Le Galant doublé/Acte II

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Le Galant doublé
Poèmes dramatiquesBordeletTome 3 (p. 21-38).
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ACTE II



Scène I.

D. DIÉGUE, ISABELLE, BÉATRIX.
D. DIÉGUE.

N’en soyez point surprise, ô charmante Isabelle,
D’un bruit sourd & confus j’en ai sû la nouvelle ;
Et comme rien pour moi ne peut être plus doux,
Je m’en suis crû devoir expliquer avec vous.
Excusez pour un fils ma tendresse de pere,
Je sai que Dom Félix s’étudie à vous plaire ;
Et j’aurai grande joie à le voir sous vos loix,
S’il a su mériter l’honneur de votre choix.
Vous connoissez mon bien, vous savez ma famille,
L’amitié semble étroite entre vous & ma fille ;
Et pour elle & pour moi je le tiendrois heureux
Que l’alliance encore en redoublât les nœuds.

ISABELLE.

Cet hymen proposé me fait voir tant d’estime,
Que l’espoir m’en paroît à peine légitime.
Je ne célerai point que ce peu de beauté
M’acquiert de Dom Félix quelque civilité,
Mais, Monsieur, un dessein d’une telle importance,
Avant qu’aller plus loin, vaut bien que l’on y pense ;
Et quoi qu’aucun n’ait droit de contraindre ma foi,
Je dois en consulter de plus sages que moi.
Je sai de leur conseil ce que je puis attendre ;
Et c’est de Léonor que je le voudrois prendre,
Si, comme elle est sa sœur, les intérêts du sang,
Auprès de l’amitié, n’étoient d’un autre rang.

D. DIÉGUE.

D’un si fâcheux délai quelle que soit la suite,
Je ne puis qu’admirer votre sage conduite ;
Et, si vos sentiments se déclarent pour nous,
J’emploierai Léonor à les savoir de vous.
L’Époux qu’elle attendoit, arrivé de Séville,
Va déjà commencer la joie en ma famille ;
Et comblant d’heur un fils qui se sent captiver,
C’est votre seul aveu qui la peut achever.
Le ciel daigne en hâter l’heureuse certitude.



Scène II.

ISABELLE, BÉATRIX.
BÉATRIX.

Ce choix vous va causer un peu d’inquiétude ?
Si Dom Félix fait voir son amour par ses soins,
Dom Dionis pour vous n’en témoigne pas moins ;
Votre cœur doit parler c’est à vous de l’entendre.

ISABELLE.

En se déférant trop, il craint de se méprendre.
Ces soupirans d’office, en tous lieux si chéris,
Sont d’aimables amans, mais de fâcheux maris ;
En vain la plus parfaite aura touché leur ame,
S’ils l’adorent maîtresse, ils la méprisent femme,
Et leurs vœux attachés à de nouveaux appas,
Dédaignent ce qu’ils ont pour tout ce qu’ils n’ont pas.
Voilà ce qui suspend tout ce que je propose.

BÉATRIX.

De vrai, le mariage est une étrange chose ;
Et qui s’en peut louer, pour en bien discourir,
Au métier de forçat n’auroit guère à souffrir.
La chaîne en est, dit-on, si rude & si pesante,
Que, qui n’en gémit point, a l’ame bien constante ;

Et quand il faut choisir, jeune, galant fleuri,
Adroit, aimable, beau, c’est toujours un mari.
On est bien empêché comme on s’y doit conduire,
Trop de précaution souvent ne fait que nuire ;
En vain pour mieux échoir on y fait cent façons,
Puisque enfin les meilleurs ne sont jamais trop bons.
Sans qu’un semblable choix nous chagrine d’avance,
Il faut jeter les dés au hazard de la chance,
Et dire en risquant tout, puisque enfin on le veut,
Dieu nous la donne bonne, & vienne ce qui peut.

ISABELLE.

C’est en dire un peu trop.

BÉATRIX.

