Le Jardin des dieux/Le Chapelet de jasmin/Casbah

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 17-18).



CASBAH



Casbah, ville de proie ombrageuse et fermée,
      Tes durs seigneurs d’ombre, où sont-ils ?
Je regarde, ce soir, ton tragique profil
      De prisonnière désarmée.

Sous tes porches sanglants j’évoque tes pillards
Dont la gloire, bravant les ruines, passe outre
Et hante encor ces murs appuyés à leurs poutres
      Comme des lépreux béquillards !

Plus rude que les rocs où le bec d’aigle s’use,
Voici l’aire sans fin des terrasses, voici,
Au coudoiement puissant de tes siècles noirci,
Ton repaire abrité de la mer et des ruses.


Là, comme aux soirs lointains de ta prospérité,
      Sur les crevasses des ruelles,
Sirius d’or revient, magnifique et cruelle,
Te livrer toute bleue à son philtre enchanté.

Tu songes, on dirait que tu te remémores
Et, visages de marbre au milieu des jardins,
Les tombeaux de tes beys apparaissent soudain
Sous les belles-de-nuit et sous les sycomores.

Alors, comme je t’aime immensément, tandis
Que s’irrite le pouls violent de ta fièvre
Au rauque halètement des flûtes à ta lèvre
      Et de tes tambours assourdis.

Cependant que, dans l’aube ardente des nuits claires,
      Brûlante encore de passé,
La mer qui se souvient de tes fastes brassés
      Charge de lune tes galères.