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Le Jour de Saint-Valentin/27

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Le Jour de Saint-Valentin ou La Jolie Fille de Perth
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 23p. 322-338).


CHAPITRE XXVII.

LE VOYAGE.


Austin l’a fait humblement. L’a-t-il fait ? dit-il. Austin peut le faire aussi pour moi.
Pope.


Nous ne pouvons mieux suivre le fil de notre histoire qu’en accompagnant Simon Glover dans son voyage. Notre dessein n’est point d’indiquer exactement les limites des deux clans ennemis, va surtout qu’elles ne sont pas clairement désignées par les poètes qui nous ont transmis les détails de cette mémorable guerre. Il suffit de dire que le clan de Chattan était fort étendu, qu’il comprenait Caithness et le Sutherland, et avait pour principal chef le puissant comte de ce dernier comté, qu’on appelait alors Morh, ar Chat[1]. Dans ce sens général, les Keihs, les Sinclairs, les Guns et d’autres familles fort puissantes faisaient partie de la confédération. Néanmoins ces familles ne prirent aucune part à la présente querelle, qui regardait particulièrement la partie du clan de Chattan qui occupait le territoire montueux du Serthshire et de l’Inversneshire, qui forme une grande portion de ce qu’on appelle les hautes terres du nord-est. On sait que deux races puissantes, connues pour appartenir au clan de Chattan, les Mac-Pherson et les Mac-Intosh se disputent encore aujourd’hui pour savoir lequel de leurs chefs était à la tête de cette branche Badenoch de la grande confédération, et tous deux ont dans ces derniers temps, pris le titre de chef du clan de Chattan. Non nostrum est[2]… Quoi qu’il en soit, Badenoch doit avoir été le centre de la confédération pour les tribus qui prirent part à la querelle qui nous occupe.

Sur la confédération rivale, formant le clan de Quhele, nous possédons encore moins de détails, et ce, pour des raisons que nous dirons dans la suite. Quelques auteurs ont identifié ce clan avec la race nombreuse et puissante de Mac-Kay. Si cette opinion est fondée sur quelque autorité, ce dont on peut douter, les Mac-Rays se sont bien éloignés du territoire qu’ils occupaient au temps du roi Robert III, puisqu’on les retrouve aujourd’hui (comme clan) à l’extrémité nord de l’Écosse, dans les comtés de Ross et de Sutherland. Nous ne pouvons donc être aussi clair que nous le désirerions dans la géographie de cette histoire ; nous dirons seulement que, dirigeant sa route vers le nord-ouest, le gantier voyagea pendant une journée dans la direction du pays de Breandalbane, d’où il espérait gagner le château que Mac-Jean, chef du clan de Quhele, et père de son apprenti Conachar, habitait ordinairement avec une pompe barbare, une suite et un cérémonial conformes à ces hautes prétentions. Nous ne nous arrêterons pas à décrire les fatigues et les dangers de ce voyage à travers des déserts et des montagnes : il fallait tantôt gravir des ravins escarpés, tantôt traverser des fondrières, et souvent passer de larges ruisseaux et même des rivières. Simon Glover avait déjà couru tous ces dangers par amour d’un gain honnête, et l’on ne pouvait supposer qu’ils lui parussent insurmontables quand il s’agissait de sauver sa liberté, ou même sa vie.

Le caractère belliqueux et barbare des habitants de ces pays sauvages eût paru à tout autre au moins aussi redoutable que les dangers du voyage ; mais la connaissance qu’avait Simon des mœurs et du langage de ces peuples le rassurait sur ce point. Un appel à l’hospitalité du Gaël le plus sauvage n’est jamais sans succès, et le montagnard, qui, dans toute autre circonstance, tuerait un homme pour avoir l’agrafe d’argent de son manteau, se priverait de sa propre nourriture pour secourir le voyageur qui a demandé l’hospitalité à la porte de sa chaumière. L’art de voyager sans danger est de paraître aussi confiant que possible : aussi le gantier n’avait aucune arme, voyageait sans la moindre apparence de précaution, et avait soin de ne rien montrer qui pût exciter la cupidité. Une autre règle qu’il jugea prudent d’observer, ce fut de n’avoir aucune communication avec les personnes qu’il pouvait rencontrer, si ce n’est pour échanger des civilités ordinaires que les montagnards oublient rarement. Il eut même peu d’occasion de satisfaire à ce devoir de politesse : la contrée, ordinairement très-peu fréquentée, semblait alors entièrement abandonnée. Dans quelques petites vallées qu’il traversa, les hameaux étaient déserts, et les habitants s’étaient réfugiés dans les bois et les cavernes. On concevait facilement qu’ils en eussent agi ainsi, en songeant à l’imminence d’une guerre qui devait être comme un signal général de pillage et de dévastations, tels que n’en avait jamais subi cette malheureuse contrée.

