Le Grand voyage du pays des Hurons/01/10

La bibliothèque libre.
Librairie Tross (p. 104-111).
Des dances, chansons et autres ceremonies ridicules.

Chapitre X.


N os Sauuages, et generalement tous les peuples des Indes Occidentales, ont de tout temps l’vsage des dances ; mais ils l’ont à quatre fins : ou pour agreer à leurs Demons, qu’ils pensent leur faire du bien, ou pour faire feste à quelqu’vn, ou pour se resiouyr de quelque signalée victoire, ou pour preuenir et guerir les maladies et infirmitez qui leur arriuent.

151|| Lorsqu’il se doit faire quelques dances, nuds, ou couuerts de leurs brayers, selon qu’aura songé le malade, ou ordonné le Medecin, ou les Capitaines du lieu, le cry se faict par toutes les rues de la ville ou du village, aduertissant et inuitant les ieunes gens de s’y porter au iour et heure ordonnez, le mieux matachié et paré qu’il leur sera possible, ou en la maniere qu’il aura esté ordonné, et qu’ils prennent courage, que c’est pour vne telle intention, nommant le suiet de la dance : ceux des villages circonuoysins ont le mesme aduertissement, et sont aussi priez de s’y trouuer, comme ils font, à la volonté d’vn chacun : car l’on n’y contraint personne.

Cependant on dispose vne des plus grandes Cabanes du lieu, et là estans tous arriuez, ceux qui ne sont là que pour estre spectateurs, comme les vieillards, les vieilles femmes et les enfans se tiennent assis sur les nattes contre les establies, et les autres au dessus, du long de la Cabane, puis deux Capitaines estant debout, chacun vne Tortuë en la main (de celles qui seruent à chanter et souffler les malades) chantent ainsi au milieu de la dance, vne chanson, à laquelle ils accordent le son ||152 de leur Tortuë ; puis estant finie ils font tous vne grande acclamation disans, Héééé, puis en recommencent vne autre, ou repetent la mesme iusques au nombre des reprises qui auront esté ordonnées, et n’y a que ces deux Capitaines qui chantent, tout le reste dit seulement, Het, het, het, comme quelqu’un qui aspire avec vehemence : et puis tousiours à la fin de chaque chanson vne haute et longue acclamation, disans Héééé.

Toutes ces dances se font en rond, du moins en oualle, selon la longueur et largeur des Cabanes ; mais les danceurs ne se tiennent point par la main comme par deçà, ains ils ont tous les poings fermez ; les filles les tiennent l’vn sur l’autre, esloignez de leur estomach, et les hommes les tiennent aussi fermez, esleuez en l’air, et de toute autre façon, en la maniere d’vn homme qui menace, auec mouuement et du corps et des pieds, leuans l’vn et puis l’autre, desquels ils frappent contre terre à la cadence des chansons, et s’esleuans comme en demy-sauts, et les filles branslans tous le corps, et les pieds de mesme se retournent au bout de quatre ou cinq petits pas, vers celuy ou celle qui les suit, ||153 pour lui faire la reverence d’vn hochement de teste. Et ceux ou celles qui se demeinent le mieux, et font plus à propos toutes les petites chimagrées, sont estimez entr’eux les meilleurs danceurs, c’est pourquoy ils ne s’y espargnent pas.

Ces dances durent ordinairement vne, deux et trois apres-disnées, et pour n’y receuoir d’empeschement à y bien faire leur deuoir, quoy que ce soit au plus fort de l’hyuer, ils n’y portent iamais autres vestemens ou couuertures que leurs brayers, pour couurir leur nudité, si ainsi il est permis, comme il l’est ordinairement, sinon que pour quelqu’autre suiet il soit ordonné de les mettre bas, n’oublians neantmoins iamais leurs colliers, oreillettes et brasselets, et de se peinturer par-fois ; comme au cas pareil les hommes se parent de colliers, plumes, peintures et autres fatras, dont i’en ai veu estre accommodez en Mascarades ou Caresme-prenans, ayans vne peau d’Ours qui leur couuroit tout le corps, les oreilles dressées au haut de la teste, et la face couuerte, excepté les yeux, et ceux-cy ne seruoient que de portiers ou bouffons, et ne se mesloient dans la dance que par interualle, à cause qu’ils ||154 estoient destinez à autre chose. Ie vis vn iour vn de ces bouffons entrer processionnellement dans la Cabane où se deuoit faire la dance, auec tous ceux qui estoient de la feste, lequel portant sur ses espaules vn grand chien lié et garotté par les pattes et le museau, le prit par les deux jambes de derriere au milieu de la Cabane, et le rua contre terre par plusieurs fois, iusqu’à ce qu’estant mort il le fist prendre par vn autre, qui l’alla apprester dans vne autre Cabane pour le festin à l’issuë de la dance.

Si la dance est ordonnée pour vne malade, à la troisiesme ou derniere apres-disnée, s’il est trouué expedient, ou ordonné par Loki, elle y est portée, et en l’vne des reprises ou tour de chanson on la porte, en la seconde on la faict vn peu marcher et dancer, la soustenant par sous les bras : et à la troisiesme, si la force lui peut permettre, ils la font vn peu dancer d’elle-mesme, sans ayde de personne, luy criant cependant tousiours à pleine teste, Etsagon outsahonne, achieteq anatetsence, c’est à dire : prend courage femme, et tu seras demain guérie, et après les dances finies ceux qui sont destinés pour le festin y ||155 vont, et les autres s’en retournent en leurs maisons.

