Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/III/Je relis Mireille…

La bibliothèque libre.
G. Oudin & Cie (p. 109-113).



XI


À Mistral.

Je relis Mireille
Il fait très doux dans la maison.
Le feu luit dans la cheminée.
J’entends des musiques d’abeilles
— Les dernières de la saison —
Sur les sarments de la veillée.


Quand de mon doigt mouillé
Je tourne la page,
Je tourne aussi des paysages.
C’est Saint-Remy,
Les Antiques, l’ombre des Baux,
Les mûriers
Et les oliviers,
L’huile vierge de mon pays,
Le Rhône, les Saintes, la Crau…

Je connais un gardian qui s’appelle d’Arbaud,
Mais je n’ai pas trouvé son nom
Dans cette belle histoire.
Si je savais la raison
De mon cœur et de ma mémoire,
Mistral je t’aurais déjà dit
Pourquoi, lisant tes vers, je songe à mon ami.

Pardonne-moi
De n’être tout entier à l’accord de ta voix,
Mais Mireille c’est tant la Provence,
Que l’on peut bien y ajouter
Le souvenir et l’insistance
De ceux qui savent la chanter.


Le vent glisse sur la croisée.
J’entends l’hiver dans les allées.
On a brûlé les feuilles mortes.
J’entends l’hiver contre ma porte.
Le vent glisse sur la croisée.

Ce soir, qu’importe le jardin !
Je suis près de la cheminée ;
Mireille me donne la main.
Je cueille le bon grain de mes jeunes années.

La ville des fontaines
Et du roi René
Est, là-bas, endormie…

Du livre s’envole ma pensée ;
Pourtant Mireille l’a suivie.

Mistral en écolier,
Mistral pas encor roi,
Mistral venant à Aix pour y étudier !
C’est à celui-là que je tends la rose,
La rose qui vit douze mois.


Le temps passe, le temps presse.
Qui sait le blé dont il dispose ?
Il faut aller à la jeunesse.

Mistral, je veux encor te parler de d’Arbaud
Car il vint, comme toi, dans la ville aux fontaines.
Dans les mêmes chemins et dans les mêmes plaines
Se rencontrent, parfois, les hommes les plus beaux.

Le temps passe, le temps presse,
Qui sait le blé dont il dispose ?
Il faut aller à la jeunesse.

Quel est le fils, Mistral, que tu chéris le mieux ?
À qui vas-tu laisser, en t’approchant de Dieu,
Ta couronne qui luit et ton sceptre qui tombe ?

Je vois un cavalier
Qui brandit le trident et cueille le laurier.

Ô Mistral, c’est d’Arbaud qui fleurira ta tombe !


Je relis Mireille
Il fait très doux dans la maison.
Le feu luit dans la cheminée.
J’entends des musiques d’abeilles
— Les dernières de la saison —
Sur les sarments de la veillée.