Aller au contenu

Le Journal d’une femme de chambre/17

La bibliothèque libre.
Eugène Fasquelle (p. 492-519).

XVII

Voici huit mois que je n’ai écrit une seule ligne de ce journal, — j’avais autre chose à faire et à quoi penser, — et voici trois mois exactement que Joseph et moi nous avons quitté le Prieuré, et que nous sommes installés dans le petit café, près du port, à Cherbourg. Nous sommes mariés ; les affaires vont bien ; le métier me plaît ; je suis heureuse. Née de la mer, je suis revenue à la mer. Elle ne me manquait pas, mais cela me fait plaisir tout de même de la retrouver. Ce ne sont plus les paysages désolés d’Audierne, la tristesse infinie de ses côtes, la magnifique horreur de ses grèves qui hurlent à la mort. Ici, rien n’est triste ; au contraire, tout y porte à la gaité… C’est le bruit joyeux d’une ville militaire, le mouvement pittoresque, l’activité bigarrée d’un port de guerre. L’amour y roule sa bosse, y traîne le sabre en des bordées de noces violentes et farouches. Foules pressées de jouir entre deux lointains exils ; spectacles sans cesse changeants et distrayants, où je hume cette odeur natale de coaltar et de goémon, que j’aime toujours, bien qu’elle n’ait jamais été douce à mon enfance… J’ai revu des gars du pays, en service sur des bâtiments de l’État… Nous n’avons guères causé ensemble, et je n’ai point songé à leur demander des nouvelles de mon frère… Il y a si longtemps !… C’est comme s’il était mort, pour moi… Bonjour… bonsoir… porte-toi bien… Quand ils ne sont pas saouls, ils sont trop abrutis… Quand ils ne sont pas abrutis, ils sont trop saouls… Et ils ont des têtes pareilles à celles des vieux poissons… Il n’y a pas eu d’autre émotion, d’autres épanchements d’eux à moi… D’ailleurs, Joseph n’aime pas que je me familiarise avec de simples matelots, de sales bretons qui n’ont pas le sou, et qui se grisent d’un verre de trois-six…

Mais il faut que je raconte brièvement les événements qui précédèrent notre départ du Prieuré…

On se rappelle que Joseph, au Prieuré, couchait dans les communs, au-dessus de la sellerie. Tous les jours, été comme hiver, il se levait à cinq heures. Or, le matin de 24 décembre, juste un mois après son retour de Cherbourg, il constata que la porte de la cuisine était grande ouverte.

— Tiens, se dit-il… est-ce qu’ils seraient déjà levés ?

Il remarqua, en même temps, qu’on avait, dans le panneau vitré, près de la serrure, découpé un carré de verre, au diamant, de façon à pouvoir y introduire le bras. La serrure était forcée par d’expertes mains. Quelques menus débris de bois, des petits morceaux de fer tordu, des éclats de verre, jonchaient les dalles… À l’intérieur, toutes les portes, si soigneusement verrouillées, sous la surveillance de Madame, le soir, étaient ouvertes aussi. On sentait que quelque chose d’effrayant avait passé par là… Très impressionné, — je raconte d’après le récit même qu’il fit de sa découverte aux magistrats, — Joseph traversa la cuisine, et suivit le couloir où donnent à droite, le fruitier, la salle de bains, l’antichambre ; à gauche, l’office, la salle à manger, le petit salon, et, dans le fond, le grand salon. La salle à manger offrait le spectacle d’un affreux désordre, d’un vrai pillage… les meubles bousculés, le buffet fouillé de fond en comble, ses tiroirs, ainsi que ceux des deux servantes, renversés sur le tapis, et, sur la table, parmi des boîtes vides, au milieu d’un pêle-mêle d’objets sans valeur, une bougie qui achevait de se consumer dans un chandelier de cuivre. Mais c’était surtout à l’office que le spectacle prenait vraiment de l’ampleur. Dans l’office, — je crois l’avoir déjà noté, — existait un placard très profond, défendu par un système de serrure très compliqué et dont Madame seule connaissait le secret. Là, dormait la fameuse et vénérable argenterie dans trois lourdes caisses armées de traverses et de coins d’acier. Les caisses étaient vissées à la planche du bas et tenaient au mur, scellées par de solides pattes de fer. Or, les trois caisses, arrachées de leur mystérieux et inviolable tabernacle, bâillaient au milieu de la pièce, vides. À cette vue, Joseph donna l’alarme. De toute la force de ses poumons, il cria dans l’escalier :

— Madame !… Monsieur !… Descendez vite… On a volé… on a volé !…

Ce fut une avalanche soudaine, une dégringolade effrayante. Madame, en chemise, les épaules à peine couvertes d’un léger fichu. Monsieur, boutonnant son caleçon hors duquel s’échappaient des pans de chemise… Et, tous les deux, dépeignés, très pâles, grimaçants, comme s’ils eussent été réveillés en plein cauchemar, criaient :

— Qu’est-ce qu’il y a ?… qu’est-ce qu’il y a ?…

— On a volé… on a volé !…

— On a volé, quoi ?… on a volé, quoi ?

