Le Dossier n° 113/Chapitre 15

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E. Dentu (p. 261-281).


XV


Louis de Clameran, le second fils du marquis, était de ces natures concentrées qui, sous des dehors froids ou nonchalants, dissimulent un tempérament de feu, d’exorbitantes passions et les plus furieuses convoitises.

Toutes sortes d’extravagantes pensées et de levains mauvais fermentaient en son cerveau malade, longtemps avant les événements qui décidèrent des destinées de la maison de Clameran.

Occupé, en apparence, de futiles plaisirs, ce précoce hypocrite souhaitait pour ses passions un théâtre plus vaste, maudissant les nécessités qui l’enchaînaient au pays, à ce vieux château qui lui semblait plus triste qu’une prison et froid comme une tombe.

Il s’ennuyait. Cette existence dépensée à la campagne ou dans les petites villes des environs lui semblait d’une écœurante et intolérable monotonie. Les lisières paternelles, bien faibles pourtant, le blessaient comme un harnais trop étroit pour sa taille. Il avait soif d’indépendance, de bruit, d’argent, de plaisir, de l’inconnu.

Il n’aimait pas son père, il haïssait jusqu’à la frénésie son frère Gaston.

Le vieux marquis lui-même, dans son imprévoyance coupable, avait allumé cette envie dévorante dans le cœur de son second fils.

Observateur de traditions qu’il prétendait les seules bonnes, il avait déclaré cent fois que l’aîné d’une maison noble doit hériter de tous les biens, et que Gaston recueillerait seul ce qu’il laisserait de fortune à sa mort.

Cette flagrante injustice des préférences non dissimulées désolaient l’âme jalouse de Louis.

Souvent Gaston lui avait affirmé que jamais il ne consentirait à profiter des préjugés paternels, qu’ils partageraient tout en bons frères. Louis n’avait pas été touché de ce que, jugeant les autres d’après lui, il appelait la ridicule ostentation d’un faux désintéressement.

Cette haine, dont jamais ne s’étaient doutés ni le marquis ni Gaston, s’était trahie par des actes assez significatifs pour avoir frappé les domestiques.

Ils la connaissaient à ce point, que ce soir funeste où la chute du cheval de Louis livrait Gaston à ses ennemis, ils refusèrent de croire à un accident, et tout bas murmurèrent ce mot : fratricide.

Même une scène déplorable eut lieu entre Louis et Saint-Jean, à qui cinquante ans de services fidèles donnaient une liberté dont il abusait quelquefois, et son franc-parler souvent rude et désagréable.

— Il est malheureux, avait dit le vieux serviteur, qu’un cavalier aussi habile que vous soit tombé juste au moment où le salut de votre frère dépendait de votre manière de conduire votre cheval. La Verdure, lui, n’est pas tombé.

L’allusion avait si bien atteint le jeune homme, qu’il avait pâli, et d’une voix terrible s’était écrié.

— Misérable ! que veux-tu dire ?

— Vous le savez bien, monsieur le vicomte, avait insisté Saint-Jean.

— Non !… parle, explique-toi.

Le domestique n’avait répondu que par un regard, mais il était si cruellement significatif, que Louis s’était précipité, la cravache levée, sur Saint-Jean, et qu’il l’eût roué de coups sans l’intervention des autres serviteurs du château.

Cette scène se passait au moment où Gaston au milieu des garancières et des champs de châtaigniers, s’efforçait de dépister ceux qui le poursuivaient.

Bientôt les gendarmes et les hussards reparurent tristes, émus, annonçant que Gaston de Clameran venait de se précipiter dans le Rhône et que certainement il y avait péri.

Un douloureux murmure accueillit cette désolante déclaration. Seul, entre tous, Louis resta impassible, pas un des muscles de son visage ne tressaillit.

Même ses yeux eurent un éclair, l’éclair du triomphe. Une voix secrète lui criait : « Te voici maintenant assuré de la fortune paternelle et de la couronne de marquis. »

Désormais il n’était plus le pauvre cadet, le fils dépouillé au profit d’un aîné, il était le seul héritier des Clameran.

Le brigadier de gendarmerie avait dit :

— Ce n’est pas moi qui annoncerai à ce pauvre vieux que son fils est noyé !…

Louis n’eut ni les scrupules ni l’attendrissement du vieux soldat. Il monta sans hésitation chez son père, et c’est d’une voix ferme qu’il lui dit :

— Entre la vie et l’honneur, mon frère a choisi… il est mort.

Comme le chêne frappé de la foudre, le marquis, à ces mots, avait chancelé et était tombé. Le médecin qu’on était allé chercher ne put, hélas ! qu’avouer l’impuissance de la science. Vers le matin. Louis recueillit d’un œil sec le dernier soupir de son père.

Louis était le maître désormais.

C’est que les injustes précautions prises par le marquis, pour éluder la loi et assurer, sans conteste, toute sa fortune à son fils aîné, tournèrent contre lui.

