Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre II

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Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 9-14).

CHAPITRE II

Là, Religieux, quelle est, entre toutes, cette exposition de la loi nommée l’excellent Lalitavistara, somme des Soûtras et grandement développé ?

Religieux, le Bôdhisattva demeurait alors dans le séjour excellent du Touchita, adoré de ceux qu’on adore, ayant obtenu l’inauguration, loué, vanté, comblé de louanges, célébré par cent mille dieux, ayant atteint ce qu’il cherchait, éminemment élevé par ses prières, ayant bien acquis l’intelligence qui pénètre toute la loi des Bouddhas, ayant l’œil très grand et parfaitement pur de la loi ; ayant le souvenir, l’intelligence, la prudence et la science étendue échauffée par le contentement ; ayant (fait) l’aumône, en possession de la bonne conduite, de la patience, de l’activité, de la contemplation, de la sagesse, de la grande science des moyens et du passage suprême à l’autre rive ; habile et connaissant parfaitement la voie de Brahmâ, la grande mansuétude, la grande commisération, la grande joie, la grande indifférence ; vraiment parvenu par une science supérieure, à la vue de la science sans obscurité et sans passion ; ayant bien acquis la présence de la mémoire, l’abnégation complète, les fondements de la puissance surnaturelle, les organes des sens, la force, les degrés de l’intelligence suprême et la voie ; parvenu au terme vraiment accompli de toutes les lois (conditions) des parties de l’intelligence suprême ; ayant le corps bien paré de signes (principaux) et de marques (secondaires) produits par l’accumulation de mérites incommensurables ; suivant depuis longtemps la même direction ; agissant comme il le dit, déclarant clairement la parole et l’action vraies ; ayant un esprit droit, sans fraude et sans artifice que rien n’entrave ; ayant mis de côté tout ce qui est orgueil, fierté, envie, crainte et abattement ; ayant un esprit égal pour tous les êtres ; ayant honoré de respect des centaines de millions incommensurables de Bouddhas ; regardé en face par plusieurs centaines de millions de Bôdhisattvas et ayant l’aspect de ceux-ci qui le regardent ; réjoui par les glorifications de Çakra, de Brahmâ, de Mahêçvara, des gardiens du monde, des dieux des Nâgas, des Yakchas, des Gandharbas, des Asouras, des Garouḍas, des Kinnaras, des Mahôragas et des Rakchasas ; expert dans l’enseignement de la division de tous les mots et dans la science entrée dans la connaissance exacte que rien n’arrête de chaque chose ; parvenu à retenir les préceptes enseignés par tous les Bouddhas, vase de mémoire sans confusion, ayant obtenu les formules magiques infinies, illimitées ; grand chef de la troupe de voyageurs du vaisseau de la loi obtenu par la présence de la mémoire, l’abandon complet, les fondements de la puissance surnaturelle, les organes des sens la force, les degrés de l’intelligence suprême, par la (bonne) voie ; ayant la sagesse transcendante, la loi précieuse de la science des moyens, et les mérites ; ayant l’intention qui fait aller au delà des quatre courants ; ayant vaincu le démon et les contradicteurs ; ayant très bien dompté tous les adversaires ; se tenant très ferme en tête du combat ; ayant bien détruit la foule nuisible des corruptions naturelles ; armé des foudres solides de la meilleure science ; né de l’intention supérieure qui est la grande tige de la miséricorde produite par la racine de la pensée de l’intelligence suprême : sacré avec l’eau profonde de l’héroïsme ; ayant l’oreille de celui qui est habile à se servir des moyens ; possédant les