Le Fils de la fange

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Chants révolutionnairesAu bureau du Comité Pottier (p. 59-60).


LE FILS DE LA FANGE



À Lucien-Victor Meunier, auteur des Clameurs du pavé.


Elle traîne à demi rongée
Sa vieillesse de dix-sept ans ;
Sa robe de haillons frangée,
Ses bas troués, ses seins pendants.
Du tapis franc, c’est la femelle.
Eh quoi ! cette éponge à vin bleu,
Cette fille, cette femelle,
Elle est enceinte ! ah ! nom de Dieu !

Pauvre petit être
Que rien ne défend,
Eh ! quoi, tu vas naître
Comme un autre enfant ?

Ta mère, inscrite à la police,
Lasse de sa maternité,
Va mettre bas dans un hospice
Ta jeune âme et ton sang gâté.
Tu ne sauras rien de ton père :
Le vice en rut, le hasard gris,
Un soir, ont payé pour te faire,
Quelques sous pleins de vert-de-gris.


Maraudant l’ordure à la halle,
Et t’abrutissant par l’alcool,
Tu seras l’enfant de la balle,
Du vagabondage et du vol.
On t’ouvrira le séminaire
De l’escarpe et du chourineur :
Des élèves de Lacenaire
T’enseigneront le point d’honneur.

Au crime tout te prédestine.
Frère ! les mains rouges de sang,
Si tu meurs sur la guillotine,
Nul ne s’en peut croire innocent.
Tu vas où ton milieu te pousse,
Fils de la Fange, sang gâté,
Ah ! qu’au moins ta vie éclabousse
Le front de la société !

Pauvre petit être
Que rien ne défend
Eh quoi ! tu vas naître
Comme un autre enfant ?