Grâce à la coupable complaisance de ses hommes d’affaires, au moyen de fidéi-commis entachés de fraude, M. de Clameran avait tout disposé de façon qu’au lendemain de sa mort Gaston pût recueillir tout son héritage ; ce fut Louis qui le recueillit et sans même qu’il fût besoin de l’acte de décès de son frère.

Il était marquis de Clameran, il était libre, il était riche aussi, relativement. Lui, qui jamais ne s’était vu vingt-cinq écus en poche, il se trouvait possesseur de bien près de deux cent mille francs.

Cette richesse subite, absolument inespérée, lui tourna si bien la tête, qu’il oublia sa savante dissimulation. On remarqua sa contenance, aux funérailles du marquis. La tête baissée, son mouchoir sur la bouche, il suivait le cercueil porté par douze paysans, mais ses regards démentaient son attitude, son front rayonnait, on devinait le sourire sous les grimaces de sa feinte douleur.

La vibration des dernières pelletées de terre sur le cercueil n’étaient pas éteintes, que déjà Louis vendait, au château, tout ce qui se pouvait vendre : les chevaux, les harnais, les voitures.

Dès le lendemain, il renvoya tous les domestiques, pauvres gens qui s’étaient imaginés finir leurs jours sous le toit hospitalier de Clameran. Plusieurs, les larmes aux yeux, le prirent à part pour le conjurer d’utiliser leurs services, même sans rétribution ; il les congédia brutalement.

Il était tout au calcul en ce moment. Le notaire de son père, qu’il avait mandé, parut. Il lui signa une procuration pour vendre toutes les terres et en reçut une somme de vingt mille francs, un premier emprunt.

Puis, à la fin de la semaine, un soir, il ferma toutes les portes du château, où il se jurait de ne revenir jamais, et il en remettait toutes les clés à Saint-Jean, qui ayant une certaine aisance, possédant une petite maison près de Clameran, devait continuer à habiter le pays.

Pauvre Saint-Jean ! Il ne se doutait pas qu’en empêchant Valentine d’arriver jusqu’à Louis, il avait, pour ainsi dire perdu une seconde fois ce Gaston qu’il aimait tant.

En recevant les clés, il ne se permit qu’une objection :

— Ne ferons-nous donc pas chercher le cadavre de votre frère, monsieur le marquis ? demanda-t-il d’un air navré. Et si on le retrouve, que faudra-t-il faire ?

— Je laisserai des instructions à mon notaire, répondit Louis.

Et il s’éloigna comme si la terre de Clameran lui eût brûlé les pieds. Il se rendit à Tarascon, où, d’avance, il avait envoyé ses bagages et où il devait prendre la voiture faisant le service entre Marseille et Paris. Le chemin de fer n’était pas encore livré à la circulation.

Enfin, il partit ! La lourde diligence s’ébranla, et bientôt fut emportée au galop de ses six chevaux, creusant à chaque tour de roue un abîme entre le passé et l’avenir.

Enfoncé dans un des coins du coupé, Louis de Clameran savourait par avance les délices dont il allait épuiser les réalités. Au bout du chemin, Paris se levait dans la pourpre, radieux comme le soleil, éblouissant comme lui.

Car il allait à Paris… N’est-ce pas la terre promise, la cité des merveilles où chaque Aladin trouve une lampe ? Là, toutes les ambitions sont couronnées, tous les rêves se matérialisent, toutes les passions s’épanouissent, il est des assouvissements pour toutes les convoitises.

Là, aux jours qui s’envolent comme des heures, des nuits enflammées succèdent. Trente orchestres, tous les soirs, s’épuisent à lasser cent mille jarrets infatigables. Dans vingt théâtres, pleure le drame ou rit la comédie, tandis qu’à l’Opéra, les plus belles femmes de l’univers, étincelantes de diamants, se pâment aux accents de musiques divines.

Partout le bruit, la foule, le luxe, le plaisir.

Quel rêve ! Et le cœur de Louis de Clameran se gonflait de désirs, et il lui semblait que les chevaux marchaient plus lentement que des tortues.

Il ne songeait à donner au passé ni un regret ni un souvenir. Que lui importaient maintenant et son père et son frère ! Toutes les forces de son esprit il les appliquait à pénétrer les mystères de l’avenir qui l’attendait là-bas.

N’avait-il pas pour lui toutes les chances ? Il était jeune, il était beau, il avait une santé de fer, il portait un grand nom, et il était riche. Il avait dans sa poche vingt mille francs, et il pouvait s’en procurer dix fois autant encore.

C’était là, lui semblait-il, de ces trésors dont jamais on ne voit la fin.

Et quand le soir, à l’heure où le gaz s’allume, il sauta de la diligence sur le pavé boueux de Paris, il lui sembla qu’il prenait possession de la grande ville, qu’elle était à lui, qu’il pouvait l’acheter.