degrés de l’intelligence suprême et les filaments de la méditation ; possédant les fibres de la contemplation ; bien né du lac sans tache d’une foule de qualités ; ayant les feuilles développées et pures d’une lune dégagée du flot de l’orgueil et de l’arrogance ; possédant le parfum qui va sans obstacle aux dix points de l’espace, de la bonne conduite de la révélation et de la sérénité ; doyen de la science dans le monde ; non imprégné des huit lois du monde ; lotus des grands hommes ; répandant le doux parfum des mérites et de l’accumulation de la science ; ayant l’œil aussi parfait et pur que le lotus à cent feuilles épanoui par les rayons du soleil de la sagesse et de la science ; lancé avec l’élan suprême des quatre fondements de la puissance surnaturelle ; ayant les dents et les ongles très aigus des quatre vénérables vérités ; avant les dents saillantes des quatre séjours de Brahmâ ; ayant la tête bien disposée aux quatre sujets de réunion ; ayant le corps successivement perfectionné par la compréhension de la production connexe des causes, au nombre de douze membres ; ayant parfaitement, complètement rempli les vingt-sept conditions des parties de l’intelligence suprême, dont il a fait une tresse, il a la crinière de la science et de la sagesse. Ayant fait bâiller les trois portes de la délivrance complète ; ayant l’œil parfait, pur de la délivrance de la vue surnaturelle et de l’état calme ; demeurant dans les grottes et les caves de la montagne de la méditation, de la délivrance complète, de la contemplation et de l’acquisition de l’indifférence ; ayant le corps bien développé du bosquet de la discipline des quatre voies honorables ; ayant la force produite par l’exercice des dix forces et des quatre intrépidités ; délivré de l’horripilation et de la crainte de l’existence et de la destruction ; ayant un courage qui ne plie pas ; dompteur des Tîrthikas, troupeaux nombreux de lièvres et de gazelles ; faisant entendre le grand cri du lion, voix qui dit ce qui est hors de soi-même ; lion des hommes ; par le rayon de la lumière de la sagesse sorti du cercle de la contemplation et de la délivrance complète, rendant sans éclat la lumière des Tîrthikas, troupes de vers luisants : détruisant l’obscurité de la taie des ténèbres et de l’aveuglement de l’ignorance ; brûlant de force et d’héroïsme ; au milieu des dieux et des hommes, brillant par l’éclat des mérites ; soleil des grands hommes ; ayant écarté la quinzaine noire (de la lune), et parfaitement rempli la quinzaine claire ; gagnant le cœur et agréable à voir ; ayant le sens de l’œil que rien n’arrête ; bien armé par les troupes de constellations de cent mille dieux ; en possession du cercle de la contemplation, de la délivrance complète et de la science ; par l’effet du bien-être de l’intelligence suprême, ayant des rayons comme la lune ; faisant épanouir les lotus des dieux et des hommes savants ; il est la lune des grands hommes ; il est allé dans le Dvîpa des quatre assemblées ; est en possession des sept membres précieux de l’intelligence suprême, emploie également son esprit pour tous les êtres ; a une pensée que rien n’arrête ; a pratiqué les mortifications et les vœux de la voie des œuvres vertueuses, avec l’intention d’en tirer spécialement tout le profit abondant et complet ; faisant tourner le trésor de la roue précieuse que rien n’arrête, d’un roi de la loi ; né dans une famille de la race des rois Tchakravartins ; bien rempli de tous les trésors de la loi profonde et difficile à pénétrer et de la production des causes connexes ; parce qu’il n’est pas rassasié de révélation, il ne dépasse pas la limite d’une vertu