Dans la salle à manger, Madame gémit :

— Mon Dieu !… mon Dieu !

Pendant que, les lèvres tordues, Monsieur continuait de hurler :

— On a volé, quoi ? quoi ?

Dans l’office, guidée par Joseph, à la vue des trois caisses descellées… Madame poussa, dans un grand geste, un grand cri :

— Mon argenterie !… Mon Dieu !… Est-ce possible ?… Mon argenterie !

Et, soulevant les compartiments vides, retournant les cases vides, épouvantée, horrifiée, elle s’affaissa sur le parquet… À peine si elle avait la force de balbutier d’une voix d’enfant :

— Ils ont tout pris !… ils ont tout pris… tout… tout… tout !… jusqu’à l’huilier Louis XVI.

Tandis que Madame regardait les caisses, comme on regarde son enfant mort, Monsieur, se grattant la nuque, et roulant des yeux hagards, pleurait d’une voix obstinée, d’une voix lointaine de dément :

— Nom d’un chien !… Ah ! nom d’un chien !… Nom d’un chien de nom d’un chien !

Et Joseph clamait, avec d’atroces grimaces, lui aussi :

— L’huilier de Louis XVI !… l’huilier de Louis XVI !… Ah ! les bandits !…

Puis, il y eut une minute de tragique silence, une longue minute de prostration ; ce silence de mort, cette prostration des êtres et des choses qui succèdent aux fracas des grands écroulements, au tonnerre des grands cataclysmes… Et la lanterne, balancée dans les mains de Joseph, promenait sur tout cela, sur les visages morts et sur les caisses éventrées, une lueur rouge, tremblante, sinistre…

J’étais descendue, en même temps que les maîtres, à l’appel de Joseph. Devant ce désastre, et malgré le comique prodigieux de ces visages, mon premier sentiment avait été de la compassion. Il semblait que ce malheur m’atteignît, moi aussi, que je fusse de la famille pour en partager les épreuves et les douleurs. J’aurais voulu dire des paroles consolatrices à Madame dont l’attitude affaissée me faisait peine à voir… Mais cette impression de solidarité ou de servitude s’effaça vite.

Le crime a quelque chose de violent, de solennel, de justicier, de religieux, qui m’épouvante certes, mais qui me laisse aussi — je ne sais comment exprimer cela — de l’admiration. Non, pas de l’admiration, puisque l’admiration est un sentiment moral, une exaltation spirituelle, et ce que je ressens n’influence, n’exalte que ma chair… C’est comme une brutale secousse, dans tout mon être physique, à la fois pénible et délicieuse, un viol douloureux et pâmé de mon sexe… C’est curieux, c’est particulier, sans doute, c’est peut-être horrible, — et je ne puis expliquer la cause véritable de ces sensations étranges et fortes, — mais chez moi, tout crime, — le meurtre principalement, — a des correspondances secrètes avec l’amour… Eh bien, oui, là !… un beau crime m’empoigne comme un beau mâle…

Je dois dire qu’une réflexion que je fis transforma subitement en gaîté rigoleuse, en contentement gamin, cette grave, atroce et puissante jouissance du crime, laquelle succédait au mouvement de pitié qui, tout d’abord, avait alarmé mon cœur ; bien mal à propos… Je pensai :

— Voici deux êtres qui vivent comme des taupes, comme des larves… Ainsi que des prisonniers volontaires, ils se sont volontairement enfermés dans la geôle de ces murs inhospitaliers… Tout ce qui fait la joie de la vie, le sourire de la maison, ils le suppriment comme du superflu. Ce qui pourrait être l’excuse de leur richesse, le pardon de leur inutilité humaine, ils s’en gardent comme d’une saleté. Ils ne laissent rien tomber de leur parcimonieuse table sur la faim des pauvres, rien tomber de leur cœur sec sur la douleur des souffrants. Ils économisent même sur le bonheur, leur bonheur à eux. Et je les plaindrais ?… Ah ! non… Ce qui leur arrive, c’est la justice. En les dépouillant d’une partie de leurs biens, en donnant de l’air aux trésors enfouis, les bons voleurs ont rétabli l’équilibre… Ce que je regrette, c’est qu’ils n’aient pas laissé ces deux êtres malfaisants, totalement nus et misérables, plus dénués que le vagabond qui, tant de fois, mendia vainement à leur porte, plus malades que l’abandonné qui agonise sur la route, à deux pas de ces richesses cachées et maudites.