C’est en dire un peu trop.Ce n’est point satire,
Madame, croyez-moi, l’on n’en sauroit trop dire.
Il est de ces rêveurs, il est de ces jaloux,
Qui se font plus de mal qu’ils n’en craignent de nous.
Qu’une femme s’échappe à voir un peu le monde,
Leur chagrin en murmure, & leur dépit en gronde,
Et dans leur rêverie à rendre un esprit fou,
L’on n’est sage jamais si l’on n’est loup-garou.
Pour moi qui ne suis pas d’humeur trop endurante,
Si jamais un mari l’assemblage me tente,
Le contrat d’union, dans mon petit calcul,
Aura plus d’une clause, ou demeurera nul.
Il me sera permis de danser & de rire,
Je verrai mes amis sans qu’il y trouve à dire,
Et saurai le réduire à ne rien redouter
De toutes les douceurs qu’on me viendra conter.

ISABELLE.

Tu crois qu’il tiendra tout ?

BÉATRIX.

Tu crois qu’il tiendra tout ?Et bien, quitte à se battre.
Si j’enrage une fois il enragera quatre ;
Et me mettant au pis, je sais qu’il trouvera
Plus de fâcheux momens qu’il ne m’en donnera.
Après tout, le meilleur est de vivre sans maître.

ISABELLE.

C’est un état heureux, & je le sai connoître ;
Mais de quelque douceur qu’il flatte nos esprits,
Le nom de vieille fille est un nom de mépris.

BÉATRIX.

Aussi, ce qui doit bien refroidir notre envie,
Quand on est marié, c’est pour toute sa vie ;
Et pour qui s’en repent, à vous parler sans fard,
L’espoir de se voir veuve est un triste hazard.
Cette faveur du Ciel est toujours trop tardive,
Nos beaux jours sont passés quand ce grand jour arrive ;
Et le plus souvent même, abusant nos souhaits,
Il nous rit, il nous flatte, & n’arrive jamais.
Mais pour vos deux amans, quel dessein est le vôtre ?
Vous sentez-vous égale, & pour l’un & pour l’autre ?

ISABELLE.

Le choix, à dire vrai, n’est pas facile entr’eux,
Je tiens l’un plus galant, l’autre plus amoureux.
D’abord Dom Dionis, en m’expliquant sa flamme,
Éblouit ma raison, charma toute mon ame ;
Mais, si j’en juge bien, je lui vois chaque jour
Plus de galanterie avecque moins d’amour.
De cette passion il n’a que l’habitude,
Il en prends les dehors, soupire par étude ;
Et je croi, quand il tâche à lui donner crédit,
Que son cœur ne sait rien de tout ce qu’il me dit.

BÉATRIX.

Dom Félix pourra donc emporter la balance ?

ISABELLE.

Si son feu brille moins, j’y crois plus de constance ;
Et je tiens qu’à l’hymen un esprit arrêté,
Doit moins chercher l’éclat que la solidité.

BÉATRIX.

Pourquoi permettre donc que son rival vous voie ?

ISABELLE.

Pour juger mieux encor ce qu’il faut que j’en croie ;

Et c’est pour me pouvoir expliquer avec lui,
Qu’il avoit eû de moi rendez-vous aujourd’hui.
Tu sais que Léonor a rompu la partie.

BÉATRIX.

Ma foi, je n’aurois point péché par modestie,
Sa visite à demain eût reçu le renvoi ;
On doit à ses amis, quand on a fait pour soi.

ISABELLE.

Léonor seule ici me priant de l’attendre,
C’est le moins, Béatrix, que je pouvois lui rendre ;
Mais je la vois entrer.



Scène III.

LÉONOR, ISABELLE, BÉATRIX.
LÉONOR.

Mais je la vois entrer.J’en use librement.

ISABELLE.

Songez que l’amitié défend le compliment ;
Et qu’enfin, vous servir fait ma plus forte envie.

LÉONOR.

Je viens vous confier le secret de ma vie,
Et sai trop que pour fuir le malheur que je crains,
Je ne pourrois le mettre en de plus sûres mains.
Vous avez déjà sû que mon pere à Séville
Ne crut pas avoir fait un voyage inutile,
Puisque là, pour époux, à son retour, j’appris
Qu’il m’avoit sû choisir Dom Fernand de Solis.
Ignorant jusques-là ce que c’est qu’être amante,
Je tins cette nouvelle assez indifférente ;
Et mon cœur libre encor, n’étant point prévenu,
Souscrivit sans murmure au choix d’un inconnu ;

Mais, dans cet intervalle, usant de sa puissance,
L’amour s’est bien vengé de mon indifférence.
Un autre Dom Fernand pour troubler mon repos…

ISABELLE.

