Le Folk-lore de l’Île-Maurice (Texte créole)/Histoire de bonhomme Francœur
ZISTOIRE BONHOMME FLANQUÈRE
Ti éna éne bonhomme appelé bonhomme Flanquère. Bonhomme Flanquère ti éna éne vace. A force vace là maigue, éne zour vace là mort. Bonhomme Flanquère corce li, tire so lapeau, méte sec.
Lhére lapeau fine sec, bonhomme prend lapeau là, méte li làhaut so latéte, aile vende li. Bonhomme rente lacase doumounde, rente tous laboutiques ; personne napas voulé acéte lapeau là.
Coment bonhomme Flanquère marcé, marcé, li arrive dans grandbois. Lazambe lassé à force pile cimin, li assise embas éne pied zarbe.
Dans son posé là, avlà li tende placata, placata; té éne bande quarante voleirs qui té vine
arrivaient à cheval. Le bonhomme a peur qu’ils ne l’aperçoivent, et monte dans l’arbre avec sa peau de vache.
Les voleurs arrivent, arrêtent leurs chevaux et s’asseoient au pied de l’arbre même où Francœur est monté.
Ils tirent tous de leur poche l’argent qu’ils ont volé, et le mettent en tas pour faire le partage.
Quand le bonhomme voit ce monceau d’or et d’argent, il en a des éblouissements. Ses mains tremblent, la peau de vache s’échappe. La peau était sèche : badabam, bam ! la peau tombe au milieu des voleurs. Les voleurs ne savent pas ce que c’est ; ils lâchent l’argent, sautent sur leurs chevaux et piquent des deux. Francœur descend, fait main basse sur l’argent et l’emporte chez lui.
Francœur achète une belle voiture et deux chevaux. Il va au bazar, achète un sou de légumes et donne un louis. Le marchand lui donne le reste de sa pièce, il refuse de le prendre.
Le domestique du roi, qui a vu la chose, retourne chez son maître et lui dit :
— Je viens de rencontrer le bonhomme Francœur au bazar ; il a acheté pour un sou de légumes et a donné un louis. Quand le marchand lui a rendu sa monnaie, il n’a pas voulu la reprendre. làhaut çouvals. Bonhomme peir zaute trouve li : li monte dans pied zarbe av so lapeau vace.
Voleirs vini, arrête çouvals, assise ziste cnbas pied à cote bonhomme Flanquère té monté.
Zaute tous tire dans poce larzent zaute fine volor ; zaute méte en tas pour faire lapartaze.
Coment bonhomme Flanquère trouve ça bande larzent là, son lizié manimani. So lamain tremblé, li largue lapeau vace. Lapeau sec : badabam, bam ! lapeau tombe dans milié voleirs. Voleirs napas coné qui çiça ; zaute largue larzent, saute lahaut couvai, piqué. Flanquère dicendé, pèse larzent, amène dans so lacase.
Flanquère acéte éne belbel calèce av dé couvais. Li aile bazar, li acéte éne cace léguimes, li donne cinque piasses. Lhére rende li lamonaie, li napas oulé prend.
Domestique léroi trouve ça, li tourne lacase so maite, li dire léroi :
— Mo trouve bonhomme Flanquère bazar; li acéte éne cace léguimes, li donne cinque piasses ; coment marçand rende li so restant lamonaie, li napas vlé prend.
Le roi est étonné.
— Allez me chercher le bonhomme Francœur ; amenez-le-moi.
Francœur vient, le roi lui demande :
— Mais où donc as-tu trouvé tout cet argent-là ?
Francœur lui dit :
— J’avais une vache, ma vache est morte. Je l’ai écorchée et j’ai mis sa peau à sécher. Quand la peau a été bien sèche, je l’ai vendue. Voilà comme j’ai eu beaucoup d’argent.
Voilà le roi jaloux. Il se dit : « Mais moi qui ai d’immenses troupeaux de bœufs, si je les fais tuer pour vendre les peaux, j’aurai certainement plus d’argent que Francœur. »
Le roi fait tuer tous ses bœufs, on les écorche, on met les peaux à sécher. Puis il fait charger les peaux sur une charrette et les envoie vendre. Personne n’en veut. La charrette roule, roule tant et tant que les peaux pourrissent et qu’on est obligé de les jeter tant elles puent.
Le roi en colère court chez Francœur. Lorsque Francœur voit de loin le roi qui arrive, il met vite une marmite de soupe sur un grand feu. Quand la marmite bout bien fort, il la tire du feu et la pose au milieu du grand chemin. La
Léroi tonné :
— Aile çace moi bonhomme Flanquère, amène li ici.
