Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/III/Je clos mes yeux…

La bibliothèque libre.
G. Oudin & Cie (p. 115-116).



XII


Je clos mes yeux… Ma pipe est morte… Bonne nuit.
Je rentre dans mon cœur comme dans un village.
Le chat ronronne auprès du feu ; tranquille bruit !
Et voici les jets d eau d’étranges paysages.

Qui frappe ?… Entrez !… Une révérence… Le temps
Couvert de pluie, de songe et d’histoires lointaines.
Ah ! c’est vous ?… Et je rêve et suis ce bel enfant
Qui regarde, sans les toucher, des porcelaines.


Du lierre et des allées. Nuages ! Un jardin
Dans lequel un rouet file ses aventures.
La belle du Canet a des roses en main
Et des amours et des œillets à la ceinture.

Une cloche. C’est Marie-Blanche de Grignan
Qui prie dans le couvent désert des Ursulines.
Dies iræ. Ô le mélange si troublant
Des cornettes et des robes de mousseline !

Qui joue la comédie au temple de Watteau ?
Cet escalier secret ?… Tout se tait, tout soupire.
Une femme, en tremblant, lit Jean-Jacques Rousseau.
Dans un boudoir Chrétienne d’Aguerre conspire.

Des miroirs, des transports ! Que j’ai vu de portraits
Et d’abat-jour de soie sur la lampe ravie.
Qui vit sur ce balcon ? Qui dort sous ce cyprès ?
Quel est ce clavecin et quelle est cette amie ?

Musicale langueur du soir provincial
Chargé d’étoiles et d’embruns comme un navire !
Je suis ce bel enfant qui regarde le bal
Des reines de biscuit et des poupées de cire.