Un autre, dites-vous ?

LÉONOR.

Un autre, dites-vous ?Dom Fernand d’Avalos.
Un procès qu’à la cour il est venu poursuivre,
L’a tiré de Grenade où le ciel le fait vivre ;
Et mes sens en lui seul se sont sentis flattés
De tout ce qu’on peut voir d’aimables qualités.
Sans savoir ce qu’en moi sa rencontre fit naître,
Vous savez l’accident qui me le fit connoître,
Un jour qu’au bord du fleuve, où j’osai m’engager,
Mes chevaux s’emportant m’eussent mise en danger,
Si soudain à leur fougue opposant son courage,
Il n’eût sû m’épargner ce genre de naufrage.
Je ne vous ferai point de récits superflus,
Je le vis, il me plût, il me vit, je lui plûs.
Une pareille ardeur dans nos cœurs sembla naître ;
Mais, quelque effort alors qu’il fît pour me connoître,
Malgré ce grand service il ne put rien savoir,
Sinon qu’en ce lieu même il pourroit me revoir.
Ainsi, dès ce moment, contre toute apparence,
Mon amour commença par la reconnoissance ;
Et sans cesse mon cœur, par de secrets discours,
S’entretient du péril pour songer au secours.
J’aimois à me tenir cette image présente,
J’évitois d’être ingrate, & me rendois amante ;
Et pour me livrer mieux aux transports que je sens,
L’Amour se prévaloit de l’erreur de mes sens.

ISABELLE

Mais engagée enfin à l’hymen par un pere,
Qu’est-ce dans cet amour que votre cœur espere ?

LÉONOR.

Tout, si d’un si beau feu l’impérieuse loi
Peut attendre de lui ce qu’elle obtient de moi,

C’est par ce seul motif qu’il m’a vûe obstinée
À lui taire & mon nom & de qui je suis née ;
Et qu’à le voir souvent ayant sû m’obliger,
Avant qu’il me connût j’ai voulu l’engager.
L’amour, dont on sait trop jusqu’où les droits s’étendent,
Est toujours favorable à deux cœurs qui s’entendent ;
Et pour rompre un hymen qui confond mon espoir,
Pourvû qu’on l’en consulte, il a trop de pouvoir.

ISABELLE.

Mais l’époux arrivé, que pouvez-vous prétendre ?

LÉONOR.

C’est ce qu’à Dom Fernand j’ai résolu d’apprendre ;
Et, pour lui découvrir cet important souci,
Jacinte, qui l’attend, va l’amener ici.
Je m’en suis crû chez vous la liberté permise.

ISABELLE.

Il n’est rien qu’avec moi l’amitié n’autorise.

LÉONOR.

Le logis de derriere ouvre en un lieu désert,
Par où le faire entrer sans qu’il soit découvert ;
Jacinte en est instruite, & sait ce qu’il faut taire.

ISABELLE.

Cette précaution étoit peu nécessaire ;
Qui vit comme je fais, sans détour, sans façon,
Brave la médisance, & craint peu le soupçon.
Mais enfin, aujourd’hui vous lui voulez tout dire ?

LÉONOR.

Non, mais ce seul hymen dont mon amour soupire ;
Et par ses sentimens prendre droit de juger
Jusqu’où, pour y répondre, il me doit engager.

ISABELLE.

Souvent un beau dehors a l’art de nous séduire.

LÉONOR.

Aussi, par vos conseils je cherche à me conduire ;
Et ce qu’il veut savoir ne lui sera connu,
Qu’après que vous l’aurez vous-même entretenu.

Vous sonderez son cœur, étudierez son ame ;
Et j’éteindrai par vous, ou nourrirai ma flamme.



Scène IV.

LÉONOR, ISABELLE, JACINTE, BÉATRIX.
JACINTE.

Madame.

LÉONOR.

Madame.Hé bien, Jacinte ?

JACINTE.