et d’une sagesse abondantes, développées, infinies ; ayant l’œil comme le calice d’un grand lotus ; ayant l’esprit égal à la terre, à l’eau, au feu et à l’air ; ayant un esprit inébranlable fort et ferme comme le mont Mêrou ; débarrassé de la passion et de la colère ; ayant une intelligence développée, sans égale, large et sans tache comme l’étendue des cieux ; ayant une pensée supérieure extrêmement pure ; ayant bien fait l’aumône, ayant précédemment bien pratiqué le yôga ; ayant bien fait son devoir ; bien orné des ornements de la vérité ; ayant bien recherché toutes les racines de la vertu ; vêtu du vêtement qu’il fallait revêtir ; ayant fait paraître la racine de la vertu ; pendant sept incommensurables Kalpas ayant acquis toutes les racines de vertu ; ayant fait les dons de sept espèces ; ayant pratiqué avec soin les bonnes œuvres méritoires qu’il faut faire qui ont cinq objets ; s’étant bien conduit de trois manières avec le corps, de quatre manières avec la parole, de trois manières avec l’esprit ; ayant suivi exactement la voie des dix œuvres vertueuses ; ayant pratiqué un yôga accompli qui a quarante parties ; ayant parfaitement complété la délivrance parfaite qui a quarante parties ; ayant exercé avec droiture la bienveillance supérieure qui a quarante parties ; entré en religion à la suite de cent mille Kôṭis de Bouddhas ; ayant offert des dons à cinquante-cinq mille centaines de niyoutas de Kôṭis de Bouddhas ; ayant rendu service à trois cent cinquante centaines de dix millions de Pratyêka-Bouddhas ; ayant fait marcher dans la voie du Svarga et de la délivrance des êtres infinis, incommensurables ; désireux de se revêtir de la qualité parfaite et accomplie d’un Bouddha ; après avoir transmigré d’ici, lui qui demeure dans ce séjour excellent du Touchita, avec le nom de Çvêtakêtou, le meilleur des fils des dieux, honoré par toutes les troupes des dieux ; après avoir émigré d’ici et être né dans le monde, il se revêtira bientôt de la qualité parfaite et accomplie d’un Bouddha. Tandis qu’il est assis à l’aise dans ce grand char céleste posé sur trente-deux mille terres, bien orné déterrasses, de portiques, d’arceaux, d’œils-de-bœuf, de salles fraîches, de pavillons à pignons et de palais ; au-dessus duquel est étendue une tente avec des parasols et des étendards déployés, des banderoles et des treillis avec clochettes précieuses, jonché d’une litière de fleurs de mândâravas, et de mahâ mândâravas, animé par les chants de cent mille niyoutas de Kôṭis d’Apsaras ; embelli par des (arbres tels que) Atimouktakas, Tchampakas, Pâṭalas, Kôvidâras, Moutchilindas, Mahâ Moutchilindas, Açokas, Nyagrodhas, Tindoukas, Asanas, Karnikaras, Kêçaras, Salas et Ratnavrikchas : (dans ce palais) abrité par des treillis d’or, orné de grandes urnes pleines, où le sol est embelli par un arrangement qui l’aplanit, où l’on trouve (les fleurs) des Djyôtis, des Mâlikas et des Soumanas ; (dans ce palais) placé de manière à être vu de face par les yeux de cent mille niyoutas de Kôṭis de dieux : (dans ce palais) qui résonne des chants de la loi abondante qui détruit toutes les corruptions qui viennent de l’impétuosité, du désir, et de la volupté ; dans ce palais doré d’où sont tous écartés la colère, l’emportement, l’orgueil, la fierté et l’arrogance ; (dans ce palais) qui fait naître la joie, la sérénité et la mémoire développée échauffée par le contentement ; tandis qu’il est là, assis à l’aise, pendant qu’a lieu le grand colloque de la loi, des accords de ces quatre-vingt-quatre mille instruments qui résonnent, par l’effet de l’accumulation des mérites du Bôdhisattva, ces stances d’exhortation sortirent.

