Le Grand voyage du pays des Hurons/01/05

La bibliothèque libre.
Librairie Tross (p. 55-77).
80|| De nostre arrivée au pays des Hurons, quels estoient nos exercices, et de nostre maniere de viure et gouuernement dans le pays.

Chapitre V.


D vis, qu’auec la grace du bon Dieu, nous sommes arriuez iusques-là, que d’auoisiner le pays de nos Hurons, il est maintenant temps que ie commence à en traicter plus amplement, et de la façon de faire de ses habitans, non à la maniere de certaines personnes, lesquelles descriuans leurs Histoires, ne disent ordinairement que les choses principales, et les enrichissent encore tellement, quand on en vient à l’experience, on n’y voit plus la face de l’Autheur : car i’escris non-seulement les choses principales, comme elles sont, mais aussi les moindres et plus petites, auec la mesme naïfueté et simplicité que i’ay accoustumé.

81|| C’est pourquoy ie prie le Lecteur d’auoir pour agreable ma maniere de proceder, et d’excuser si pour mieux faire comprendre l’humeur de nos Sauuages, i’ay esté contrainct inserer icy plusieurs choses inciuiles et extrauagantes, d’autant que l’on ne peut pas donner vne entiere cognoissance d’vn pays estranger, ny ce qui est de son gouuernement, qu’en faisant voir auec le bien, le mal et l’imperfection qui s’y retrouue : autrement il ne m’eust fallu descrire les mœurs des Sauuages, s’il ne s’y trouuoit rien de sauuage, mais des mœurs polies et ciuiles, comme les peuples qui sont cultiués par la religion et pieté, ou par des Magistrats et Sages, qui par leurs bonnes lois eussent donné quelque forme aux mœurs si difformes de ces peuples barbares, dans lesquels on void bien peu reluire la lumiere de la raison, et la pureté d’vne nature espurée.

Deux iours auant nostre arriuée aux Hurons, nous trouuasmes la mer douce, sur laquelle ayans trauersé d’Isle en Isle, et pris terre au pays tant désiré, par vn iour de Dimanche, feste sainct Bernard, enuiron midy, que le Soleil donnoit à plomb, mes Sauuages ayans serré leur Canot en 82|| un bois là auprés me chargerent de mes hardes et pacquets, qu’ils auaient auparauant tousiours portez par le chemin : la cause fut la grande distance qu’il y auait de là au Bourg, et qu’ils estoient desia plus que suffisamment chargés de leurs marchandises. Ie portay donc mon pacquet auec vne très-grande peine, tant pour sa pesanteur, et de l’excessiue chaleur qu’il faisoit, que pour une foiblesse et debilité grande que ie ressentois en tous mes membres depuis vn long temps, ioinct que pour m’auoir fait prendre le deuant, comme ils auoient accoustumé (à cause que ie ne pouuois les suyure qu’à toute peine) ie me perdis du droict chemin, et me trouuay long temps seul, sans sçauoir où i’allois. À la fin, apres auoir bien marché et trauersé pays, ie trouuay deux femmes Huronnes proche d’vn chemin croizé, et leur demanday par où il falloit aller au Bourg où ie me deuois rendre, ie n’en sçauois pas le nom, et moins lequel le deuois prendre des deux chemins : ces pauures femmes se peinoient assez pour se faire entendre, mais il n’y auoit encore moyen. Enfin, inspiré de Dieu, ie pris le bon chemin, et au bout de quelque temps ie 83|| trouuay mes Sauuages assis à l’ombre sous vn arbre en vne belle grande prairie, où ils m’attendoient, bien en peine que i’estois deuenu ; ils me firent seoir auprés d’eux, et me donnerent des cannes de bled d’Inde à succer qu’ils auoient cueillies en vn champ tout proche de là. Ie pris garde comme ils en vsoient, et les trouuay d’vn assez bon suc : apres, passant par vn autre champ plein de Fezolles i’en cueillis vn plein plat, que ie fis par apres cuire dans nostre Cabane auec de l’eau, quoyque l’escorce en fust desia assez dure : cela nous seruit pour vn second festin après nostre arriuée.

À mesme temps que ie fus apperceu de nostre ville de Quieuindahian, autrement nommée Téqueunonkiayé, lieu assez bien fortifié à leur mode, et qui pouuoit contenir deux ou trois cens mesnages, en trente ou quarante Cabanes qu’il y auoit, il s’esleua vn si grand bruit par toute la ville, que tous sortirent presque de leurs Cabanes pour me venir voir, et fus ainsi conduit auec grande acclamation iusque dans la Cabane de mon Sauuage, et pour ce que la presse y estoit fort grande, ie fus contrainct de gaigner le 84|| haut de l’establie, et me desrober de leur presse. Les pere et mere de mon Sauuage me firent vn fort bon accueil à leur mode, et par des caresses extraordinaires, me tesmoignoient l’ayse et le contentement qu’ils avoient de ma venuë, ils me traiterent aussi doucement que leur propre enfant, et me donnerent tout suiect de loüer Dieu, voyant l’humanité et fidelité de ces pauvres gens, priuez de sa cognoissance. Ils prirent soin que rien ne se perdist de mes petites hardes, et m’aduertirent de me donner garde des larrons et des trompeurs, particulierement des Quieunontateronons qui me venoient souuent voir, pour tirer quelque chose de moy : car entre les Nations Sauuages celle-cy est l’vne des plus subtiles de toutes, en faict de tromperie et de vol.