Cette idée que mes maîtres auraient pu, un bissac sur le dos, traîner leurs guenilles lamentables et leurs pieds saignants par la détresse des chemins, tendre la main au seuil implacable du mauvais riche, m’enchanta et me mit en gaîté. Mais la gaîté, je l’éprouvai plus directe et plus intense et plus haineuse, à considérer Madame, affalée près de ses caisses vides, plus morte que si elle eût été vraiment morte, car elle avait conscience de cette mort, et cette mort, on ne pouvait en concevoir une plus horrible, pour un être qui n’avait jamais rien aimé, rien que l’évaluation en argent de ces choses inévaluables que sont nos plaisirs, nos caprices, nos charités, notre amour, ce luxe divin des âmes… Cette douleur honteuse, ce crapuleux abattement, c’était aussi la revanche des humiliations, des duretés que j’avais subies, qui me venaient d’elle, à chaque parole sortant de sa bouche, à chaque regard tombant de ses yeux… J’en goûtai, pleinement, la jouissance délicieusement farouche. J’aurais voulu crier : « C’est bien fait… c’est bien fait ! » Et surtout j’aurais voulu connaître ces admirables et sublimes voleurs, pour les remercier, au nom de tous les gueux… et pour les embrasser, comme des frères… Ô bons voleurs, chères figures de justice et de pitié, par quelle suite de sensations fortes et savoureuses vous m’avez fait passer !

Madame ne tarda pas à reprendre possession d’elle-même… Sa nature combattive, agressive, se réveilla soudain en toute sa violence.

— Et que fais-tu ici ? dit-elle à Monsieur sur un ton de colère et de suprême dédain… Pourquoi es-tu ici ?… Es-tu assez ridicule avec ta grosse face bouffie, et ta chemise qui passe ?… Crois-tu que cela va nous rendre notre argenterie ? Allons… secoue-toi… démène-toi un peu… tâche de comprendre. Va chercher les gendarmes, le juge de paix… Est-ce qu’ils ne devraient pas être ici depuis longtemps ?… Ah ! quel homme, mon Dieu !

Monsieur se disposait à sortir, courbant le dos. Elle l’interpella :

— Et comment se fait-il que tu n’aies rien entendu ?… Ainsi, on déménage la maison… on force les portes, on brise les serrures, on éventre des murs et des caisses… Et tu n’entends rien ?… À quoi es-tu bon, gros lourdaud ?

Monsieur osa répondre :

— Mais toi non plus, mignonne, tu n’as rien entendu…

— Moi ?… Ce n’est pas la même chose… N’est-ce pas l’affaire d’un homme ?… Et puis tu m’agaces… Va-t-en.

Et tandis que Monsieur remontait pour s’habiller, Madame, tournant sa fureur contre nous, nous apostropha :

— Et vous ?… Qu’est-ce que vous avez à me regarder, là, comme des paquets ?… Ça vous est égal à vous, n’est-ce pas, qu’on dévalise vos maîtres ?… Vous non plus, vous n’avez rien entendu ?… Comme par hasard… C’est charmant d’avoir des domestiques pareils… Vous ne pensez qu’à manger et dormir… Tas de brutes !

Elle s’adressa directement à Joseph :

— Pourquoi les chiens n’ont-ils pas aboyé ? Dites… pourquoi ?

Cette question parut embarrasser Joseph, l’éclair d’une seconde. Mais il se remit vite…

— Je ne sais pas, moi, Madame dit-il, du ton le plus naturel… Mais, c’est vrai… les chiens n’ont pas aboyé. Ah ! ça, c’est curieux, par exemple !…

— Les aviez-vous lâchés ?…

— Certainement que je les avais lâchés, comme tous les soirs… Ça c’est curieux !… Ah ! mais, c’est curieux !… Faut croire que les voleurs connaissaient la maison… et les chiens.

— Enfin, Joseph, vous si dévoué, si ponctuel, d’habitude… pourquoi n’avez-vous rien entendu ?

— Ça, c’est vrai… j’ai rien entendu… Et voilà qui est assez louche, aussi… Car je n’ai pas le sommeil dur, moi… Quand un chat traverse le jardin, je l’entends bien… C’est point naturel, tout de même… Et ces sacrés chiens, surtout… Ah ! mais, ah ! mais !…

Madame interrompit Joseph :

— Tenez ! Laissez-moi tranquille… Vous êtes des brutes, tous, tous ! Et Marianne ?… Où est Marianne ?… Pourquoi n’est-elle pas ici ?… Elle dort comme une souche, sans doute.

Et sortant de l’office, elle appela dans l’escalier :

— Marianne !… Marianne !

