Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire de Namcouticouti

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Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 98-111).

IX

HISTOIRE DE NAMCOUTICOUTI

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Il y avait une fois une femme qui était sur le point d’accoucher. Un jour elle dit à son mari : « J’ai envie de boire de l’eau sans grenouilles ; va m’en chercher ! »

Le mari part. Il arrive au bord d’une rivière et dit : « Est-ce qu’il y a des grenouilles là-dedans ? » Les grenouilles répondent : « Coa, coa. » Il va à une autre rivière : « Est-ce qu’il a des grenouilles là-dedans ? — Coa, coa. » Il marche, il marche. Il arrive auprès d’une belle rivière et crie : « Est-ce qu’il y a des grenouilles là-dedans ? » Pas de réponse. Il goûte l’eau : maman ! ça ne s’appelle pas de la bonne eau, ça ! c’est doux comme sucre. Il remplit son arrosoir et retourne chez lui.

La femme n’eut pas plus tôt bu un peu de cette eau-là qu’elle dit à son mari : « Où as-tu pris cette eau-là, mon coco ? Comme c’est bon ! dis-moi où tu l’as trouvée ? — Ce n’est pas la peine de retourner en chercher ; c’est au loup, cette eau-là ! » La femme lui dit : « Qu’y faire ? Je suis forcée d’y aller, cette eau-là me plaît trop. »

Et la voilà qui s’en va. Elle arrive au bord de la rivière boit, boit, boit jusqu’à tomber. Le loup arrive, la voit, vient à elle et lui dit : « Pourquoi as-tu volé mon eau ? Maintenant je vais te manger ! — Non, Monsieur le loup ! ne me mangez pas ! C’est une envie que j’ai eue, car je suis enceinte. Non, Monsieur le loup ! ne me mangez pas ! — Alors, quand ton enfant aura quatre ans, il faut que tu me le donnes ! » La pauvre femme a si grand peur qu’elle dit oui. Le loup la laisse partir.

Aussitôt qu’elle fut de retour chez elle, la femme accoucha. C’était un joli petit garçon, mais malin, vous dis-je, malin ! Inutile d’en parler !

Lorsque le petit garçon eut quatre ans, le loup vient chez la mère et lui dit : « Eh bien, commère, me voici ! Je viens chercher l’enfant, où est-il ? — Il est à jouer dans la plaine. Monsieur le loup ; allez le chercher, je suis sûr que vous le trouverez. »

Quand Namcouticouti voit venir le loup, il dit à ses camarades : « Eh vous, les enfants ! écoutez-moi. Si le loup vous demande où est Namcouticouti, vous répondrez tous : C’est moi qui suis Namcouticouti ! » Le loup arrive et leur dit : « Mes enfants, dites-moi où est Namcouticouti ! » Tous les enfants crient : « C’est moi qui suis Namcouticouti, père loup ! c’est moi qui suis Namcouticouti ! » Le loup déconcerté retourne chez la mère de Namcouticouti et lui dit : « Eh vous ! croyez-vous vous moquer de moi ? Où est Namcouticouti ? — Mais, mon Dieu ! Monsieur le loup, je vous ai dit qu’il était dans la plaine, Monsieur le loup ! — Dans la plaine, il y a une troupe d’enfants ; je leur ai demandé qui était celui qui se nommait Namcouticouti, et ils m’ont tous répondu : « Moi, Monsieur le loup ! moi, Monsieur le loup ! moi, Monsieur le loup ! — Je suis sûre que c’est lui-même qui a inventé cette malice-là ; il est malin comme pas un. Mais écoutez-moi bien. Monsieur le loup : demain je lui donnerai son déjeûner dans le grenier ; vous vous cacherez dans un coin, vous l’attendrez, et je suis sûre que vous le prendrez. Mais voilà mon mari qui vient ; sauvez-vous de peur qu’il ne vous fasse du mal. » Le loup détale.

Le lendemain, de grand matin, le loup se cache dans le grenier. Vers six heures, la maman de Namcouticouti l’envoie chercher de l’eau à la rivière. Au bord de la rivière, Namcouticouti rencontre une vieille bonne femme qui lui dit ; «  Donne-moi un peu d’eau à boire, mon enfant. » Namcouticouti répond : « Bien sûr oui, bonne femme, je vous donnerai de l’eau, parce que vous êtes vieille et que je suis jeune. » Et Namcoucoutiti donne à boire à la vieille. Quand elle a bu, la bonne femme lui dit : « Puisque tu es un bon enfant, je ne veux pas que le loup te mange. Prends ma baguette de fée, elle te fera prendre la forme que tu voudras. »

Namcouticouti retourne à la maison ; sa mère lui dit : « Aujourd’hui tu iras déjeûner au grenier. — Bon, maman, comme vous vous voudrez ! Mettez mon assiette au grenier, j’irai manger là haut. »

