Le Laurier Sanglant/31

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Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 139-142).

LES PETITS DRAPEAUX




Pendant la mobilisation, 1914.


Au petit trot, par batterie,
Un régiment d’artillerie
Défile en un sourd roulement :
Le colonel chevauche en tête ;
Joyeux comme pour une fête,
Les hommes vont résolument.

Quittant femmes, filles ou mères,
Refoulant les larmes amères
Dont s’amollissent les adieux,

Haut les cœurs et droites les tailles,
Ils marchent aux rudes batailles…
Et la Victoire est dans leurs yeux.

En leur bonne humeur qui subsiste,
Ils savent, malgré l’heure triste,
Unir les gaîtés aux douleurs :
À chaque caisson, chaque pièce,
Ils ont accroché l’allégresse
Des petits drapeaux et des fleurs.

Sur le dur pavé de la rue,
— Tandis que la foule accourue
Acclame ces vaillants soldats, —
Les drapeaux et les fleurs ensemble
Font comme un long serpent qui tremble
Et glisse au milieu des hourras.



Petits drapeaux de pacotille
Dont l’élégance humble et gentille
Se déroule en légers frou-frous ;
Vous qui ne comptiez d’autres gloires
Que d’être achetés dans les foires,
Le dimanche, pour quelques sous ;

Petits drapeaux de forme drôle,
Voici que, soudain, votre rôle
S’est tragiquement agrandi ;
Jouets d’enfant aux mains des hommes,
Par ces temps de fièvre où nous sommes,
Sous l’ardent soleil de midi,

En votre frémissement rose
Aujourd’hui je vois autre chose

Que de vulgaires oripeaux,
Car c’est, pour mon âme attendrie,
Toute l’âme de la Patrie
Qui flotte en vous, petits drapeaux !