Lhére Flanquère fine vini, léroi dimande li comme ça :
— Mais, acote to fine gagne tout ça larzent là, donc ?
Flanquère dire li :
— Mo té gagne éne vace ; vace là fine mort ; mo corce li, mo méte so lapeau sec; lhére lapeau là bien sec, mo vende li : ça même mo fine gagne bonbon morceau larzent.
Léroi blizé bavé. Li maziné : « Mais moi qui gagne grandgrand troupeau beifs, quand mo touye zaute pour vende zaute lapeau, mo va gagne plis boucoup larzent qui Flanquère. »
Léroi faire touye tout so beifs, li faire tire tout lapeau, li mette lapeau sec, li çarze lapeau sec lahaut çarette, li envoyé vende. Personne napas voulé aceté. Çarette roulé, çarette roulé, lapeau pourri, blizé zété à force li pie.
Léroi en colère, couri lacase Flanquère.
Coment Flanquère trouve léroi vini dans loinloin, li mette vitement éne marmite lasoupe lahaut grand difé. Lhére marmite bien bouï, li tire li lahaut difé, li mette li dans miliè grand cimin.
marmite bout. Francœur saisit son fouet et assomme la marmite. La marmite bout.
Le roi arrive. Il regarde et dit à Francœur :
— Mais, que fais-tu donc là ?
— Mon roi, je fais bouillir ma soupe.
— C’est là ta manière de faire bouillir la soupe ?
— Mais oui, mon roi. Pourquoi faire du bois ? Voyez vous-même, de vos yeux, si l’eau ne saute pas dans la marmite ?
Dès que le roi est de retour chez lui, il appelle son cuisinier.
— Apporte ta marmite ; mets dedans tout ce qu’il faut pour la soupe.
Le cuisinier revient.
— Maintenant, pose la marmite au milieu du chemin ; prends ton fouet, assomme la marmite, et la soupe bouillira.
Le cuisinier assomme la marmite ; la marmite ne bout pas.
— Mais plus fort donc ! Tape plus dur ! Assomme-la !
Le cuisinier se dresse de toute sa hauteur ; le fouet ronfle, la marmite culbute et toute la soupe froide avec.
Le roi est furieux. Il envoie quatre gardes de la police empoigner Francœur. Les gardes le Marmite bouï. Flanquère pèse so fouète, assomme marmite. Marmite bouï.
Léroi vini, li guété, li guétc; li dire Flanquère :
— Mais qui to après faire là, donc ? Flanquère dire li :
— Mo roi, mo après bouï mo lasoupe.
— Ça même to magnière bouï to lasoupe ?
— Ça même, mo roi ! Guéte dans vous liziés sipas dileau là napas saute sauté dans marmite ?
Lhére léroi fine tourne dans so lacase, li appelé so cousinier :
— Amène marmite et mette làdans tout quiçose qui bisoin pour lasoupe.
Cousinier vini.
— Açthère, pose marmite dans milié cimin, pèse fouéte, assomme marmite : la soupe va bouï .
Cousinier assomme marmite ; marmite napas bouï.
— Mais plis fort, donc ! Ronflé ! ronflé même ! Cousinier levé, fouéie ronflé, marmite çaviré :
tout lasoupe dans laterre.
Léroi en colère. Li envoye quate gardes police tchiombô Flanquère. Gardes pèse Flanquère,
prennent, le fourrent dans un sac de goni et l’emportent.
Le sac était un peu bien lourd. En passant devant une boutique les gardes se sentent fatigués. Tous ces porte-bâton de la reine sont mous comme tripes, c’est connu. Soudain le plus veule des quatre dit à ses camarades :
— Eh vous ! il faut boire un coup : ce sac-là est d’un lourd !
Ils posent le sac au bord du chemin et entrent à la boutique.
Le bonhomme Francœur, dans son sac, écoute, écoute. Il entend venir quelqu’un : c’était un berger qui conduisait trois cents moutons. Quand le berger est proche, Francœur, dans son sac, commence à se lamenter.
— Ah ! mon Dieu ! que vais-je faire ? Qui viendra à mon secours ? Le roi veut que j’épouse sa fille ; il m’a fait arrêter et mettre dans ce sac. Mais je suis vieux et la princesse est jeune. C’est quand l’eau bout qu’on y met les brèdes, et il y a beau temps que mon eau n’est plus chaude ! Qui me viendra en aide ? Qui prendra ma place ?
Le berger l’entend, il lui dit :
— Eh vous, bonhomme ! Si vous voulez, je prendrai votre place.
