Le Laurier Sanglant/63
V
À deux Amis qui ne sont plus là…
À DEUX AMIS QUI NE SONT PLUS LÀ…
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l’autre côté des tombeaux
Les yeux qu’on ferme voient encore !
Je ne veux pas finir ce livre dont les pages Au crépuscule de mes jours, Sans que pieusement ici je vienne inscrire, Ayant disparu pour toujours.
Pourquoi le sort brutal Vous a-t-il emportés à l’heure où l’un et l’autre Vous touchiez à votre idéal ?
En tes vers, depuis si longtemps, Cette Revanche qui nous semblait incertaine, À l’ombre des drapeaux flottants !
Réaliser ton seul désir… Qui sait ? Un tel bonheur t’aurait tué peut-être… Ta main aurait pu le saisir !
⁂
Et ton sort fut pareil, cher ami, cher Detaille ! Ton œil d’artiste n'a pu voir Cette lutte à la fois hideuse et grandiose Avec un inlassable espoir.
À souffrir pour nous chaque jour ; De ces héros créés par la nouvelle guerre, D’un innombrable et tendre amour !
Tu ne la reconnaîtrais plus… Adieu la charge et les actives chevauchées !… Et tes pioupious sont des « poilus » !
Veuve de son rouge éclatant ; Le casque dessiné par toi, la « bourguignote », Qui vont à la mort en chantant !
Soutenus par la même foi, Marchant au rythme clair de la même espérance, Auraient défilé devant toi !
Auraient pris place à ton côté ; Le Rêve — ce tableau qui confirma ta gloire, — Fût devenu Réalité !
⁂
Amis, plus que jamais mon âme désolée Mais votre souvenir si doux Tient une telle place en mon âme attendrie Oui, tous, je les vis avec vous.
Par des chemins prompts et certains ; Par delà les tombeaux, comme a dit le poète, Le regard de vos yeux éteints…
Vos cœurs battent près de nos cœurs ; Et, dès que sonnera l’heure de la victoire, Avec nous, vous serez vainqueurs !
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