Les illusions de Louis de Clameran étaient celles de tout homme jeune, qui, sans jamais s’être trouvé aux prises avec les nécessités impérieuses de la vie, se voit soudain en possession d’un patrimoine.

C’est cette ignorance de la valeur réelle de l’argent qui gaspille les héritages et donne la volée aux vieux louis péniblement amassés de l’économe province.

Pénétré de son importance, habitué à la déférence des gens des environs, le jeune marquis avait quitté son pays en se disant qu’à Paris, tant par son nom que par sa fortune, il serait un personnage.

L’événement trompa singulièrement son attente. À sa grande surprise, il découvrit qu’il n’avait rien de ce qui, dans la ville immense, constitue une personnalité. Il reconnut qu’au milieu de cette foule indifférente et affairée, il passait aussi perdu, aussi inaperçu qu’une goutte d’eau au milieu d’un torrent.

Mais la peu flatteuse réalité ne pouvait décourager un garçon résolu surtout à donner coûte que coûte satisfaction à ses passions.

Le nom de ses pères n’eût qu’un privilége, désastreux pour son avenir : il lui ouvrit les portes du faubourg Saint-Germain.

Là, il connut un assez bon nombre d’hommes de son âge, tout aussi nobles que lui, dont les revenus égalaient la moitié ou même la totalité de son capital. Presque tous avouaient qu’ils ne se soutenaient que par des prodiges d’habileté et d’économie, et en réglant leurs vices et leurs folies aussi sagement qu’un bonnetier les sorties qu’il fait le dimanche avec sa famille.

Ces propos, et bien d’autres qui stupéfiaient le nouveau débarqué, ne lui ouvrirent pas les yeux. De ces jeunes gens économiquement prodigues, il s’efforça de copier les dehors brillants, sans songer à imiter leur prudence. Il apprit à dépenser, mais non à compter comme eux.

Il était marquis de Clameran, il s’annoncait comme ayant une grande fortune, il fut bien accueilli ; s’il n’eût pas un ami, il eut du moins quantité de connaissances. Au cercle où il fut présenté et reçu dès les premiers jours de son arrivée, il trouva dix complaisants qui se firent un plaisir de l’initier aux secrets de la vie élégante et de corriger ce qu’il pouvait y avoir d’un peu provincial en ses façons d’être ou de penser.

Il profita vite et bien des leçons. Après trois mois, il était lancé, sa réputation de beau joueur était établie, et il s’était fait noblement et glorieusement compromettre par une fille à la mode.

Descendu à l’hôtel, tout d’abord, il avait loué près de la Madeleine un confortable entresol, avec une remise et une écurie pour trois chevaux.

Il ne garnit cette « garçonnière » que du strict nécessaire ; malheureusement le nécessaire est hors de prix.

Si bien que, le jour où il fut installé, ayant essayé de faire ses comptes, il découvrit, non sans effroi, que ce court apprentissage de Paris lui coûtait 50,000 francs, le quart de son avoir.

Et encore, il restait, vis-à-vis de ses brillants amis, dans un état d’infériorité désolant pour sa vanité, à peu près comme un bon propriétaire qui crèverait son bidet à vouloir suivre une course de chevaux anglais.

50,000 francs !… Louis eut comme une velléité de quitter la partie. Mais, quoi ! il abdiquerait donc ! D’ailleurs ses vices s’épanouissaient à l’aise, dans ce milieu charmant. Il s’était cru prodigieusement fort, autrefois, et mille corruptions nouvelles se révélaient à lui.

Puis, la vue de fortunes subites, l’exemple de succès aussi surprenants et aussi inouïs que certains revers, enflammaient son imagination.

Il pensa que dans cette grande ville, où les millions se promènent sur le boulevard, il parviendrait infailliblement, lui aussi, à saisir son million.

Comment ? il n’en avait pas l’idée, et même il ne la cherchait pas. Il se persuadait simplement qu’aussi bien que beaucoup d’autres, il aurait son jour de hasard heureux.

Encore une de ces erreurs qu’il serait temps de détruire.

Il n’est pas de hasard, au service des sots.

Dans cette course furieuse des intérêts, il faut une prodigieuse dextérité pour enfourcher le premier cette cavale capricieuse qui a nom l’occasion, et la conduire au but.

Mais Louis n’en pensait pas si long. Aussi absurde que cet homme qui espérait gagner à la loterie sans y avoir mis, il se disait :

— Bast ! l’occasion, le hasard, un beau mariage, me tireront de là.

Il ne se présenta pas de beau mariage, mais le tour du dernier billet de banque arriva.

À une pressante demande d’argent, son notaire répondit par un refus.

« Il ne vous reste rien à vendre, monsieur le marquis, lui écrivait-il, plus rien que le château. Il a certainement une grande valeur, mais il est malaisé, sinon impossible, de trouver un acquéreur pour un immeuble de cette importance, situé comme il l’est maintenant. Soyez sûr que je chercherai activement cet acquéreur, et croyez, etc. »

Absolument comme s’il n’eût pas prévu cette catastrophe finale, Louis fut attéré. Que faire ?

