Le Jardin des dieux/Ô mon pays tigré…

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 65-70).



Ô MON PAYS TIGRÉ…


Ô mon pays tigré, pareil à la panthère
Sous le rayonnement de tes rayures d’or,
Je sais bien à présent quelle couleur la terre
A des tours de Négrine aux grottes de Nador.

Ici, devant l’azur de la mer éloquente
Je t’ai vue échauffée aux bras des ceps rampants,
      Odorante et rousse bacchante
Qui se renverse et crie aux flancs de l’ægipan.


Là, j’ai vu pendre ainsi que de lourdes mamelles
      Les grappes de tes bleus raisins
      Parmi les thyrses que tu mêles,
Peut-être, au geste obscur de tes dieux souterrains.

J’ai vu se rebrousser sur tes campagnes claires
Au brusque vent marin tes oliviers d’argent
Et les rouges vaisseaux, tour à tour, émergeant
Surgir de cette mer où dorment les galères.

J’entends encor jaillir le cri de tes pressoirs…
      Au loin, un pâtre de Virgile
Découpe sous les pins où s’allume le soir
      Son beau torse couleur d’argile.

Parfois, une clameur dans le vent lourd de sel
Saluait comme un hymne autour d’une charrue
Quelque pâle Cybèle au soleil reparue
      Avec son sourire éternel…


Puis, j’ai quitté la mer brûlante et le rivage,
Abordant la montagne où, planant sans repos,
      Ton aigle avec un cri sauvage
      Tournoie au-dessus des troupeaux.

J’ai vu, dans la tristesse immense de tes plaines
Où la terreur, de Rome même, triompha,
Comme un jaune océan la houle de l’alfa
      Envahir tes ruines lointaines !

Là, debout, de sa serpe animant l’horizon,
Le moissonneur plongé dans la vague des seigles
      Silhouettait son profil d’aigle
Sur le fond jaune et bleu du ciel et des moissons,

Et le nomade obscur interrompant sa course
Rêvait en s’appuyant sur son bâton durci
Où les sept clous de cuivre étincellent, ainsi
Que sur le fauve Atlas s’embrase la Grande Ourse.


Alors, portant plus loin encore mon désir
Vers le steppe où le sel brûle les touffes d’orge
Et d’où l’on voit la lune énorme s’arrondir
      Entre les murailles des gorges,

Au triste braillement des chameaux hébétés
Suivant de l’aube au soir la caravane lente,
J’ai dépassé ton seuil, ô Porte étincelante
Ouvrant sur le silence et sur l’immensité !