Je regardai Joseph, qui regardait les caisses. Joseph était grave. Il y avait comme du mystère dans ses yeux…

Je ne tenterai point de décrire cette journée, tous les multiples incidents, toutes les folies de cette journée. Le procureur de la République, mandé par dépêche, vint l’après-midi et commença son enquête. Joseph, Marianne et moi, nous fûmes interrogés l’un après l’autre, les deux premiers pour la forme, moi, avec une insistance hostile qui me fut extrêmement désagréable. On visita ma chambre, on fouilla ma commode et mes malles. Ma correspondance fut épluchée minutieusement… Grâce à un hasard que je bénis, le manuscrit de mon journal échappa aux investigations policières. Quelques jours avant l’événement, je l’avais expédié à Cléclé, de qui j’avais reçu une lettre affectueuse. Sans quoi, les magistrats eussent peut-être trouvé dans ces pages le moyen d’accuser Joseph, ou du moins de le soupçonner… J’en tremble encore. Il va sans dire qu’on examina aussi les allées du jardin, les plates-bandes, les murs, les brèches des haies, la petite cour donnant sur la ruelle, afin de relever des traces de pas et d’escalades… Mais la terre était sèche et dure ; il fut impossible d’y découvrir la moindre empreinte, le moindre indice. La grille, les murs, les brèches des haies gardaient jalousement leur secret. De même que pour l’affaire du viol, les gens du pays affluèrent, demandant à déposer. L’un avait vu un homme blond « qui ne lui revenait pas » ; l’autre, un homme brun « qui avait l’air drôle ». Bref, l’enquête demeura vaine. Nulle piste, nul soupçon…

— Il faut attendre, prononça avec mystère le procureur en partant, le soir. C’est peut-être la police de Paris qui nous mettra sur la voie des coupables…

Durant cette journée fatigante, au milieu des allées et venues, je n’eus guère le loisir de penser aux conséquences de ce drame qui, pour la première fois, mettait de l’animation, de la vie dans ce morne Prieuré. Madame ne nous laissait pas une minute de répit. Il fallait courir-ci… courir-là… sans raison, d’ailleurs, car Madame avait perdu un peu la tête… Quant à Marianne, il semblait qu’elle ne se fût aperçue de rien, et que rien ne fût arrivé de bouleversant dans la maison… Pareille à la triste Eugénie, elle suivait son idée, et son idée était bien loin de nos préoccupations. Lorsque Monsieur apparaissait dans la cuisine, elle devenait subitement comme ivre, et elle le regardait avec des yeux extasiés…

— Oh ! ta grosse frimousse !… tes grosses mains !… tes gros yeux !…

Le soir, après un dîner silencieux, je pus réfléchir. L’idée m’était venue tout de suite, et maintenant elle se fortifiait en moi, que Joseph n’était pas étranger à ce hardi pillage. Je voulus même espérer qu’entre son voyage à Cherbourg et la préparation de ce coup de main audacieux et incomparablement exécuté, il y eût un lien évident. Et je me souvenais de cette réponse qu’il m’avait faite, la veille de son départ :

— Ça dépend… d’une affaire très importante…

Quoiqu’il s’efforçât de paraître naturel, je percevais dans ses gestes, dans son attitude, dans son silence, une gêne inhabituelle… visible pour moi seule…

Ce pressentiment, je n’essayai pas de le repousser, tant il me satisfaisait. Au contraire, je m’y complus avec une joie intense… Marianne, nous ayant laissés seuls un moment dans la cuisine, je m’approchai de Joseph, et câline, tendre, émue d’une émotion inexprimable, je lui demandai :

— Dites-moi, Joseph, que c’est vous qui avez violé la petite Claire dans le bois… Dites-moi que… c’est vous qui avez volé l’argenterie de Madame…

Surpris, hébété de cette question, Joseph me regarda… Puis, tout d’un coup sans me répondre, il m’attira vers lui et faisant ployer ma nuque sous un baiser, fort comme un coup de massue, il me dit :

— Ne parle pas de ça… puisque tu viendras là-bas avec moi, dans le petit café… et puisque nos deux âmes sont pareilles !…

Je me souvins avoir vu, dans un petit salon, chez la comtesse Fardin, une sorte d’idole hindoue, d’une grande beauté horrible et meurtrière… Joseph, à ce moment, lui ressemblait…

Les jours passèrent, et les mois… Naturellement, les magistrats ne purent rien découvrir et ils abandonnèrent l’instruction, définitivement… Leur opinion était que le coup avait été exécuté par d’experts cambrioleurs de Paris… Paris a bon dos. Et allez donc chercher dans le tas !…

Ce résultat négatif indigna Madame. Elle débina violemment la magistrature, qui ne pouvait lui rendre son argenterie. Mais elle ne renonça pas pour cela à l’espoir de retrouver « l’huilier de Louis XVI », comme disait Joseph. Elle avait chaque jour des combinaisons nouvelles et biscornues, qu’elle transmettait aux magistrats, lesquels, fatigués de ces billevesées, ne lui répondaient même plus… Je fus enfin rassurée sur le compte de Joseph… car je redoutais toujours une catastrophe pour lui…

Joseph était redevenu silencieux et dévoué, le serviteur familial, la perle rare. Je ne puis m’empêcher de pouffer au souvenir d’une conversation que, la journée même du vol, je surpris derrière la porte du salon, entre Madame et le procureur de la République, un petit sec, à lèvres minces, à teint bilieux, et dont le profil était coupant, comme une lame de sabre.

