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Le Gant (tr. Régnier)

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Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Gant.

Poésies
Traduction par Adolphe Régnier.
Hachette (1p. 209-210).

POÉSIES DÉTACHÉES[1].



LE GANT[2].


Devant son parc aux lions était assis le roi François, attendant le spectacle d’un combat ; autour de lui les grands de la couronne, et, en cercle, sur une haute galerie, la belle guirlande des dames.

Sur un geste de sa main, une porte de la vaste arène s’ouvre ; et, d’un pas circonspect, un lion entre, promène ses regards en silence autour de lui, bâille longuement, secoue sa crinière, étend ses membres, et se couche sur le sol.

Le roi fait un nouveau signe : aussitôt s’ouvre une seconde porte, et, d’un bond fougueux, un tigre s’en élance. À la vue du lion, il rugit bruyamment, et, d’un jet, tord en cercle sa queue terrible, et allonge la langue, et tourne, défiant, autour du lion, et grogne avec colère ; puis il s’étend à terre auprès de lui, en murmurant.

Le roi fait encore un signe : une cage s’ouvre à deux battants et vomit deux léopards à la fois. Ils se précipitent, avec une belliqueuse ardeur, sur le tigre. Celui-ci jette sur eux ses griffes furieuses ; mais le lion rugit, se lève, et tout devient tranquille, et, alentour, se couchent en cercle, altérés de carnage, les chats redoutables.

Soudain, du bord de la galerie, une belle main laisse tomber un gant, juste entre le tigre et le lion, et, se tournant d’un air railleur vers le chevalier de Lorges : « Sire chevalier, dit damoiselle Cunégonde, si votre amour est aussi ardent que vous me le jurez à toute heure, ramassez-moi donc ce gant. »

Le chevalier s’élance, descend dans la formidable arène d’un pas assuré, et sa main hardie ramasse le gant au milieu des monstres.

Les chevaliers, les nobles dames le regardent, stupéfaits, saisis d’horreur ; et lui, calme, il rapporte le gant. Alors il entend son éloge sortir de toutes les bouches. Pour Cunégonde, elle l’accueille avec un tendre regard d’amour, qui lui promet son prochain bonheur ; mais il lui jette le gant au visage[3] : « Je ne prétends pas, madame, à vos remercîments ; » et sur l’heure il la quitte.

  1. Nous avons donné dans la préface les raisons pour lesquelles, au lieu de ranger les poésies dans l’ordre chronologique, actuellement adopté dans les éditions allemandes, nous avons préféré, comme Schiller l’a fait lui-même dans le premier recueil imprimé de son vivant, un autre classement plus libre.
  2. Cette ballade est du mois de juin 1797. Schiller l’avait d’abord intitulée : « Le Gant, Récit, » et l’avait insérée dans l’Almanach des Muses de 1798.
  3. Au lieu de ces mots : « Il lui jette le gant au visage, » on lisait dans l’Almanach des Muses : « Le chevalier, s’inclinant profondément, dit. »