Simon commença à s’alarmer de cet état de désolation ; il avait fait une halte depuis son départ de Kinfauns, pour donner quelque repos à son cheval, et maintenant il était inquiet de savoir comment il passerait la nuit. Il avait compté s’arrêter dans la chaumière d’une vieille connaissance, qui s’appelait Niel Booshalloch, (ou le bouvier) parce qu’il était chargé de nombreux troupeaux appartenant au chef du clan de Quhele, emploi qui lui avait fait établir sa résidence sur les rives du Tay, à peu de distance de l’endroit où cette rivière sort du lac du même nom. Le gantier espérait apprendre de cet ancien hôte et ami, avec qui il avait fait plusieurs marchés de cuirs et de fourrures, quel était l’état actuel du pays ; si l’on devait s’attendre à la paix ou à la guerre, et quelles mesures il devait prendre pour sa sûreté. On se rappellera que la nouvelle de la convention faite pour décider la querelle par un combat entre un nombre limité d’hommes n’avait été communiquée au roi Robert que la veille du jour où le gantier quitta Perth, qu’elle ne pouvait devenir publique que quelque temps après.

« Si Niel Booshalloch a quitté sa demeure comme les autres, je m’en trouverai fort mal, pensait le gantier ; car j’ai besoin non-seulement de ses bons avis, et de son crédit auprès de Gilchrist Mac-Jan, mais encore d’un logement pour la nuit et d’un souper.

En faisant ces réflexions, il atteignit le sommet d’une colline couverte de verdure, et vit l’admirable spectacle du Tay, s’étendant devant lui comme un immense plateau d’argent poli, entouré de montagnes noirâtres, de bouquets de chêne sans feuilles, qui forment comme un cadre d’arabesques à cette magnifique glace.

Peu touché d’ordinaire des beautés de la nature, Simon Glover l’était alors moins que jamais ; et la seule partie de cet admirable paysage qui attira ses regards fut l’angle d’une prairie où le Tay sortant avec dignité du lac où il prend naissance, et coulant à travers une belle vallée d’un mille environ de largeur, prend sa course vers le sud-ouest, comme un conquérant législateur, pour soumettre et embellir des contrées éloignées. Dans ce lieu si magnifiquement situé entre le lac, la montagne et le Tay, s’est élevé depuis le château féodal de Ballough, qui de notre temps a été remplacé par le superbe palais du comte de Breadalbane.

Mais quoique les Campbell eussent déjà atteint un très-grand pouvoir dans le comté d’Argile, ils ne s’étaient point encore étendus jusqu’au lac du Tay, dont les bords, soit de droit, soit de fait, étaient occupés par le clan de Quhele, qui nourrissait sur ces rives magnifiques les plus beaux de ses troupeaux. C’était donc dans cette vallée, entre la rivière et le lac, au milieu d’immenses forêts de chênes, de bouleaux, de coudriers, de sorbiers, que s’élevait l’humble chaumière de Niel Booshalloch, Eumée de village, dont les cheminées hospitalières laissaient échapper des nuages de fumée, à la grande consolation de Simon, qui avait craint fortement d’être obligé de passer la nuit au grand air.

Il atteignit la porte de la chaumière, siffla et frappa pour annoncer son arrivée. On entendit des aboiements de chiens de chasse et de chiens de berger, et le maître de la chaumière sortit aussitôt. Son front était soucieux, et il parut surpris en voyant le gantier, quoiqu’il fît tous ses efforts pour le cacher : car rien n’est regardé comme plus incivil dans ce pays que de laisser échapper un regard ou un geste qui fasse supposer à l’hôte qui arrive que sa visite est un incident désagréable ou même inattendu. Le cheval du voyageur fut conduit à une étable, qui était à peine assez haute pour le recevoir, et le gantier fut conduit dans une maison de Booshalloch, où, selon la coutume du pays, du pain et du fromage furent placés devant le voyageur, tandis qu’on préparait des aliments plus solides. Simon, qui connaissait leurs usages, ne parut point voir la tristesse qui régnait sur les traits de son hôte et des membres de sa famille, jusqu’à ce qu’il eût mangé quelque chose pour la forme ; alors il demanda, d’une manière générale, quelles nouvelles il y avait dans le pays.

