Le Grand voyage du pays des Hurons/01/11

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Librairie Tross (p. 111-116).
De leur mariage et concubinage.

Chapitre XI.


N ovs lisons, que Cesar loüait grandement les Allemans, d’auoir eu en leur ancienne vie sauuage telle continence, qu’ils reputoient chose tres-vilaine à vn ieune homme, d’auoir la compagnie d’vne femme ou fille auant l’aage de vingt ans. Au contraire des garçons et ieunes hommes de ||160 Canada, et particulierement du pays de nos Hurons, lesquels ont licence de s’adonner au mal si tost qu’ils peuuent, et les ieunes filles de se prostituer si tost qu’elles en sont capables, voir mesme les peres et meres sont souuent maquereaux de leurs propres filles : bien que ie puisse dire auec verité, n’y auoir iamais veu donner un seul baiser, ou faire aucun geste ou regard impudique : et pour cette raison i’ose affirmer qu’ils sont moins suiets à ce vice que par deçà, dont on peut attribuer la cause, partie à leur nudité, et principalement de la teste, partie au defaut des espiceries, du vin, et partie à l’vsage ordinaire qu’ils ont du petun, la fumée duquel estourdit les sens, et monte au cerueau.

Plusieurs ieunes hommes au lieu de se marier, tiennent et ont souuent des filles à pot et à feu, qu’ils appellent non femmes Aténonha, par ce que la ceremonie du mariage n’en a point esté faicte ; ains Asqua, c’est à dire compagne, ou plustost concubine, et viuent ensemble pour autant longtemps qu’il leur plaist, sans que cela empesche le ieune homme ou la fille, d’aller uoir par-fois leurs autres amis ou amies 161|| librement, et sans crainte de reproche ny blasme, telle estant la coustume du pays.

Mais leur premiere ceremonie du mariage est ; Que quand vn ieune homme veut auoir vne fille en mariage, il faut qu’il la demande à ses pere et mere, sans le consentement desquels la fille n’est point à luy (bien que le plus souuent la fille ne prend point leur consentement et aduis, sinon les plus sages et mieux aduisées). Cet amoureux voulant faire l’amour à sa maistresse, et acquerir ses bonnes graces, se peinturera le visage, et s’accommodera des plus beaux Matachias qu’il pourra auoir, pour sembler plus beau, puis présentera à la fille quelque collier, brasselet ou oreillette de Pourcelaine : si la fille a ce seruiteur agreable, elle reçoit ce present, cela faict, cet amoureux viendra coucher auec elle trois ou quatre nuicts, et iusques là il n’y a encore point de mariage parfait, ny de promesse donnée, pource qu’apres ce dormir il arriue assez souuent que l’amitié ne continue point, et que la fille, qui pour obeyr à son pere, a souffert ce passe-droit, n’affectionne pas pour cela ce seruiteur, et faut par apres qu’il se retire sans passer ou-162||tre, comme il arriua de nostre temps à vn Sauuage, enuers la seconde fille du grand Capitaine de Quieunonascaran, comme le pere de la fille mesme s’en plaignoit à nous, voyant l’obstination de sa fille à ne vouloir passer outre à la derniere ceremonie du mariage, pour n’auoir ce seruiteur agreable.

Les parties estans d’accord, et le consentement des pere et mere estant donné, on procede à la seconde ceremonie du mariage en cette maniere. On dresse vn festin de chien, d’ours, d’eslan, de poisson ou d’autres viandes qui leur sont accommodées, auquel tous les parens et amis des accordez sont inuitez. Tout le monde estant assemblé, et chacun en son rang assis sur son seant, tout à l’entour de la Cabane ; Le pere de la fille, ou le maistre de la ceremonie, à ce deputé, dict et prononce hautement et intelligiblement deuant toute l’assemblee, comme tels et tels se marient ensemble, et qu’à cette occasion a esté faicte cette assemblée et ce festin d’ours, de chien, de poisson, etc., pour la resiouyssance d’vn chacun, et la perfection d’vn si digne ouurage. Le tout estant approuué, et la chaudiere nette, chacun se ||163 retire, puis toutes les femmes et filles portent à la nouuelle mariée, chacune vn fardeau de bois pour sa prouision, si elle est en saison qu’elle ne le peust faire commodement elle-mesme.