Ruiné, n’ayant plus rien à espérer, il était de sa dignité d’imiter les pauvres fous qui, chaque année, surgissent, brillent un moment et disparaissent soudain.

Mais Louis ne pouvait renoncer à cette vie de plaisirs faciles qu’il menait depuis trois ans. Il était dit qu’après avoir laissé sa fortune sur le champ de bataille il y laisserait son honneur.

Il s’obstina, pareil au joueur décavé qui rôde autour des tables de jeu qui lui sont fermées, s’intéressant à une partie qui n’est plus la sienne, toujours prêt à tendre la main à ceux que favorise le sort.

Louis, tout d’abord, vécut du renom de sa fortune dissipée, de ce crédit qui reste à l’homme qui a dépensé beaucoup en peu de temps.

Cette ressource, rapidement s’épuisa.

Un jour vint où les créanciers se levèrent en masse, et le marquis ruiné dut laisser entre leurs mains les derniers débris de son opulence, son mobilier, ses voitures, ses chevaux.

Réfugié dans un hôtel plus que modeste, il ne pouvait prendre sur lui de rompre avec ces jeunes gens riches qu’un moment il avait pu croire ses amis.

Il vivait d’eux, maintenant, comme autrefois de ses fournisseurs. Empruntant de ci et de là, depuis un louis jusqu’à vingt-cinq, ne rendant jamais. Il pariait, et, s’il perdait, ne payait pas. Il pilotait les jeunes et utilisait en mille services honteux une expérience qui lui coûtait deux cent mille francs ; moitié courtisan, moitié chevalier d’industrie.

On ne le chassait pas, mais on lui faisait expier cruellement cette faveur d’être encore toléré. On ne se gênait pas avec lui, et ce qu’on pensait de sa conduite, on le disait tout haut.

Aussi, quand il se retrouvait seul, dans son taudis, s’abandonnait-il à des accès de rage folle. Il pouvait bien subir toutes les humiliations, mais non encore ne les plus sentir.

Il y avait d’ailleurs longtemps que l’envie qui le rongeait, que les convoitises qui le torturaient, avaient étouffé en lui jusqu’aux racines des sentiments honnêtes. Pour quelques années d’opulence, il se sentait prêt à tout hasarder, disposé à tenter même un crime.

Il ne commit pas de crime, cependant, mais il se trouva compromis dans une affaire malpropre d’escroquerie et de chantage.

Un vieil ami de sa famille, le comte de Commarin, le sauva, étouffa l’affaire et lui fournit les moyens de passer en Angleterre.

Quels furent, à Londres, ses moyens d’existence ?

Seuls les détectifs de la capitale la plus corrompue de l’univers sauraient le dire.

Descendant les derniers échelons du vice, le marquis de Clameran vécut dans un monde d’escrocs et de filles perdues, dont il partageait les chances et les honteux profits.

Forcé de quitter Londres, il parcourut successivement toute l’Europe, sans autre capital que son audace, sa corruption profonde et son adresse à tous les jeux.

Enfin, en 1865, ayant eu à Hambourg une veine heureuse, il revint à Paris, où il se disait que sans doute on l’avait oublié.

Il y avait dix-huit ans qu’il avait quitté la France.

La première pensée de Louis de Clameran en arrivant à Paris, avant de s’y installer, avant même d’y chercher les ressources qu’il savait trouver ailleurs, fut pour son pays natal.

Ce n’est pas qu’il y eût aucun parent, aucun ami, même, de qui attendre un secours, mais il se rappelait le vieux manoir pour lequel, autrefois, le notaire désespérait trouver un acquéreur.

Il se disait que peut-être cet acquéreur s’était présenté, et il était décidé à aller s’en assurer, pensant qu’une fois dans le pays, il tirerait toujours quelque chose de ce château, qui, certes, dans le temps, avait coûté à bâtir plus de 100,000 livres.

Trois jours plus tard, par une belle soirée d’octobre, il arrivait à Tarascon, où il s’assurait que le château était encore sa propriété, et le lendemain, de très-bonne heure, il prenait, à pied, la route de Clameran.

Comme tout était changé, depuis vingt-cinq ans qu’il avait quitté la maison paternelle !

C’est à peine s’il se reconnaissait dans ce pays où il était né, le long de cette route si souvent parcourue dans son adolescence.

Cependant l’impression fut si forte, sur cet homme éprouvé par tant et de si étranges aventures, qu’un moment il eut la pensée de rebrousser chemin.

S’il continua, c’est qu’une voix secrète et pleine d’espérances lui criait : « En avant ! en avant !… » comme s’il eût dû trouver au bout de la route une vie nouvelle et cette fortune tant enviée.

À mesure cependant que Louis avançait dans la campagne, les changements survenus lui paraissaient moins frappants ; il retrouvait son pays.