— Vous ne soupçonnez personne parmi vos gens ? demanda le procureur… Votre cocher ?

— Joseph ! s’écria Madame scandalisée… un homme qui nous est si dévoué… qui depuis plus de quinze ans est à notre service !… la probité même, Monsieur le procureur… une perle !… il se jetterait au feu pour nous…

Soucieuse, le front plissé, elle réfléchit.

— Il n’y aurait que cette fille, la femme de chambre. Je ne la connais pas, moi, cette fille. Elle a peut-être de très mauvaises relations à Paris… elle écrit souvent à Paris… Plusieurs fois je l’ai surprise, en train de boire le vin de la table et de manger nos pruneaux… Quand on boit le vin de ses maîtres… on est capable de tout…

Et elle murmura :

— On ne devrait jamais prendre de domestiques à Paris… Elle est singulière, en effet.

Non, mais voyez-vous cette chipie ?…

C’est bien ça, les gens méfiants… Ils se méfient de tout le monde, sauf de celui qui les vole, naturellement. Car j’étais de plus en plus convaincue que Joseph avait été l’âme de cette affaire. Depuis longtemps je l’avais surveillé, non par un sentiment hostile, vous pensez bien, mais par curiosité, et j’avais la certitude que ce fidèle et dévoué serviteur, cette perle unique, chapardait tout ce qu’il pouvait dans la maison. Il dérobait de l’avoine, du charbon, des œufs, de menues choses susceptibles d’être revendues, sans qu’il fût possible d’en connaître l’origine.

Et son ami le sacristain ne venait pas le soir, dans la sellerie, pour rien, et pour y discuter seulement sur les bienfaits de l’antisémitisme. En homme avisé, patient, prudent, méthodique, Joseph n’ignorait pas que les petits larcins quotidiens font les gros comptes annuels, et je suis persuadée que de cette façon, il triplait, quadruplait ses gages, ce qui n’est jamais à dédaigner. Je sais bien qu’il y a une différence entre de si menus vols et un pillage audacieux comme fut celui de la nuit du 24 décembre… Cela prouve qu’il aimait aussi à travailler dans le grand… Qui me dit que Joseph n’était pas alors affilié à une bande ?… Ah ! comme j’aurais voulu et comme je voudrais encore savoir tout cela !

Depuis le soir où son baiser me fut comme un aveu du crime, où sa confiance alla vers moi avec la poussée d’un rut, Joseph nia. J’eus beau le tourner, le retourner, lui tendre des pièges, l’envelopper de paroles douces et de caresses, il ne se démentit plus… Et il entra dans la folie d’espoir de Madame. Lui aussi combina des plans, reconstitua tous les détails du vol ; et il battit les chiens qui n’aboyèrent pas, et il menaça de son poing les voleurs inconnus, les chimériques voleurs comme s’il les voyait fuir à l’horizon. Je ne savais plus à quoi m’en tenir sur le compte de cet impénétrable bonhomme… Un jour, je croyais à son crime, un autre jour à son innocence. Et c’était horriblement agaçant.

Comme autrefois, nous nous retrouvions, le soir, à la sellerie :

— Eh bien, Joseph ?…

— Ah ! vous voilà, Célestine !

— Pourquoi ne me parlez-vous plus ?… Vous avez l’air de me fuir…

— Vous fuir ?… moi… ? Ah ! bon Dieu !…

— Oui… depuis cette fameuse matinée…

— Parlez point de ça, Célestine… Vous avez de trop mauvaises idées.

Et triste, il dodelinait de la tête.

— Voyons, Joseph… vous savez bien que c’est pour rire. Est-ce que je vous aimerais si vous aviez commis un tel crime ?… Mon petit Joseph…

— Oui, oui… vous êtes une enjôleuse… C’est pas bien…

— Et quand partons-nous ?… Je ne puis plus vivre ici.

— Pas tout de suite… Il faut encore attendre…

— Mais pourquoi ?