Mon Saunage, qui me tenoit en qualité de frere, me donna aduis d’appeller sa mere Sendoué, c’est à dire, ma mere, puis luy et ses freres Ataquen, mon frere, et le reste de ses parents en suite, selon les degrez de consanguinité, et eux de mesme m’appeloient leur parent. La bonne femme disoit Ayein, mon fils, et les autres Ataquon, mon frere, Earassé, mon cousin, Hiu85||oittan, mon nepveu, Houatinoron, mon oncle, Aystan, mon pere : selon l’aage des personnes i’estois ainsi appellé oncle ou nepueu, etc., et des autres qui ne me tenoient en qualité de parent, Yatoro, mon compagnon, mon camarade, et de ceux qui m’estimoient dauantage, Garihouanne, grand Capitaine. Voylà comme ce peuple n’est pas tant dans la rudesse et la rusticité qu’on l’estime.

Le festin qui nous fut faict à nostre arriuée, fut de bled d’Inde pilé, qu’ils appellent Ottet, auec vn petit morceau de poisson boucané à chacun, cuit en l’eau, car c’est toute la saulce du pays, et mes Fezolles me servirent pour le lendemain : dés lors ie trouuay bonne la Sagamité qui estoit faicte dans nostre Cabane, pour estre assez nettement accommodée, ie n’en pouuois seulement manger lorsqu’il y auoit du poisson puant demincé parmy, ou d’autres petits, qu’ils appellent Auhaitsique, ni aussi de Leindohy, qui est vn bled qu’ils font pourrir dans les fanges et eauës croupies et marescageuses, trois ou quatre mois durant, duquel ils font neantmoins grand estat : nous mangions par-fois de Citroüilles du pays, cuites 86|| dans l’eau, ou bien sous la cendre chaude, que ie trouuois fort bonnes, comme semblablement des espics de bled d’Inde que nous faisions rostir deuant le feu, et d’autre esgrené, grillé comme pois dans les cendres : pour des Meures champestres nostre Sauuagesse m’en apportait souuent au matin pour mon desieuner, ou bien des Cannes d’Honneha à succer, et autre chose qu’elle pouuoit, et auoit ce soin de faire dresser ma Sagamité la premiere, dans l’escuelle de bois ou d’escorce la plus nette large comme vn plat-bassin, et la cueillier auec laquelle ie mangeois, grande comme vn petit plat ou sauciere. Pour mon departement et quartier, ils me donnerent à moy seul, autant de place qu’en pouuoit occuper un petit mesnage, qu’ils firent sortir à mon occasion, dés le lendemain de mon arriuée : en quoy ie remarquay particulierement leur bonne affection, et comme ils desiroient de me contenter, et m’assister et seruir auec toute l’honnesteté et respect deus à vn grand Capitaine et chef de guerre, tel qu’ils me tenoient. Et pour ce qu’ils n’ont point accoustumé de se servir de cheuet, ie me seruois la nuict d’vn billot de bois, ou d’v-87||ne pierre, que ie mettois sous ma teste, et au reste couché simplement sur la natte comme eux, sans couuerture ny forme de couche, et en lieu tellement dur, que le matin me leuant, ie me trouuois tout rompu et brisé de la teste et du corps.

Le matin, après estre esueillé, et prié vn peu Dieu, ie desieunois de ce peu que nostre Sauuagesse m’auoit apporté, puis ayant pris mon Cadran solaire, ie sortois de la ville en quelque lieu escarté, pour pouuoir dire mon seruice en paix, et faire mes prieres et meditations ordinaires : estant enuiron midy ou vne heure, ie retournois à nostre Cabane pour disner d’vn peu de Sagamité, ou de quelque Citroüille cuite ; apres disner ie lisois dans quel que petit liure que i’auois apporté, ou bien i’escrinois, et obseruant soigneusement les mots de la langue, que i’apprenois, i’en dressois des memoires que i’estudiois, et repetois deuant mes Sauuages, lesquels y prenoient plaisir, et m’aydoient à m’y perfectionner auec vne assez bonne methode, m’y disant souuent, Auiel, au lieu de Gabriel, qu’ils ne pouuoient prononcer, à cause de la lettre B, qui ne se trouue point en toute leur langue, non 88|| plus que les autres lettres labiales, Asséhoua, Agnonra, et Séatonqua : Gabriel, prends ta plume et escris, puis ils m’expliquoient au mieux qu’ils pouuoient ce que ie desirois sçauoir d’eux.