1. Rappelle-toi, trésor de mérites abondants, la mémoire, le jugement et la voie, toi qui produis la lumière d’une science infinie ; toi qui as une force sans égale, une grande énergie (rappelle-toi) la prédiction de Dipangkara.

2. Rappelle-toi, esprit développé et sans tache, débarrassé de la triple tache, qui as effacé le péché de l’orgueil, qui as une pensée bonne, pure et sans tache (rappelle-toi), quelle fut autrefois ta pratique de l’aumône.

3. Rappelle-toi, descendant d’une famille honorable, ton calme, ta fidélité à tes vœux, ta patience et ta retenue ; l’héroïsme, la force, la contemplation que tu as exercés pendant des centaines de millions de kalpas.

4. Rappelle-toi, rappelle-toi, toi dont la renommée est sans bornes, les centaines de millions de Bouddhas honorés par toi. Miséricordieux pour tous, voici le temps, ne le laisse pas passer !

5. Transmigre, transmigre, toi qui connais la règle de la transmigration, destructeur de la vieillesse et de la mort, qui es sans passion ! Ils te regardent, très nombreux, les dieux, les Asouras, les Nâgas, les Yakchas et les Gandharbas.

6. Après t’être livré au plaisir pendant mille kalpas, la satiété n’est pas venue davantage que (pour la soif) avec l’eau de la mer. Sois bon, toi qui es rassasié par la sagesse ; rassasie les créatures depuis longtemps tourmentées par la soif.


7. N’es-tu donc pas, toi qui as une renommée sans tache, réjoui par la joie de la loi et non réjoui par le désir. Toi qui as un œil sans tache, prends pitié de ce monde réuni à celui des dieux !

8. Et aussi, les dieux par centaines de mille, ayant entendu la loi n’en seront pas rassasiés. Et aussi ceux qui sont privés de repos et se tiennent dans les voies mauvaises, regarde-les !

9. Et aussi, toi qui as l’œil sans tache, tu vois les Bouddhas aux dix points de l’espace dans le monde ; et tu entends la loi, c’est pourquoi, cette loi, la meilleure de toutes, fais-la partager au monde !

10. Et aussi, le séjour du Touchita brille de la gloire de tes mérites ; ô glorieux ! fais donc, esprit miséricordieux, pleuvoir dans le Djamboudhvadja, la pluie (de l’amrita ).

11. Les dieux nombreux qui, après avoir dépassé les dieux de la région du désir, sont dans la région de la forme, se réjouissent extrêmement (en disant) : Puissé-je atteindre l’intelligence suprême, but de mes vœux !

12. Les œuvres du démon ont été détruites par toi ; ils ont été vaincus par toi, les autres misérables Tirthikas ; de sorte que l’intelligence est (comme) venue dans la paume de ta main. Voici le temps, ne le laisse pas passer !

13. Sur le monde brûlé par le feu de la corruption, ayant, ô héros, étendu comme un nuage, répands la pluie de l’amrita, fais cesser les corruptions des dieux et des hommes.

14. Toi qui es habile à connaître les éléments des remèdes, qui as le remède de la vérité, établis promptement dans le bonheur du Nirvâna, par l’emploi des remèdes de la triple délivrance, les êtres depuis longtemps malades.

15. Quand ils n’ont pas entendu la voix du lion, les troupeaux de chacals hurlent sans crainte. Fais entendre la voix de lion d’un Bouddha, effraye les Tirthikas ennemis qui sont des chacals !

16. Toi qui as dans la main la lampe de la sagesse, qui es fort de la force produite par l’héroïsme, après avoir, à Dharaṇimaṇḍa, fortement frappé la terre avec la paume excellente de ta main, sois vainqueur du démon !

17. Ils te regardent, les quatre gardiens du monde qui te donneront un vase, et Cakra et Brahmâ, qui te recevront à ta naissance (sur la terre) et d’autres par centaines de mille.

18. Regarde, très glorieux, les fils de famille issus de familles honorables, en restant chez lesquelles, ô bon esprit, tu feras voir la conduite d’un Bôdhisattva.

19. Là, où est le fortuné (Bôdhisattva, comme) est placé dans un vase convenable le plus précieux joyau, (toi qui es) le plus précieux des joyaux, ô intelligence sans tache, verse sur le Djamboudhvadja la pluie (de l’amrita) !

20. Ainsi, sortant des accords des concerts, des stances très variées exhortent celui qui a un cœur compatissant (par ces paroles) : Voici le temps, ne le laisse pas passer !

Tel est dans le Lalitavistara, le chapitre de l’exhortation, le deuxième.