Madame.Hé bien, Jacinte ?Il attend pour entrer.

LÉONOR.

Qu’il vienne.

ISABELLE.

Qu’il vienne.Il ne faut pas dès l’abord me montrer ;
Dans l’aise qu’il aura du dessein que vous faites,
Ses premieres douceurs doivent être secrettes ;
Quand à vous seconder vous aurez sû le sien,
Je ne refuse pas d’être de l’entretien.
Vien, Beatrix.

LÉONOR.

Vien, Beatrix.Enfin, c’est en vous que j’espere.

BÉATRIX.

Ma foi, pour un amant voilà bien du mystere ;
Je m’inquiéte moins de m’en voir mille & plus,
J’en tiens papier exact, & je dors là-dessus.



Scène V.

LÉONOR, DOM FERNAND, JACINTE.
JACINTE.

Entrez, on vous attend.

D. FERNAND.

Entrez, on vous attend.Madame, quelle grace !
Et pour la mériter que faut-il que je fasse ?
Accorder tant de gloire à mon ardent amour !

LÉONOR.

Enfin, à le prouver le ciel vous offre jour.
S’il est tel que mes yeux semblent l’avoir fait naître,
C’est à vous, Dom Fernand, à le faire paroître.
Le temps presse, du sort je crains les derniers coups ;
Et, si vous n’agissez, je ne puis être à vous.

D. FERNAND.

Ah ! Si de ce malheur je puis rompre l’atteinte,
J’ai lieu de m’offenser de votre injuste crainte ;
Et quand les coups du sort peuvent être forcés,
Qui peut douter de moi ne peut m’aimer assez.
Que pour m’ôter à vous la terre conjurée
Tienne à mon cœur charmé la guerre déclarée,
Pour en favoriser les violens desseins
Le seul aveu du vôtre est tout ce que je crains.

LÉONOR.

On ne l’aura jamais, & quoi que je hazarde,
Les effets feront voir quelle foi je vous garde ;
Et qu’il n’est rien pour vous que j’ose négliger,
Quand sous les loix d’un autre on me veut engager.
Oui, pour vous découvrir ce que j’ai dû vous taire,
Apprenez, Dom Fernand, que je dépens d’un pere,
Qui, sans m’en consulter, de mon repos jaloux,
A voulu par ses yeux me choisir un époux.

Cet hymen arrêté rend ma disgrace extrême,
Mais je vous dois la vie enfin, & je vous aime ;
Et vois avec plaisir que mon cœur, en ce jour,
Ne peut fuir d’être ingrat, sans servir mon amour.

D. FERNAND.

Frappé, trop vivement, de ce grand coup de foudre,
Le mien s’étonne, tremble, & ne sait que résoudre ;
Mais enfin, je sai bien que mon cruel ennui
Ne redoublera point par le bonheur d’autrui.
Quelque époux qu’à choisir le devoir vous convie,
Il n’aura point ce nom que je ne sois sans vie ;
Et même avant ce coup, s’il me doit accabler,
Plus d’un rival, peut-être, aura lieu de trembler.

LÉONOR.

Quoi qu’il nous faille ici conduire avec prudence,
J’aime dans votre amour un peu de violence ;
Et, si j’en dois calmer les transports furieux,
Je ne saurois haïr ce qui le prouve mieux.

D. FERNAND.

Mais votre nom, enfin ? Faites que je le sache.

LÉONOR.

Quelque raison encor veut que je vous le cache.

D. FERNAND.

La réserve en est vaine à qui doit présumer
Que, sachant son logis, je puis m’en informer.

LÉONOR.

Dans un logis d’amie on a sû vous conduire,
De mon engagement j’ai crû devoir l’instruire ;
Et, si son avis est qu’on ne vous cache rien,
Peut-être, dès ce soir, vous me verrez au mien.

D. FERNAND.

Ainsi donc mon bonheur ne dépend plus que d’elle !

LÉONOR.

Je l’en croirai.
Je l’en croirai.[à Jacinte.]
Je l’en croirai.Va vite avertir Isabelle.



Scène VI.

LÉONOR, DOM FERNAND.
D. Fernand bas.