Et comme ils ne pouuoient par-fois me faire entendre leurs conceptions, ils me les demonstroient par figures, similitudes et demonstrations exterieures, par-fois par discours, et quelquesfois auec vn baston, traçant la chose sur la terre, au mieux qu’ils pouuoient, ou par le mouuement du corps, n’estans pas honteux d’en faire de bien indecents, pour se pouuoir mieux donner à entendre par ces comparaisons, plustost que par longs discours et raisons qu’ils eussent pu alleguer, pour estre leur langue assez pauure et disetteuze de mots en plusieurs choses, et particulièrement en ce qui est des mysteres de nostre saincte Religion, lesquels nous ne leur pouuions expliquer, ny mesme le Pater noster, sinon que par periphrase, c’est à dire que pour vn de nos mots, il en falloit vser de plusieurs des leurs : car entr’eux ils ne scauent que c’est de Sanctification, de Regne celeste, du tres-sainct Sacrement, ny d’induire en tentation. Les 89|| mots de Gloire, Trinité, Sainct Esprit, Anges, Resurrection, Paradis, Enfer, Église, Foy, Esperance et Charité, et autres infinis, ne sont pas en vsage chez eux. De sorte qu’il n’y a pas besoin de gens bien sçauants pour le commencement ; mais bien de personnes craignans Dieu, patiens, et pleins de charité : et voilà en quoy il faut principalement exceller pour conuertir ce pauure peuple, et le tirer hors du peché et de son aueuglement.

Ie sortois aussi fort souuent par le Bourg, et les visitois en leurs Cabanes et mesnages, ce qu’ils trouuoient tres-bon, et m’en aymoient dauantage, voyans que ie traictois doucement et affablement auec eux, autrement ils ne m’eussent point veu de bon œil, et m’eussent creu superbe et desdaigneux, ce qui n’eust pas esté le moyen de rien gaigner sur-eux ; mais plustost d’acquerir la disgrace d’vn chacun, et se faire hayr de tous : car à mesme temps qu’vn Estranger a donné à l’vn d’eux quelque petit suiect ou ombrage de mescontentement ou fascherie, il est aussi-tost sceu par toute la ville de l’vn à l’autre : et comme le mal est plustost creu que le bien, ils vous estiment tel pour vn temps, que le 90|| mescontent vous a dépeint.

Nostre bourg estoit de ce costé-là le plus proche voisin des Yroquois, leurs ennemys mortels, c’est pourquoy on m’aduertissoit souuent de me tenir sur mes gardes, de peur de quelque surprise pendant que i’allois au bois pour prier Dieu, ou aux champs cueillir des Meures champestres : mais ie n’y rencontray iamais aucun danger ny hazard (Dieu mercy) il y eut seulement vn Huron qui banda son arc contre moy, pensant que ie fusse ennemy : mais ayant parlé il se rasseura, et me salua à la mode du pays, Quoye, puis il passa outre son chemin, et moi le mien.

Ie visitois aussi par-fois leur Cimetiere, qu’ils appellent Agosayé, admirant le soin que ces pauures gens ont des corps morts de leurs parens et amis deffuncts, et trouuois qu’en cela ils surpassoient la pieté des Chrestiens, puis qu’ils n’espargnent rien pour le soulagement de leurs ames, qu’ils croyent immortelles, et auoir besoin du secours des viuans. Que si par-fois i’auois quelque petit ennuy, ie me recreois et consolois en Dieu par la priere, ou en 91 chantant des Hymnes et Cantiques spirituels à la louange de sa diuine Majesté, lesquels les Sauuages escoutoient auec attention et contentement, et me prioyent de chanter souuent, principalement après que ie leur eus dict, que ces chants et Cantiques spirituels estoient des prieres que ie faisois et adressois à Dieu nostre Seigneur, pour leur salut et conuersion.

Pendant la nuict i’entendois aussi par-fois la mere de mon Sauuage pleurer, et s’affliger grandement, à cause des illusions du Diable. I’interrogeay mon Sauuage pour en sçauoir le suiect, il me fit response que c’estoit le Diable qui la trauailloit et affligeoit, par des songes et representations fascheuses de la mort de ses parens, et autres imaginations. Cela est particulierement commun aux femmes plustost qu’aux hommes, à qui cela arriue plus rarement, bien qu’il s’y en trouue par-fois quelques-vns qui en deuiennent fols et furieux, selon leur forte imagination, et la foiblesse de leur esprit, qui leur fait adiouster foy a ces resueries diaboliques.