— Parce que… ça se peut pas… tout de suite…

Un peu piquée, sur un ton de légère fâcherie, je disais :

— Ça n’est pas gentil !… Et vous n’êtes guère pressé de m’avoir…

— Moi ? s’écriait Joseph, avec d’ardentes grimaces… Si c’est Dieu possible !… Mais, j’en bous… j’en bous !…

— Eh bien alors, partons…

Et il s’obstinait, sans jamais s’expliquer davantage…

— Non… non… ça ne se peut pas encore…

Tout naturellement, je songeais :

— C’est juste, après tout… S’il a volé l’argenterie, il ne peut pas s’en aller maintenant, ni s’établir… On aurait des soupçons peut-être. Il faut que le temps passe et que l’oubli se fasse sur cette mystérieuse affaire…

Un autre soir, je proposai :

— Écoutez, mon petit Joseph, il y aurait un moyen de partir d’ici… il faudrait avoir une discussion avec Madame et l’obliger à nous mettre à la porte tous les deux…

Mais il protesta vivement :

— Non, non… fit-il… Pas de ça, Célestine. Ah ! mais non… Moi, j’aime mes maîtres… Ce sont de bons maîtres… Il faut bien quitter d’avec eux… Il faut partir d’ici comme de braves gens… des gens sérieux, quoi… Il faut que les maîtres nous regrettent et qu’ils soient embêtés… et qu’ils pleurent de nous voir partir…

Avec une gravité triste où je ne sentis aucune ironie, il affirma :

— Moi, vous savez, ça me fera du deuil de m’en aller d’ici… Depuis quinze ans que je suis ici… dame !… on s’attache à une maison… Et vous, Célestine… ça ne vous fera pas de peine ?

— Ah ! non… m’écriai-je, en riant.

— C’est pas bien… c’est pas bien… Il faut aimer ses maîtres… les maîtres sont les maîtres… Et, tenez, je vous recommande ça… Soyez bien gentille, bien douce, bien dévouée… travaillez bien… Ne répondez pas… Enfin, quoi, Célestine, il faut bien quitter d’avec eux… d’avec Madame, surtout…

Je suivis les conseils de Joseph et, durant les mois que nous avions à rester au Prieuré, je me promis de devenir une femme de chambre modèle, une perle, moi aussi… Toutes les intelligences, toutes les complaisances, toutes les délicatesses, je les prodiguai… Madame s’humanisait avec moi ; peu à peu, elle se faisait véritablement mon amie… Je ne crois pas que mes soins seuls eussent amené ce changement dans le caractère de Madame. Madame avait été frappée dans son orgueil, et jusque dans ses raisons de vivre. Comme après une grande douleur, après la perte foudroyante d’un être uniquement chéri, elle ne luttait plus, s’abandonnait, douce et plaintive, à l’abattement de ses nerfs vaincus et de ses fiertés humiliées, et elle ne semblait plus chercher auprès de ceux qui l’entouraient que de la consolation, de la pitié, de la confiance. L’enfer du Prieuré se transformait pour tout le monde en un vrai paradis…

C’est au plein de cette paix familiale, de cette douceur domestique, que j’annonçai un matin à Madame la nécessité où j’étais de la quitter… J’inventai une histoire romanesque… je devais retourner au pays, pour y épouser un brave garçon qui m’attendait depuis longtemps. En termes attendrissants j’exprimai ma peine, mes regrets, les bontés de Madame, etc… Madame fut atterrée… Elle essaya de me retenir, par les sentiments et par l’intérêt… offrit d’augmenter mes gages, de me donner une belle chambre, au second étage de la maison. Mais, devant ma résolution, elle dut se résigner…

— Je m’habituais si bien à vous, maintenant !… soupira-t-elle… Ah ! je n’ai pas de chance…

Mais ce fut bien pire quand, huit jours après, Joseph vint à son tour expliquer que, se faisant trop vieux, étant trop fatigué, il ne pouvait plus continuer son service et qu’il avait besoin de repos.

— Vous, Joseph ?… s’écria Madame… vous aussi ?… Ce n’est pas possible… La malédiction est donc sur le Prieuré… Tout le monde m’abandonne… tout m’abandonne…

Madame pleura. Joseph pleura. Monsieur pleura. Marianne pleura…

— Vous emportez tous nos regrets, Joseph !…

Hélas ! Joseph n’emportait pas que des regrets… il emportait aussi l’argenterie !…

Une fois dehors, je fus perplexe… Je n’avais aucun scrupule à jouir de l’argent de Joseph, de l’argent volé — non ce n’était pas cela… quel est l’argent qui n’est pas volé ? — mais je craignis que le sentiment que j’éprouvais ne fût qu’une curiosité fugitive. Joseph avait pris sur moi, sur mon esprit comme sur ma chair, un ascendant qui n’était peut-être pas durable… Et peut-être n’était-ce en moi qu’une perversion momentanée de mes sens ?… Il y avait des moments où je me demandais aussi si ce n’était pas mon imagination — portée aux rêves exceptionnels — qui avait créé Joseph tel que je le voyais, s’il n’était point réellement qu’une simple brute, un paysan, incapable même d’une belle violence, même d’un beau crime ?… Les suites de cet acte m’épouvantaient… Et puis — n’est-ce pas une chose vraiment inexplicable ? — cette idée que je ne servirais plus chez les autres me causait quelque regret… Autrefois, je croyais que j’accueillerais avec une grande joie la nouvelle de ma liberté. Eh bien, non !… D’être domestique, on a ça dans le sang… Si le spectacle du luxe bourgeois allait me manquer tout à coup ? J’entrevis mon petit intérieur, sévère et froid, pareil à un intérieur d’ouvrier, ma vie médiocre, privée de toutes ces jolies choses, de toutes ces jolies étoffes si douces à manier, de tous ces vices jolis dont c’était mon plaisir de les servir, de les chiffonner, de les pomponner, de m’y plonger, comme dans un bain de parfums… Mais il n’y avait plus à reculer.