Juste ciel, Isabelle ! Ai-je bien entendu ?
Si c’est celle qui m’aime, enfin je suis perdu.
Ô d’un jaloux destin attaques imprévûes !
Sa maison peut répondre à deux diverses rues ;
C’est ici son quartier.

LÉONOR.

C’est ici son quartier.Que dites-vous tout bas ?

D. FERNAND.

Je me plains d’un malheur que je n’attendois pas.

LÉONOR.

Votre amour y rencontre un péril dont je tremble.

D. FERNAND.

Madame, il est encor plus grand qu’il ne vous semble.

LÉONOR.

Des conseils d’Isabelle espérons quelque fruit.

D. Fernand bas.

C’est elle-même, elle entre, où me vois-je réduit ?



Scène VII.

ISABELLE, LÉONOR, DOM FERNAND, BÉATRIX, JACINTE.
Isabelle à Beatrix.

Nous le verrons ; mais, dieux ! Ma surprise est extrême,
Je vois Dom Dionis.

BÉATRIX.

Je vois Dom Dionis.Madame, c’est lui-même.

ISABELLE.

Il aime Léonor, & m’ose cajoler !

BÉATRIX.

Bons dieux ! Quel maître fourbe !

ISABELLE.

Bons dieux ! Quel maître fourbe !Il faut dissimuler.

LÉONOR à Isabelle.

Sachant quelle aventure à soupirer m’expose,
Voyez en Dom Fernand le sujet qui la cause ;
Vos sentimens ont droit d’en regler seuls la fin.

D. FERNAND à Isabelle.

Je dois beaucoup, Madame, à mon heureux destin,
Qui, me laissant toujours inconnu ce que j’aime,
Me fait connoître, au moins, comme une autre elle-même ;
L’amitié qui vous joint m’en persuade assez.

ISABELLE.

Je ne m’étonne point si vous me connoissez ;
Pour peu qu’avec un cœur l’on ait d’intelligence,
De tout ce qu’il chérit on a la connoissance ;
Et l’amour, qui du sien vous fait suivre la loi,
Doit faire autant pour vous que l’amitié pour moi.
J’en ai déjà tiré des lumières secrettes,
Qui m’ont, en un moment appris, ce que vous étes ;
Je sai presque de vous tout ce qu’on peut savoir.

D. FERNAND.

Un si brillant esprit ne se peut décevoir ;
Mais, si vous vous rendez à de justes prieres,
Madame, faites-m’en partager les lumieres.
De ce charmant objet j’adore la beauté,
Sans avoir pû tirer mon feu d’obscurité,
Son nom qu’elle me cache étonne ma constance.

ISABELLE.

Elle vous fait grand tort par cette défiance ;
Et, sur ce que de vous je puis justifier,
Elle verra, bien-tôt, comme on doit s’y fier.

LÉONOR.

Prendre déjà sa cause ! À moins qu’il vous corrompe…

ISABELLE.

Vous me ferez reproche en cas que je vous trompe.

LÉONOR.

Il faut vous l’avouer, si Dom Fernand me plaît,
Dès l’abord, comme vous, je vis tout ce qu’il est,
Le cœur grand, l’ame belle, une entiere franchise ;
Mais de ses sentimens je craignois la surprise,
Les plus prompts quelquefois ne sont pas les meilleurs.

ISABELLE.

À vous dire le vrai, je le connois d’ailleurs.
Un ami qui d’erreur est assez incapable,
M’en avoit déja fait une peinture aimable,
Dont les traits délicats, ayant gagné ma foi,
Ne m’avoient rien caché de tout ce que j’y voi.
L’air, la mine, l’esprit, enfin tout se rapporte.

D. FERNAND.

Je lui suis obligé d’une estime si forte.

ISABELLE.

Jamais d’un vrai mérite on ne fit plus de cas.

LÉONOR.

Et c’est ?

ISABELLE.

Et c’est ?Dom Dionis.

D. FERNAND.

Et c’est ?Dom Dionis.Je ne le connois pas.

ISABELLE.