Il se passa vn assez long temps apres mon arriuée, auant que i’eusse aucune co-92||gnoissance ny nouuelle du lieu où estoient arrinez mes Confreres, iusques à vn certain iour que le Pere Nicolas, accompagné d’vn Sauuage, me vint trouuer de son village, qui n’estoit qu’à cinq lieues du nostre. Ie fus fort resiouy de le voir en bonne santé et disposition, nonobstant les penibles trauaux et disettes qu’il auait souffertes depuis nostre departement de la traicte ; mes Sauuages le receurent aussi volontiers à coucher en nostre Cabane, et luy firent festin de ce qu’ils purent, à cause qu’il estoit mon Frere, et à nos autres François, pour estre nos bons amys. Apres donc nous estre congratulez de nostre heureuse arriuée, et vn peu discouru de ce qui nous estoit arriué pendant vn si long et pénible chemin, nous aduisasmes d’aller trouuer le Pere Ioseph, qui estoit demeurant en vn autre village, à quatre ou cinq lieues de nous ; car ainsi Dieu nous avoit-il faict la grace, que sans l’auoir premedité, nous nous mismes à la conduite de personnes qui demeurassent si proches les vnes des autres : mais pource que i’estois fort aymé de Oonchiarey mon Sauuage, et de la pluspart de ses parens, ie ne sçauois comment l’aduertir 93|| de nostre dessein, sans le mescontenter grandement. Nous trouuasmes enfin moyen de luy persuader que i’auois quelque affaire à communiquer à nostre Frere Ioseph, et qu’allant vers luy il falloit necessairement que i’y portasse tout ce que i’auois, qui estoit autant à luy comme à moy, afin de prendre chacun ce qui luy appartenoit, ce qu’ayant dict, ie pris congé d’eux, leur donnant esperance de reuenir en bref, ainsi ie partis auec le bon Pere Nicolas, et fusmes trouuer le Pere Ioseph, qui demeuroit à Quieunonascaran, où ie ne vous sçaurois expliquer la ioye et le contentement que nous eusmes de nous reuoir tous trois ensemble, qui ne fut pas sans en rendre graces à Dieu, le priant de benir nostre entreprise pour sa gloire, et conuersion de ces pauures Infideles : en suite nous fismes bastir vne Cabane pour nous loger, où à grand’peine eusmes-nous le loisir de nous entre-caresser, que ie vis mes Sauuages (ennuyez de mon absence) nous venir visiter, ce qu’ils reitererent plusieurs fois, et nous nous estudions à les receuoir et traicter si humainement et civilement, que nous les gaignasmes, en sorte, qu’ils sembloient de 94|| battre de courtoisie à receuoir les François en leur Cabane, lorsque la nécessité de leurs affaires les iettoit à la mercy de ces Sauuages, que nous experimentasmes auoir esté vtiles à ceux qui doinent traicter auec eux, espérant par ce moyen de nous insinuer au principal dessein de leur conuersion, seul motif d’vn si long et fascheux voyage.

Or nous voyans parmy eux nous nous resolusmes d’y bastir un logement, pour prendre possession, au nom de Iesus Christ, de ce pays, afin d’y faire les fonctions, et exercer les ministeres de nostre Mission : ce qui fut cause que nous priasmes le Chef, qu’ils nomment Garihoüa Andionxra, c’est à dire, Capitaine et Chef de la police, de nous le permettre, ce qu’il fit, apres auoir assemblé le Conseil des plus notables, et ouy leur aduis : et apres qu’ils se furent efforcez de nous dissuader ce dessein, nous persuadans de prendre plustost logement en leurs Cabanes pour y estre mieux traitez. Nous obtinsmes ce que nous desirions, leur ayans faict entendre qu’il estoit ainsi necessaire pour leur bien ; car estans venus de si loing pays pour leur faire entendre ce qui concernoit le salut de leurs 95|| ames, et le bien de la felicité eternelle, auec la cognoissance d’vn vray Dieu, par la predication de l’Euangile, il n’estoit pas possible d’estre assez illuminez du Ciel, pour les instruire parmy le tracas de la mesnagerie de leurs Cabanes, ioint que desirans leur conserver l’amitié des François qui traictoient auec eux, nous aurions plus de credit à les conseruer ainsi à part, que non pas quand nous serions cabanez parmy eux. De sorte que s’estans laissez persuader par ces discours et autres semblables, ils nous dirent que nous fissions cesser les pluyes (qui pour lors estoient fort grandes et importunes) en priant ce grand Dieu, que nous appelions Pere, et nous disions ses seruiteurs, afin qu’il les fist cesser, pour pouuoir nous accommoder la Cabane que nous desirions : si bien que Dieu fauorisant nos prieres (apres auoir passé la nuict suyvante à le solliciter de ses promesses) il nous exauça, et les fit cesser si parfaictement, que nous eusmes vn temps fort serain ; dequoy ils furent si estonnez et rauis, qu’ils le publierent pour miracle, dont nous rendismes graces à Dieu. Et ce qui les confirma dauantage, ce fut qu’apres auoir 96|| employé quelques iours à ce pieux trauail, et après l’auoir mis à sa perfection, les pluyes recommencerent : de sorte qu’ils publierent par tout la grandeur de nostre Dieu.

