Le Koran analysé/Chapitre I. — Histoire

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Traduction par Kasimirski.
Texte établi par Bibliothèque orientale, Maisonneuve (p. 1-5).

LE KORAN ANALYSÉ

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I.

HISTOIRE.

Ababils (les Oiseaux.)Gog et Magog. — Dhoul’Karneïn (Alexandre-le-Grand.) Les Grecs.


Le Koran a ce caractère particulier, comparativement au Pentateuque, sa base déclarée, qu’il ne se préoccupe point de l’histoire ni ancienne, ni contemporaine, ni nationale, ni étrangère. Les nombreux récits qu’il contient offrent peu de détails de nature à fournir des renseignements précis sur les lieux, les races, les nations, les individus. Ils ne sont ordonnés qu’au point de vue d’une prédication, rappelant de préférence les effets de la colère de Dieu contre les contempteurs de ses envoyés.

Il est bon, pour bien comprendre et le fond et la forme de ce livre, de ne jamais oublier qu’on est en présence d’une œuvre conçue par pièces séparées et jetées à peu près toutes, dans le moule du lyrisme.

Il mentionne pourtant deux événements accomplis hors de la péninsule arabique : l’apparition d’Alexandre-le-Grand ; une victoire remportée sur l’Empereur grec par le roi de Perse. Mais ni l’un ni l’autre n’est exposé historiquement.

Alexandre, l’homme aux deux cornes (Dhoul’Karneïn), comme tous les hommes de génie divinisés par l’Orient, n’est pas le conquérant raconté par Quinte-Curce. Il n’a été montré au monde que pour préparer les voies au restaurateur du culte d’Abraham ; il est purement et simplement le précurseur de Mahomet.

L’annonce de la victoire de Kosrou-Parwis sur l’empereur Héraclius, est faite en termes si peu absolus, que plusieurs commentateurs se sont cru autorisés à voir dans les trois premiers versets du ch. xxx, la prédiction d’une victoire plutôt que sa constatation.

Un troisième fait, un fait relatif à l’Arabie, et remontant à l’année même de la naissance de Mahomet, 570 de J.-C., d’après les calculs de M. Caussin de Perceval, est aussi consigné dans le Koran : l’expédition dirigée par Abraha, chef du Yémen, sous la suzeraineté de l’empereur d’Abyssinie, contre la Kaaba de la Mecque.

Ce temple, polythéiste à cette époque, bien que la fondation en fut attribuée au monothéiste patriarche Abraham, était dès la plus haute antiquité, comme il l’est encore depuis que Mahomet l’a vidé de ses idoles, le but d’un pieux pèlerinage pour tous les arabes de la péninsule et même de la Syrie. Les avantages politiques et commerciaux qui résultaient pour la vallée de la Mecque et pour le Hedjaz, dont elle fait partie, de ce courant religieux, avaient excité la convoitise d’un guerrier pour qui peu de choses paraissent avoir été respectables. Abraha avait d’abord installé à Sana, sa résidence, une autre Kaaba plus richement décorée que l’ancienne, et il avait compté sur sa puissance pour l’accréditer. Le succès ne répondit pas à ces prétentions. L’insulte s’en mêla de la part de ses concurrents, l’insulte telle que la peuvent concevoir des hommes étrangers aux délicatesses de nos mœurs. Deux mecquois appartenant à la tribu des Koréichites, qui s’étaient arrogé la garde, c’est-à-dire l’exploitation de la Kaaba de la Mecque, s’introduisirent dans celle de Sana et la souillèrent. Abraha furieux, mit sur pied une armée de 40,000 hommes et marcha sur la Mecque[1]. Pas un détail de cette histoire très-curieuse n’est mentionné dans le Koran ; il n’en rappelle que la conclusion et encore il l’emprunte à la légende.

« Selon les traditions arabes, dit M. Caussin de Perceval[2], Dieu envoya contre les Abyssins, des nuées d’oiseaux nommés ababils, semblables à des hirondelles. Chacun d’eux tenait dans son bec et ses serres, trois petites pierres de la grosseur d’un pois ou d’une lentille qu’ils laissaient tomber sur les soldats. Elles perçaient les casques et les cuirasses ; tous ceux qu’elles atteignaient, voyaient leur corps se couvrir de pustules et mouraient en peu d’heures. Les Abyssins épouvantés prirent la fuite. »

M. Kasimirski[3] fait remarquer que Sprenger (Hist. de la Médecine) et de Hammer Gemaldesaal, I, 24) conjecturent qu’il s’agit ici de la petite vérole qui se montra pour la première fois en Arabie à cette époque.

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HISTOIRE [28 versets].