« D’aussi mauvaises nouvelles qu’on ait jamais pu en entendre, dit le berger, notre père n’est plus. — Comment ! » dit Simon très-alarmé, le chef du clan de Quhele est mort ? — Le chef du clan de Quhele ne meurt jamais, répondit Booshalloch ; mais Gilchrist Mac-Jan est mort il y a vingt-quatre heures, et son fils Éachin Mac-Jan est maintenant chef du clan. — Quoi ! Éachin, c’est-à-dire, Conachar, mon apprenti ? — Rappelez cela le moins que vous pourrez, frère Simon, dit Booshalloch ; songez, ami, que votre métier, qui convient fort bien à un habitant de la tranquille ville de Perth, est quelque chose de trop mécanique pour jouir de quelque estime au pied du Ben-Lawers et sur les bords du lac du Tay. Nous n’avons pas même un mot celtique pour exprimer un faiseur de gants. — Il serait étrange que vous en eussiez un, l’ami, » dit Simon sèchement, « vous qui portez si peu de gants. Je crois qu’il n’y en a pas une seule paire dans tout le clan, sauf celle que j’ai donnée à Gilchrist Mac-Jan, à qui Dieu fasse paix ! et qui les regarda comme un beau présent. Je suis très-affligé de sa mort, car j’étais venu exprès pour lui parler d’affaires. — Vous feriez mieux de tourner la tête de votre cheval vers le sud au point du jour, dit le berger ; les funérailles vont avoir lieu, et la cérémonie en sera courte, car trente champions du clan de Quhele doivent se battre contre trente champions du clan de Chattan, le dimanche des Rameaux. Nous avons bien peu de temps pour pleurer le chef mort, et rendre honneur au vivant. — Cependant mes affaires sont si urgentes qu’il faut que je voie le jeune chef, ne fût-ce que pendant un quart d’heure. — Écoute, ami ; je pense que ton affaire est de recevoir de l’argent ou de faire du commerce. Si le chef te doit quelque chose pour l’avoir élevé ou pour autre chose, ne réclame point de paiement quand tous les trésors du clan sont employés à préparer les armes et l’équipement de nos champions, afin de nous montrer devant ces fiers chats des montagnes, de manière à faire voir notre supériorité. Si tu viens pour commercer avec nous, le moment est encore plus mal choisi. Tu sais que beaucoup de gens de notre tribu te portent envie pour avoir été chargé d’élever le jeune chef, ce qui est ordinairement accordé au plus brave du clan. — Mais, par sainte Marie ! s’écria le gantier, ils devraient se rappeler qu’on ne m’a point accordé cela comme une faveur que j’aie sollicitée, mais que je n’ai accepté cette charge qu’à force de prières et d’importunités, et à mon grand préjudice. Le Conachar, ou Hector, comme vous l’appelez, m’a gâté des peaux de daim pour beaucoup de livres d’Écosse. — Tu viens de dire encore une parole qui peut te coûter la vie, dit Booshalloch ; la moindre allusion aux peaux et aux cuirs, et surtout aux daims et aux chevreuils, ne peut que t’attirer malheur. Le chef est jeune et jaloux de son rang ; personne n’en sait mieux le motif que moi, ami Glover. Il désire naturellement que tout ce qui a quelque rapport avec les causes de son bannissement soit complètement oublié ; et il ne saura certes pas bon gré à celui qui rappellera à son peuple ou à lui-même ce qu’ils ne peuvent se rappeler qu’avec chagrin. Songe de quel œil ils verront, dans un pareil moment, le vieux gantier de Perth, dont leur chef fut si long-temps l’apprenti ! Va, va, mon ancien ami, tu as mal pris ton temps, tu t’es trop pressé d’adorer le soleil levant, quand ses rayons sont encore au niveau de l’horizon. Arrive lorsqu’il sera au haut du ciel, et tu auras ta part de la chaleur de ses rayons. — Niel Booshalloch, répondit le gantier, nous sommes d’anciens amis, comme tu le dis ; et, comme je te crois un véritable ami, je te parlerai avec franchise, quoique ce que j’ai à te dire pût être dangereux pour moi si d’autres individus de ton clan l’apprenaient. Tu penses que je suis venu ici pour tirer quelque profit de votre jeune chef, et il est naturel que tu penses ainsi ; mais à mon âge, je ne quitterais pas le coin de mon feu, dans Curfew-Street, pour me chauffer aux rayons du plus éclatant soleil qui ait jamais brillé sur les bruyères des montagnes. La vérité est que je suis venu ici, forcé par la nécessité ; mes ennemis ont le dessus, et m’imputent des choses dont je suis incapable, même en pensée. Néanmoins j’étais près d’être condamné, et il me fallait prendre la fuite ou rester pour périr. Je suis venu vers votre jeune chef, comme vers celui qui a trouvé chez moi un asile dans son malheur, qui a mangé mon pain et bu à ma coupe. Je lui demande un refuge pour peu de temps, je l’espère. — Ceci est bien différent, dit le berger, et si différent que, quand vous viendriez à minuit à la porte de Mac-Jan, avec la tête du roi d’Écosse à votre main, et mille hommes à votre poursuite pour venger son sang, il ne pourrait sans déshonneur vous refuser sa protection. Que vous soyez innocent ou criminel, cela importe peu ; ou plutôt il n’est que plus obligé de vous donner asile si vous êtes coupable, vu que dans ce cas la nécessité est plus pressante et le péril plus grand. Il faut que j’aille le trouver sans délai, avant qu’une langue trop pressée ne lui apprenne votre arrivée sans lui en dire le motif. — Je suis fâché de l’embarras que cela vous cause, dit Glover ; mais où est le chef ? — Il est à environ dix milles d’ici, occupé des préparatifs des funérailles et de ceux du combat… Le mort à la tombe, et le vivant à la bataille. — C’est une longue route, et il vous faudra la nuit pour aller et revenir, dit le gantier, et je suis certain que dès que Conachar saura que c’est moi qui… — Oubliez Conachar, » dit le berger en mettant son doigt sur ses lèvres ; « pour les dix milles, ce n’est qu’un saut pour un montagnard quand il porte un message de son ami à son chef. »

En parlant ainsi, après avoir confié le voyageur aux soins de son fils aîné et de sa fille, l’actif berger quitta sa demeure deux heures avant minuit, et il fut de retour avant le lever du soleil. Il ne réveilla point son hôte, mais le matin, dès qu’il fut levé, il lui apprit que les funérailles du dernier chef auraient lieu le même jour, et qu’Éachin Mac-Jan, quoiqu’il ne pût y inviter un Saxon, le verrait avec plaisir au festin qui devait suivre.