Bientôt, à travers les arbres, il distingua le clocher du village de Clameran, puis le village lui-même, assis sur la pente douce d’un coteau couronné d’oliviers.

Il reconnut les premières maisons : le hangar du maréchal-ferrant avec sa vigne courant le long du toit, le presbytère, et plus loin l’auberge où, autrefois avec son frère Gaston, il venait pousser les billes sur l’immense billard à blouses larges comme des hottes.

En dépit de ce qu’il nommait son dédain des préjugés vulgaires, une émotion indéfinissable lui serrait le cœur. Il n’était pas maître d’un triste retour sur lui-même, et malgré lui sa pensée s’égarait dans le passé.

Que d’événements depuis ces jours de l’adolescence où il courait le long de ces sentiers connus, où sur chaque porte le saluait un visage ami !

Alors, la vie lui apparaissait semblable à une de ces féeries où tous les désirs sont exaucés. Et, maintenant, il revenait flétri, usé, dégoûté des réalités, ayant vidé jusqu’à la lie la coupe de la honte, ruiné d’honneur et ruiné d’argent, n’ayant plus rien à attendre ni à perdre.

Et les quelques gens du village qu’il rencontrait s’arrêtaient et se retournaient pour regarder cet étranger aux souliers blancs de poussière.

La porte de la maison de Saint-Jean était ouverte, il entra, et ne trouvant personne dans l’immense, cuisine à cheminée monumentale, il appela.

— On y va ! répondit une voix.

Presque aussitôt, à la porte du fond, un homme d’une quarantaine d’années, à la figure honnête et souriante, apparut, surpris de trouver un étranger chez lui.

— Il y a quelque chose pour votre service ? monsieur, demanda-t-il.

— N’est-ce pas ici que demeure Saint-Jean, l’ancien valet de chambre du marquis de Clameran ?

— Mon père est mort depuis bientôt cinq ans, monsieur, répondit l’homme, d’une voix triste.

Cette nouvelle affecta péniblement Louis, comme si ce vieillard qu’il pensait retrouver eût pu lui rendre quelque chose de sa jeunesse. Il eut un soupir, et dit :

— Je suis le marquis de Clameran.

L’homme, à ces mots, poussa un grand cri de joie.

— Vous ! monsieur le marquis, s’écria-t-il, vous !

Il prit les mains de Louis, et les serrant avec un affectueux respect :

— Ah ! si mon pauvre père était encore de ce monde, poursuivait-il, quel ne serait pas son contentement ! Ses dernières paroles ont été pour ses anciens maîtres, monsieur le marquis. Que de fois il a gémi de ne point recevoir de vos nouvelles ! Il est en terre, le pauvre bonhomme ; mais moi, Joseph, son fils, je vous appartiens comme lui-même. Vous, chez moi, quel bonheur ! Ah ! ma femme à qui j’ai tant parlé des Clameran va être bien heureuse !…

Il s’élança dehors en même temps criant à plein poumons :

— Toinette ! Hé ! Antoinette, écoute un peu ici, voir !…

Cet accueil si empressé, si cordial, remuait délicieusement Louis. Il y avait tant d’années qu’il n’avait entendu l’expression d’une affection sincère, d’un dévoûment désintéressé, qu’une main vraiment amie n’avait serré la sienne !

Mais déjà, rougissante et confuse, une belle jeune femme au teint brun, aux grands yeux noirs, entrait, à moitié traînée par Joseph.

— Voilà ma femme, monsieur le marquis, disait-il. Ah ! dame ! je ne lui ai pas laissé le temps d’aller se faire brave ; c’est monsieur le marquis, Antoinette.

La belle jeune femme s’inclinait, tout intimidée, et ne trouvant rien à dire, elle tendit son front, où Louis déposa un baiser.

Tout à l’heure, disait Joseph, monsieur le marquis verra les enfants, ils sont à l’école, je viens de les envoyer chercher.

En même temps, le mari et la femme s’empressaient autour du marquis.

Il devait avoir, disaient-ils, besoin de prendre quelque chose, étant venu à pied, il allait bien accepter un verre de vin, en attendant le déjeuner, car il leur ferait l’honneur de déjeuner chez eux, n’est-il pas vrai ?

Et Joseph descendait à la cave, pendant que Toinette, dans la cour, donnait la chasse au plus gras de ses poulets.

En moins de rien, tout fut prêt, et Louis s’assit, au milieu de la cuisine, devant une table chargée de tout ce qu’on avait pu se procurer de meilleur, servi par Joseph et sa femme, qui se tenaient devant lui, l’examinant avec une sorte de curiosité attendrie.

Les enfants étaient revenus de l’école, tout barbouillés du jus de ces petites baies qu’on appelle dans le pays des falabrègues, et qui sont le fruit du micocoulier. Louis les avait embrassés et, immobiles, frappés de respect, ils se tenaient dans un coin, regardant avec de gros yeux ébahis.