§1. ABABILS (Oiseaux) [5 versets].
CV
1. As-tu vu comment le Seigneur a traité les hommes à l’Éléphant[4] ?
2. N’a-t-il pas dérouté leurs stratagèmes ?
3. N’a-t-il pas envoyé contre eux les oiseaux ababils,
4. Qui leur lançaient des pierres portant des marques imprimées au ciel ?
5. Il en a fait comme de la balle dont le grain a été mangé.
§. 2. GOG ET MAGOG [3 versets].
XXI
95. Un anathème pèsera sur la cité que nous avons anéantie ; ses peuples ne reviendront pas,
96. Jusqu’à ce que le passage soit ouvert a Iadjoudj et Madjoudj (Gog et Magog) ; alors ils descendront rapidement de chaque montagne.
97. Alors l’accomplissement de la promesse Véritable sera près de s’accomplir et les regards des infidèles seront fixés avec stupéfaction. Malheur a nous, diront-ils ; nous étions insouciants de l’heure, et nous étions impies[5].
§ 3. DHOUL’KARNEIN (Le possesseur de deux cornes, Alexandre-le-Grand) [17 versets].
XVIII
82. On t’interrogera, ô Mohammed ! au sujet de Dhoul’Karneïn.
Réponds : Je vais vous raconter son histoire.
83. Nous affermîmes sa puissance sur la terre, et nous lui donnâmes les moyens d’accomplir tout ce qu’il désirait, et il suivit une route.
84. Il marcha jusqu’à ce qu’il fut arrivé au couchant du soleil ; il vit le soleil se coucher dans une fontaine boueuse ; auprès d'elle, il trouva établie une peuplade.
85. Nous lui dîmes : O Dhoul’Karneïn ! tu peux châtier ce peuple ou le traiter avec générosité.
86. Nous châtierons, répondit-il, tout homme impie ; ensuite nous le livrerons à Dieu, qui lui fera subir un supplice affreux.
87. Mais quiconque aura cru et pratiqué le bien, obtiendra une belle récompense, et nous ne lui donnerons que des ordres faciles à exécuter.
88. Dhoul’Karneïn, de nouveau, suivit une route.
89. Jusqu’à ce qu’il arrivât à l’endroit où le soleil se lève ; il se levait sur un peuple auquel nous n’avons rien donné pour se mettre à l’abri de son ardeur.
90. Oui, il en était ainsi, et nous connaissons tous ceux qui étaient avec Dhoul’Karneïn.
91. Il suivit de nouveau une route.
92. Jusqu’à ce qu’il arrivât entre les deux digues, au pied desquelles habitait un peuple qui entendait à peine quelque langue.
93. Ce peuple lui dit : O Dhoul’KarneÏn! Voici que Jadjoudj et Madjoudj (Gag et Magog), commettent des désordres sur la terre. Pouvons-nous te demander, moyennant une récompense, d’élever une barrière entre eux et nous ?
94. La puissance que m’accorde mon Seigneur, répondit-il, est pour moi une récompense plus considérable. Aidez-moi seulement avec zèle, et j’élèverai une barrière entre eux et vous.
95. Apportez-moi de grandes pièces de fer, autant qu’il en faudra pour combler l’intervalle entre les deux montagnes. Il dit aux travailleurs : soufflez le feu jusqu’à ce que le fer devienne rouge comme le feu. Puis il dit : apportez-moi de l’airain fondu, afin que je le jette dessus.
96. Jadjoudj et Madjoudj ne purent ni escalader le mur ni le percer.
97. Cet ouvrage, dit Dhoul’Karneïn, est un effet de la miséricorde de Dieu.
98. Quand l’arrêt du Seigneur sera arrivé, il le réduira en pièces. Les arrêts de Dieu sont infaillibles[6].
§ 4. LES GRECS [3 versets].
XXX
1. Les grecs (l’Empire d’Orient) ont été vaincus (par les Perses.)
2. Dans un pays très-rapproché du nôtre ; mais, après cette victoire, ils vaincront à leur tour.
3. Dans l’espace de quelques années….[7]
  1. Noël Desvergers. Univ. pittoresq. Arabie.
  2. Hist. des Arabes.
  3. Le Koran, éd. de 1873, p. 519, note.
  4. L’armée du Yémen, conduite par l’Abyssin Abraha, est ainsi désignée, parce que son chef montait un éléphant blanc. L’année où se passa cet événement en a même reçu le nom d’année de l’Éléphant.
  5. La Genèse, ch. x, § 2, donne pour frère à Magog (il n’y est pas question de Gog) Japhet, le troisième et dernier des fils de Noé. Chez Ezéchiel, ch. XXXVIII et XXXIX, Magog n’est que le nom du pays dont Gog est le chef ou le roi. « Ce chapitre xxxviii, dit M. S. Cahen (La Bible, traduction nouvelle, t. XI, p. 136, note), contient une poésie prophétique dont le sens général est : Des nations barbares attaqueront un jour, sous la conduite de Gog, leur roi, et avec une grande armée, le peuple israélite de retour de l’exil et vivant tranquillement, et chercheront à le détruire. Gog paraît avoir été le nom commun à tous les monarques de Magog, comme pharaon celui des rois d’Egypte, et abimélech celui des rois de Guérar. Dans la révélation de saint Jean (Apocalypse, ch. xx, § 8), Gog et Magog ne désignent pas, celui-ci le pays, celui-là le chef, mais deux nations principales différentes, comprenant les païens des quatre coins de la terre, lesquelles, après le règne de mille ans, excitées par Satan, se dirigent contre la ville sainte ; mais le feu les consume. » (Voir ci-après Dhoul’Karneïn, p. 5.)
  6. On suit, à travers ce récit légendaire, la profonde terreur qu’inspirèrent à l’Europe tout entière et à l’Asie occidentale, les grandes migrations des peuples de l’Asie centrale et orientale. Jadjoudj et Madjoudj, Gog et Magog, sont ici deux rois puissants. Alexandre-le-Grand, parvenu dans le voisinage de l’Inde, est prié de protéger un peuple contre leurs invasions. Il le fait, mais, son œuvre ne dure pas et l’Occident est inondé.
    « On n’est pas d’accord, dit M. S. Cahen, dans le passage déjà cité a l’article Gog et Magog, on n’est pas d’accord sur la contrée où se trouve le pays désigné sous le nom de Magog ; on croit que ce sont les Scythes. Saint Jérôme, dans son commentaire sur ce passage, (Ezéchiel, ch. xxxviii, § 2), dit que les Juifs, de son temps, pensaient qu’il s’agit ici des Scythes, qui demeuraient au-delà du Caucase et près de la mer Caspienne. On croit même que Gog a donné son nom au Caucase. D’autres font de Magog deux mots : Ma Gog, le grand Gog. » (Voir Gog et Magog, p. 3).
  7. Voir la note, p. 1.