Le Foyer et les Champs/Médaille et revers

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Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 25-27).

Médaille et Revers.

Comme dans les étangs assoupis sous les bois
Dans plus d’une âme on voit deux choses à la fois.
V. Hugo (rayons et ombres).


Oh ! qu’ils étaient gentils dans leur joie enfantine
Tenant d’une main rose une grosse tartine
De pain blanc, que le père en suant leur gagnait ;
Et leur marche, qu’un chant rustique accompagnait,
Se prolongeait, joyeuse, à l’ombre du feuillage.
Mais ces chérubins blonds mettaient tout au pillage :
Dès qu’un insecte, ouvrant ses ailes d’or, passait,
Qu’une abeille au soleil étalait son corset,
Ou qu’un papillon blanc, dont le printemps s’égaye,
Comme une fleur qui vole, enrichissait la haie,
Ils jetaient des cailloux pour effrayer son vol.
Si, parmi les rameaux, le chant du rossignol

S’épandait, comme un son langoureux de guitare,
Ils troublaient le concert par un sifflet barbare.
Leur seul aspect faisait enfuir les moucherons
Qui s’abritaient, craintifs, dans le creux des vieux troncs ;
Et la fleur, sur laquelle un doux souffle voltige,
Quand ils étaient passés, gisait près de sa tige.
Ils couraient, s’enivrant de meurtre et de butin ;
Et, plus ils faisaient mal, plus leur rire argentin,
Comme une moquerie, éclatait sur la route.
Soudain l’un d’eux s’élance à la prairie, où broute
Un troupeau de moutons que garde un vieux berger.
Sur l’écorce d’un chêne il pose un pied léger,
S’attache comme un lierre au bout de chaque branche,
Grimpe comme un chat ; puis, haletant, il se penche
Et jette aux compagnons rangés sous l’arbre… un nid
Que la bande joyeuse, en chantant, dégarnit.

Cruels enfants ! de prendre à l’oiseau sa couvée,
Que du cœur et de l’aile il n’a pas préservée !
Que dirait votre mère en pleurs si des méchants
Arrachaient de ses bras ceux qu’ont bercés ses chants ?

La dureté pourtant n’est qu’une ombre à leur âme.

À peine avaient-ils fait cette action infâme,
Et partagé les œufs du nid ensanglanté,
Que voyant un vieillard aveugle et tout voûté,
En haillons, contre un mur couché comme un homme ivre,
Ne pouvant plus porter son fardeau, ni poursuivre

Son chemin douloureux, ils coururent vers lui
Pour qu’il se relevât, grâce à leur tendre appui.
Alors chacun s’empresse, et chacun d’eux s’obstine
À donner au vieillard un morceau de tartine,
À lui prendre la main froide, en l’encourageant,
À toucher ses cheveux que l’âge a faits d’argent,
À porter son fardeau dont leurs mains sont avides.
Et l’aveugle sentait des pleurs dans ses yeux vides,
Et marchait rajeuni dans ce groupe d’enfants
Dont il aurait voulu voir les fronts triomphants !

Ainsi l’enfance est douce ; et souvent au jeune âge
Plus que chez l’homme c’est la bonté qui surnage.