« J’obéirai, » dit le gantier souriant à demi du changement survenu dans ses relations avec son ancien apprenti ; « il est le maître à présent, et j’espère qu’il se souviendra que, quand il en était autrement, je n’ai jamais usé durement de mon autorité. — Chut ! chut ! l’ami, s’écria Booshalloch ; moins vous parlerez de cela, mieux vaudra. Vous serez bien accueilli par Éachin, et du diable si un homme ose vous toucher dans ses domaines. Mais, adieu, car il faut que j’aille aux funérailles du plus brave chef que le clan ait jamais eu, et du plus sage capitaine qui ait jamais porté le myrte sauvage sur son bonnet. Adieu pour quelque temps ; si vous voulez monter au sommet du Tom-an-Lonach, derrière la maison, vous verrez un beau spectacle, et vous entendrez un coronach qui retentira jusqu’au sommet du Ben-Lawers. Dans trois heures d’ici, un bateau vous attendra dans une petite crique, à un demi-mille environ du lac de Tay, vers l’ouest. »

À ces mots il partit avec ses trois fils pour manœuvrer la barque dans laquelle il devait aller se joindre au cortège, et ses deux filles dont les voix devaient nécessairement s’unir au chant funèbre qu’on était dans l’usage de chanter ou plutôt de crier dans ces occasions d’affliction générale.

Simon Glover, se trouvant seul, alla dans l’écurie pour voir son cheval, et il trouva qu’on lui avait donné du graddan, c’est-à-dire du pain d’orge grillé. Il fut très-touché de cette attention, sachant fort bien que la famille avait très-peu de ce mets délicat pour elle-même, jusqu’à ce que la prochaine récolte renouvelât leur provision. Quant à la nourriture animale, ils en avaient en abondance, et le lac leur fournissait une grande quantité de poisson pour le carême, qu’ils n’observaient pas très-rigoureusement. Mais le pain était une friandise très-rare dans les montagnes. Les marais produisaient une espèce de foin qui n’était certes pas très-bonne ; mais les chevaux écossais, comme leurs cavaliers, étaient alors accoutumés à une nourriture grossière. Gantelet, c’était le nom du palefroi de Simon, avait de la fougère sèche pour litière, et, sous les autres rapports, il était aussi bien pourvu que l’hospitalité montagnarde avait pu faire.

Simon Glover, abandonné ainsi à ses pénibles réflexions, n’avait rien de mieux à faire, après avoir vu que son compagnon muet de voyage ne pouvait manquer de rien, qu’à suivre l’avis du berger. Il monta la colline appelée Tom-an-Lonach, montagne des ifs, et après une demi-heure de marche il atteignit le sommet, d’où il put voir la vaste étendue du lac, dont cette hauteur commandait la magnifique perspective. Quelques vieux ifs épars d’une grande hauteur, justifiaient le nom que portait cette belle colline couverte de verdure. Mais un beaucoup plus grand nombre avaient été sacrifiés pour faire des arcs, besoin général à cette époque belliqueuse : en effet, les montagnards se servaient beaucoup de cette arme, quoique leurs armes de jet fussent inférieures pour la perfection de la forme, et surtout pour la portée, à celles des archers de la joyeuse Angleterre. Les ifs noirs et fracassés qui restaient encore ressemblaient à de vieux soldats d’une armée en déroute, occupant en désordre quelque poste avantageux, bien décidés à le défendre jusqu’à l’extrémité. Derrière cette éminence, mais sans y être assise, s’élevait une colline plus haute, couverte en partie de buissons, en partie de pâturages, où les bestiaux trouvaient une maigre nourriture auprès des sources et des endroits marécageux qui faisaient croître quelque verdure.

Vis-à-vis, la rive septentrionale du lac offrait un aspect plus montueux que celle où se trouvait le gantier. Des bois et des bosquets s’élevaient sur le flanc des montagnes, et disparaissaient dans les sinuosités formées par les ravins qui les séparaient entre elles ; mais bien au-dessus de ces échantillons d’un sol peu fécond, s’élevaient des montagnes noires et nues, dans toute la désolation de la saison.