Ah ! qui m’eût dit, le jour gris, triste et pluvieux où j’arrivai au Prieuré, que je finirais avec ce bonhomme étrange, silencieux et bourru, qui me regardait avec tant de dédain ?…

Maintenant, nous sommes dans le petit café… Joseph a rajeuni. Il n’est plus courbé, ni lourdaud. Et il marche d’une table à l’autre, et il trotte d’une salle dans l’autre, le jarret souple, l’échine élastique. Ses épaules qui m’effrayaient ont pris de la bonhomie ; sa nuque, parfois si terrible, a quelque chose de paternel et de reposé. Toujours rasé de frais, la peau brune et luisante ainsi que de l’acajou, coiffé d’un béret crâne, vêtu d’une vareuse bleue, bien propre, il a l’air d’un ancien marin, d’un vieux loup de mer qui aurait vu des choses extraordinaires et traversé d’extravagants pays. Ce que j’admire en lui, c’est sa tranquillité morale… Jamais plus une inquiétude dans son regard… On voit que sa vie repose sur des bases solides. Plus violemment que jamais, il est pour la famille, pour la propriété, pour la religion, pour la marine, pour l’armée, pour la patrie… Moi, il m’épate !

En nous mariant, Joseph m’a reconnu dix mille francs… L’autre jour, le commissariat maritime lui a adjugé un lot d’épaves de quinze mille francs, qu’il a payé comptant et qu’il a revendu avec un fort bénéfice. Il fait aussi de petites affaires de banque, c’est-à-dire qu’il prête de l’argent à des pêcheurs. Et déjà, il songe à s’agrandir en acquérant la maison voisine. On y installerait peut-être un café-concert…

Cela m’intrigue qu’il ait tant d’argent. Et quelle est sa fortune ?… Je n’en sais rien. Il n’aime pas que je lui parle de cela ; il n’aime pas que je lui parle du temps où nous étions en place… On dirait qu’il a tout oublié et que sa vie n’a réellement commencé que du jour où il prit possession du petit café… Quand je lui adresse une question qui me tourmente, il semble ne pas comprendre ce que je dis. Et dans son regard, alors, passent des lueurs terribles, comme autrefois… Jamais je ne saurai rien de Joseph, jamais je ne connaîtrai le mystère de sa vie… Et c’est peut-être cet inconnu qui m’attache tant à lui…

Joseph veille à tout dans la maison, et rien n’y cloche. Nous avons trois garçons pour servir les clients, une bonne à tout faire pour la cuisine et pour le ménage, et cela marche à la baguette… Il est vrai qu’en trois mois nous avons changé quatre fois de bonne… Ce qu’elles sont exigeantes, les bonnes, à Cherbourg, et chapardeuses, et dévergondées !… Non, c’est incroyable, et c’est dégoûtant…

Moi je tiens la caisse, trônant au comptoir, au milieu d’une forêt de fioles enluminées. Je suis là aussi pour la parade et pour la causette… Joseph veut que je sois bien frusquée ; il ne me refuse jamais rien de ce qui peut m’embellir, et il aime que le soir je montre ma peau dans un petit décolletage aguichant… Il faut allumer le client, l’entretenir dans une constante joie, dans un constant désir de ma personne… Il y a déjà deux ou trois gros quartiers-maîtres, deux ou trois mécaniciens de l’escadre, très calés, qui me font une cour assidue. Naturellement, pour me plaire, ils dépensent beaucoup. Joseph les gâte spécialement, car ce sont de terribles pochards. Nous avons pris aussi quatre pensionnaires. Ils mangent avec nous et chaque soir se paient du vin, des liqueurs de supplément, dont tout le monde profite… Ils sont fort galants avec moi et je les excite de mon mieux… Mais il ne faudrait pas, je pense, que mes façons dépassassent l’encouragement des banales œillades, des sourires équivoques et des illusoires promesses… Je n’y songe pas, d’ailleurs… Joseph me suffit, et je crois bien que je perdrais au change, même s’il s’agissait de le tromper avec l’amiral… Mazette !… c’est un rude homme… Bien peu de jeunes gens seraient capables de satisfaire une femme comme lui… C’est drôle, vraiment… quoiqu’il soit bien laid, je ne trouve personne d’aussi beau que mon Joseph… Je l’ai dans la peau, quoi !… Oh ! le vieux monstre !… Ce qu’il m’a prise !… Et il les connaît, tous les trucs de l’amour, et il en invente… Quand on pense qu’il n’a pas quitté la province… qu’il a été toute sa vie un paysan, on se demande où il a pu apprendre tous ces vices-là…