Il se fit vn iour vne dance de tous les ieunes hommes, femmes et fille toutes nues en la presence d’vne malade, à laquelle il fallut (traict que je ne scay commen excuser, ou passer sous silence) qu’vn de ces ieunes hommes luy pissast dans la bouche, et qu’elle auallast et beust cette eau, ce qu’elle fit avec un grand courage, esperant en receuoir guerîson : car elle-mesme desira que le tout se fit de la sorte, pour accomplir et ne rien obmettre du songe qu’elle en avoit eu : que si pendant leur songe ou resuerie il leur vient encore en la pensée qu’il faut qu’on leur fasse present d’vn chien noir ou blanc, ou d’vn grand poisson pour festiner, ou bien de quelque chose à autre vsage, à mesme temps le cry en est faict par toute la ville, afin que si quelqu’vn a vne telle chose qu’on specifie, qu’il en fasse present à vn tel malade, pour le recouurement de sa santé : ils sont si secourables qu’ils ne manquent point de la trouuer, bien que la chose soit de valeur ou d’importance entr’eux ; aymans mieux souffrir et auoir disette des choses, que de manquer au besoin à vn malade ; ||156 et pour exemple, le Père Ioseph auoit donné vn chat à vn grand Capitaine, comme vn present tres-rare (car ils n’ont point de ces animaux). Il arriua qu’vne malade songea que si on lui auoit donné ce chat qu’elle seroit bien-tost guerie. Ce Capitaine en fut aduerty, qui aussi tost luy enuoye son chat bien qu’il l’aymast grandement, et sa fille encore plus, laquelle se voyant priuée de cet animal, qu’elle aymoit passionnement, en tombe malade, et meurt de regret, ne pouuant vaincre et surmonter son affection, bien qu’elle ne voulust manquer au secours et ayde de son prochain. Trouuons beaucoup de Chrestiens qui vueillent ainsi s’incommoder pour le seruice des autres, et nous en louerons Dieu.

Pour recouurer nostre dé à coudre, qui nous auoit esté desrobé par vn ieune garçon, qui depuis le donna à vne fille, ie fus au lieu où se faisoient les dances, et ne manquay point de l’y remarquer, et le r’auoir de la fille qui l’auoit pendu à sa ceinture, auec ses autres matachias, et en attendant l’issuë de la dance, le me fis repeter par un Sauuage vne des chansons qui s’y disoient, dont en voicy vne partie que i’ay icy escrite.

157

|| Ongyata éuhaha ho ho ho ho ho,
Eguyotonuhaton on on on on on
Eyontara éientet onnet onnet onnet
Eyontara éientet à à à onnet, onnet, onnet, ho ho ho.

Ayant escrit ce petit eschantillon d’vne chanson Huronne, i’ay creu qu’il ne seroit pas mal à propos de descrire encore icy vne partie de quelque chanson, qui se disoit un iour en la Cabane du grand Sagamo des Souriquois, à la loüange du Diable qui leur auoit indiqué de la chasse, ainsi que nous apprist vn François qui s’en dist tesmoin auriculaire, et commence ainsi.

Haloet ho ho hé hé ha ha haloet ho ho h,

ce qu’ils chantent par plusieurs fois : le chant est sur ces notes,

Re fa sol sol re sol sol fa fa re re sol sol fa fa.

Vne chanson finie, ils font tous vne grande exclamation, disans hé. Puis recommencent vne autre chanson, disans,

Egrigna hau, egrigna hé hé hu hu ho ho ho, égrigna hau hau hau.

Le chant de cette-cy estoit : Fa fa fa, sol sol, fa fa, re re, sol sol, fa fa fa, re, fa fa, sol sol, fa. Ayans faict l’exclamation accoustumée, ils en commencerent vne autre qui chan-158||toit : Tameia alleluia, tameia à dou veni, hau hau, hé hé. Le chant en estoit : Sol sol sol, fa fa, re re re, fa fa, sol sol sol, fa fa, re re.

Les Brasiliens en leurs Sabats, font aussi de bons accords, comme : hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé, auec cette note, fa fa sol fa fa sol sol sol sol sol. Et cela faict s’escrioyent d’vne façon et hurlement espouuentable l’espace d’vn quart d’heure, et sautoient en l’air auec violence, iusqu’à en escumer par la bouche, puis recommencerent la musique, disans ; Heu heùraùre heùra heùraùre heùra heùra ouek. La note est : Fa mi re sol sol sol fa mi re mi re mi ut re.

Dans le pays de nos Huron, il se faict aussi des assemblées de toutes les filles d’vn bourg auprés d’vne malade, tant à sa priere, suyuant la resuerie ou le songe qu’elle en aura euë, que par l’ordonnance de Loki, pour sa santé et guerison. Les filles ainsi assemblées, on leur demande à toutes, les vnes apres les autres, celuy qu’elles veulent des ieunes hommes du bourg pour dormir auec elles la nuict prochaine : elles en nomment chacune vn, qui sont aussi tost aduertis par les Maistres de ceremonie, lesquels viennent tous au soir en la presence de la malade, ||159 dormir auec celle qui l’a choysi, d’vn bout à l’autre de la Cabane, et passent ainsi toute la nuict pendant que deux Capitaines aux deux bouts du logis chantent et sonnent de leur Tortuë du soir au lendemain matin, que la ceremonie cesse. Dieu vueille abolir vne si damnable et mal-heureuse ceremonie, auec toutes celles qui sont de mesme aloy, et que les François qui les fomentent par leurs mauuois exemples, ouurent les yeux de leur esprit pour voir le compte tres-estroict qu’ils en rendront un iour deuant Dieu.