Quelques-unes étaient terminées en pics, d’autres en plateformes ; plusieurs n’offraient que des rocs et des précipices ; d’autres avaient un contour plus agréable ; et tout ce clan de Titans semblait être commandé par des chefs de la même race ; c’était la montagne de Ben-Lawers à la contenance sévère, et la montagne encore plus haute de Ben-Mohr, s’élevant bien au-dessus de toutes les autres, et dont le pic conserve un brillant casque de neige bien avant dans l’été et souvent même toute l’année. Cependant les confins de cette sauvage région couverte de forêts, dans les endroits où les montagnes s’abaissaient vers le lac, offraient, même à cette époque reculée, beaucoup de traces d’habitations humaines. On voyait des hameaux, surtout sur les bords septentrionaux du lac, à moitié cachés dans les petites vallées qui envoyaient dans le lac le tribut de leurs ruisseaux. Ces hameaux, comme la plupart des choses d’ici-bas, avaient de loin une belle apparence ; mais, lorsqu’on approchait, ils étaient repoussants et inspiraient le dégoût par leur malpropreté, et parce qu’ils manquaient des commodités dont sont pourvus même les wigwams indiens. Ils étaient habités par une race qui ne cultivait point la terre, et qui ne recherchait point les jouissances que procure l’industrie. Les femmes, traitées sous les autres rapports avec affection, et même avec des égards particuliers, étaient chargées de tous les travaux domestiques. Les hommes, après avoir manié avec répugnance une grossière charrue, ou plus souvent une bêche, tâche qu’ils remplissaient à contre-cœur, et qu’ils considéraient comme fort au-dessous d’eux, ne s’occupaient plus que de la garde de leurs troupeaux qui faisaient toutes leurs richesses. Tout le reste du temps, ils chassaient, pêchaient, ou maraudaient, dans les courts intervalles de paix, par manière de passe-temps ; pillant avec une licence encore plus hardie, et combattant avec l’animosité la plus acharnée pendant la guerre, qui, privée ou publique, sur un théâtre plus ou moins étendu, faisait la principale affaire de leur vie, et la seule qu’ils crussent digne d’eux.

Le lac lui-même offrait un spectacle qu’on ne pouvait contempler qu’avec admiration. Sa noble étendue, le beau fleuve qui en découlait, étaient rendus encore plus pittoresques par une de ces petites îles qui sont souvent si heureusement placées dans les lacs d’Écosse. Les ruines qui se trouvent encore sur cette île, aujourd’hui presque sans formes et recouvertes par les bois, formaient, à l’époque dont nous parlons, les murs et les tours d’un prieuré où reposaient les restes de Sybille, fille de Henri Ier d’Angleterre et femme d’Alexandre Ier d’Écosse. Ce saint lieu avait été jugé digne de recevoir les restes du chef du clan de Quhele, au moins jusqu’au moment où, le danger étant passé, on pourrait transporter le corps dans un célèbre couvent du nord, où il devait reposer définitivement avec tous ses ancêtres.

Un grand nombre de bateaux partaient de différents points du rivage, les uns déployant des bannières noires, d’autres ayant sur leur proue des joueurs de cornemuse, qui de temps à autre faisaient entendre quelques notes aiguës d’un caractère plaintif et mélancolique, qui firent penser au gantier que la cérémonie allait commencer. Ces sons plaintifs n’étaient qu’une espèce de prélude, comparé aux lamentations générales qui devaient bientôt se faire entendre.

Un bruit éloigné se fit entendre de l’extrémité du lac, et même, à ce qu’il semblait, des vallées reculées d’où descendent le Dochard et le Lochy pour apporter leurs eaux au lac de Tay. C’était dans un lieu sauvage, inaccessible, où les Campbell, à une époque plus récente, fondèrent leur forteresse de Finlayrigg ; c’était là que le chef redouté du clan de Quhele avait rendu le dernier soupir ; et pour donner la pompe convenable à ses funérailles, on allait porter son corps sur le lac jusqu’à l’île où devaient temporairement reposer ses restes. La flottille funéraire, conduite par la barque du chef, où se déployait un vaste drapeau noir, avait fait plus des deux tiers du chemin avant d’être aperçue de l’éminence où Simon s’était placé. Dès qu’on put entendre le son éloigné du coronach de la barque lugubre, tous les autres bruits lugubres cessèrent tout à coup, comme le corbeau cesse de croasser et le faucon de siffler quand le cri de l’aigle se fait entendre. Les barques qui flottaient çà et là sur le lac, comme une bande d’oiseaux aquatiques se dispersant sur sa surface, se réunirent avec une apparence d’ordre, afin que la flottille de mort pût passer, et elles-mêmes se placer à la suite. Cependant le bruit perçant des cornemuses devint plus éclatant, et des barques sans nombre qui suivaient celle où se déployait la bannière du chef, s’éleva un concert sauvage de cris plaintifs qui retentit jusqu’au sommet du Tom-an-Lonach d’où le bourgeois de Perth contemplait ce spectacle. Le bateau qui ouvrait le cortège portait à sa poupe une espèce d’estrade où était étendu le corps du chef mort, enveloppé d’une toile blanche et le visage découvert. Son fils et ses plus proches parents remplissaient cette barque qui était suivie d’un grand nombre d’autres, qu’on avait trouvées sur le lac de Tay ou même apportées par terre du lac Earn et d’autres endroits ; plusieurs de ces barques étaient de construction très-fragile. Il y avait même des currags, formés de cuirs de bœuf, étendus sur des cerceaux de saule à la manière des anciens Bretons. Quelques montagnards s’étaient placés sur des radeaux construits pour la circonstance avec les premiers matériaux qui s’étaient présentés, et attachés avec si peu de solidité, qu’il était probable qu’avant la fin du voyage quelques-uns des membres du clan du défunt pourraient bien le suivre dans le monde des esprits.

