Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire du lièvre, de l’éléphant et de la baleine

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Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 26-33).

III

HISTOIRE DU LIÈVRE
DE L’ÉLÉPHANT ET DE LA BALEINE

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Un jour compère le lièvre se promenait. Il arrive au bord de la mer, et tandis qu’il contemple la grande eau, il voit passer la baleine. Tout lièvre qu’il est, il ne peut s’empêcher de s’étonner de la trouver si grosse : « Maman ! quel animal énorme ! » Il crie à la baleine : « Hé ! hé vous ! approchez un peu : j’ai deux mots à vous dire. »

La baleine s’approche du bord, le lièvre lui dit : — Certes, vous êtes grosse ! Mais ce n’est pas la taille qui fait la force, ce sont les nerfs qui font la force. Je suis tout petit, n’est-ce pas ? Eh bien, voulez-vous parier que je suis plus fort que vous ?

La baleine le regarde et se met à rire. Le lièvre lui dit :

— Écoutez. Je vais aller chercher une grosse corde. Vous en attacherez un bout à votre queue, j’attacherai l’autre autour de mes reins. Chacun tirera de son côté. Gageons que je vous mettrai à sec sur le rivage !

— Allez chercher votre corde, mon petit ; nous verrons.

Le lièvre quitte la baleine. Il va dans la forêt trouver l’éléphant et lui dit :

— Tête énorme, toute petite queue ! Jamais les gens taillés de la sorte ne sauraient être vraiment forts. Je suis tout petit, mais si nous luttions ensemble, parions que j’aurais le dessus et te forcerais à lâcher prise ?

L’éléphant regarde le lièvre et se met à rire. Le lièvre lui dit :

— Écoute. Je vais aller chercher une grosse corde. Tu en attacheras un bout autour de tes reins, moi l’autre autour des miens. Chacun tirera de son côté. Parions que je t’entraînerai comme un petit poisson au bout d’une ligne !

— Va chercher ta corde, mon camarade ; nous verrons.

Le lièvre va chercher une corde énorme. Il en donne un bout à la baleine et lui dit : « Attachez bien serré. Quand je vous crierai me voilà prêt, tirez ! Nous tirerons tous deux en même temps. »

La baleine attache la corde autour de sa queue, et attend.

Le lièvre porte l’autre bout de la corde à l’éléphant et lui dit : « Attache bien serré. Tout à l’heure je te crierai que je suis prêt, alors chacun de nous tirera de son côté. »

L’éléphant attache la corde autour de ses reins et attend.

Le lièvre va se blottir dans les broussailles. Il crie soudain : « J’y suis, tirez ! » La baleine tire de son côté, l’éléphant tire du sien. La corde se raidit comme une corde de boyau sur un violon. Ils y mettent tout ce qu’ils ont de force ; aucun des deux ne peut ébranler l’autre, ils tirent ! ils tirent ! Plack !  !  ! la corde casse. L’éléphant manque des quatre pieds et roule ; la baleine va donner dans le corail et se blesse. Le lièvre arrive à l’éléphant : « Aïo, mon camarade ! tu as eu du mal, peut-être ! Mais pourquoi aussi vouloir jouer avec plus fort que toi ! » L’éléphant ne trouve pas un mot à répondre. Le lièvre arrive à la baleine au bord de la mer, il voit l’eau rougie par le sang de la baleine, et lui crie : « Je regrette que vous soyez blessée ; vous vous êtes fait du mal, et j’en ai du chagrin, mais pourquoi aussi vous enorgueillir de ce que vous êtes grosse comme un navire ! c’est bête, l’orgueil ! » La baleine reste muette, qu’aurait-elle répondu ?

C’est ainsi que l’éléphant et la baleine furent obligés de croire que le lièvre est plus fort qu’eux. [1]


  1. C’est une des fables où triomphe le lièvre, le lièvre-renard tel que notre préface l’a présenté au lecteur. Sa ruse, ici du moins, reste plus spirituelle que méchante.