Le Laurier Sanglant/32

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Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 143-146).

LES COMMUNIQUÉS




1914.


Ah ! quelle émotion nous saisit, brusque et vive.

Chaque matin et chaque soir,

Quand l’heure sonne enfin où le journal arrive,

Apportant la joie ou l’espoir !


Entre nos doigts fiévreux tremble la feuille blanche…

Chacun la regarde, anxieux,

Et notre cœur, qui sur cet inconnu se penche,

A lu plus vite que nos yeux…


Il nous semble, le long de chaque ligne noire

Dont se raye le papier blanc,

Voir courir des soldats qu’entraîne une Victoire

Levant au ciel son bras sanglant ;


Notre cerveau s’emplit de visions fugaces

Où, dans un long enroulement,

Passe, comme un remous, l’étreinte de deux races

Qui se heurtent férocement…


Et c’est vers vous, vaillants défenseurs des tranchées

Éventrant le sol des aïeux,

Que nos âmes s’en vont, aux vôtres attachées

Par des liens mystérieux.


Les maux dont vous souffrez en ces luttes suprêmes,

Où tout est fatigue ou danger,

Nous croyons les connaître et les souffrir nous-mêmes

Et brûlons de les partager.


Mais, anciens combattants d’une première guerre

Contre les mêmes ennemis,

Ce que nous avons fait, ce que vous pouvez faire,

Hélas ! ne nous est plus permis…


Il nous faut aujourd’hui, nous dont les bras débiles

Sont lassés d’un trop long effort,

Demeurer au foyer, citoyens inutiles

Dédaignés même de la mort…


Aussi, quand nous avons terminé la lecture

Des glorieux communiqués ;

Quand sur la carte, vers la victoire future,

Nos frêles drapeaux sont piqués,


Nous sentons, loin du bruit et du fracas des armes,

L’horreur d’un repos impuissant,

Et nous pleurons, honteux de répandre des larmes,

Quand vous répandez votre sang !