Quand la principale flottille vint en vue du groupe de bateaux, rassemblés à l’extrémité du lac, et qui se dirigeaient vers l’île, ils se saluèrent mutuellement par un cri si éclatant, si général, et terminé par une cadence prolongée d’une manière si sauvage, que non-seulement les daims s’enfuirent de leur retraite et à plusieurs milles à la ronde, pour chercher des endroits plus éloignés dans les montagnes, mais que les animaux domestiques même, habitués à la voix des hommes, éprouvèrent la même frayeur panique que les bêtes sauvages, et s’enfuirent également de leurs pâturages dans les marais et les vallons.

Avertis par ces cris qu’il était temps de se montrer, les moines qui habitaient la petite île commencèrent à sortir par leur porte basse avec la croix et la bannière et toute la pompe ecclésiastique qu’ils pouvaient déployer. Leurs cloches, qui étaient au nombre de trois, firent retentir sur le lac le glas de mort, qui arriva aux oreilles de la multitude silencieuse, mêlé aux chants solennels de l’Église catholique, entonnés par les moines dans leur marche processionnelle. Diverses cérémonies furent accomplies pendant que les parents du mort portèrent le corps sur le rivage, le placèrent sur un banc consacré depuis long-temps à cet usage, et firent le Déasil[3] autour du défunt. Quand le corps fut enlevé pour être porté dans l’église, un autre cri universel fut poussé par la multitude ; les voix fortes des guerriers et les lamentations aiguës des femmes se mêlèrent aux accents tremblants des vieillards et aux cris perçants des enfants. Le coronach se fit entendre de nouveau et pour la dernière fois, lorsque le corps fut transporté dans l’intérieur de l’église, où les plus proches parents du mort et les chefs les plus illustres du clan eurent seuls permission d’entrer. Ce dernier cri de douleur fut si éclatant et répété par tant d’échos, que le bourgeois de Perth porta instinctivement les mains à ses oreilles pour ne pas entendre, ou au moins pour affaiblir un bruit si perçant. Il conserva cette attitude jusqu’à ce que les faucons, les hiboux et d’autres oiseaux effrayés par le bruit, fussent rentrés dans leur retraite ; et quand il retira ses mains, il entendit une voix lui dire :

« Pensez-vous, Simon Glover, que ce soit là l’hymne de pénitence et de louange, au milieu duquel l’homme pécheur, abandonnant sa prison d’argile, doit s’en aller vers son Créateur ? »

Le gantier se retourna, et dans le vieillard à longue barbe blanche qui se tenait près de lui, il reconnut sans peine à son œil doux, et à sa physionomie bienveillante, le père Clément, non plus en habit de moine chartreux, mais enveloppé d’un manteau de drap et la tête couverte d’une toque de montagnard.

On peut se rappeler que le gantier respectait cet homme sans l’aimer. Il le respectait, parce que la personne et le caractère du moine lui inspiraient ce sentiment, et il ne l’aimait point, parce que les opinions religieuses du père Clément avaient causé l’exil de sa fille et son propre malheur. Ce ne fut donc pas avec un plaisir sans mélange qu’il lui rendit son salut, et ce ne fut que lorsque le moine lui eut demandé une seconde fois ce qu’il pensait des cérémonies funèbres, accomplies d’une manière si sauvage, qu’il répondit :

