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Le Japon (Villetard)/III/I

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette et Cie (p. 50-53).

CHAPITRE III

QUELQUES MOTS SUR L’HISTOIRE DU JAPON

I

Les temps héroïques.

Nous avons dit que les Aïnos semblent avoir été les premiers habitants du Japon, ou au moins d’Yéso et du Niphon.

À une époque indéterminée, mais qu’on peut placer vers le VIIIe ou le VIIe siècle avant Jésus-Christ, des conquérants appartenant probablement à la race malaise arrivent par le sud et refoulent vers le nord les premiers occupants. Leur chef, inscrit en tête de la liste des mikados, s’appelait Zin-Mou, et les légendes en font un descendant direct de la déesse du Soleil. D’après les mêmes récits fabuleux, il régna jusqu’à l’âge de cent trente-sept ans. Ses successeurs, toujours d’après les mêmes autorités, ne furent pas moins favorisés que lui sous le rapport de la longévité, car parmi les seize premiers on ne compte pas moins de treize centenaires. L’un d’eux atteint l’âge respectable de cent quarante et un ans et un autre va jusqu’à sa cent quarante-quatrième année.

Parmi ces princes des temps fabuleux, nous signalerons Sujin, le dixième par ordre chronologique, à qui l’on attribue la gloire d’avoir encouragé l’agriculture, creusé des canaux et construit des navires. Il aurait aussi organisé les forces du pays pour tenir tête aux Aïnos. C’est enfin lui qui aurait créé en faveur d’un de ses lieutenants le titre et la dignité de shogoun ; mais les shogouns des premiers siècles ne furent que des chefs d’armée, soumis aux mikados, de qui ils tenaient leur pouvoir.


ZIN-MOU.

En l’an 860 de l’ère japonaise (200 après J.-C.), une impératrice — car la loi salique n’existe pas au Japon, quoique, en fait, les femmes y aient rarement monté sur le trône — l’impératrice Zingou-Kogo dirige en personne contre la Corée une expédition d’où elle revient triomphante. Cette guerre, entourée dans les légendes du pays d’évènements miraculeux, eut une influence considérable sur les destinées du Japon. La Corée était une province tributaire de l’empire de Chine, dans lequel les lettres, les arts et les sciences avaient déjà pris un développement très considérable, tandis que le Niphon était encore plongé dans l’ignorance. Cette victoire sur la Corée fut pour les Japonais ce qu’avait été pour les Romains la réduction de la Grèce en province romaine[1]:

Græcia capta ferum victorem cepit.

Les Chinois, appelés par des voisins qui avaient appris à connaître et à estimer leur civilisation, vinrent en grand nombre s’établir dans le Niphon et y apportèrent leur religion, leur écriture, leur littérature, leurs arts et leur industrie.

Pendant les sept siècles suivants, le pays, en paix avec la Chine et la Corée, jouit aussi à l’intérieur d’une assez grande tranquillité. C’est pendant cette période que s’établissent les castes et que la noblesse militaire acquiert ses privilèges.

C’est aussi pendant ce temps que les chefs de l’armée, les shogouns, étendent peu à peu leur pouvoir, et de simples commandants militaires deviennent insensiblement les vrais maîtres de l’empire. Une seule époque dans notre histoire peut donner une idée de la façon dont cette transformation s’accomplit, et du rôle respectif des shogouns et des mikados : c’est la période qui s’étend de la fin du vie siècle à la fin du viiie, pendant laquelle les maires du palais conquièrent peu à peu la réalité d’un pouvoir dont les descendants de Mérovée continuent à garder le titre et l’apparence. Seulement, en France, les maires du palais n’ont pas mis tout à fait deux siècles à renverser les rois fainéants et à prendre leur place. Au Japon, les shogouns ont été pendant plusieurs siècles les rivaux et presque toujours les maîtres réels des mikados ; à chaque instant la guerre entre les deux chefs était prête à éclater ; les conspirations ourdies par les partisans de l’un des deux pouvoirs contre le pouvoir rival étaient incessantes. Plusieurs shogouns ont été de grands politiques et de grands capitaines auxquels il aurait été facile, à ce qu’il semble, de renverser le prince fainéant, invisible et immobile dans son palais de Kioto ; et cependant les conspirations ont échoué ou avorté ; tantôt les mines ont été éventées, tantôt on a oublié ou négligé d’y mettre le feu ; ceux des shogouns qui semblaient invincibles ont respecté volontairement l’antique majesté des mikados et sont même venus leur apporter le tribut de leur vénération officielle ; et lorsqu’au bout de six siècles la lutte s’est engagée à fond, c’est le maire du palais qui a été battu par le roi fainéant.

  1. La Grèce, prise par Rome, prit à son tour ses grossiers vainqueurs.