Ie ne puis obmettre vn gentil debat qui arriua entr’eux, à raison de nostre bastiment, d’vn ieune garçon lequel n’y travaillant pas de bonne volonté, se plaignoit aux autres de la peine et du soin qu’ils se donnoient, de bastir vne Cabane à des gens qui ne leur estoient point parens, et eust volontiers desiré qu’on eust delaissé la chose imparfaite, et nous en peine de loger auec eux dans leurs Cabanes, ou d’estre exposez à l’iniure de l’air, et incommodité du temps : mais les autres Sauuages portez de meilleure volonté, ne luy voulurent point acquiescer, et le reprirent de sa paresse, et du peu d’amitié qu’il tesmoignoit à des personnes si recommandables, qu’ils deuoient cherir comme parents et amys, bien qu’estrangers, puis qu’ils n’estoient venus que pour leur propre bien et profit.

Ces bons Sauuages ont cette louable coustume entr’eux, que quand quelques-vns de leurs Concitoyens n’ont point de 97 || Cabane à se loger, tous vnanimement prestent la main, et luy en font vne, et ne l’abandonnent point que la chose ne soit mise en la perfection, ou du moins que celuy ou ceux pour qui elle est destinée, ne la puissent aysement paracheuer : et pour obliger vn chacun à vn si pieux et charitable office, quand il est question d’y trauailler, la chose se decide tousiours en plein conseil, puis le cry s’en faict tous les iours par le Bourg, afin qu’vn chacun s’y trouue à l’heure ordonnée, ce qui est vn tres-bel ordre, et fort admirable pour des personnes sauuages que nous croyons, et sont en effect, moins policées que nous. Mais pour nous, qui leur estions estrangers, et arriuez de nouueau, c’estoit beaucoup, de se monstrer si humains que de nous en bastir auec vne si commune et vniuerselle affection, veu qu’ils ne donnent ordinairement rien pour rien aux estrangers, si ce n’est à des personnes qui le meritent, ou qui les ayent bien obligez, quoy qu’ils demandent tousiours, particulierement aux François, qu’ils appellent Agnonha, c’est à dire gens de fer, en leur langue, et les Canadiens et Montagnais nous sur-nomment Mistigoche, qui 98|| signifie en leur langue Canot ou Basteau de bois : ils nous appellent ainsi, à cause que nos Nauires et Basteaux sont faicts de bois, et non d’escorces comme les leurs : mais pour le nom que nous donnent les Hurons, il vient de ce qu’auparauant nous, il ne sçauoient que c’estoit de fer, et n’en auoient aucun vsage, non plus que de tout autre metal ou minerai.

Pour reuenir au paracheuement de nostre Cabane, ils la dresserent enuiron à deux portées de flesche loin du Bourg, en vn lieu que nous-mesmes auions choisi pour le plus commode, sur le costeau d’vn fond, où passoit vn beau et agréable ruisseau, de l’eau duquel nous nous seruions à boire, et à faire nostre Sagamité, excepté pendant les grandes neiges de l’hyuer, que pour cause du fascheux chemin, nous prenions de la neige proche de nous pour faire nostre manger, et ne nous en trouuasmes point mal, Dieu mercy. Il est vray qu’on passe d’ordinaire les sepmaines et les mois entiers sans boire : car ne mangeant iamais rien de salé ny espicé, et son manger quotidien n’estant que de ce bled d’Inde boüilly en eau, cela sert de boisson et de mangeaille, et nous 99|| nous trouuions fort-bien de ne point manger de sel, aussi estions-nous pres de trois cens lieuës loin de toute eau salée, de laquelle eussions pu esperer du sel. Et à mon retour en Canada, ie me trouuois mal au commencement d’en manger, pour l’avoir discontinué trop long temps ; ce qui me faict croire que le sel n’est pas necessaire à la conseruation de la vie, ny a la santé de l’homme.

Nostre pauure Cabane pouuoit auoir enuiron vingt pieds de longueur, et dix ou douze de large, faicte en forme d’vn berceau de jardin, couuerte d’escorce par tout, excepté au faiste, où on auoit laissé vne fente et ouuerture exprez pour sortir la fumée : estant ainsi acheuée de nous-mesmes au mieux qu’il nous fut possible, et auec quelques haches que nous auions apportées, nous fismes vne cloison de pieces de bois, separant nostre Cabane en deux : du costé de la porte estoit le lieu où nous faisions nostre mesnage, et prenions nostre repos, et la chambre interieure nous seruoit de Chapelle, car nous y auions dressé vn Autel pour dire la saincte Messe, et y serrions encore nos ornemens et autres petites commoditez, et 100|| de peur de la main larronnesse des Sauuages nous tenions la petite porte d’escorce, qui estoit à la cloison, fermée et attachée auec vne cordelette. À l’entour de nostre petit logis nous accommodasmes vn petit jardin, fermé d’vne petite palissade, pour en oster le libre accez aux petits enfants Sauuages, qui ne cherchent qu’à mal faire pour la plus-part : les pois, herbes, et autres petites choses que nous auions semées en ce petit jardin, y profiterent assez bien, encore que la terre en fust fort maigre, comme l’vn

les pires et moindres endroicts du pays.

