Le Laurier noir/III/Rencontre
RENCONTRE
J’ai rencontré Jean Pellerin
Dans un village de Lorraine.
Il fumait la pipe. À ses mains
Pesait un cache-nez de laine.
Une route pleine de trous
Bordait le seuil d’une brigade.
La pluie de l’Est tombait sur nous ;
Nous songions à Shéhérazade,
Aux soirs lointains de l’Opéra,
À Nijinski, à la paresse
Qui ruisselle entre les beaux bras
Des espérances, nos maîtresses.
Dans une auberge de rouliers
Nous bûmes de la mirabelle.
Elle avait le goût des lauriers.
Jean Pellerin, je me rappelle
Votre parole dans le vent.
Quand votre tâche était finie
Vous alliez vers un lit de camp
Et vous relisiez Athalie.
Pauvre décor en vérité !
Mais que son ombre frémissante
Ressemblait à l’éternité
Parfois si simple et si touchante !