« Je ne sais qu’en penser, mon père ; mais ces hommes rendent les derniers devoirs à leur chef mort, à la manière de leurs ancêtres. Ils veulent exprimer les regrets que leur inspire la perte d’un ami, et adresser leurs prières au ciel en sa faveur ; et ce qu’on fait en bonne intention doit, selon moi, être accueilli favorablement. S’il n’en était pas ainsi, il me semble que depuis longtemps ils auraient été éclairés pour agir mieux. — Vous vous trompez, répondit le moine. Dieu a envoyé sa lumière à tous, quoique dans des proportions différentes ; mais les hommes ferment honteusement les yeux, et préfèrent les ténèbres. Ce peuple aveuglé mêle les vieilles cérémonies païennes de ses pères aux rites de l’Église romaine, et réunit ainsi les abominations d’une église corrompue par la richesse et la puissance, avec les rites sanguinaires et cruels de païens sauvages. — Mon père, » dit Simon un peu brusquement, « il me semble qu’il serait plus convenable que vous allassiez dans cette chapelle aider vos frères à remplir leurs devoirs de prêtres, que de rester ici pour ébranler et troubler la croyance d’un humble chrétien comme moi. — Et pourquoi dites-vous, mon frère, que je veux ébranler les principes de votre croyance ? répondit Clément ; j’en atteste le ciel, si mon sang était nécessaire pour attacher d’une manière indissoluble l’esprit d’un homme à la sainte religion qu’il professe, je le verserais avec joie pour une telle cause. — Vous parlez bien, mon père, je l’avoue, répondit le gantier ; mais je dois juger de la doctrine par ses fruits : le ciel m’a puni par la main de l’Église pour vous avoir écouté jusqu’ici. Avant que je vous eusse entendu, mon confesseur ne se fâchait guère quand je lui avouais que j’avais tenu quelque propos joyeux en vidant un pot de bière, quand même un moine ou une nonne en aurait été le sujet ; si j’avais dit alors que le père Hubert chassait plutôt les lièvres que les âmes, je me confessais au vicaire Vinesauf, qui riait et me faisait payer un écot pour pénitence. Si je disais que le vicaire Vinesauf était plus fidèle à son verre qu’à son bréviaire, je me confessais au père Hubert, et une paire de gants neufs pour chasser au faucon arrangeait l’affaire. Ainsi ma conscience et notre mère l’Église vivaient entre elles sur un pied de paix, d’amitié et de concessions réciproques. Mais depuis que je vous ai écouté, père Clément, cette douce union est brisée, et j’entends toujours tonner à mon oreille le purgatoire dans l’autre monde et le feu et le bûcher dans celui-ci. Ainsi donc laissez-moi, père Clément, et parlez à ceux qui peuvent comprendre vos doctrines. Je n’ai point le cœur au martyre. Je n’ai jamais eu assez de courage, dans toute ma vie, pour moucher une chandelle avec mes doigts ; et pour dire vrai, j’ai grande envie de retourner à Perth solliciter mon pardon de la cour spirituelle, porter mon fagot au pied de la potence, en manière de rétractation, et de reprendre le titre de bon catholique, fût-ce au prix de toutes les richesses terrestres qui me restent. — Vous êtes fâché, mon très-cher frère ; et pour un faible danger que vous courez en ce monde, pour la perte de vos richesses terrestres qui vous menace, vous vous repentez des bonnes pensées que vous avez eues. — Vous parlez à votre aise, père Clément ; car je crois que depuis long-temps vous avez renoncé aux richesses du monde, et vous êtes tout préparé à donner votre vie, dès qu’on vous la demandera, pour la doctrine que vous prêchez et que vous croyez. Vous êtes aussi disposé à endosser une chemise enduite de poix et à coiffer un bonnet soufré, qu’un homme nu l’est à se mettre au lit, et je crois que vous n’auriez pas trop de répugnance au martyre. Pour moi, je tiens encore à ce qui m’appartient. Mes richesses sont à moi, et, grâce au ciel, elles peuvent me faire vivre décemment ; ma vie est celle d’un vieillard de soixante ans qui ne se soucie pas de la voir finir trop tôt, et quand je serais aussi pauvre que Job et sur le bord du tombeau, ne dois-je pas encore tenir à ma fille, à qui vos doctrines ont déjà coûté si cher ? — Ta fille, ami Simon, dit le chartreux, peut s’appeler un ange sur la terre. — Oui, et pour avoir écouté vos leçons, mon père, on l’appellera sans doute bientôt un ange dans le ciel, et elle y montera sur un char de feu. — Cessez, cessez, mon bon frère, de parler de ce que vous ne comprenez pas. Puisque c’est perdre son temps que de vous montrer la lumière contre laquelle vous vous révoltez, écoutez, au moins, ce que j’ai à vous dire au sujet de votre fille, dont la félicité temporelle, quoique je ne la mette pas un seul instant en balance avec son bonheur spirituel, est néanmoins aussi chère à Clément Blair qu’elle l’est à son père. »

Des larmes parurent dans les yeux du vieillard comme il disait ces mots, et Simon Glover s’attendrit en lui répondant :