Mais, pour auoir faict nostre Cabane hors de saison, elle fut couuerte de tres-mauuaise escorce, qui se decreua et fendit toute, de sorte qu’elle nous garantissoit peu ou point des pluyes qui nous tomboient par tout, et ne nous en pouuions deffendre ny le iour ny la nuict, non plus que des neiges pendant l’hyuer, de laquelle nous nous trouuions par-fois couuerts le matin en nous leuant. Si la pluye estoit aspre, elle esteignoit nostre feu, nous priuoit du disner, et nous causoit tant d’autres incommoditez, que ie puis dire auec verité, que iusqu’à ce que nous 101|| y eussions vn peu remedié, qu’il n’y auoit pas vn seul petit coin en nostre Cabane, où il ne pleust comme dehors, ce qui nous contraignait d’y passer les nuicts entieres sans dormir, cherchans à nous tenir et ranger debout ou assis en quelque petit coin pendant ces orages.

La terre nuë ou nos genoüils, nous seruoient de table à prendre nostre repas, ainsi comme les Sauuages, et n’auions non plus de nappes ny seruiettes à essuyer nos doigts, ny de cousteau à couper nostre pain ou nos viandes : car le pain nous estoit interdict, et la viande nous estoit si rare, que nous auons passé des 6 sepmaines, et deux ou trois mois entiers sans en manger, encore n’estoi-ce quelque petit morceau de Chien, d’Ours ou de Renard, qu’on nous donnoit en festin, excepté vers Pasques et en l’Automne, que quelques François nous firent part de leur chasse et gibier. La chandelle de quoy nous nous seruions la nuict, n’estoit que de petits cornets d’escorce de Bouleau, qui estoient de peu de durée, et la clairté du feu nous seruoit pour lire, escrire, et faire autres petites choses pendant de longues nuicts de l’hyuer, ce

qui n’estoit vne petite incommodité.

102|| Nostre vie et nourriture ordinaire estoit des mesmes mets et viandes que celles que les Sauuages vsent ordinairement, sinon que celles de nos Sagamités estoient vn peu plus nettement accommodées, et que nous y meslions encore par-fois de petites herbes, comme de la Marjolaine sauuage, et autres, pour luy donner goust et saveur, au lieu de sel et d’espice ; mais les Sauuages s’apperceuants qu’il y en auoit, ils n’en vouloient nullement gouster, disant que cela sentoit mauuais, et par ainsi ils nous la laissaient manger en paix, sans nous en demander, comme ils auoient accoustumé de faire lors qu’il n’y en auoit point, et nous leur en donnions volontiers, aussi ne nous en refusoient-ils point en leurs Cabanes quand nous leur en demandions, et eux-mesmes nous en offroient souuent.

Au temps que les bois estoient en seue, nous faisions par-fois vne fente dans l’escorce de quelque gros Bouleau, et tenans au-dessous une escuelle, nous en receuions le ius et la liqueur qui en distilloit, laquelle nous seruoit pour nous fortifier le cœur lorsque nous nous en sentions incommodez : mais c’est neantmoins vn reme-103||de bien simple et de peu d’effect, et qui affadist plustost qu’il ne fortifie, et si nous nous en seruions, c’estoit faute d’autre chose plus propre et meilleure.

Auant que de partir pour aller à la mer douce, le vin des Messes, que nous auions porté en un petit baril de deux pots, estant failly, nous en fismes d’autre auec des raisins du pays, qui estoit tres-bon, et boüillit en nostre petit baril, et en deux autres bouteilles que nous auions, demesme qu’il eust pû faire en des plus grands vaisseaux, et si nous en eussions encore eu d’autres, il y auoit moyen d’en faire une assez bonne prouision, pour la grande quantité de vignes et de rasins qui sont en ce pays-là. Les Sauvages en mangent bien le raisin, mais ils ne les cultiuent ny n’en font aucun vin, pour n’en auoir l’inuention, ny les instruments propres : Nostre mortier de bois, et vne seruiette de nostre Chapelle nous seruirent de pressoir, et vn Anderoqua, ou sceau d’escorce, nous seruit de cuue : mais nos petits vaisseaux n’estans capables de contenir tout nostre vin nouueau, nous fusmes contraincts, pour ne point perdre le reste, d’en faire du raisiné, qui fut aussi 104 || bon que celui que l’on faict en France, lequel nous seruit aux iours de recreation et bonne feste de l’année, à en prendre vn petit

sur la poincte d’vn cousteau.

Pendant les neiges nous estions contraincts de nous attacher des raquettes sous les pieds, aussi bien que les Sauuages, pour aller querir du bois pour nous chauffer, qui est une tres-bonne inuention : car auec icelles on n’enfonce point dans les neiges, et si on faict bien du chemin en peu de temps. Ces raquettes, que nos Sauuages Hurons appellent Agnonra, sont deux ou trois fois grandes comme les nostres. Les Montagnais, Canadiens et Algoumequins, hommes, femmes, filles et enfans auec icelles suiuent la piste des animaux, et la beste estant trouuée, et abattue à coups de flesches et espées emmanchées au bout d’vne demye picque, qu’ils savent dextrement darder : ils se cabanent, et là se consolent, et iouïssent du fruict de leur trauail, et sans ces raquettes ils ne pourroient courir l’Eslan ny le Cerf, et par consequent il faudrait qu’ils mourussent de faim en temps d’hyuer.