Ne le connoître pas ? Certes cela m’étonne ;
Vous est-il inconnu, s’il ne l’est à personne ?
Un Cavalier civil, poli, galant, parfait,
Qui, pensant ce qu’il dit, plaît dans tout ce qu’il fait,
Point fourbe, point trompeur, point de ces lâches ames
Qui cherchent en tous lieux à promener leurs flammes ;
Et, d’ailleurs, il se dit de vos meilleurs Amis.

D. FERNAND.

L’erreur m’est favorable, où quelque abus l’a mis.

ISABELLE.

Deux noms divers en lui pourroient causer le vôtre,
Qui m’est connu sous l’un, vous le sera sous l’autre.
Dom Dionis, pourtant, est le seul que je sai.

D. FERNAND.

Quoi qu’il ait pu dire, il vous aura dit vrai,
S’il a sû vous jurer que mon amour extrême
Engage tous mes vœux à la beauté que j’aime.
J’apprens qu’on la marie ; & ce fatal revers
Accable un malheureux qui languit dans ses fers.
Ne pouvant m’éclaircir du pere ni du gendre,
Je forme cent desseins sans savoir lequel prendre.
Dans ces obscurités daignez me secourir ;
Vous voyez qu’à vous seule on me fait recourir,
Soulagez les ennuis dont mon ame est pressée.

ISABELLE.

Je ne vais pas si vîte à dire ma pensée ;
Et, si, de son aveu, j’ose en prendre le droit,
Je crains de l’engager à plus qu’elle ne croit.

LÉONOR.

Non, à votre amitié tout mon cœur s’abandonne,
Il en croira, soudain, quoi que son zéle ordonne ;
Et pour vous donner lieu d’en mieux délibérer,
Je vous laisse tous deux, & vais me retirer.
Adieu.

D. FERNAND à Léonor.

Adieu.Souvenez-vous que mes peines cruelles
Ne peuvent…

LÉONOR.

Ne peuvent…Vous aurez tantôt de mes nouvelles.

BÉATRIX.

Madame, nous pouvons enfin le régaler.

ISABELLE à part.

Voyons son impudence, avant que de parler.



Scène VIII.

D. FERNAND, ISABELLE, BÉATRIX.
D. FERNAND.

À voir quelles bontés d’abord, sans me connoître
Vous avez bien voulu me faire ici paroître,
J’ai lieu de présumer que la peine où je suis
Vous rendra favorable à finir mes ennuis.
C’étoit pour moi sans doute une disgrace extrême
D’aimer avec excès, & d’ignorer qui j’aime,
Mais, d’un plus rude sort j’ai tout à redouter,
Si, par votre secours, je ne puis l’éviter.

ISABELLE.

En vain à vous cacher votre esprit s’étudie.
De grace, jouez-vous ici la comédie,
Ou si vous prétendez que, pour votre intérêt,
Mon esprit soit brouillé comme le vôtre l’est ?

D. FERNAND.

Madame, où trouvez-vous que ce soit frénésies…

ISABELLE.

Oui, sans doute, il vous faut des douceurs mieux choisies ;
Et la pauvre abusée, à qui vous en contez,
Pour vous croire honnête homme, a de grandes clartés.
Certes, votre méthode est galante & nouvelle.
Pour moi Dom Dionis, & Dom Fernand pour elle ?
Ce rare expédient à vous mettre en crédit,
D’aucun autre avant vous n’avoit frappé l’esprit ;
Et ce sont en amour de subtiles adresses,
Que prendre autant de noms que l’on fait de maîtresses.

Un si beau stratagême en a-t-il bien dupé ?

D. FERNAND.

De quel étonnement mon esprit est frappé !
M’amenoit-on ici pour un pareil outrage ?

BÉATRIX.

Il falloit un peu plus vous sucrer le breuvage,
À vous, qui, Dom Fernand, quand vous vous avisez,
Chez nous effrontément vous endionisez ;
Ce sont là les moyens d’en attraper de belles.

D. FERNAND.

Ces façons de traiter me sont assez nouvelles.
Madame, c’est ainsi que me jugeant discret,
D’une aimable Inconnue on m’apprend le secret ?

ISABELLE.

Elle apprendra le vôtre, & saura qui vous étes ;
Mais pour vous, croyez-moi, vos affaires sont faites ;
Vous n’en saurez jamais ni le rang ni le nom.