« On vous croirait, père Clément, le meilleur et le plus aimable des hommes : comment se fait-il donc que la mauvaise volonté s’attache à vos pas quelque part que vous les portiez ? Je gagerais ma vie que vous êtes déjà parvenu à offenser cette demi-douzaine de moines dans leur cage entourée d’eau, et qu’on vous a interdit d’assister aux funérailles ? — Oui, mon fils, cela est ainsi, répondit le moine, et je ne sais si leur méchanceté me permettra de rester dans ce pays. J’ai à peine dit quelques mots contre la folle superstition d’aller à l’église de Saint-Filian pour découvrir le vol par le son de la cloche, et contre celle de baigner les fous dans sa citerne pour leur rendre la raison… Hélas ! et les persécuteurs m’ont exclu de leur communion, comme ils m’excluront bientôt de ce monde. — Voyez maintenant, dit Simon ; voilà ce que c’est qu’un homme qui ne veut pas écouter un bon avis ! Eh bien ! père Clément, les hommes n’auront jamais de motif de me retrancher du nombre des vivants, si ce n’est pour avoir été en votre compagnie. Dites-moi donc, je vous prie, ce que vous avez à me dire au sujet de ma fille, et soyons ensuite moins voisins que nous ne l’avons été. — Voici ce que j’ai à vous apprendre, frère Simon. Ce jeune chef qui est gonflé de son pouvoir et de sa gloire, aime une chose plus que tout cela : c’est votre fille. — Lui ! Conachar ! s’écria Simon ; mon apprenti fugitif lever les yeux sur ma fille ! — Hélas ! dit Clément, notre orgueil terrestre nous enlace aussi étroitement que le lierre qui s’attache à la muraille et ne peut s’en détacher ! Lever les yeux sur votre fille, bon Simon ! hélas ! non ; le chef du clan de Quhele, grand comme il est, et espérant le devenir bientôt encore davantage, abaisse ses regards jusqu’à la fille du bourgeois de Perth, et croit descendre en agissant ainsi. Mais, pour me servir d’une expression profane, Catherine lui est plus chère que la vie en ce monde et le ciel en l’autre. Il ne peut vivre sans elle. — Alors il peut bien mourir, si cela lui convient, dit le gantier, car elle est fiancée à un honnête bourgeois de Perth ; et je ne manquerais pas à ma parole pour faire de ma fille la femme du prince d’Écosse. — Je pensais bien que telle serait votre réponse ; je voudrais, cher frère, que vous montrassiez pour vos intérêts spirituels une partie de cette résolution et de cette énergie avec laquelle vous dirigez vos affaires temporelles. — Silence ! silence ! père Clément, s’écria Simon ; quand vous retombez sur ces raisonnements, vos paroles sentent la poix enflammée, et je n’aime pas cette odeur. Quant à Catherine, il faut que je me conduise de mon mieux pour ne pas offenser le jeune chef ; mais il est heureux pour moi qu’elle soit hors de son atteinte. — Il faut donc qu’elle soit bien loin. Et maintenant, frère Simon, puisque vous pensez qu’il y a du danger dans ma compagnie et dans mes opinions, j’irai seul avec ma doctrine et les dangers qu’elle m’attire. Mais si votre œil, moins aveuglé qu’il ne l’est maintenant par la crainte et les espérances de ce monde, jette jamais un regard en arrière sur celui qui peut bientôt être séparé de vous pour toujours, souvenez-vous que, sans un sentiment profond de la vérité et de l’importance de la doctrine qu’il enseignait, Clément Blair n’eût point su braver, provoquer même, la haine du puissant et du méchant ; exciter les craintes des envieux et des timides ; marcher dans ce monde comme s’il n’y appartenait point, et se faire regarder comme fou par les hommes, afin de gagner leurs âmes à Dieu, si cela était possible. Le ciel m’est témoin que je ferais tout ce qui est permis pour me concilier l’amour et l’affection de mes semblables. C’est une chose cruelle que d’être évité par des gens estimables comme un pestiféré ; d’être persécuté par les pharisiens du jour comme un hérétique impie ; d’être regardé avec horreur et avec mépris par la multitude qui me considère comme un fou qui peut devenir dangereux. Mais tous ces maux seraient-ils cent fois plus nombreux, le feu qui m’enflamme ne doit point être étouffé ; la voix intérieure qui me crie : « Parle ! » doit être écoutée. Malheur à moi si je ne prêche pas l’Évangile, même quand je devrais à la fin le prêcher au milieu des flammes d’un bûcher ! »

Ainsi s’exprimait ce hardi confesseur, un de ces hommes que le ciel suscitait de temps en temps pour conserver le christianisme dans toute sa pureté au milieu des siècles les plus ignorants, et pour le transmettre intact aux âges à venir. Il en fut ainsi depuis le temps des apôtres jusqu’au jour où, favorisée par l’invention de l’imprimerie, la réforme éclata dans toute sa splendeur. Le gantier sentit alors tout l’égoïsme de sa conduite, et il se méprisa lui-même quand il vit le moine s’éloigner de lui avec une sainte résignation. Il eut même un moment quelque tentation d’imiter la philanthropie et le zèle désintéressé du pieux confesseur, mais ce sentiment fut comme l’éclair qui brille dans un souterrain ténébreux, où il ne se trouve aucune matière combustible ; et il descendit lentement la colline, dans une direction opposée à celle du moine, oubliant le prêtre et ses doctrines, et plongé dans de pénibles réflexions sur le sort de Catherine et sur le sien propre.



  1. Mohr ar Chat signifie le grand chat. On suppose que le comté de Caithness prit son nom des colonies teutoniques appelées les Catti ; la science héraldique n’a pas laissé passer une si belle occasion de faire un de ces quolibets en peinture dont elle se repait avec délices. Ne touche le chat qu’avec un gant, telle était la devise de Mack-Intosh, par allusion à ses armes qui, comme on peut le voir sur les écussons des familles aujourd’hui dispersées du clan Chattan, représentaient la montagne du Chat.
  2. Non nostrum est tantas componere lites. Il ne nous appartient pas de juger d’aussi grands procès.a. m.
  3. Cette coutume très-ancienne consiste à tourner trois fois autour du corps d’une personne morte ou vivante en lui souhaitant mille prospérités. Le déasil se fait en suivant le cours du soleil, c’est-à-dire en tournant de droite à gauche. Si l’on veut souhaiter du malheur, on tourne en sens contraire, c’est-à-dire de gauche à droite. w. s.