Mais où Joseph triomphe, c’est dans la politique. Grâce à lui, le petit café, dont l’enseigne : À l’armée française ! brille sur tout le quartier, le jour, en grosses lettres d’or, le soir, en grosses lettres de feu, est maintenant le rendez-vous officiel des antisémites marquants et des plus bruyants patriotes de la ville. Ceux-ci viennent fraterniser là, dans des soulographies héroïques, avec des sous-officiers de l’armée et des gradés de la marine. Il y a déjà eu des rixes sanglantes, et, plusieurs fois, à propos de rien, les sous-officiers ont tiré leurs sabres, menaçant de crever des traîtres imaginaires… Le soir du débarquement de Dreyfus en France, j’ai cru que le petit café allait crouler sous les cris de : « Vive l’armée ! » et « Mort aux juifs ! » Ce soir-là, Joseph, qui est déjà populaire dans la ville, eut un succès fou. Il monta sur une table et il cria :

— Si le traître est coupable, qu’on le rembarque… S’il est innocent, qu’on le fusille…

De toutes parts, on vociféra :

— Oui, oui !… Qu’on le fusille ! Vive l’armée !

Cette proposition avait porté l’enthousiasme jusqu’au paroxysme. On n’entendait dans le café, dominant les hurlements, que des cliquetis de sabre, et des poings s’abattant sur les tables de marbre. Quelqu’un, ayant voulu dire on ne sait quoi, fut hué, et Joseph, se précipitant sur lui, d’un coup de poing lui fendit les lèvres et lui cassa cinq dents… Frappé à coups de plat de sabre, déchiré, couvert de sang, à moitié mort, le malheureux fut jeté comme une ordure dans la rue, toujours aux cris de : « Vive l’armée ! Mort aux Juifs ! »

Il y a des moments où j’ai peur dans cette atmosphère de tuerie, parmi toutes ces faces bestiales, lourdes d’alcool et de meurtre… Mais Joseph me rassure :

— C’est rien… fait-il… Faut ça pour les affaires…

Hier, revenant du marché, Joseph, se frottant les mains, très gai, m’annonça :

— Les nouvelles sont mauvaises. On parle de la guerre avec l’Angleterre.

— Ah ! mon Dieu ! m’écriai-je. Si Cherbourg allait être bombardé ?

— Ouah !… ouah !… ricana Joseph… Seulement, j’ai pensé à une chose… j’ai pensé à un coup… à un riche coup…

Malgré moi, je frissonnai… Il devait ruminer quelque immense canaillerie.

— Plus je te regarde… dit-il… et plus je me dis que tu n’as pas une tête de bretonne. Non, tu n’as pas une tête de bretonne… Tu aurais plutôt une tête d’alsacienne… Hein ?… Ça serait un fameux coup d’œil dans le comptoir ?

J’éprouvai de la déception… Je croyais que Joseph allait me proposer une chose terrible… J’étais fière déjà d’être de moitié dans une entreprise hardie… Chaque fois que je le vois songeur, mes idées s’allument tout de suite. J’imagine des tragédies, des escalades nocturnes, des pillages, des couteaux tirés, des gens qui râlent sur la bruyère des forêts… Et voilà qu’il ne s’agissait que d’une réclame, petite et vulgaire…

Les mains dans ses poches, crâne sous son béret bleu, il se dandinait drôlement…

— Tu comprends ?… insista-t-il. Au moment d’une guerre… une Alsacienne bien jolie, bien frusquée, ça enflamme les cœurs, ça excite le patriotisme… Et il n’y a rien comme le patriotisme pour saouler les gens… Qu’est-ce que tu en penses ?… Je te ferais mettre sur les journaux… et même, peut-être, sur des affiches…

— J’aime mieux rester en dame !… répondis-je, un peu sèchement.

Là-dessus, nous nous disputâmes. Et, pour la première fois, nous en vînmes aux mots violents.

— Tu ne faisais pas tant de manières quand tu couchais avec tout le monde… cria Joseph.

— Et toi !… quand tu… Tiens, laisse-moi, parce que j’en dirais trop long…

— Putain !

— Voleur !

Un client entra… Il ne fut plus question de rien. Et le soir, on se raccommoda dans les baisers…

Je me ferai faire un joli costume d’Alsacienne… avec du velours et de la soie… Au fond, je suis sans force contre la volonté de Joseph. Malgré ce petit accès de révolte, Joseph me tient, me possède comme un démon. Et je suis heureuse d’être à lui… Je sens que je ferai tout ce qu’il voudra que je fasse, et que j’irai toujours où il me dira d’aller… jusqu’au crime !

Mars 1900.