Or, il faut remarquer qu’ils gardent trois degrez de consanguinité, dans lesquels il n’ont point accoustumé de faire mariage : sçauoir est, du fils auec sa mere, du pere auec sa fille, du frere auec sa sœur, et du cousin auec sa cousine ; comme le recogneus appertement vn iour, que ie monstray vne fille à vn Sauuage, et luy demanday si c’estoit là sa femme ou sa concubine, il me respondit que non, et qu’elle estoit sa cousine, et qu’ils n’auoient pas accoustumé de dormir auec leurs cousines ; hors cela toutes choses sont permises. De douaire il ne s’en parle point, aussi quand il arriue quelque diuorce, le mary n’est tenu de rien.

Pour la vertu et les richesses principales que les pere et mere desirent de celui qui recherche leur fille en mariage, est, non seulement qu’il ait vn bel entre gent, et soit bien matachié et enjoliué ; mais il faut outre cela, qu’il se monstre vaillant à la chasse, à la guerre et à la pesche, et qu’il ||164 sçache faire quelque chose, comme l’exemple suyuant le monstre.

Vn Sauuage faisoit l’amour à vne fille, laquelle ne pouuant auoir du gré et consentement du pere, il la rauit, et la prit pour femme. Là dessus grande querelle, et enfin la fille luy est enleuée, et retourne auec son pere : et la raison pourquoy le pere ne vouloit que ce Sauuage eust sa fille, estoit, qu’il ne la vouloit point bailler à vn homme qui n’eust quelque industrie pour la nourrir, et les enfans qui prouiendroient de ce mariage. Que quant à luy il ne voyoit point qu’il sceust rien faire, qu’il s’amusoit à la cuisine des François, et ne s’exerçoit point à chasser : le garçon pour donner preuue de ce qu’il sçauoit par effect, ne pouuant autrement r’auoir la fille, va à la chasse (du poisson) et en prend quantité, et apres cette vaillantise, la fille luy est rendue, et la reconduit en sa Cabane, et firent bon mesnage par ensemble, comme ils auoient faict par le passé.

Que si par succession de temps il leur prend enuie de se separer pour quelque suiet que ce soit, ou qu’ils n’ayent point d’enfans, ils se quittent librement, le mary ||165 se contentant de dire à ses parens et à elle, qu’elle ne vaut rien, et qu’elle se pouruoye ailleurs, et dés lors elle vit en commun auec les autres, iusqu’à ce que quelqu’autre la recherche ; et non seulement les hommes procurent ce diuorce, quand les femmes leur en ont donné quelque suiet ; mais aussi les femmes quittent facilement leurs marys, quand ils ne leur agreent point : d’où il arriue souuent que telle passe ainsi sa ieunesse, qui aura eu plus de douze ou quinze marys, tous lesquels ne sont pas neantmoins seuls en la iouyssance de la femme, quelques mariez qu’ils soient : car la nuict venue les ieunes femmes et filles courent d’vne Cabane à autre, comme font, en cas pareil, les ieunes hommes de leur costé, qui en prennent par où bon leur semble, sans aucune violence toutefois, remettant le tout à la volonté de la femme. Le mary fera le semblable à sa voysine, et la femme à son voysin, aucune jalousie ne se mesle entr’eux pour cela, et n’en reçoiuent aucune honte, infamie ou des-honneur.

Mais lorsqu’ils ont des enfans procreez de leur mariage, ils se separent et quittent rarement, et que ce ne soit pour vn grand ||166 suiet, et lors que cela arriue, ils ne laissent pas de se remarier à d’autres, nonobstant leurs enfans, desquels ils font accord à qui les aura, et demeurent d’ordinaire au pere, comme i’ay veu à quelques-vns, excepté à vne ieune femme, à laquelle le mary laissa vn petit fils au maillot, et ne sçay s’il ne l’eust point encore retiré à soy, apres estre sevré, si leur mariage ne se fust r’accommodé, duquel nous fusmes les intercesseurs pour les remettre ensemble et apaiser leur debat, et firent à la fin ce que nous leur conseillasmes, qui estoit de se pardonner l’vn l’autre, et de continuer à faire bon mesnage à l’aduenir, ce qu’ils firent.

Vne des grandes et plus fascheuses importunitez qu’ils nous donnoient au commencement de nostre arriuée en leur pays, estoit leur continuelle poursuite et prieres de nous marier, ou du moins de nous allier auec eux, et ne pouuoient comprendre nostre maniere de vie Religieuse : à la fin ils trouuerent nos raisons bonnes, et ne nous en importunerent plus, approuuans que ne fissions rien contre la volonté de nostre bon Pere Iesvs ; et en ces poursuites les femmes et filles estaient, ||167 sans comparaison, pires et plus importunes que les hommes mesmes, qui venoient nous prier pour elles.