Pendant le iour nous estions continuellement visitez d’vn bon nombre de Sau105||uages, et à diuerses intentions ; car les vns y venoient pour l’amitié qu’ils nous portoient, et pour s’instruire et entretenir de discours auec nous : d’autres pour voir s’ils nous pourroient rien desrober, ce qui arriuoit assez souuent, iusqu’à prendre de nos cousteaux, cueilliers, escuelles d’escorce ou de bois, et autres choses qui nous faisoient besoin : et d’autres plus charitables nous apportoient de petis presens, comme du bled d’Inde, des Citrouilles, des Fezolles, et quelquesfois des petits Poissons boucanez, et en recompense nous leur donnions aussi d’autres petits presens, comme quelques aleines, fer à flesches, ou vn peu de rassade à pendre à leur col, ou à leurs oreilles ; et comme ils sont pauures en meubles, empruntants quelqu’vn de nos chaudrons, ils nous le rendoient tousiours auec quelque reste de Sagamité dedans, et quand il arrivoit de faire festin pour un deffunct, plusieurs de ceux qui nous aymoient nous en enuoyoient, comme ils faisoient au reste de leurs parens et amys, selon leur coustume. Ils nous venoient aussi souuent prier de festin ; mais nous n’y allions que le plus rarement qu’il nous estoit possible, 106|| pour ne nous obliger à leur en rendre, et pour plusieurs

autres bonnes raisons.

Quand quelque particulier Sauuage de nos amys venoit nous visiter, entrant chez-nous, la salutation estoit ho, ho, ho, qui est vne salutation de ioye, et la seule voix ho, ho, ne se peut faire que ce ne soit quasi en riant, tesmoignans par là la ioye et le contentement qu’ils auoient de nous voir ; car leur autre salutation Quoye, qui est comme si on disoit : Qu’est-ce, que dites-vous ? se peut prendre en divers sens, aussi est-elle commune enuers les amys, comme enuers les ennemys, qui respondent en la mesme maniere Quoye, ou bien plus gracieusement Yatoro, qui est à dire, mon amy, mon compagnon, mon camarade, ou disent Attaquen, mon frère, et aux filles Eadsé, ma bonne amie, ma compagne, et quelquesfois aux vieillards Yaistan, mon père, Honratinoron, oncle, mon oncle, etc.

Ils nous demandoient aussi à petuner, et plus souuent pour espargner le petun qu’ils auoient dans leur sac ; car ils n’en sont iamais desgarnis : mais comme la foule y estoit souuent si grande, qu’à peine auions-nous place en nostre Cabane, nous 107|| ne pouuions pas leur en fournir à tous, et nous en excusions, en ce qu’eux-mesmes nous traictoient ce peu que nous en auions et cette raison les rendoit contens.

Vne grande invention du Diable, qui fait du singe par tout est que comme entre nous on saluë de quelque devote priere celui ou celle qui esternuë, eux au contraire, poussez de Satan, et d’vn esprit de vengeance, entendans esternuer quelqu’vn, leur salut ordinaire n’est que des imprecations, des iniures et la mort mesme qu’ils souhaitent et désirent aux Yroquois, et à tous leurs ennemys, dequoy nous les reprenions, mais il n’estoit pas encore entré en leur esprit que ce fust mal faict, d’autant que la vengeance leur est tellement coustumiere et ordinaire, qu’ils la tiennent comme vertu à l’endroict de l’ennemy estranger, et non toutefois enuers ceux de la propre Nation, desquels ils sçauent assez bien dissimuler, et supporter vn tort ou iniure quand il faut. Et à ce propos de la vengeance ie diray que comme le General de la flotte assisté des autres Capitaines de nauires, eussent par certaine ceremonie, ieté vne espée dans la rivière Sainct Laurens au temps de la 108|| traicte, en la presence de tous les Sauuages, pour asseurance aux meurtriers Canadiens qui auoient tué deux François, que leur faute leur estoit entierement pardonnée, et enseuelie dans l’oubly, en la mesme sorte que cette espée estoit perduë et enseuelie au fonds des eauës. Nos Hurons, qui sauent bien dissimuler, et qui tiennent bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays tournerent toute cette ceremonie en risée, et s’en mocquerent, disans que toute la colere des François auoit esté noyée en cette espée, et que pour tuer un François on en seroit dores nauant quitte pour vne douzaine de castors.