La grande nouvelle s’était répandue dans le village, et la porte restant ouverte, à tout moment des gens se présentaient qui venaient saluer le marquis de Clameran.

— Je suis un tel, monsieur le marquis, ne me reconnaissez-vous pas ? Ah ! je vous ai bien reconnu, moi, allez. Le défunt marquis m’aimait bien, affirmait un vieux. — Vous souvenez-vous, disait un autre, du temps où vous me prêtiez vos fusils pour aller à la chasse ?

C’est avec un ravissement intime que Louis recueillait toutes ces protestations, ces marques d’un dévoûment que n’avaient pas affaibli les années.

À la voix de ces braves gens, mille souvenirs oubliés s’éveillaient en lui, et il retrouvait les fraîches sensations de sa jeunesse.

Ainsi donc, nul écho des orages de sa vie, nul soupçon de ses ignominies n’étaient arrivés jusqu’à cet humble village des bords du Rhône.

Lui, l’aventurier, chassé de partout, le héros des maisons de jeu, le spadassin, l’abject complice des escrocs de Londres, il se délectait à ces témoignages de vénération accordée à la famille de Clameran, et il lui semblait qu’ils lui rendaient quelque chose de sa considération et de son estime.

Ah ! si à cette heure il eût possédé le quart seulement de cet héritage jeté au vent d’absurdes fantaisies, avec quelle satisfaction il se serait fixé dans ce village pour finir ses jours en paix !

Mais ce repos après tant d’agitations vaines, ce port après tant de naufrages, lui étaient interdits. Il ne possédait rien ; comment vivre ?

Ce sentiment désolant de sa détresse passée lui donna seul le courage de demander à Joseph les clés du château qu’il se proposait de visiter.

— Il n’y a besoin que de la clé de la grille, monsieur le marquis, répondit Joseph, et encore !…

C’était vrai. Le temps avait fait son œuvre, et l’héroïque manoir de Clameran n’était plus qu’une ruine. La pluie et le soleil, le mistral aidant, avaient émietté les portes et emporté les contrevents en poussière.

Çà et là, on découvrait bien les traces de mains amies, les mains de Saint-Jean et de son fils, qui avaient cherché à retarder la ruine totale ; mais que pouvaient leurs efforts !

Au dedans, la désolation était plus grande encore. Tout le mobilier que Louis n’avait osé vendre était encore en place, mais en quel état ! À peine restait-il quelques lambeaux d’étoffes, des débris de la garniture des lits ; les bois seuls avaient résisté.

C’est à peine si Louis, suivi de Joseph, osait pénétrer dans ces grandes salles où le bruit de ses pas sonnait lugubrement.

Il lui semblait que tout à coup le terrible marquis de Clameran allait se dresser en pied pour lui jeter sa malédiction, pour lui crier :

— Qu’as-tu fait de notre honneur ?

Peut-être sa terreur avait-elle une autre cause, peut-être avait-il trop de raison de se souvenir de cette chute, si fatale à Gaston.

Ce n’est qu’en se trouvant en plein soleil, dans le jardin, qu’il reprit son assurance et se souvint de l’objet de sa visite.

— Ce pauvre Saint-Jean, dit-il, a eu bien tort de ne pas utiliser le mobilier laissé au château, il se trouve détruit sans avoir servi à personne.

— Mon père, monsieur le marquis, n’aurait rien osé déranger sans un ordre.

— Et il avait bien tort. Quant au château, si on n’y prend garde, il sera bientôt perdu comme le mobilier. Ma fortune, à mon grand regret, ne me permet pas de le restaurer : je suis donc décidé à le vendre pendant qu’il est encore debout.

Joseph accueillit cette idée à peu près comme la proposition d’un sacrilége : mais il n’avait pas le franc parler de son père, il n’osa dire ce qu’il pensait.

— Sera-t-il bien difficile, poursuivait Louis, de vendre cette masure.

— Cela dépend du prix, monsieur le marquis ; je connais un homme des environs qui en ferait son affaire, si on le lui cédait à bon marché.

— Et quel est cet homme ?

— Un certain Fougeroux, qui demeure de l’autre côté du Rhône, au mas de la Montagnette. C’est un gars de Beaucaire, qui a épousé, il y a une douzaine d’années, une servante de la défunte comtesse de La Verberie, dont monsieur le comte se souvient peut-être, une grosse, très-brune, nommée Mihonne.

Louis ne se souvenait pas de Mihonne.

— Quand pourrons-nous voir ce Fougeroux ? demanda-t-il.

— Aujourd’hui même, là, en traversant le Rhône dans le bateau du passeur.

— Eh bien ! allons… je suis pressé.

Une génération entière avait disparu, depuis que Louis avait quitté sa province.

Ce n’était plus le vieux matelot de la République, Pilorel, qui « passait le monde, » c’était son fils.

