Le Grand voyage du pays des Hurons/01/16

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Librairie Tross (p. 132-136).
Des cheueux et ornemens du corps.

Chapitre XVI.


L es Canadiens et Montagnets, tant hommes que femmes, portent tous longue cheuelure, qui leur tombe et bat sur les espaules, et à costé de la face, sans estre noüez ni attachez, et n’en couppent qu’vn bien peu du deuant, à cause que cela leur empescheroit de voir en courant. Les fem-190||mes et filles Algoumequines mypartissent leur longue cheuelure en trois : les deux parts leur pendent de costé et d’autre sur les oreilles et à costé des iouës ; et l’autre partie est accommodée par derrière en tresse, en la forme d’vn marteau pendant, couché sur le dos. Mais les Huronnes et Petuneuses ne font qu’vne tresse de tous leurs cheueux, qui leur bat de mesme sur le dos, liez et accommodez auec des lanieres de peaux fort sales. Pour les hommes, ils portent deux grandes moustaches sur les oreilles, et quelques-vns n’en portent qu’vne, qu’ils tressent et cordelent assez souuent auec des plumes et autres bagatelles, le reste des cheueux est couppé court, ou bien par compartimens, couronnes clericales, et en toute autre maniere qu’il leur plaist : i’ai veu de certains vieillards, qui auoient desia, par maniere de dire, vn pied dans la fosse, estre autant ou plus curieux de ses petites parures, et d’y accommoder du duuet de plumes, et autres ornemens, que les plus ieunes d’entr’eux. Pour les Cheueux releuez, ils portent et entretiennent leur cheueux sur le front, fort droicts et releuez, plus que ne sont ceux de nos Dames ||191 de par-deçà, couppez de mesure, allans tousiours en diminuant de dessus le front au derrière de la teste.

Generallement tous les Sauuages, et particulierement les femmes et filles, sont grandement curieuses d’huiler leurs cheueux, et les hommes de peindre leur face et le reste du corps, lorsqu’ils doiuent assister à quelque festin, ou à des assemblées publiques : que s’ils ont des Matachias et Pourceleines ils ne les oublient point, non plus que les Rassades, Patinotres et autres bagatelles que les François leur traitent. Leurs Pourceleines sont diuersement enfilées, les vnes en coliers, larges de trois ou quatre doigts, faicts comme une sangle de cheual qui en auroit ses fisseles toutes couuertes et enfilées, et ces coliers ont enuiron trois pieds et demy de tour, ou plus qu’elles mettent en quantité à leur col, selon leur moyen et richesse, puis d’autres enfilées comme nos Patinotres, attachées et penduës à leurs oreilles, et des chaisnes de grains gros comme noix, de la mesme Pourceleine qu’elles attachent sur les deux hanches, et viennent par deuant arrangées de haut en bas, par dessus les cuisses ou brayers qu’elles portent : et 192|| en ay veu d’autres qui en portaient encore des brasselets aux bras, et de grandes plaques par deuant leur estomach, et d’autres par derriere, accommodez en rond, et comme vne carde à carder la laine, attachez à leurs tresses de cheueux : quelqu’vnes d’entr’elles ont aussi des ceintures et autres parures, faictes de poil de porc-espic, teincts en rouge cramoisy, et fort proprement tissuës, puis les plumes et les peintures ne manquent point, et sont à la deuotion d’vn chacun.

Pour les ieunes hommes, ils sont aussi curieux de s’accommoder et farder comme les filles : ils huilent leurs cheueux, y appliquent des plumes, et d’autres se font de petites fraises de duuet de plumes à l’entour du col : quelques-vns ont des fronteaux de peaux de serpens qui leur pendent par derriere, de la longueur de deux aulnes de France. Ils se peindent le corps et la face de diuerses couleurs ; de noir, vert, rouge, violet, et en plusieurs autres façons ; d’autres ont le corps et la face grauée en compartiments, auec des figures de serpens, lezards, escureux et autres animaux, et principalement ceux de la Nation du Petun, qui ont tous, pres-193||que, les corps ainsi figurez, ce qui les rend effroyables et hydeux à ceux qui n’y sont pas accoustumez : cela est picqué et faict de mesme, que sont faictes et grauuées dans la superficie de la chair, les Croix qu’ont au bras ceux qui reuiennent de Ierusalem, et c’est pour vn iamais ; mais on les accommode à diuerses reprises, pour ce que ces piqueures leur causent de grandes douleurs et en tombent souuent malades, jusques à en auoir la fievre, et perdre l’appetit, et pour tout cela ils ne desistent point, et font continuer iusqu’à ce que tout soit acheué, et comme ils le desirent, sans tesmoigner aucune impatience ou depit, dans l’excez de la douleur : et ce qui m’a plus faict admirer en cela, à esté de voir quelques femmes, mais peu, accommodées de la mesme façon. I’ai aussi veu des Sauuages d’vne autre Nation, qui auoient tous le milieu des narines percées, ausquelles pendoit vne assez grosse Patinotre bleuë, qui leur tombait sur la levre d’en haut.

Nos Sauuages croyaient au commencement que nous portions nos Chappelets à la ceinture pour parade, comme ils font leurs Pourceleines, mais sans comparai-194||son ils faisoient fort-peu d’estat de nos Chappelets, disans qu’ils n’estoient que de bois, et que leur Pourceleine, qu’ils appellent Onocoirota estoit de plus grande valeur.

Ces Pourceleines sont des os de ces grandes coquilles de mer, qu’on appelle Vignols, semblables à des limaçons, lesquels ils decoupent en mille pièces puis les polissent sur un graiz, les percent, et en font des coliers et brasselets, auec grand’peine et trauail pour la dureté de ces os, qui sont toute autre chose que nostre yuoire, lequel ils n’estiment pas aussi à beaucoup prés de leur Pourceleine, qui est plus belle et blanche. Les Brasiliens en vsent aussi à se parer et attiffer comme eux.

I’auois à mon Chappelet vne petite teste de mort en buys, de la grosseur d’vne noix, assez bien faicte, beaucoup d’entr’eux la croyaient auoir esté d’vn enfant viuans, non que le leur persuadasse : mais leur simplicité leur faisoit croire ainsi, comme aux femmes de me demander à emprunter mon capuce et manteau en temps de pluye, ou pour aller à quelque festin : mais elles me prioyent en vain, ||195 comme il est aysé à croire. Pour nos Socquets ou Sandales, les Sauuages et Sauuagesses les ont presque tous voulu esprouuer et chausser, tant ils les admiraient et trouuoient commodes, me disant apres, Auiel, Saracogna, Gabriel, fais-moy des souliers ; mais il n’y auoit point d’apparence, et estoit hors de mon pouuoir de leur satisfaire en cela, n’ayant le temps, l’industrie, ny les outils propres : et de plus, si i’eusse vne fois commencé de leur en faire, ils ne m’eussent donné aucun relasche, ny temps de prier Dieu, et de croire qu’ils se fussent donné la peine d’apprendre, ils sont trop faineants et paresseux : car ils ne font rien du tout, que par la force de la necessité, et voudroient qu’on leur donnast les choses toutes faictes, sans auoir la peine d’y aider seulement du bout du doigt ; comme nos Canadiens, qui ayment mieux se laisser mourir de faim, que de se donner la peine de cultiuer la terre, pour auoir du pain au temps de la necessité.