BÉATRIX.

Voyez le fourbe ! Et puis, à qui se fiera-t-on ?

D. FERNAND.

Mais, à ce changement quel motif vous engage ?

ISABELLE.

C’est trop long-temps jouer le même personnage.
Enfin, Dom Dionis, mettons le masque bas.

D. FERNAND.

Quel est ce Dionis ?

ISABELLE.

Quel est ce Dionis ?Quoi, vous ne l’étes pas ?

D. FERNAND.

Moi ? Si ce jeu vous plaît, quel qu’en soit le mystere…

BÉATRIX.

Payez son impudence, ou bien laissez-moi faire.
Voyez, il nous prendra pour ses dupes, ma foi ?

D. FERNAND.

Quelle est cette beauté qui parle contre moi ?
Madame, est-ce une amie, ou bien quelque parente ?

BÉATRIX.

Faites bien l’ignorant, je ne suis que suivante ;
Mais telle que je suis, vous ayant rencontré,
Vous me trouviez tantôt assez à votre gré.

ISABELLE.

Il t’en veut donc aussi ?

D. FERNAND.

Il t’en veut donc aussi ?Je ne l’ai jamais vûe.

BÉATRIX.

Il m’a galantisée au milieu de la rue ;
Et son cœur, s’il m’eût fait en croire ses sermens,
Se fût enregistré sur mon papier d’amans.
La chose n’est pas vraie ?

D. FERNAND.

La chose n’est pas vraie ?Il est vrai qu’on me joue,
Et qu’on ne me dit rien que je ne désavoue.
À pas une des deux je n’ai fait les yeux doux.

ISABELLE.

Dom Juan de Torrez n’est point connu de vous ?

D. FERNAND.

Je ne sais quel il est, & tréve d’incartade.
Mon nom est Dom Fernand, & mon pays, Grenade ;
Et je viens d’un procès presser ici la fin.

BÉATRIX.

Gardez d’être frotté, Monsieur le Grenadin.
Quelque temps qu’à forger vous ait coûté l’histoire,
Vous le passeriez mal si l’on m’en vouloit croire.
Entrant à l’aise ici, l’on ne vous hâtoit pas ;
Mais, ma foi, pour sortir vous doubleriez le pas ;
Je vous remercierois de votre effronterie.

D. FERNAND.

Enfin est-ce gageure, ou bien galanterie ?
Prétend-on quelque chose affectant ce courroux ?

ISABELLE.

Non, non, Dom Dionis, on ne veut rien de vous.

D. FERNAND.

Mais ce Dom Dionis qu’en moi l’on veut connoître…

ISABELLE.

Il m’importe fort peu que vous le vouliez être,
Pourvû qu’en le voyant vous sachiez l’avertir,
Que je ne l’ai souffert que pour me divertir.
De ses fades douceurs, par cœur sans doute apprises,
Il m’a plû quelquefois d’écouter les sottises ;
Mais loin qu’il pût avoir quelques charmes pour moi,
Mon choix à Dom Félix répondoit de ma foi ;
À des provinciaux j’aime à donner la baie.
Adieu, mon Cavalier.

BÉATRIX.

Adieu, mon cavalier.Voilà comme on vous paie,
Messieurs, qui venez provincialement
Débiter la fleurette, & prêter le serment.
On vous fait bonne mine, on rit, on raille, on cause ;
Mais les amis du cœur, dame, c’est autre chose,
La tablature change, on parle sérieux.

D. FERNAND.

C’est donc à qui de vous m’embarrassera mieux ?
Si c’est là votre but, la piéce est imparfaite.

ISABELLE.

C’est assez, il est temps que vous fassiez retraite.

D. FERNAND voulant sortir par où on l’avoit fait entrer.

Adieu, ne croyez pas m’en avoir inquiété.

ISABELLE l’arrêtant.

Non, non, mon cavalier, tournez de ce côté,
Sortez par l’autre porte, elle vous est connue.

D. FERNAND.

Quoi, vous continuez…

BÉATRIX.

Quoi ? Vous continuez…Gagnons vîte la rue,
Le meilleur est pour vous de déloger sans bruit,
Je vous y conduirai. Bon soir & bonne nuit.