Le Laurier Sanglant/32
LES COMMUNIQUÉS
Ah ! quelle émotion nous saisit, brusque et vive.
Chaque matin et chaque soir,
Quand l’heure sonne enfin où le journal arrive,
Apportant la joie ou l’espoir !
Entre nos doigts fiévreux tremble la feuille blanche…
Chacun la regarde, anxieux,
Et notre cœur, qui sur cet inconnu se penche,
A lu plus vite que nos yeux…
Il nous semble, le long de chaque ligne noire
Dont se raye le papier blanc,
Voir courir des soldats qu’entraîne une Victoire
Levant au ciel son bras sanglant ;
Notre cerveau s’emplit de visions fugaces
Où, dans un long enroulement,
Passe, comme un remous, l’étreinte de deux races
Qui se heurtent férocement…
Et c’est vers vous, vaillants défenseurs des tranchées
Éventrant le sol des aïeux,
Que nos âmes s’en vont, aux vôtres attachées
Par des liens mystérieux.
Les maux dont vous souffrez en ces luttes suprêmes,
Où tout est fatigue ou danger,
Nous croyons les connaître et les souffrir nous-mêmes
Et brûlons de les partager.
Mais, anciens combattants d’une première guerre
Contre les mêmes ennemis,
Ce que nous avons fait, ce que vous pouvez faire,
Hélas ! ne nous est plus permis…
Il nous faut aujourd’hui, nous dont les bras débiles
Sont lassés d’un trop long effort,
Demeurer au foyer, citoyens inutiles
Dédaignés même de la mort…
Aussi, quand nous avons terminé la lecture
Des glorieux communiqués ;
Quand sur la carte, vers la victoire future,
Nos frêles drapeaux sont piqués,
Nous sentons, loin du bruit et du fracas des armes,
L’horreur d’un repos impuissant,
Et nous pleurons, honteux de répandre des larmes,
Quand vous répandez votre sang !