Mais, celui-là aussi avait le respect de la tradition. Quand il sut le nom de cet étranger qu’accompagnait Joseph, il se hâta d’apprêter sa barque, et en moins de rien il fut avec ses passagers au milieu du courant.

Pendant que Pilorel fils ramait de toutes ses forces, Joseph s’efforçait de mettre le marquis en garde contre les ruses de Fougeroux.

— C’est un fin renard, disait-il, trop fin, même. Je n’ai jamais eu bonne idée de lui, depuis son mariage, qui n’a pas été une belle action. La Mihonne avait bien cinquante ans sonnés, quand il s’est avisé de lui faire la cour, et il n’en avait pas vingt-cinq. Vous comprenez bien qu’il en voulait à l’argent et non à la femme. La pauvre sotte a cru que le gars l’aimait et dame ! elle a donné sa main et ses écus.

— Et ils ont profité, oui, interrompit Pilorel.

— Ça, c’est vrai. Fougeroux n’a pas son pareil pour faire suer l’argent. Il est riche aujourd’hui, mais il devrait bien savoir gré à Mihonne de sa richesse. Qu’il ne l’aime pas, on comprend ça, elle a l’air de sa grand’mère ; mais qu’il la prive de tout et qu’il la batte comme plâtre, c’est honteux.

— Il la voudrait à six pieds sous terre, quoi ! fit le passeur.

— Et il l’y mettra avant longtemps. Elle est comme expirante, la pauvre vieille, depuis que Fougeroux a installé chez lui une gourgandine dont elle est devenue la servante.

On abordait. Joseph et le marquis, après avoir prié le passeur d’attendre leur retour, prirent le chemin du mas de la Montagnette.

C’était une ferme de bonne apparence, bien tenue, entourée de cultures intelligentes.

Joseph ayant demandé le maître, un jeune garçon lui répondit que « M. Fougeroux » était dans les champs tout près, et qu’on allait le prévenir.

Il ne tarda pas à paraître. C’était un très-petit homme à barbe rouge, à l’œil inquiet et fuyant.

Bien que M. Fougeroux fît profession de détester les nobles et les prêtres, l’espoir de faire un bon marché le rendit obséquieux jusqu’à la servilité.

Il s’empressa de faire passer Louis dans « sa salle, » avec force révérences et des « monsieur le marquis » à n’en plus finir.

En entrant, il s’était adressé à une vieille femme qui tremblait la fièvre au coin de l’âtre éteint, et lui avait brutalement ordonné de descendre quérir du vin pour M. le marquis de Clameran.

La vieille, à ce nom, se dressa comme au contact d’une pile électrique. Elle sembla vouloir parler ; un regard de son tyran renfonça les mots dans sa gorge. C’est d’un air égaré qu’elle obéit, et revint avec une bouteille et trois verres, qu’elle déposa sur la table.

Puis, elle reprit sa place près du foyer, oubliant d’écouter pour regarder le marquis.

Était-ce là, vraiment, cette grosse et réjouie Mihonne, qui avait été la confidente de la petite fée de La Verberie ?

Valentine elle-même n’eût point reconnu cette pauvre vieille si ratatinée, flétrie et ridée comme une rainette à Pâques, plus décharnée et plus tordue qu’une branche de bois mort.

Ceux-là seuls qui ont habité la campagne savent ce que les années, la misère aidant, peuvent faire d’une femme.

Le marché, cependant, se débattait entre Joseph et Fougeroux. Le marchand de biens offrait un prix dérisoire, n’achetant, disait-il, que pour démolir et revendre les matériaux. Joseph, lui, énumérait les poutres et les solives, les moellons, les ferrures, sans compter ie terrain.

Pour Mihonne, la présence du marquis était un de ces événements qui changent l’existence.

Si jusqu’alors la fidèle servante n’avait pas dit un mot des secrets confiés à sa probité, ils ne lui en avaient pas moins semblé lourds à porter.

Mariée, misérable jusqu’à souhaiter la mort, elle s’en prenait, non à elle-même, mais à tout et à tous de ses malheurs. Superstitieuse à l’excès, elle faisait remonter l’origine de ses infortunes au serment prêté pendant la messe sur les évangiles.

N’ayant pas d’enfant, après en avoir ardemment désiré, elle se persuadait que Dieu l’avait frappée de stérilité pour la punir d’avoir prêté les mains à l’abandon d’un pauvre petit innocent.

Souvent elle avait pensé qu’en révélant tout, elle apaiserait la colère céleste et ramènerait le bonheur à son foyer. Son attachement pour Valentine lui avait donné la force de résister à d’incessantes tentations.

Mais, aujourd’hui, la présence de Louis la décidait. Réfléchissant, elle ne voyait nul danger à se confier au frère de Gaston.

L’affaire, pendant ce temps, se concluait. Il était convenu que Fougeroux donnerait 5,280 fr. comptant du château et du terrain, et que les débris du mobilier reviendraient à Joseph.

