Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/08
VIII
De ce que je vous ai démontré dans le chapitre précédent, il résulte évidemment que rien n’est plus légitime que le pouvoir temporel du Pape à Rome. Il faut l’admettre ou renoncer à porter le titre de catholique. Je dirai plus : il faut l’admettre ou avouer qu’on n’a plus la raison en partage.
« On peut dire, écrit un historien catholique de notre temps, que la souveraineté temporelle des Papes remonte à Saint Pierre lui-même, quoiqu’on n’en aperçoive les premiers développements que dans les lois et les actes de Constantin. La manière dont elle s’exerçait, dès le temps des apôtres, ne diffère pas de celle qu’on a vue dans les siècles suivants, qui n’ont fait que lui donner plus d’indépendance et un territoire sur lequel son pouvoir s’exerce avec plus d’empire. Les actes des Apôtres et les Épitres de Saint Paul en fournissent la preuve. Dès les premiers temps, les fidèles apportaient le prix de leurs biens aux pieds des Apôtres ; Ananie et Saphire, qui avaient retenu secrètement une partie de l’argent qu’ils devaient apporter à la masse commune, furent vivement réprimandés par saint Pierre et frappés de mort. En même temps, saint Pierre jugeait les fidèles, et cet arbitrage s’étendait à toutes les affaires, même temporelles, à toutes les contestations qui pouvaient troubler la paix des familles. »
Voilà, savantissime, savantifiant et savantifié M. Dessaulles, ce que dit la véritable histoire. Ce n’est pas de votre goût, mais il faut cependant en passer par là, car nulle part, soit dans l’Écriture, soit dans la tradition, il n’est dit qu’on doive consulter vos goûts particuliers.
S’il y a au monde une royauté temporelle légitime, c’cst assurément celle du Pape. L’histoire l’atteste si bien que tous les protestants de bonne foi ne peuvent s’empêcher de le reconnaître.
Mais vous, qui vous faites un mérite de ne pas penser et surtout de ne pas parler bon sens, vous croyez devoir vous élever contre cette royauté pontificale qu’ont respectée tous les siècles, et vous avez même la sacrilège impudence de torturer l’Écriture Sainte pour lui faire dire justement le contraire de ce qu’elle enseigne.
« Mon royaume n’est pas de ce monde, » a dit Jésus-Christ, prétendez-vous en traduisant ce passage de l’Évangile de saint Jean : regnum meum non est de hoc mundo, comme l’ont traduit tous les impies de notre époque. Vous savez le latin de la même manière que vous savez l’histoire, la philosophie et le droit canonique, c’est-à-dire que vous n’en possédez pas les premiers éléments. En vérité, c’est une humiliation profonde que d’avoir à causer avec un cuistre tel que vous ; mais, puisque je m’y suis condamné, je subirai mon sort jusqu’à la fin.
Jésus-Christ n’a jamais dit, dans le sens que vous attachez à ces mots, que son royaume n’est pas de ce monde. C’est faire mentir l’Écriture Sainte que de mettre semblables paroles en la bouche de ce divin Sauveur. Ce qu’il a dit, c’est ceci : « Mon royaume, c’est-à-dire l’autorité que j’ai, car je suis roi et roi de toutes les nations qui m’ont été données en héritage, n’a pas une origine humaine. Mon pouvoir ne m’a pas été donné par le monde ; il vient d’En-Haut. »
Voilà ce que signifie la préposition latine de. Elle indique l’origine céleste du pouvoir de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et non pas le lieu où il doit s’exercer. Autrement la préposition de serait remplacée par la préposition in. C’est ainsi qu’en parlant de ce divin Sauveur, l’Église dit dans son Credo : Descendi de cælis, il est descendu du ciel. C’est du ciel qu’il a son origine et il est parti de là pour venir sur la terre.
Comprenez-vous, savantissime M. Dessaulles ? Retenez désormais qu’avant de s’aventurer à faire la leçon au Pape et aux Évêques, il ne faut pas se mettre dans le cas d’être repris, à propos de traduction latine, comme rougirait de l’être un élève de collège qui étudie ses éléments. Vous faites le savant, mais on sait ce que vaut votre science.
Vous citez cet autre texte de nos saints Évangiles : « Les rois des nations les gouvernent ; il n’en sera pas ainsi parmi vous, reges gentium dominantur eorum… vos autem non sic. » Que signifient ces paroles ? Que le pouvoir donné par Jésus-Christ à ses apôtres ne doit pas s’exercer de la même manière que les Césars ont exercé le leur, et voilà tout. Les potentats païens ne régnaient que pour eux-mêmes, et ils considéraient les peuples comme un vil troupeau destiné à pourvoir à tous leurs plaisirs. Notre Seigneur, dans ce texte, dit à tous ceux qui sont constitués en autorité, et à ses apôtres en particulier, qu’ils ne doivent user de leur pouvoir qu’en faveur de leurs subordonnés, et voilà pourquoi il ajoute que celui qui veut être le premier doit se faire le serviteur de tous.
L’enseignement, que renferme ce texte par vous cité, M. Dessaulles, est admirablement beau ; mais il n’a nul rapport avec la question du pouvoir temporel du Pape. Vous avez cité à contre sens et démontré par là que vous parlez sans savoir ce que vous dites.
Un autre texte de l’Écriture est par vous cité, toujours en vue d’en arriver à cette conclusion que Pape, évêques et prêtres ne doivent aucunement s’occuper des allures du monde, quand il s’agit d’affaires temporelles. Je ne puis m’empêcher de vous dire de suite qu’en agissant comme vous faites, vous vous rangez parmi les partisans de la Bête de l’Apocalypse. Le texte que vous citez est le suivant : nemo militans Deo implicat se negotiis sæcularibus, que nul de ceux qui militent dans les intérêts de Dieu ne s’embarrasse d’affaires séculières.
Ce texte, comme il est facile de le voir pour quiconque a une légère teinture de la langue latine et comme il importe de le remarquer, ne s’applique pas plus aux clercs qu’aux laïques. Il dit à tous, quels qu’ils soient, que les affaires de ce bas monde ne sont qu’enfantillage et bagatelle, et qu’une fois dévoués au service de Dieu, comme nous le sommes par notre baptême, nous ne devons pas nous embarrasser des choses de la terre de façon à porter préjudice à nos intérêts spirituels.
De là au pouvoir temporel du Pape il y a loin, et vous serez forcé d’en convenir. Le negotiis sæcularibus, dont vous avez cru pouvoir abuser, retombe de tout son poids sur vous.
Si vous vouliez suivre mon conseil, illustrissime M. Dessaulles, vous ne vous consumeriez pas en vain à interpréter des textes dont le sens est tout-à-fait hors de la portée de votre intelligence, de votre raison laïque, comme vous disiez. Le texte, que vous êtes en état de comprendre et dont la méditation habituelle peut vous rendre le plus grand service, est le suivant : Homo, cum in honore esset, non intellexit ; comparatus est jumentis insipientibus et similis factus est illis, l’homme n’a pas compris le degré d’honneur où Dieu l’a élevé ; il s’est rangé parmi les animaux sans raison et leur est devenu semblable.