Le Huit

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Chants révolutionnairesAu bureau du Comité Pottier (p. 91-92).


LE HUIT



Au citoyen Paul Lafargue.


Toi, la terreur du pauvre monde,
Monsieur Vautour ! monsieur Vautour !
Quittance en main, tu fais ta ronde.
Déjà le huit ! déjà ton jour !
Vautour !

Cet homme a donc créé la terre,
Le moellon… le fer et le bois !
— Non ! … Cet homme est propriétaire,
Son terme vient tous les trois mois.

Oh ! c’est un rude personnage.
Avant tout autre créancier
Il peut vendre notre ménage,
Nous donner congé par huissier…

De par la loi sèche et bourrue,
Femmes en couche et moribonds,
Tant pis, s’il vous flanque à la rue !
On ramasse les vagabonds !

Lorsque chômage et maladie
Attristent déjà nos foyers,
Sur nous, comme une épidémie,
Sévit la hausse des loyers.


Depuis dix ans la vie afflue
Dans son quartier de terrains nus :
Encaissant seul la plus-value,
Il décuple ses revenus.

Avec nos pleurs, nos sueurs vaines.
Il a gâché tout son mortier.
C’est le plus pur sang de nos veines
Qu’il touche en rentes par quartier.

Un prompt remède est nécessaire…
Vautour est féroce et subtil :
Mais, s’il pousse à bout la misère,
Comment cela finira-t-il ?

Il faut que le pauvre s’abrite,
On a sommeil comme on a faim.
Ne doit-on pas taxer le gîte
Comme l’on a taxé le pain ?

L’usure a ses heures tragiques.
Foulon vous apprend, mes amours,
Comme on promène au bout des piques
La tête pâle des vautours.

Toi, la terreur du pauvre monde,
Monsieur Vautour ! monsieur Vautour !
Quittance en main, tu fais ta ronde.
Déjà le huit ! déjà ton jour !
Vautour !


Paris, 1882