Le Jardin des dieux/Le Golfe entre les palmes/Petite Ville

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 181-184).
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PETITE VILLE



Petite ville ordinaire
Entre la mer et le mont
Où gronde encor le tonnerre
De ton Jupiter Ammon,

Voici la poste et l’église
Neuves sous un ciel parfait,
Voici l’heure où vocalise
La femme du sous-préfet.

Dix heures. L’ombre recolle
Son ruban le long des toits.
J’entends en longeant l’école
Ruisseler de fraîches voix.


C’est l’heure laborieuse
Où gloussent les poulaillers.
Je vois, dans l’ombre rieuse
La fontaine scintiller.

Le facteur passe et plaisante
Avec le maître charron…
Une bouteille luisante
Brûle sous les liserons.

Et de la caserne immense
Que le soleil s’arrogea
Un clairon qui recommence
Sonne la soupe, déjà…

Nous, sous ton ciel monotone
Où rien de grand n’est resté,
Nous allons, et je m’étonne
De ta médiocrité.


Sans doute, au square où tes arbres
Sont chatouillés des lézards
Sous sa cuirasse de marbre
Luit le torse d’un César.

Et, dans ton musée où bâille
Un gardien qui ne sait pas,
Se renfle sur tes médailles
Le dauphin que tu frappas !

L’écho de tes vieilles portes
Sous leur voûte où nous crions
Réveille au flanc des cohortes
L’ordre des centurions.

Je vois, au soleil qui baigne
La légion sans repos,
Flotter au haut d’une enseigne
L’horrible dragon de peau.


Et dans l’aube où je retrouve
Son profil maigre et dentu,
Je sais ce que dit la Louve
À tes chiens qui se sont tus.

Tu ne sais plus. Tu t’agrafes
À la pente du côteau…
Oh ! les fils du télégraphe
Le long des arcs triomphaux !

Et de la petite place
Où ton arroseur public
Asperge d’une main lasse
Les buis et le basilic,

J’évoque sur ton rivage
La grande aurore d’argent
Où ta mouette sauvage
Suivait l’aigle de Trajan.