— Grand merci, mon noir ! le bon Dieu vous bénira ! Dénouez le sac. bourre li dans éne sac gouni, enméné.
Sac là té lourde, oui! Coment zaute passe divant éne laboutique, gardes lassé. Zense lapolice là, zense latripe, mo dire vous ! Ene coup là ça qui plis faye cien dire av camerades : « Hé zautes ! anons casse éne coup : sac là li lourde, oui ! » Zaute pose sac dans bord cimin, zaute rente laboutique ; çaquéne pour paye so tournée.
Bonhomme Flanquère dans sac coûté, coûté. Avlà li tende doumoune vini : té éne gardien moutons sembe trois cents moutons. Cornent gardien là fine arrive proce, Flanquère commence plaigne dans sac : « Ah ! Bondié ! qui mo va faire? qui va soulaze moi? Léroi voulé mo marié so fille, tchiombô moi, mette moi dans ça sac là. Mais moi éne vie doumounde, so fille léroi zène zène. Quand dileau bouï qui mette brèdes; longtemps mo dileau fine frais ! Qui va soulaze moi ? Qui va prend mo place ! »
Gardien moutons tende ça, li dire Flanquère :
— Eh vous, bonhomme, quand vous content mo va prend vous place.
— Grand merci, monoir! Bondié va soulaze vous. Largue sac.
Le sac est ouvert, Francœur sort. Il met le berger à sa place, il attache le sac, fait de bons nœuds, prend le troupeau de moutons, et s’en va.
Les gardes sortent de la boutique et reprennent le sac.
— Eh vous ! Vraiment, on dirait que ce sac est moins lourd.
— C’est notre coup de sec qui nous a donné plus de force !
Ils arrivent à la maison du roi, et le roi dit :
— Attachez une grosse pierre à ce sac et jetez-le dans le bassin.
Deux ou trois jours s’écoulent. Voilà Francœur qui passe devant le palais du roi avec ses trois cents moutons. Le domestique du roi l’aperçoit ; il court, et dit au roi :
— Mon roi, mon roi ! voilà le bonhomme Francœur qui passe ! Regardez-le avec son troupeau de moutons !
Le roi fait arrêter Francœur ; il lui demande où il a eu tant de moutons.
— Dans le bassin, mon roi. Grand merci à vous de m’avoir fait jeter dedans. Quand j’aurai vendu les trois cents que voici, je retournerai en chercher d’autres.
Le roi dit :
— Tout de bon ! Eh bien, mettez-moi dans un sac, jetez-moi dans le bassin ! Sac largué, Flanquère sourti. Li mette gardien moutons dans so place, 11 amarre sac, li prend troupeau moutons, li allé.
Avlà gardes police sourti laboutique, zautc levé sac.
— Et vous ! coment dire sac là moins lourde, oui !
— Name cannes av nous, ça même qui donne nous lafôrce.
Lhére zaute fine arrive lacase léroi, léroi dire :
— Amarre énc gros roce av ça sac là, zette dans bassin.
Sipas dé trois zours passe. Avlà Flanquère passe divant laporte léroi sembe so trois cents moutons. Domestique léroi trouve li, li galpé, li dire léroi :
— Mon roi, mon roi ! alà bonhomme Flanquère passé ! Guette li av so bande moutons !
Léroi faire arrête Flanquère ; li dimande li acote li fine gagne tout ça moutons là.
— Dans bassin, mon roi ! Grand merci vous une zette moi làdans ; lhére mo va fini vende ça trois cents là, mo va aile çace lautes.
Léroi dire :
— Tout de bon ! Eh ben, mette moi dans sac, zette moi dans bassin !
On met le roi dans un sac de goni, on le jette dans le bassin. L’eau s’ouvre, fait de grands ronds, le sac coule.
Francœur au bord du bassin se met à danser un séga et il chante :
« Moutons ne sont pas cabot,
Mon roi !
Moutons ne sont pas cabots. »
Et Francœur retourne chez lui en riant. [1]
Mette léroi dans sac, zette li dans bassin. Dileau ouvert, faire grand lérond, sac coulé.
Flanquère dans bord bassin pique éne séga, li çanté :
« Moutons napas cabots,
Mon roi !
Moutons napas cabots. »
Flanquère tourne so lacase ; li rié.
- ↑ L’invention est toute française, mais l’exécution bien créole. Force détails absolument nôtres : ce sont bien des constables de notre pays que les gardes qui transportent Francœur dans le sac, et le séga final au bord du bassin ne se danse, ou plutôt ne se dansait ainsi, qu’à Maurice.