, l’Église n’a cessé de posséder des biens, même des immeubles considérables. Dans les temps mêmes où elle fut le plus cruellement persécutée, elle possédait des vases d’or et d’argent et des objets mobiliers en grand nombre, mais aussi des biens-fonds d’une grande valeur. Les païens quelquefois respectaient, quelquefois lui enlevaient violemment ces propriétés. Certains édits de proscription contre les chrétiens ne furent même lancés qu’à la suite de sollicitations pressantes de la part de quelques gouverneurs rapaces, qui convoitaient ces biens et désiraient s’en emparer pour les faire servir à leurs plaisirs. Mais, lorsque Constantin, n’ayant pas encore reçu le baptême, eut rendu la paix au monde par la défaite de Maxence, il ordonna, non pas de faire don, mais de RESTITUER au clergé les maisons, les possessions, les champs, les jardins et autres biens dont il avait été injustement dépouillé. Chose étrange ! le paganisme reconnut à l’Église ce droit de propriété que lui contestent aujourd’hui des nations qui se disent chrétiennes, des particuliers qui s’intitulent ses fils dévoués et soumis, des politiques et des ministres d’État qui veulent passer pour franchement catholiques. Tant il est vrai que des chrétiens dégénérés tombent plus bas que des païens ! ! !

D’ailleurs, l’Église infaillible, qui ne peut se tromper quand elle affirme, puisqu’elle doit, d’après Jésus-Christ, enseigner toute vérité, OMNEM veritatem, affirme qu’elle a le droit de posséder et elle possède réellement ; donc elle l’a. Colonne de la vérité, gardienne incorruptible de la saine morale, elle ne peut errer en pareille matière. Le penser, le dire serait un crime.

Si l’Église a le droit de posséder, et il n’est pas possible, sans blesser la foi, d’émettre le plus léger doute à cet égard ; si, de plus, elle est une société tout-à-fait indépendante, ce dont on ne saurait douter non plus, il faut en conclure que ce droit qu’elle a de posséder ne peut pas être limité par le pouvoir civil ; qu’elle seule a juridiction sur les biens qu’elle possède ; qu’elle seule doit les administrer et faire des réglements en ce qui les concerne. Toute ingérence du pouvoir civil dans l’administration des biens ecclésiastiques est une usurpation sacrilège, une absurdité manifeste et révoltante, car on ne saurait exercer de droit là où il n’est pas possible qu’on en ait. Que dirait-on d’un gouvernement qui prétendrait rendre le cours des astres dépendant de ses volontés, et qui législaterait en conséquence ? On le taxerait de folie et l’on ne pourrait assurément faire moins. Or, le pouvoir civil, qui prétend avoir juridiction sur les biens de l’Église et qui, partant de là, s’en empare ou décrète qu’ils seront employés en tout ou en partie à telle ou telle fin, les soumet à des impôts, des redevances, des charges quelconques, agit tout aussi follement, et, qui plus est, sa folie revêt la malice du sacrilège.

De tout cela, il résulte que l’Église seule a le droit de législater, à propos de dîmes, que ses réglements sont strictement obligatoires et que le pouvoir civil n’a rien à voir en pareille matière.

Une seule chose lui est, non seulement permise, mais commandée, s’il veut absolument exercer sa puissance législative à l’égard des biens ecclésiastiques : c’est de promulguer, comme lois de l’État, les lois de l’Église en pareille matière ; c’est d’user de tous les moyens qui sont à sa disposition pour qu’elles soient mises à exécution et strictement observées.

Sur ce, permettez, M. Dessaulles, que je vous laisse à de salutaires réflexions.