Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/I/Beaux platanes…
VII
Beaux platanes au cœur mouillé,
Musique vive des fontaines,
Palais déserts, maisons sereines,
Jardins, comme vous m’accueillez !
Mettrez-vous ma nouvelle enfance
Entre vos bras qui reposaient,
Ô ville que Stendhal trouvait
La plus amoureuse de France ?
Voici mes lèvres et mes mains
Appuyées sur vos paysages ;
Voici l’amour de mon visage
Qui dévore votre destin.
Vasques, guirlandes, balustrades,
Cours d’honneur, pavillons, châteaux,
Cézanne qui souffre, Van Loo
Qui sourit, Chastel qui parade,
Nicolas Froment qui peint Dieu
Viennent à moi. Quelle maîtresse
Prend René d’Anjou qui paresse
Sous des rideaux de laine bleue ?
Tant d’allées de buis ! tant d’alcôves !
Tant de boudoirs ! tant de jets d’eau !
Vauvenargues meurt, Mirabeau
Fait du bruit, Pauline se sauve
Dans les bosquets de la Barben ;
Et moi, ville si parfumée,
Je cours dans cette chevauchée,
Dans cette ombre et dans ce matin.
Que vous me donnez de clémence
Et déjà de fidélité !
Que de roses vous me jetez
Ô bouquetière de Provence,
Aix des Noëls de Saboly,
Des Fête-Dieu, des livres d’heures,
Des clochers qui chantent et pleurent,
Des jours de marchés éblouis,
Aix des messagers et des routes,
Des auberges, des champs de blé,
Aix du ciel le plus étoilé,
Aix que je sens et que j’écoute !
Mon bonheur n’était-il point né
Que je le puise en ces fontaines,
En ces beaux jardins, en ces plaines,
En ce silence couronné ?
N’était-il point né que ma vie
Ait pris son essor tout à coup ?
Que de colliers sont à mon cou !
Que je caresse d’harmonies !
L’olivier tremble, le laurier
Courbe ses branches sur ma tête.
Les rives de l’Arc sont muettes
Mais l’eau passe sur le gravier.
La halle aux grains est toute blonde
Entre deux places qui lui font
Une corbeille. Les maisons
Ont des remises si profondes
Qu’on y cacherait un pays.
Le matin me charge d’offrandes ;
Les yeux des trieuses d’amandes
Se jouent de mon cœur ébloui.
Je suis une roue de lumière
Qui tourne dans mille flambeaux.
Si je rencontre mon tombeau
Je l’étoufferai sous du lierre.