Le loup veille, veille. Sur les onze heures environ, il voit une petite souris près de l’assiette, la souris prend un grain de riz. « Eh toi ! ne mange pas ce manger-là ; c’est le riz de Namcouticouti, ça. » Mais la souris va, vient, tourne, et grain à grain, elle finit l’assiettée de riz. Il était tard : quatre heures allaient sonner. Le loup commence à se fâcher. Il descend et crie à la femme : « Et vous ! vous m’avez encore menti ! Namcouticouti n’est pas venu dans le grenier, je n’ai vu qu’un petit rat. — Mais comment êtes-vous bête comme ça donc, Monsieur le loup ! C’était Namcouticouti lui-même, ce rat-là ! Mais écoutez-moi bien. Demain je lui mettrai un bonnet rouge : vous le trouverez dans la plaine, vous l’emporterez. » Mais pendant qu’ils causaient ainsi, il y avait un petit rat sous la chaise. Il écoutait, écoutait, puis il partit.

Le lendemain, de bon matin, la mère de Namcouticouti lui met un bonnet rouge. Namcouticouti arrive dans la plaine ; il coupe le bonnet par morceaux et il en donne un à tous ses camarades. Le loup arrive, il regarde, il voit tous les enfants avec du rouge sur la tête. Il est fou de colère. Il retourne chez la mère de Namcouticouti et lui crie : « Je vais vous manger, et tout à l’heure, vous êtes trop menteuse ! Vous n’avez pas d’enfant qui se nomme Namcouticouti ; vous vous êtes moquée de moi : je vais vous manger ! » La femme a peur et dit au loup : « Ne me mangez pas, Monsieur le loup ! C’est Namcouticouti qui vous a fait tous ces tours-là. Il est malin, mais je serai plus fine que lui ; écoutez-moi bien : demain je lui couperai les cheveux tout ras ; il couche toujours dans le lit de son père ; le soir je ferai semblant de fermer la porte, mais je ne ferai que la pousser ; vous entrerez dans l’obscurité, vous tâterez sa tête, vous le prendrez. » Le loup s’en va.

Le lendemain, pendant que la mère de Namcouticouti coupait ses cheveux, Namcouticouti se mit à réfléchir : « Mais pourquoi fait-elle donc de ma tête une brosse de coco ? » Il interroge sa baguette enchantée, la baguette répond. Namcouticouti va et vient dans la maison, il met la main sur les ciseaux de sa mère et les cache dans sa poche. Le soir, quand son père s’est endormi, Namcouticouti prend les ciseaux, coupe doucement les cheveux de son père et les jette sous le lit. Il avait eu bien juste le temps de finir quand il entend le loup entrer. Il se couche au bord du lit du côté de la muraille et fait semblant de ronfler fort comme une grande personne. Le loup vient, il tâte la tête du père de Namcouticouti, il l’emporte, le fait rôtir et le mange.

Le lendemain matin la mère de Namcouticouti l’aperçoit et s’étonne. « Mâtin ! se dit-elle, ce petit-là est malin même, oui ! il a encore trouvé le moyen de mettre dedans ce loup-là. » Mais en balayant la chambre, elle balaye les cheveux de son mari ; un soupçon lui vient, elle demande à Namcouticouti : « Namcouticouti, où est ton père ? » Namcouticouti détale et crie à sa mère : « Demande au loup. »

La femme entre en fureur, elle veut tuer Namcouticouti. Il file à toutes jambes, sa mère le poursuit. Il arrive au bord d’une grande rivière. « Comment vais-je faire, se dit-il, pour passer toute cette eau-là ? » Il voit sa mère qui arrive, et pense à sa baguette : le voilà qui se change en caillou. Sa mère vient et crie tout en colère : « Où es-tu ? où es-tu ? » Elle voit soudain les feuilles de songe remuer sur l’autre bord de la rivière, et croit que c’est Namcouticouti. Elle se baisse, ramasse le caillou et le jette dans les songes de l’autre côté de la rivière. Namcouticouti reprend sa forme humaine. Il rit et dit à sa mère : « Grand merci, maman, c’est vous-même qui m’avez sauvé la vie. »

Puis il s’en va et disparaît.

Depuis ce jour, jamais plus je ne l’ai revu. [1]


  1. C’est un des plus répandus de nos contes ; nous en avons quatre rédactions sous des titres différents. Ce n’est pourtant, à y regarder de près, qu’une adaptation, mais des mieux réussies ; assimilation serait mieux dit. Ce qui nous appartient bien en propre, semble-t-il, c’est l’amour filial et l’amour maternel de ce fils et de cette mère. D’autres littératures voudraient voir là deux monstres ; nous savons nous garder de prendre les choses au tragique : la mère veut à toute force que Loulou mange son fils, le fils s’en tire en faisant manger monsieur son père, et cette substitution lui inspire une douce gaité : on est spirituel.