Pendant l’hyuer, que les Epicerinys se vindrent cabaner au pays de nos Hurons, à trois lieuë de nous, ils venoient souuent nous visiter en nostre Cabane pour nous voir, et pour s’entretenir de discours auec nous : car comme i’ay dict ailleurs, ils sont assez bonnes gens, et sçauent les deux langues, la Huronne et la leur, ce que n’ont pas les Hurons, lesquels ne sçauent ny n’apprennent autre langue que la leur, soit par negligence, ou pour ce qu’ils ont moins affaire de leurs voysins, que leurs 109|| voysins n’ont affaire d’eux. Ils nous parlerent par plusieurs fois d’vne certaine Nation à laquelle ils vont tous les ans vne fois à la traite, n’en estans esloignez qu’enuiron vne Lune et demye, qui est vn mois ou six sepmaines de chemin tant par terre que par eau et riuiere. A laquelle vient aussi trafiquer vn certain peuple qui y aborde par mer, auec des grands basteaux ou nauires de bois, chargez de diuerses marchandises, comme haches, faictes en queuë de perdrix, des bas de chausses, auec les souliers attachez ensemble, souples neantmoins comme vn gand, et plusieurs autres choses qu’ils eschangent pour des pelleteries. Ils nous dirent aussi que ces personnes-là ne portoient point de poil, ny à la barbe ny a la teste, (et pour ce par nous sur-nommez Testes pelées) et nous asseurerent que ce peuple leur auoit dict qu’il seroit fort ayse de nous voir, pour la façon de laquelle on nous avoit dépeinct en son endroict, ce qui nous fit coniecturer que ce pouuoit estre quelque peuple et nation policée et habituée vers la mer de la Chine, qui borne ce pays vers l’Occident, comme il est aussi borné de la mer Océane, enuiron les 40. degrez vers l’Orient, 110|| et esperions y faire vn voyage à la premiere commodité auec ces Epicerinys, comme ils nous en donnoient quelque esperance, moyennant quelque petit present, si l’obedience ne m’eust rappellé trop tost en France : car bien que ces Epicerinys ne veulent pas mener de François seculiers en leur voyage, non plus que les Montagnais et Hurons n’en veulent point mener au Saguenay, de peur de descouurir leur bonne et meilleure traicte, et le pays où ils vont amasser quantité de pelleteries : ils ne sont pas si resserrez en nostre endroict, sçachans desia par experience, que nous ne nous meslons d’aucun autre trafic que de celui des âmes, que nous nous efforçons de gaigner à Iesus-Christ.

Quand nous allions voir et visiter nos Sauuages en leurs Cabanes, ils en estoient pour la pluspart bien ayses, et le tenoient à honneur et faueur, se plaignans de ne nous y voir pas assez souuent, et nous faisoient par-fois comme font ordinairement les Merciers et Marchands du Palais de Paris, nous appelans chacun à son foyer, et peut-estre sous esperance de quelque aleine, ou d’vn petit bout de ras-111||sade, de laquelle ils sont fort curieux à se parer. Ils nous faisoient aussi bonne place sur la natte auprès d’eux au plus bel endroict, puis nous offroient à manger de leur Sagamité, y en ayant souuent quelque reste dans leur pot : mais pour mon particulier i’en prenois fort rarement, tant à cause qu’il sentoit pour l’ordinaire trop le poisson puant, que pour ce que les chiens y mettoient souuent leur nez, et les enfants leur reste. Nous auions aussi fort à dégoust et à contre-cœur de voir les Sauuagesses manger les pouls d’elles et de leurs enfants ; car elles les mangent comme si c’estoit chose fort excellente et de bon goust. Puis comme par-deçà que l’on boit l’vn à l’autre, en présentant le verre à celuy à qui on a beu, ainsi les Sauuages qui n’ont que de l’eau à boire, pour toute boisson, voulans festoyer quelqu’vn, et luy monstrer signe d’amitié, apres auoir petuné luy presentent le petunoir tout allumé, et nous tenans en cette qualité d’amis et de parens, ils nous en offroient et presentoient de fort bonne grace : Mais, comme ie ne me suis iamais voulu habituer au petun, ie les en remerciois, et n’en prenois nullement, dequoy ils estoient au com-112||mencement tous estonnez, pour n’y auoir personne en tous ces pays-là, qui n’en prenne et vse, pour à faute de vin et d’espices eschauffer cet estomach, et aucunement corrompre tant de cruditez prouenantes de leur mauuaise nourriture.

Lorsque, pour quelque nécessité ou affaire, il nous falloit aller d’vn village à vn autre, nous allions librement loger et manger en leurs Cabanes, ausquelles ils nous recevoient et traictoient fort humainement, bien qu’ils ne nous eussent aucune obligation : car ils ont cela de propre d’assister les passans, et receuoir courtoisement entr’eux toute personne qui ne leur est point ennemie : et à plus forte raison, ceux de leur propre Nation, qui se rendent l’hospitalité réciproque, et assistent tellement l’vn l’autre, qu’ils pouruoyent à la nécessité d’vn chacun, sans qu’il y ait aucun pauure mendiant parmy leurs villes et villages, et trouuoient fort mauuais entendans dire qu’il y auait en France grand nombre de ces nécessiteux et mendians, et pensoient que cela fust faute de charité qui fust en nous, et nous en blasmoient grandement.