Le Grand Esclairsissement/Préface au lecteur

La bibliothèque libre.


PREFACE
AV LECTEUR.


CE n’a pas esté sans sujet que tous ces grands Philosophes, dont les escripts se font admirer de ceux qui sont veritablement sçavans ont appellé l’homme un Microcosme, c’est à dire un petit monde, pour nous apprendre qu’il contient en soy toutes les grandeurs & les merveilles de l’Univers. Mais ces qualitez eminentes ne se treuvent point dans ce corps materiel & terrestre, qui n’est proprement que le Tombeau où est ensevelie la meilleure partie de l’homme. Elles agissent seulement dans l’esprit, qui est comme la lampe de Dieu, avec laquelle il recherche les profonditez de les secrets. S’il est donc vray qu’il n’y a rien de si grand, dequoy l’esprit de l’homme ne soit capable, de ce fondement il s’ensuit, que s’il luy arrive par sa foiblesse de se jetter hors des bornes qui luy sont prescriptes, cela ne procede ny de la proportion, ny de la quantité de la Science, mais simplement de sa qualité. Car c’est elle qui plus ou moins feconde, cause d’estranges degasts, si elle est prise sans correction, & qui produit une espece de venin fort contagieux, dont les effets sont pleins d’erreur & de vanité.

Il se treuve neantmoins un certain Correctif, si amy de la Science, & de si grande vertu, que par son meslange il l’esleve incontinent au poinct où elle doit estre. Or ce Correctif n’est autre que la Charité, que l’Apostre Sainct Paul faict suivre ìmmediatement par ces parolles ; La Science enfle, mais la Charité edifie : Ce qu’il nous confirme encore en un autre endroit où il dit ; Si je parle le langage des hommes & des Anges, & que je n’aye point de Charité, ce n’est rien qu’un son de cymbales bruyantes. Par où il nous veut monstrer, que pour grande que soit l’excellence qu’il y peut avoir à parler le langage des hommes & des Anges, tout cela neantmoins n’est qu’une vaine cajollerie, & une gloire tumultueuse, si la Charité n’y est joincte, & si on ne le rapporte au bien du prochain. Cette seule consideration, Lecteur, m’a obligé à vous donner charitablement cette œuvre de la science des Philosophes, où sont esclaircies de point en point toutes les choses qui appartiennent à la transmutation des Metaux. Si je voy que vous l’ayez agreable, j’espere, aydant Dieu, qu’en suitte de ce Traicté, j’en feray imprimer quelques autres, que vous ne treuverez pas moins utiles que cetuicy. C’est le fruict de tout le travail que pût faire durant sa vie un des plus grands hommes de son siecle, qui vivoit il y a deux cens ans. Le bon-heur ayant donc voulu pour moy que ses Livres me soient tombez entre les mains ; Je me suis advisé de leur faire voir le jour, pour le contentement des vrays Philosophes, & pour remettre dans le droit chemin ceux qui en estant egarez, à faute d’entendre les Livres, se jettent hors de la Nature universelle des choses, & treuvent, comme dit Salomon, Que ce n’est qu’inquietude d’esprit, qui procede de la science, pour-ce qu’ils n’en cognoissent point les vrays Principes. Ce qui ne leur arriveroit pas asseurement, s’ils ne se forgeoient eux mesmes des conclusions à leur mode, & si consumant leur Esprit & leur biens apres des operations qu’ils n’entendent pas, ils ne se figuroient par là de foibles craintes, des desirs superflus & des esperances inutiles. Dequoy vous serez exempt, si travaillant methodiquement, & selon les regles de l’Art, qui vous sont données dans ce livre, vous demeurez ferme dans les bornes de l’humaine cognoissance, & ne presumez point par la contemplation de la Nature, de penetrer dans les secrets mysteres de Dieu. Qu’il vous suffise que vostre œuvre ne sera jamais si grande que lors que vous la rapporterez a sa gloire. Car c’est le vray moyen, comme dict sainct Paul, d’empescher que vous ne soyez jamais seduit par une Vaine Philosophie.   Adieu.