Le marchand de biens et le marquis échangèrent une bruyante poignée de mains en prononçant les mots sacramentels :

— C’est dit !

Et aussitôt Fougeroux sortit pour aller chercher, lui-même, dans le bon coin connu de lui seul, la bouteille du marché.

L’occasion pour Mihonne était favorable. Se levant, elle alla droit au marquis, et, d’une voix sourde et précipitée :

— Il faut, monsieur le marquis, dit-elle, que je vous parle sans témoins

— À moi, ma bonne femme ?

— À vous. C’est un secret de vie ou de mort. Ce soir, à la tombée de la nuit, venez sous les noyers, là-bas, j’y serai, je vous dirai tout.

Elle regagna sa place, son mari rentrait.

Gaîment Fougeroux remplit les verres et but à la santé de Clameran.

Tout en regagnant le bateau, Louis se demandait s’il viendrait à ce rendez-vous singulier.

— Que diable peut me vouloir cette vieille sorcière ? disait-il à Joseph.

— Qui sait ! Elle a été au service d’une femme qui fut, m’a dit mon père, la maîtresse de feu M. Gaston… À votre place, monsieur le marquis, j’irais. Vous dînerez chez nous, et après dîner Pilorel vous passera.

La curiosité décida Louis, et, vers les sept heures, il arrivait sous les noyers. Depuis longtemps déjà la vieille Mihonne l’attendait.

— Vous voilà donc, cher bon monsieur, fit-elle avec un accent de joie, déjà je me désespérais…

— Oui, c’est moi, ma brave femme, voyons, qu’avez-vous à me dire ?

— Ah ! bien des choses, monsieur le marquis, mais, avant tout, avez-vous des nouvelles de votre frère ?

Louis regretta presque d’être venu, pensant que la vieille radotait.

— Vous savez bien, répondit-il, que mon pauvre frère s’est jeté dans le Rhône et qu’il y a péri.

— Quoi ! s’écria Mihonne, quoi ! vous aussi vous ignorez qu’il s’est sauvé ! Oui, il a fait ce que personne plus ne fera, il a traversé en nageant le Rhône débordé. Le lendemain, Mlle  Valentine est allée à Clameran pour dire la nouvelle, Saint-Jean l’a empêchée d’arriver jusqu’à vous. Plus tard, je suis allée vous porter une lettre, vous étiez parti.

Ces révélations, après vingt ans, confondaient Louis.

— Ne prenez-vous pas vos rêves pour des réalités, ma bonne mère ? dit-il doucement.

Mihonne secoua tristement la tête.

— Non, continua-t-elle, non. Et si le père Menoul était de ce monde encore, il vous dirait comment il a conduit M. Gaston jusqu’à la Camargue, et comment de là votre frère a gagné Marseille et s’y est embarqué. Mais ceci n’est rien encore : M. Gaston a un fils.

— Mon frère, un fils !… Décidément, ma bonne vieille, vous perdez la tête.

— Hélas ! non, pour mon malheur dans ce monde et dans l’autre, il a eu un fils de Mlle  Valentine, un pauvre innocent que j’ai reçu dans mes bras à l’étranger, et que j’ai porté à la femme qui l’a pris pour de l’argent.

Alors Mihonne raconta tout, les colères de la comtesse, le voyage à Londres, l’abandon du petit Raoul.

Avec cette sûreté de mémoire des gens qui, ne sachant ni lire ni écrire, ne peuvent se confier au papier, elle révéla les moindres circonstances, donnant les détails les plus précis, le nom du village et celui de la fermière, les noms et prénoms de l’enfant, la date exacte des événements.

Puis elle dit les misères de Valentine après sa faute, la ruine de la comtesse, et enfin le mariage de la pauvre fille avec un monsieur de Paris, riche, si riche qu’il ne connaissait pas sa fortune, un banquier nommé Fauvel.

Un cri aigu et prolongé l’interrompit.

— Ciel ! fit-elle d’une voix épouvantée, mon mari m’appelle.

Et de toute la vitesse de ses vieilles jambes elle regagna la ferme.

Elle était partie depuis un bon moment, que Louis restait encore immobile à la même place.

Au récit de Mihonne, une idée infâme, si détestable qu’elle faisait reculer son esprit prêt à tout, lui était venue, et cette idée revenait grandissante comme les vagues successives de la marée montante.

Il connaissait de réputation le riche banquier, et il songeait au parti qu’il pouvait tirer de ce qu’il venait d’entendre. Il est de ces secrets qui, bien exploités, valent une ferme en Brie.

Les terreurs d’une vieillesse misérable chassèrent ses derniers scrupules.

— Avant tout, pensait-il, je dois m’assurer de la réalité des dires de cette vieille ; après, je ferai mon plan.

C’est pourquoi, le surlendemain, ayant reçu les 5,280 francs de Fougeroux, Louis de Clameran partait pour Londres.