Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/III/Que vous êtes chargée de grâce…
III
— Que vous êtes chargée de grâce romantique !
Que vous avez souffert ! que vous avez aimé !
Reposez-vous… C’est la province bucolique
Dans laquelle vous êtes née.
Reposez-vous…
J’habite ce pays depuis quelques années.
Partagez avec moi ce raisin parfumé,
Cet ombrage, ce ciel, ces fleurs et ce vin doux.
Ce sont les cloches d’une église
Qui sonnent.
— Je viens de Venise.
— Prions pour Musset, voulez-vous ?
— Ah ! que l’on m’a fait de reproches
Sur ce roman !…
Pourquoi ces cloches
Sonnent-elles tout le temps ?
— Sans doute pour des morts qui vont en Paradis…
Mais quelle idée d’avoir écrit
Ce livre ?… de la jalousie ?
— Je vous jure… j’étais l’amie
De Musset. Le monde est méchant.
— Reposez-vous.
Encor du raisin ? du vin doux ?
Nous sommes dans votre province
Et pas grand’chose n’a changé.
— Ce bruit ?
— C’est la chaîne du puits
Qui grince.
— Ce bruit ?
— Le vent qui fait bouger
Un laurier-rose.
De quoi tremblez-vous ?
— De rien et de mille choses !
— Reposez-vous.
— Ah ! mon temps de petite fille !
Saint-Jean et son vitrail qui brille !
— Le vitrail brille toujours.
— N’avoir eu pour tout amour
Qu’une romance de fontaine
Dans sa ville ! Que j’ai de peine !
— Ne retournez à Paris.
Que vous fait ce qu’on écrit ?
Avec moi restez ici.
Des fruits ? Chaque saison m’en porte.
Du vin ? Il en coule à ma porte…
— Pourquoi suis-je déjà morte !